Force - Esprit - Victoire | |
Par Roland S. Süssmann | |
De temps en temps, il faut «tordre le
cou» à un mythe tenace, néfaste et
injustifié. En Israël, l’un de ces mensonges
les plus répandus et qui ne
correspondent à aucune réalité est
que «les religieux font tout pour se
dérober à leur devoir national et éviter
le service militaire». Afin de démontrer
à quel point cette affirmation
est avant tout malveillante, nous avons
été à la rencontre d’une unité combattante
tout à fait particulière, le Bataillon
97, connue sous son nom populaire
de «Nachlat Harédit» (unité orthodoxe),
mais qui porte aussi le nom
de «Netsach Yehoudah» (victoire de
Juda)! Ce corps de l’armée israélienne
est totalement atypique et les hommes
qui le composent n’ont rien en
commun avec les autres combattants
de la valeureuse armée de l’État juif
moderne. Dans leur groupe social, dans leur quartier, dans leurs familles, la plupart de ces jeunes gens sont souvent considérés comme bizarres, instables, voire parasites. Or ils n’ont aucun de ces défauts. Ils s’appellent Moïchélé, Avroumelé ou encore Yankelé. De qui s’agit-il et où évoluent-ils? Ces jeunes proviennent des milieux orthodoxes en Israël même, le plus souvent de Jérusalem. Dans cet environnement, une seule valeur compte: l’aptitude d’acquérir un maximum de savoir judaïque en passant de longues heures à étudier le Talmud pour, en définitive, devenir un étudiant éternel, un rabbin, un enseignant, un juge rabbinique, un Mohel (circonciseur), un Shokhet (abatteur rituel) ou un Machgiakh (surveillant de kasherouth en cuisine ou pour les vins). Ces perspectives ne sont pas attrayantes pour tout le monde et la proposition de passer des heures et des heures dans une yéshivah à étudier peut ne pas convenir. Nos «Moïchélé, Avroumelé et Yankelé» ont d’autres aptitudes, d’autres capacités, ils sont jeunes, dynamiques, entreprenants et pleins d’énergie. Bref, ils ont un grand besoin d’action et si leur vitalité n’est pas canalisée correctement, ils risquent d’emprunter un chemin peu recommandable. En janvier 1999, à l’initiative de quelques rabbins, l’armée a accepté de créer une unité pour accueillir ces jeunes gens qui, papillotes au vent, seraient à même de servir dans une unité combattante. Pourquoi un tel régiment? Les raisons sont aussi bonnes que nombreuses mais l’une d’entre elles, qui n’est pas la plus importante, dépasse de loin le simple cadre de l’armée. Le Bataillon 97 a notamment été créé afin de promouvoir la compréhension entre deux pans de la société israélienne, les nonreligieux et les religieux. En analysant les statistiques des personnes qui ne font pas leur service militaire en Israël, l’on constate tout d’abord que le nombre de non-religieux qui utilisent toutes sortes de stratagèmes pour se soustraire au service national est d’environ 20% plus élevé que celui des jeunes issus des milieux orthodoxes (env. 5500 non-religieux contre 4000 religieux). Les jeunes provenant de la société nationalereligieuse font tous leur service militaire et aujourd’hui, les meilleurs éléments des unités combattantes et du commandement sont issus de ses rangs. Il faut aussi savoir que contrairement aux non-religieux, aux gauchistes, aux homosexuels et aux pacifistes de tous bords, les religieux ne se font pas dispenser d’armée, mais sont incorporés avec un droit de reporter leur affectation effective dans une unité à la fin de leurs études dans les yéshivoth. Il est vrai qu’en réalité, ces étudiants se marient avant la fin de leurs études, ce qui rend leur incorporation nettement plus problématique et dans la plupart des cas, c’est l’armée qui ne souhaite pas les avoir dans ses rangs. Cette manière d’agir n’est en rien comparable à un jeune dont le père a suffisamment d’appuis et de copains influents pour que son fils soit exempté. Netsach Yehoudah a été créée en étroite coopération par trois organismes: le Ministère de la Défense, Tsahal et un comité de rabbins dirigeants de la communauté orthodoxe. Ce bataillon d’infanterie n’a pas uniquement pour objectif de former des soldats combattants, mais de leur offrir un moyen de devenir des citoyens à part entière de la société israélienne. Dans ce but, la troisième année de leur service militaire est consacrée à une formation professionnelle, dans la plupart des cas orientée vers un métier manuel, bien qu’une partie des recrues prépare la maturité afin de suivre une formation universitaire à la fin de leur service militaire. Il faut bien comprendre qu’en plus de la discipline militaire, les jeunes soldats qui sont acceptés dans l’unité de Netsach Yehoudah vivent selon les règles de la stricte observance, des plus hautes exigences de la moralité juive et de l’autodiscipline. Le système des «Yéshivoth Hesder», qui propose aux jeunes gens religieux la possibilité d’étudier dans une yéshivah et de passer certaines périodes de leurs études à l’armée en étant intégrés dans une unité régulière est bien connu et a fait ses preuves depuis de nombreuses années. Toutefois, il n’est en rien comparable à Netsach Yehoudah. En effet, lorsque les jeunes étudiants talmudistes sont intégrés dans une unité régulière, ils constituent une minorité et ne sont jamais totalement acceptés dans les bataillons dans lesquels ils sont affectés. Il en est tout autrement dans Netsach Yehoudah, où tout le monde est religieux et pratiquant. Tous ont la même conception de ce que doit être une vie juive en Israël. Sur le plan purement militaire, il est important de souligner que la majorité des jeunes gens religieux qui suivent le programme de la Yéshivath Hesder sont en général intégrés dans des unités de tankistes. Netsach Yehoudah est une unité combattante responsable de la sécurité d’une région déterminée de la Vallée du Jourdain. Cette zone, truffée de villages arabes militants, constitue une véritable «pépinière du terrorisme arabe». Dans une conversation avec le commandant de Netsach Yehoudah, un certain Yonathan, nous lui avons posé la question de savoir comment il voyait l’avenir de son bataillon. Il nous a notamment répondu: «La société orthodoxe israélienne vit une mutation lente mais profonde. Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un groupe extrêmement fermé, qui se protège de toute influence qui lui est étrangère. Toutefois, nous assistons progressivement à un certain nombre de changements. Plusieurs yéshivoth offrent des formations professionnelles à leurs élèves, ce qui n’était jamais le cas auparavant. Notre unité a sa place dans ce processus. Certes, bon nombre de nos conscrits sont en conflit ouvert ou larvé avec leurs familles. A ce jour, bien que nous ayons l’appui sérieux mais discret des rabbins qui dirigent la communauté orthodoxe, nous ne jouissons pas encore de leur coopération totale. Je pense que progressivement, nous serons acceptés, mais l’un de nos buts est d’arriver au stade où, dans les synagogues, les rabbins recommandent ouvertement aux jeunes qui ne sont pas attirés par les études, de rejoindre nos rangs. Ce même message pourrait aussi s’adresser à une partie des élèves des yéshivoth, qui apporteraient ainsi leur contribution à l’État. Tel n’est pas le cas pour l’instant, car les rabbins n’ont pas encore admis que nos intérêts convergent et que le renforcement de notre unité ne peut être que bénéfique pour l’ensemble de la société orthodoxe. Cette attitude explique, entre autres, nos difficultés à recruter des jeunes hassidim. Cela dit, je crois pouvoir affirmer, sans me vanter, que notre unité n’apporte pas seulement sa contribution sur le plan militaire, mais aussi sur celui de l’intégration progressive des orthodoxes dans la société israélienne. Ils sont acceptés tels qu’ils sont, avec leurs défauts et leurs énormes qualités, et l’inverse est également vrai. Les non-religieux ne sont plus vus d’un œil dédaigneux. Nous sommes donc au début d’une meilleure entente entre deux pans de la société israélienne qui vivent dans une grande incompréhension mutuelle. Sur le plan militaire, nous avons de très hautes exigences, l’entraînement est très dur et les opérations sur le terrain sont très dangereuses. » Au cours de ce reportage, j’ai eu l’occasion de discuter avec un certain nombre de soldats. J’ai été impressionné par le niveau très élevé de leurs motivations. Alors que dans leur société ils n’étaient pas du tout considérés, ils ont trouvé dans Netsach Yehoudah un moyen de faire leurs preuves et de s’affirmer en tant qu’hommes, Juifs et Israéliens. Dans le cadre de l’armée, leur efficacité est reconnue par tous et ils jouissent d’une excellente réputation. Le «Bataillon 97 - Netsach Yehoudah» n’existe pas depuis longtemps, mais l’importance de son rôle commence à être reconnue. Il ne fait aucun doute que ses soldats et ses officiers d’aujourd’hui joueront demain un rôle déterminant dans l’évolution de la société israélienne. Ils ne font pas uniquement preuve de courage sur le terrain, ils affrontent également les fondements d’une société fermée et bourrée d’idées préconçues. Ils vivent en donnant l’exemple en fonction de la devise de Netsach Yehoudah: «Force-Esprit-Victoire». La force non seulement brute ou physique et militaire mais aussi de l’autodiscipline; l’esprit non seulement d’équipe mais aussi de la mise en application directe de toute la philosophie juive pour un État juif fort; la victoire non seulement de notre juste cause, mais aussi sur les préjugés qui séparent les différents groupes de la société israélienne. Le projet «Netsach Yehoudah» constitue un véritable coup de pied aussi bien dans la fourmilière orthodoxe que dans la fourmilière antireligieuse. Le 3 août 2003, le Jerusalem Post a publié une petite information disant que le nombre des étudiants des yéshivoth qui ont rejoint l’armée a augmenté de 20% en une année! |