De temps en temps, il faut «tordre le
cou» à un mythe tenace, néfaste et
injustifié. En Israël, l’un de ces mensonges
les plus répandus et qui ne
correspondent à aucune réalité est
que «les religieux font tout pour se
dérober à leur devoir national et éviter
le service militaire». Afin de démontrer
à quel point cette affirmation
est avant tout malveillante, nous avons
été à la rencontre d’une unité combattante
tout à fait particulière, le Bataillon
97, connue sous son nom populaire
de «Nachlat Harédit» (unité orthodoxe),
mais qui porte aussi le nom
de «Netsach Yehoudah» (victoire de
Juda)! Ce corps de l’armée israélienne
est totalement atypique et les hommes
qui le composent n’ont rien en
commun avec les autres combattants
de la valeureuse armée de l’État juif
moderne.
Dans leur groupe social, dans leur quartier, dans
leurs familles, la plupart de ces jeunes gens sont souvent
considérés comme bizarres, instables, voire
parasites. Or ils n’ont aucun de ces défauts. Ils s’appellent
Moïchélé, Avroumelé ou encore Yankelé.
De qui s’agit-il et où évoluent-ils? Ces jeunes proviennent
des milieux orthodoxes en Israël même, le
plus souvent de Jérusalem. Dans cet environnement,
une seule valeur compte: l’aptitude d’acquérir un
maximum de savoir judaïque en passant de longues
heures à étudier le Talmud pour, en définitive, devenir
un étudiant éternel, un rabbin, un enseignant, un
juge rabbinique, un Mohel (circonciseur), un Shokhet
(abatteur rituel) ou un Machgiakh (surveillant
de kasherouth en cuisine ou pour les vins). Ces perspectives
ne sont pas attrayantes pour tout le monde
et la proposition de passer des heures et des heures
dans une yéshivah à étudier peut ne pas convenir.
Nos «Moïchélé, Avroumelé et Yankelé» ont d’autres
aptitudes, d’autres capacités, ils sont jeunes,
dynamiques, entreprenants et pleins d’énergie. Bref,
ils ont un grand besoin d’action et si leur vitalité
n’est pas canalisée correctement, ils risquent d’emprunter
un chemin peu recommandable. En janvier
1999, à l’initiative de quelques rabbins, l’armée a
accepté de créer une unité pour accueillir ces jeunes
gens qui, papillotes au vent, seraient à même de servir
dans une unité combattante.
Pourquoi un tel régiment? Les raisons sont aussi
bonnes que nombreuses mais l’une d’entre elles, qui
n’est pas la plus importante, dépasse de loin le
simple cadre de l’armée. Le Bataillon 97 a notamment
été créé afin de promouvoir la compréhension
entre deux pans de la société israélienne, les nonreligieux
et les religieux.
En analysant les statistiques des personnes qui ne
font pas leur service militaire en Israël, l’on constate
tout d’abord que le nombre de non-religieux qui
utilisent toutes sortes de stratagèmes pour se soustraire
au service national est d’environ 20% plus
élevé que celui des jeunes issus des milieux orthodoxes
(env. 5500 non-religieux contre 4000 religieux).
Les jeunes provenant de la société nationalereligieuse
font tous leur service militaire et aujourd’hui,
les meilleurs éléments des unités combattantes
et du commandement sont issus de ses
rangs. Il faut aussi savoir que contrairement aux
non-religieux, aux gauchistes, aux homosexuels et
aux pacifistes de tous bords, les religieux ne se font
pas dispenser d’armée, mais sont incorporés avec un droit de reporter leur affectation effective dans une
unité à la fin de leurs études dans les yéshivoth. Il est
vrai qu’en réalité, ces étudiants se marient avant la
fin de leurs études, ce qui rend leur incorporation
nettement plus problématique et dans la plupart des
cas, c’est l’armée qui ne souhaite pas les avoir dans
ses rangs. Cette manière d’agir n’est en rien comparable
à un jeune dont le père a suffisamment d’appuis
et de copains influents pour que son fils soit
exempté.
Netsach Yehoudah a été créée en étroite coopération
par trois organismes: le Ministère de la Défense,
Tsahal et un comité de rabbins dirigeants de
la communauté orthodoxe. Ce bataillon d’infanterie
n’a pas uniquement pour objectif de former des soldats
combattants, mais de leur offrir un moyen de
devenir des citoyens à part entière de la société
israélienne. Dans ce but, la troisième année de leur
service militaire est consacrée à une formation professionnelle,
dans la plupart des cas orientée vers un
métier manuel, bien qu’une partie des recrues prépare
la maturité afin de suivre une formation universitaire
à la fin de leur service militaire. Il faut
bien comprendre qu’en plus de la discipline militaire,
les jeunes soldats qui sont acceptés dans l’unité
de Netsach Yehoudah vivent selon les règles de la
stricte observance, des plus hautes exigences de la
moralité juive et de l’autodiscipline.
Le système des «Yéshivoth Hesder», qui propose
aux jeunes gens religieux la possibilité d’étudier
dans une yéshivah et de passer certaines périodes de
leurs études à l’armée en étant intégrés dans une
unité régulière est bien connu et a fait ses preuves
depuis de nombreuses années. Toutefois, il n’est en
rien comparable à Netsach Yehoudah. En effet,
lorsque les jeunes étudiants talmudistes sont intégrés
dans une unité régulière, ils constituent une
minorité et ne sont jamais totalement acceptés dans
les bataillons dans lesquels ils sont affectés. Il en est
tout autrement dans Netsach Yehoudah, où tout le
monde est religieux et pratiquant. Tous ont la même
conception de ce que doit être une vie juive en
Israël. Sur le plan purement militaire, il est important
de souligner que la majorité des jeunes gens
religieux qui suivent le programme de la Yéshivath
Hesder sont en général intégrés dans des unités de
tankistes. Netsach Yehoudah est une unité combattante
responsable de la sécurité d’une région déterminée
de la Vallée du Jourdain. Cette zone, truffée de villages arabes militants, constitue une véritable
«pépinière du terrorisme arabe».
Dans une conversation avec le commandant de
Netsach Yehoudah, un certain Yonathan, nous lui
avons posé la question de savoir comment il voyait
l’avenir de son bataillon. Il nous a notamment
répondu: «La société orthodoxe israélienne vit une
mutation lente mais profonde. Il faut bien comprendre
qu’il s’agit d’un groupe extrêmement fermé,
qui se protège de toute influence qui lui est étrangère.
Toutefois, nous assistons progressivement à un
certain nombre de changements. Plusieurs yéshivoth
offrent des formations professionnelles à leurs
élèves, ce qui n’était jamais le cas auparavant. Notre
unité a sa place dans ce processus. Certes, bon
nombre de nos conscrits sont en conflit ouvert ou
larvé avec leurs familles. A ce jour, bien que nous
ayons l’appui sérieux mais discret des rabbins qui
dirigent la communauté orthodoxe, nous ne jouissons
pas encore de leur coopération totale. Je pense
que progressivement, nous serons acceptés, mais
l’un de nos buts est d’arriver au stade où, dans les
synagogues, les rabbins recommandent ouvertement
aux jeunes qui ne sont pas attirés par les études, de
rejoindre nos rangs. Ce même message pourrait aussi
s’adresser à une partie des élèves des yéshivoth,
qui apporteraient ainsi leur contribution à l’État.
Tel n’est pas le cas pour l’instant, car les rabbins
n’ont pas encore admis que nos intérêts convergent
et que le renforcement de notre unité ne peut être
que bénéfique pour l’ensemble de la société orthodoxe.
Cette attitude explique, entre autres, nos difficultés
à recruter des jeunes hassidim. Cela dit, je
crois pouvoir affirmer, sans me vanter, que notre
unité n’apporte pas seulement sa contribution sur le
plan militaire, mais aussi sur celui de l’intégration
progressive des orthodoxes dans la société israélienne.
Ils sont acceptés tels qu’ils sont, avec leurs défauts
et leurs énormes qualités, et l’inverse est également
vrai. Les non-religieux ne sont plus vus d’un
œil dédaigneux. Nous sommes donc au début d’une
meilleure entente entre deux pans de la société
israélienne qui vivent dans une grande incompréhension
mutuelle. Sur le plan militaire, nous avons
de très hautes exigences, l’entraînement est très
dur et les opérations sur le terrain sont très dangereuses.
»
Au cours de ce reportage, j’ai eu l’occasion de discuter
avec un certain nombre de soldats. J’ai été
impressionné par le niveau très élevé de leurs motivations.
Alors que dans leur société ils n’étaient pas
du tout considérés, ils ont trouvé dans Netsach
Yehoudah un moyen de faire leurs preuves et de
s’affirmer en tant qu’hommes, Juifs et Israéliens. Dans le cadre de l’armée, leur efficacité est reconnue
par tous et ils jouissent d’une excellente réputation.
Le «Bataillon 97 - Netsach Yehoudah» n’existe pas
depuis longtemps, mais l’importance de son rôle
commence à être reconnue. Il ne fait aucun doute
que ses soldats et ses officiers d’aujourd’hui joueront
demain un rôle déterminant dans l’évolution de
la société israélienne. Ils ne font pas uniquement
preuve de courage sur le terrain, ils affrontent également
les fondements d’une société fermée et bourrée
d’idées préconçues. Ils vivent en donnant
l’exemple en fonction de la devise de Netsach
Yehoudah: «Force-Esprit-Victoire». La force non
seulement brute ou physique et militaire mais aussi
de l’autodiscipline; l’esprit non seulement d’équipe
mais aussi de la mise en application directe de toute
la philosophie juive pour un État juif fort; la victoire
non seulement de notre juste cause, mais aussi sur
les préjugés qui séparent les différents groupes de la
société israélienne. Le projet «Netsach Yehoudah»
constitue un véritable coup de pied aussi bien dans
la fourmilière orthodoxe que dans la fourmilière
antireligieuse.
Le 3 août 2003, le Jerusalem Post a publié une petite
information disant que le nombre des étudiants
des yéshivoth qui ont rejoint l’armée a augmenté de
20% en une année!
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