Quoi de plus courant, de plus
simple et de plus commun qu’une
datte? Une enquête rapide nous a permis
de constater qu’il existe plusieurs
centaines de variétés de dattes, que
leur culture n’est pas facile et qu’elle
comporte de nombreux risques, surtout
financiers, pour son producteur. L’une
des plus belles régions dattière au
monde est située dans le désert de
Judée, au niveau de la mer Morte. Le
voyageur qui a le privilège de s’y
rendre est frappé par le nombre de
palmeraies qui bordent cette mer la
plus salée du monde et qui se trouve
au point le plus bas du globe, soit à
plus de 400 mètres sous le niveau de la
mer. C’est là que la fameuse expression
arabe disant que «le palmier dattier
a les pieds dans l’eau et la tête
dans le feu (sous-entendu le soleil)»
prend toute sa signification.
La présence de ces arbres fruitiers qui fleurissent
d’une manière extraordinaire a piqué notre curiosité
et, afin d’en savoir plus, nous avons décidé de
nous adresser à un spécialiste en la matière, YAACOV
NAKACHE, directeur de l’«Eden Experimental
Station» du kibboutz national religieux Sdé
Eliahou situé au nord de la Vallée du Jourdain, dans
la partie appelée la Vallée de Beith-Shéan. Ce kibboutz
est particulièrement intéressant puisque pratiquement
toute son activité est agricole et qu’il s’est
spécialisé dans l’agriculture biologique. Dans ce
cadre, il a développé un centre de recherche agricole
avant tout orienté vers l’agriculture bio-organique,
mais qui s’intéresse également à tous les
aspects de l’agriculture, y compris à la pisciculture.
Concernant les travaux effectués à la station expérimentale
dont M. Nakache est responsable, ceux-ci
portent notamment sur l’entomologie dans les
champs et les vergers. Mais la liste des activités et
surtout l’ingéniosité dont font preuve les chercheurs
de cette institution sont trop longues pour être évoquées
ici.
Pouvez-vous en quelques mots nous donner un
aperçu de la production des dattes en Israël?
Le palmier dattier est sans aucun doute l’arbre le
plus noble du pays dont il est le juste symbole, et son
histoire est tout à fait particulière. En effet, il a été
importé ici il y a moins d’une centaine d’années et ce
dans des conditions extrêmement difficiles. Il faut
bien se rendre compte de ce que cela pouvait signifier
alors de transporter à dos d’ânes et de chameaux
des arbres pouvant mesurer jusqu’à 15 mètres de
haut. En 1924, Yossef Weiss a apporté plus d’une
centaine de rejets d’Égypte, qui ont été plantés
autour du lac de Tibériade. Entre 1933-1938, Ben
Zion Israeli et Shmuel Stoler ont importé 7000 rejets
d’Iran, d’Irak et d’Égypte qui ont été plantés au Kibboutz
Kinereth et au cours de l’année 1954, 60’000
rejets ont été importés d’Iran et d’Irak et plantés
dans la Vallée du Jourdain et de Beith Shéan. Aujourd’hui
encore, on trouve des arbres provenant de
ces importations, qui produisent toujours des fruits.
Il faut savoir qu’un arbre peut être productif pendant
150 ans, mais que le problème réside dans sa
taille. En Israël où la main d’œuvre est relativement
chère, il n’est pas possible d’avoir des arbres de 30
mètres de haut, car toute la récolte est faite mécaniquement.
Il est inimaginable, comme c’est le cas au
Maghreb, de faire grimper des hommes aux arbres
pour détacher les fruits. Il faut bien comprendre que
nous sommes au Moyen-Orient, dans une région où
le palmier dattier constitue bien plus qu’une simple
source d’alimentation. Cet arbre, et cela je l’ai appris
de mes collègues arabes, représente une véritable
religion, un folklore, voire un élément de vie.
Un jour, en Mauritanie, un marabout m’a dit: «Voistu,
cet arbre a cent cinquante ans». Devant mon
étonnement, il m’a présenté un papier datant effectivement
de 150 ans disant que cet arbre avait été
planté par tel paysan. Aujourd’hui encore, la possession
d’un lopin de terre ne devient effective que
lorsque le propriétaire y a planté son premier arbre.
Il en va de même en Arabie saoudite. En Irak et
dans les pays du Golfe, certaines plantations peuvent
compter jusqu’à vingt millions d’arbres. En
Israël, nous n’avons que 250’000 palmiers dattiers
productifs. La majorité des dattes israéliennes est
destinée à l’exportation. Comme nous n’avons finalement
que très peu d’arbres, nous devons tout
mettre en œuvre afin que ceux-ci produisent au
maximum de leurs capacités. Ainsi, pour la datte la
mieux côtée, la variété Madjoul, nous obtenons
entre cent et cent vingt kilos de fruits par an. Nous
faisons donc très attention à ce que nos arbres soient
en bonne santé, qu’ils ne soient pas attaqués par des
insectes nuisibles, qu’ils aient une quantité d’eau
suffisante, etc. Ces considérations motivent l’essentiel
de nos recherches et c’est pour cette raison que
la qualité de la datte israélienne est nettement supérieure
à celle produite dans les pays arabes. Il faut
dire qu’en raison de la quantité d’arbres dont ces
derniers disposent, ils se contentent d’une production
de quinze à vingt kilos de fruits par an. Nous
produisons avant tout la variété Madjoul, mais pour
l’Europe, nous cultivons aussi la Déglet-Nour, une
variété avant tout exploitée dans le Maghreb et qui
a été importée en Europe par les Français au cours
du XIXe siècle. Il est intéressant de savoir que dans
la datte, tout est comestible, et que dans certains
pays, en particulier en Mauritanie et en Algérie, le
noyau est moulu et sert de poudre à café. Lorsque je
dis que tout est comestible, cela inclut la peau car en
Israël, les dattes sont cultivées sans produits chimiques,
sans résidus et correspondent aux normes
européennes et américaines connues sous le label
ISO 9002. De plus, en ce qui concerne la valeur
nutritive de la datte, il est bien connu dans le monde
arabe que «cinq dattes et un verre de lait suffisent à
nourrir un homme pour la journée».
En ce qui concerne le marché européen, il est avant
tout inondé par les dattes en provenance du
Maghreb. Comment combattez-vous cette concurrence?
Nous avons trois semaines d’avance sur les productions
du Maghreb. Ce laps de temps est très important,
car c’est pendant cette période que nous réalisons
une grande partie de notre chiffre d’affaires.
De plus, il faut savoir que malgré les millions d’arbres
dont disposent nos voisins directs, ils n’ont pas
assez de fruits et nous avons la possibilité d’en exporter
chez eux, en particulier dans le Golfe persique.
Certains pays arabes sont même parfois disposés
à acheter jusqu’à 30% de notre production. Il
faut bien comprendre que dans ces régions, chaque
noyau qui tombe produit un nouvel arbre et que,
dans la plupart des cas, les fruits qui en découlent
sont d’une qualité médiocre et peu appréciés. Chez
nous, la qualité constitue le critère primordial et
nous investissons du temps et des moyens financiers
afin de mener une recherche complète. Nous en avons
fait une véritable science car, en réalité, nous avons
de gros problèmes. Tout d’abord, comme je vous l’ai
dit, la main-d’œuvre est plus chère ici et c’est pourquoi
nous avons mis en place tout un système mécanique
pour la récolte mais aussi pour la pollinisation.
Dans le monde entier, cette dernière se fait manuellement
alors que chez nous, elle est réalisée par l’entremise
d’un bourdon que nous avons dressé à cet
effet et dont nous avons disséminé les ruches à travers
l’ensemble de nos plantations. Dans l’un des
laboratoires dont je suis responsable, nous supervisons
la qualité de la germination du pollen. Nous
sommes obligés d’exiger énormément de nos arbres,
car si la production tombe en dessous de 80 kilos par
arbre, nous sommes perdants.
En quoi constitue la recherche que vous faites sur
les dattes?
Tout d’abord, nous opérons une sélection dans la
variété des dattes que nous voulons produire. Nous
ne tentons pas de créer de nouveaux types de dattes,
mais d’améliorer les variétés existantes. Nous
savons par exemple que le goût de la Déglet-Nour
est nettement supérieur à la Madjoul, mais que
celle-ci est plus belle et présente mieux. Nous faisons
donc un effort pour sa production car aujourd’hui,
les gens mangent souvent «avec les yeux».
Nous menons donc une recherche variétale et choisissons
les arbres qui, dans nos plantations, donnent
la meilleure qualité et la plus grande récolte. Nous
faisons de la reproduction in vitro, ce que l’on appelle
communément du «vitroplan». Nous prenons des
embryons d’arbres que nous multiplions génétiquement
par milliers dans nos laboratoires, ce qui nous
garantit une qualité identique et stable pour toute
notre production. Il s’agit d’une technique mise au
point en Israël, que nous exportons dans le monde
entier, réalisée dans un centre de recherche situé à
Roch Hanikrah spécialisé dans cette technique qui,
en fait, ne concerne pas uniquement les palmiers
dattiers, mais de nombreuses autres variétés de
fruits. Lorsque je dis recherche génétique, je tiens à
distinguer cette technique des manipulations transgéniques,
que nous ne faisons pas. Le but essentiel
de notre recherche est avant tout de réduire nos
coûts de productions. En effet, la tonne de fruits
israéliens est plus chère que celle produite dans un
pays arabe. Nous menons également une recherche
particulière pour développer notamment la mécanisation
de la récolte par le développement d’échelles
hydrauliques pouvant atteindre 25 mètres de haut.
Une usine israélienne fabrique aujourd’hui ces machines,
qui sont exportées dans le monde entier.
Comment combattez-vous les maladies et les insectes
nuisibles?
C’est là un très vaste domaine dont je suis responsable
et dont je peux vous donner un bref aperçu.
Nos palmeraies sont réparties en quatre régions différentes
de par leurs conditions climatiques. Elles se
distinguent aussi par leurs faunes entomologiques.
Notre objectif est d’assurer un équilibre biologique
global de la palmeraie. Pour cela, il est indispensable
de créer des situations favorables à une bonne végétation
grâce à un sol fertile, une irrigation appropriée
et une fumure adéquate. Nous évitons l’utilisation
de pesticides et employons différentes techniques
de lutte mécanique contre les insectes nuisibles
et les maladies. La lutte biologique, qui est
notre grand cheval de bataille, consiste à favoriser le
développement de prédateurs et de parasites naturels
que nous lâchons dans la nature afin qu’ils
détruisent les parasites. Nous avons d’ailleurs créé
ici, au kibboutz, une fabrique d’insectes auxiliaires
qui ne s’attaquent pas à l’homme et qui ne sont pas
polluants. En agissant de la sorte, nous remettons en
circulation dans la nature des insectes que nous
avons anéantis dans le temps pour les remplacer par
des produits chimiques qui se sont avérés malsains
pour l’homme et pour la nature. Nous élevons par
exemple ici une guêpe d’une taille microscopique
qui est dressée pour pondre ses œufs directement
dans les nids des insectes nuisibles. Elle parasite
ainsi directement le développement de ces insectes,
qui sont en fait éliminés avant leur éclosion. Nous
avons aussi reproduit un parfum aphrodisiaque émis
par la femelle du papillon afin d’attirer le mâle pendant
la période de la fécondation et qui peut être
senti sur une distance de cinq kilomètres. Lorsque
les mâles arrivent en masse, nous les enfermons dans
un piège, nous les détruisons et évitons que les
femelles ne soient fécondées. Les techniques sont
nombreuses tant sur le plan biologique que microbien
et viral, et nous arrivons ainsi à protéger nos
arbres. De plus, nous élevons des chouettes qui
mangent les souris, les rats et les chauves-souris qui
s’attaquent à nos plantations. Pour terminer, j’évoquerai
un autre aspect de notre recherche, le dressage
de chiens capables de repérer des larves nuisibles
qui s’installent dans nos palmiers et de nous signaler
si un arbre est malade. Ces quelques exemples, réalisés
avec peu de moyens et uniquement grâce à l’ingéniosité
des chercheurs du kibboutz Sdé Eliahou,
sont un parfait aperçu des contributions individuelles
qui font le succès et la réputation d’excellence d’Israël.
Fabriquez-vous de nombreux produits dérivés des
dattes?
Non, car notre but est avant tout de promouvoir
l’exportation de ce fruit fabuleux. Toutefois, nous
produisons un miel de dattes qui n’est autre que le
fameux miel dont il est fait allusion dans la Bible,
dans le passage évoquant le «pays où coule le lait et
le miel»!
LA CROIX ET LA BANNIÈRE
Un voyage en Israël, c’est bien plus qu’un simple déplacement touristique ou qu’une virée gastronomique. Il y a ce petit plus qui fait la différence: ses habitants et leurs histoires individuelles, toujours surprenantes, farfelues et très inhabituelles. Tel est le cas de la vie de YAACOV NAKACHE, notre expert en entomologie et en agriculture bio-organique du kibboutz Sdé Eliahou.
Yaacov n’a jamais connu son père et ne sait rien à son sujet. Quant à sa mère, c’était la fille de riches commerçants, la famille Nekouchtan (traduction littérale: les ciseleurs), originaires de Samarkand et venus s’établir à Damas avant de fuir les pogromes de la capitale syrienne pour aller vivre à Paris. Très assimilés, ils avaient envoyé leur fille dans des écoles catholiques où elle avait été influencée au point de se convertir à cette religion. Né quelques mois avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, Marcel a très vite été confié à des familles puis à des écoles catholiques, dont l’enseignement n’était toutefois pas orienté vers la condamnation permanente du «Juif déicide», donc moins antisémites que les autres. Élevé dans la religion catholique, de communion solennelle en confirmation, Marcel était très loin de se douter qu’il avait des origines juives. En fait, il s’était préparé à devenir prêtre ! A l’âge de 17 ans, en 1958, juste avant d’entrer dans les ordres, il s’est rendu compte que ses camarades complotaient derrière son dos, probablement jaloux du fait qu’il faisait partie des 30 élus, sur 300 candidats, qui avaient été retenus pour devenir prêtres et missionnaires. Il leur a alors fait remarquer que la médisance était un acte anti-chrétien et l’un des prêtres en charge de leur formation lui a simplement dit: «Si tu penses ainsi, c’est que tes origines sont autres que chrétiennes». Une semaine plus tard, les candidats à la prêtrise devaient rencontrer Monseigneur Tisserand afin de faire acte de soumission, lui baiser la bague et recevoir sa bénédiction, sans lui adresser la parole. Mais Marcel avait décidé de lui poser la question de savoir s’il pouvait être autre chose que chrétien. Monseigneur Tisserand, qui connaissait les dossiers de chaque élève, lui a simplement répondu: «oui, tu es de mère juive». Il connaissait la mère de Marcel, qu’il avait baptisée puis sauvée pendant la guerre. Le cardinal Tisserand était connu pour avoir sauvé de nombreux rabbins pendant la Shoa. Lors de la visite de Paul VI en Israël, le petit Marcel, devenu Yaacov, lui a rendu visite et les retrouvailles ont été un moment particulièrement émouvant.
Pendant son enfance et son adolescence, Marcel n’avait que deux parents: les religieuses et les prêtres. Choqué par les révélations du cardinal, il a non seulement laissé tomber ce qui était alors sa religion, mais aussi ceux qui constituaient sa famille. Il a alors erré de religion en religion, des églises d’Orient au bouddhisme jusqu’au moment où il a retrouvé sa mère, dont il a facilement obtenu l’adresse. Puis un jour, il a reçu un coup de téléphone du rabbin Paul Roitmann qui l’a mis en contact avec le rabbin Saltiel, de Nice. Ce dernier a proposé à Marcel de partir en Israël. Marcel n’en croyait pas ses oreilles et ne pouvait cacher son émotion devant une telle proposition. En voyant sa réaction, le rabbin Saltiel a cru que Marcel était frappé par la foi juive alors qu’en réalité, il pensait qu’il partait en pèlerinage sur les traces du fils de Marie… En arrivant en 1959 en Israël, il avait l’adresse du kibboutz Gesher, dont il était le premier volontaire. En cette qualité, il a hérité de l’honneur insigne de s’occuper des trois cochons du kibboutz ! Dégoûté, il a décidé de retourner en France mais en arrivant à Haïfa, il a été voir le rabbin Saltiel pour lui expliquer la situation. Ce dernier l’a prié de rester et de se présenter, de sa part, au kibboutz Sdé Eliahou, où il est arrivé un vendredi soir, alors que le shabbat avait déjà commencé. Il est entré trempé et crasseux, car il pleuvait énormément, dans la salle à manger où tout le monde chantait. Des centaines de regards se sont alors tournés vers lui et, bien élevé et poli, Marcel a immédiatement enlevé sa casquette. Un francophone, comprenant ce qui se passait, s’est amicalement approché de lui pour l’aider. Voyant que tout le monde chantait ce qui visiblement étaient des prières, Marcel a alors sorti son missel et l’a ouvert à la première page, où il y avait une belle image sainte avec un crucifix ! Telle a été l’entrée «peu remarquée» de Marcel à Sdé Eliahou, où il s’est marié et a eu cinq enfants, quatre filles et un fils.
Aujourd’hui, 35 ans plus tard, Yaacov est un membre éminent de ce kibboutz religieux, un entomologiste de renommée internationale, un homme qui a fait avancer la recherche en Israël. De plus, grâce à sa parfaite connaissance du monde chrétien, il a réussi à se faire admettre et apprécier partout là où son expertise est requise et ses publications scientifiques (plus de 300) sont traduites aussi bien en français qu’en arabe et en chinois. Yaacov a toujours été attiré par tout ce qui est infiniment petit. Dans l’une des écoles catholiques où il était en France, le premier prix qu’il ait jamais obtenu était de dessin. Avec un cheveu raidi et un peu d’encre de Chine, il avait dessiné une maison sur un grain de riz. Plus tard, il ne recherchait que les plus petits coquillages sur les plages. Finalement, il s’est intéressé aux insectes nuisibles et auxiliaires, ce qui lui a permis de développer plusieurs aspects d’une science qui, grâce à ses idées originales et inventives, connaît un développement surprenant. En tant qu’expert, il prodigue ses conseils tant pour combattre les insectes nuisibles dans les plantations de coton à Madagascar, dans les palmeraies d’Abu Dhabi, du Maghreb, d’Arabie saoudite, que pour améliorer les productions agricoles dans ces pays ainsi qu’en Chine et en Inde.
Marcel est devenu Yaacov. Il a lâché la croix et a trouvé sa bannière… bleue et blanche !
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