Éditorial - Printemps 2000
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«C’est ici que j’ai enfin découvert l’Éternel !» s’est exclamé Mme Shoulamit Aloni, la politicienne israélienne la plus agnostique qu’Israël ait connu depuis sa création. «Ici» signifiant dans le cas présent le CERN, le Laboratoire européen pour la physique des particules, qui a pour vocation la science pure, l’étude des questions les plus essentielles de la nature comme par exemple «qu’est-ce que la matière ? – d’où vient-elle ? – comment s’agglomère-t-elle en formes complexes ?». Certes, la recherche fondamentale est la raison d’être du CERN, mais le laboratoire joue un rôle crucial dans le développement des technologies de demain et ce dans les domaines les plus variés tels la médecine, l’industrie, la recherche au sens large du terme ou l’informatique. Ses expériences et ses études permettent non seulement de comprendre le passé et la structure de tout ce qui nous entoure, mais aussi de jeter les bases de l’évolution et de l’avenir du fonctionnement de la société humaine. Naturellement, il est impossible de prévoir l’évolution et les implications directes et indirectes de chacune des découvertes.
Mais pourquoi évoquer le CERN dans nos colonnes ? Cet organisme entretient une relation intense avec le monde scientifique israélien en général et avec l’Institut Weizmann en particulier. Afin de nous parler des diverses formes de coopération entre le CERN et Israël, nous avons rencontré le professeur GEORGE MIKENBERG, physicien israélien dont les fonctions au sein du CERN sont multiples et qui, dans un certain sens, est l’homme de liaison entre le laboratoire et la communauté scientifique israélienne. C’est également lui qui dirige l’une des quatre expériences (impliquant la coopération de 400 ingénieurs du monde entier) du nouveau projet ATLAS du CERN. Le professeur Mikenberg navigue entre Genève, Israël et le Japon.
Pouvez-vous en quelques mots nous entretenir de la création et de l’évolution des relations entre le CERN et Israël ?
Au début des années 50, principalement pour des raisons économiques, Israël n’était pas vraiment intéressé à participer aux activités du CERN. Toutefois, c’est au sein de cet organisme que les relations avec les différents pays européens ont pu le plus facilement se développer, notamment avec l’Allemagne. On peut d’ailleurs aisément affirmer que la qualité des relations étroites qui existent aujourd’hui entre les deux pays trouve ses origines ici, dans le cadre de la coopération scientifique. De plus, à l’époque du communisme, un grand nombre d’échanges d’informations scientifiques en provenance des pays de l’Est ont transité vers Israël par les couloirs du CERN. Afin d’illustrer à quel point le CERN est cosmopolite, il faut savoir qu’il compte 2800 employés fixes auxquels s’ajoutent 6500 scientifiques et ingénieurs en provenance du monde entier, représentant 500 universités et 80 nationalités qui viennent y travailler pour des périodes et des missions limitées dans le temps. Il n’est pas rare de rencontrer trois ou quatre Prix Nobel de physique à la cafétéria…
Cela étant dit, la coopération entre les scientifiques israéliens et le CERN a véritablement débuté avec la construction du LEP, le plus grand accélérateur de particules au monde, construit 100 mètres sous terre à l’intérieur d’un tunnel circulaire de 27 km de circonférence. En quatre emplacements autour de l’accélérateur, de gigantesques détecteurs appelés ALEPH, DELPHI, L3 et OPAL étudient ce qui se produit lorsque des électrons entrent en collision à haute énergie avec des positons, leur contrepartie dans l’antimatière. Lorsque les particules des faisceaux du LEP s’entrechoquent, elles produisent de nouvelles particules, leur matière se transforme en énergie qui peut alors se matérialiser. Les quatre détecteurs entourant les points de collision servent à observer ce phénomène. S’il est vrai qu’ils sont tous construits sur les mêmes principes de base, chacun d’entre eux est optimisé en vue d’un objectif différent. C’est ainsi que OPAL, qui s’appuie sur des techniques destinées à garantir l’obtention rapide des résultats, est la station «l’expérience», comme on dit au CERN, dans laquelle le groupe israélien déploie véritablement ses activités en coopération étroite avec des scientifiques japonais. Les données recueillies actuellement dans le cadre de la station OPAL sont évaluées en temps réel directement en Israël.
En fait, la collaboration scientifique avec les Japonais a commencé il y a 23 ans, à Hambourg, en Allemagne, où se trouve un accélérateur de particules de 6 km intitulé Daisy (où le professeur Mikenberg a également travaillé). Le début du succès israélien dans le cadre du CERN remonte à la mise au point d’un petit détecteur très fin permettant de régler un certain nombre de problèmes provenant des champs magnétiques. Malgré le scepticisme initial de certains grands scientifiques, ces détecteurs se sont avérés efficaces et aujourd’hui, plus de 500 d’entre eux fonctionnent au CERN. Cette percée et leur niveau de connaissances scientifiques ont permis aux Israéliens de gagner progressivement de plus en plus d’influence dans chacune des quatre stations d’évaluation. C’est le professeur Rubia, Prix Nobel de physique pour la découverte des particules Z et W, qui a décidé que la coopération avec les scientifiques israéliens devait se dérouler dans un cadre formel. Grâce à son intervention, en 1992 Israël est devenu le premier pays non-membre à signer un accord avec le CERN et à obtenir le statut d’observateur au sein du conseil de l’organisation.
Quels avantages Israël retire-t-il de cette formalisation de la coopération ?
Ce type de participation est très intéressant pour Israël, car sa contribution financière au CERN ne s’élève qu’à 30% du montant que paient les États membres. Il est vrai que nous ne jouissons pas des mêmes droits, mais cela permet à des scientifiques israéliens de venir au CERN pour des stages au même titre que leurs collègues originaires des pays membres. De plus, des scientifiques ou des ingénieurs issus des industries israéliennes peuvent venir travailler sur des projets de haute technologie du CERN et ce pour des périodes allant de trois mois à une année. Comme vous le savez, le CERN joue un rôle important dans la formation technique de pointe et dispose d’une gamme complète de cours d’instruction et de bourses dont, selon les cas, certains jeunes Israéliens peuvent bénéficier.
Il existe un autre aspect essentiel concernant les relations du CERN avec Israël. Il est bien connu qu’un grand nombre de technologies de pointe israéliennes trouvent leurs origines dans la recherche d’une application militaire. Aujourd’hui, il est de plus en plus question de trouver des applications civiles à ces techniques. Pour bon nombre de sociétés israéliennes, le CERN offre le banc d’essai nécessaire à cette transformation. Israël ne constitue d’ailleurs pas un cas unique, divers pays européens, le Japon et les USA procèdent à ce même type de projets. Il s’agit en fait de trouver une solution de reconversion, du moins partielle, pour des industries dont toute l’activité a été jusqu’à présent uniquement dirigée vers la recherche et la fabrication de techniques à but militaire. Cet accord permet également aux sociétés israéliennes de participer aux soumissions d’offres de matériel technique pour les projets du CERN. Lorsque l’offre israélienne est acceptée, ces matériaux sont achetés avec une partie (env. 30%) des fonds versés par Israël au CERN.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret d’une participation israélienne à un projet de haute technologie du CERN, qui par la même occasion permet à cette société de commercialiser la technologie et donc par extension de créer des emplois en Israël ?
Un excellent exemple est la société israélienne BATM Advanced Communications qui participe au système des télécommunications du CERN, dont le prochain accélérateur actuellement en construction nécessitera des outils de transmissions de données permettant de véhiculer en un temps record le double de l’ensemble des communications téléphoniques activées dans le monde entier. Un autre domaine où cette fois, Israël sert de modèle, est dans la question des patentes. Les découvertes du CERN ne sont pas patentées et l’un des meilleurs exemples de l’ampleur de cette lacune est le WEB, ce système planétaire de recherche d’informations pour l’Internet. Le WWW (World Wide Web) avait initialement pour but de permettre aux physiciens d’accéder aisément et en temps réel à leurs données, quel que soit le lieu où ils se trouvent. En définitive, le Web, inventé à Genève au CERN, a révolutionné les télécommunications. L’industrie européenne a totalement ignoré cette découverte et ce sont finalement les Américains qui l’ont développée. Il est donc question de remédier à cette situation et à cet égard, il est intéressant de savoir que les personnes chargées d’étudier comment effectuer cette évolution prennent l’Institut Weizmann comme modèle. En effet, celui-ci a créé une entreprise dont l’activité est de patenter les produits mis au point par l’Institut et pouvant avoir un intérêt industriel. Ce système marche très bien et l’année dernière, l’Institut Weizmann a touché vingt millions de dollars générés par des patentes et des brevets développés au sein de son institution.
Existe-t-il des découvertes israéliennes qui ont permis à la technologie du CERN d’avancer ?
Le groupe israélien a effectivement participé à la découverte en 1979 d’une particule intitulée gluon (du mot anglais glue – colle). Cette particule permet de maintenir entre eux les protons positifs du noyau de l’atome qui, chargés de forces positives, se rejettent mutuellement.
En tant qu’Institut de recherche, le CERN a probablement des projets d’avenir. Quels sont-ils et y a-t-il une participation israélienne de prévue ?
Un projet magistral est en cours de réalisation, il s’agit de la mise en place du détecteur «ATLAS» muni d’un énorme accélérateur, du nom de LHC. Ce dernier, déjà en cours de construction, sera exploité par une coopération mondiale de scientifiques et d’ingénieurs: 1800 physiciens de 150 universités et laboratoires y participent. Pour cette expérience, le tunnel actuel du LEP sera réutilisé. Il faut bien comprendre que les expériences de physique des particules des 30 dernières années ont conduit à une compréhension remarquable des particules fondamentales constituant l’ensemble de la matière et des forces agissant entre elles. Toutefois, d’importants mystères demeurent. L’expérience ATLAS débutera en 2005 avec un détecteur gigantesque (60 m x 60 m x 30 m) qui sera enfoui à 100 m sous la terre. Doté de dix millions de transistors, il sera à même de mesurer les trajectoires des particules avec une précision de 0,01 mm. Il permettra donc de déterminer les énergies, les directions et les identités des particules produites dans des collisions frontales des deux faisceaux de protons. Un milliard de collisions par seconde sont attendues, soit un débit d’informations équivalent à vingt communications téléphoniques simultanées faites par chaque homme, femme et enfant du monde entier. Les ordinateurs d’ATLAS traiteront les données suffisamment rapidement pour sélectionner la collision parmi dix millions d’autres qui serait susceptible de faire apparaître des phénomènes nouveaux. C’est là que le groupe israélien coopère activement avec l’équipe japonaise. Ce travail se fait d’une part au Japon avec des laboratoires importants et sept universités et d’autre part en Israël avec le Technion de Haïfa, l’Université de Tel-Aviv et l’Institut Weizmann. Ils ont construit 6600 m2 de détecteurs (une surface supérieure à un terrain de football) dont 70% en Israël où un bâtiment spécial a été aménagé à l’Institut Weizmann. Il s’agit donc d’une forme de coopération très importante entre Israéliens et Japonais à laquelle les Chinois se sont également joints depuis peu.
Dans le cadre du CERN, les pays arabes coopèrent-ils avec Israël ?
Au sein de notre activité immédiate, nous travaillons avec des scientifiques marocains, dont certains se rendent régulièrement en Israël. Il y a deux ans, nous avons organisé à Turin une réunion de physiciens israéliens, jordaniens, syriens, marocains, égyptiens (qui en définitive ne sont pas venus) et arabes originaires des territoires. A travers ce cadre international, comme d’ailleurs au sein du CERN, nous avons réussi à établir une certaine forme de coopération scientifique qui, en ce qui concerne les ingénieurs palestiniens et jordaniens, est financée par le groupe israélien du CERN. Tout ce projet repose sur de grands espoirs qui, il faut bien le dire, pour l’instant ne sont porteurs de fruits que dans la coopération avec le Maroc.
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