Éditorial - Printemps 2000
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«Je vous ai apporté de l’ail !». Voici un cadeau qui semble ridicule si l’on est invité à dîner. Plus aujourd’hui ! Grâce aux recherches de l’Institut agricole israélien ARO, «Agricultural Research Organisation», la locomotive du développement agricole israélien, une magnifique fleur d’ail, à l’odeur agréable, est maintenant disponible. Cet exemple amusant, qui résulte d’une étude générale sur les bienfaits de l’ail pour la santé, illustre l’un des 700 projets de recherche appliquée multidisciplinaire étudié ou expérimenté annuellement par l’ARO dans des domaines aussi variés que les récoltes des champs et des jardins, l’horticulture, les sciences animales, la protection des eaux, les études des sols et des eaux, l’ingénierie agricole, les technologies et le stockage des produits.
De nombreuses découvertes de l’ARO sont régulièrement commercialisées, comme par exemple de nouveaux fruits, légumes ou fleurs, des systèmes d’irrigation, des méthodes de protection des plantes, etc. Les buts de toutes ces expériences étant de faire face aux défis de l’agriculture moderne, de mettre au point de nouveaux produits et surtout de trouver des réponses aux nombreux problèmes que soulève l’agriculture israélienne en pleine mutation. Il s'agit également de préparer l’avenir, car si la population d’Israël est en constante augmentation, les réserves d’eau et la surface de sol arable sont limitées et il est urgent de trouver des techniques permettant de développer une agriculture riche et porteuse dans les régions arides du pays.
Le ARO, subdivisé en sept instituts établis dans le Volcani Center, un site magnifique dans la banlieue de Tel-Aviv, dispose de quatre stations d’expérimentations. Aujourd’hui, nous avons décidé de nous intéresser à un aspect particulier de son activité, celui concernant les plantes médicinales en Israël. Pour nous parler de ce sujet, nous avons rencontré le professeur ZOHARA YANIV-BACHRACH, spécialiste de la flore thérapeutique en Israël et scientifique de réputation internationale.
Israël est avant tout connu pour son exportation d’oranges, de pamplemousses, d’avocats et, plus récemment, de fleurs. Mais sa production de plantes médicinales est totalement méconnue. Pouvez-vous en quelques mots nous dire quels sont les tenants et aboutissants de cette culture israélienne à la fois si attrayante et mystérieuse ?
C’est là un sujet absolument fascinant. Israël étant géographiquement placé à la croisée des chemins entre l’Orient et l’Occident, il dispose d’une énorme variété d’espèces cultivées ici ou transitant par le pays. A cela s’ajoutent les traditions qui remontent dans certains cas à plusieurs millénaires avant notre ère. Je pense notamment au ricin, cette plante oléagineuse aux grandes feuilles palmées, dont l’huile fournie par les graines est utilisée en Égypte depuis des millénaires pour son action purgative, certaines applications médicinales et surtout contre la chute des cheveux. D’autres plantes comme le cannabis et le pavot Papaver somniferum, connu sous le nom d’Opium, qui ne sont pas cultivées en Israël mais y transitent, nous intéressent tout particulièrement. Une étude est actuellement en cours dans le cadre de notre institut, dirigée par le professeur Arieh Levy et son équipe, où a été développée une nouvelle espèce de pavot écarlate, le Papaver bracteatum, contenant une très forte quantité de thébaïne et constituant donc une alternative idéale aux opiacés, car elle ne rend pas dépendant. Cette variété se compose également de naloxon et de naltrexon, substances utilisées dans les cures de désintoxication et, fait très important, ce coquelicot ne contenant pas de morphine, il ne peut pas être utilisé pour la production d'héroïne mais peut être cultivé sans restrictions. De nombreux végétaux utilisés dans l’industrie des parfums ainsi que des plantes aromatiques sont également produits ici. L’un de mes collègues a mis au point une nouvelle race de paprika nettement supérieure à celles disponibles sur le marché, et au dernier congrès du paprika à Budapest, il a fait l’admiration de tous…, Hongrois inclus. Diverses publications médicales commencent à reconnaître les bienfaits du paprika et de nombreux agriculteurs israéliens se sont lancés dans la culture d’herbes et d’épices. De larges récoltes de menthe, de sauge, d’origan, etc., provenant de toutes les régions d’Israël, sont ramassées et exportées dans le monde entier. Le gouvernement a même reçu des demandes d’autorisation pour la culture du cannabis, car il a été démontré qu’en fumer réduit les inconvénients des effets secondaires de la chimiothérapie. Le professeur M. Meshoulam de Jérusalem travaille depuis 25 ans sur le cannabis et a développé, au départ de la poudre à fumer, des corps composés chimiques qui seront prochainement approuvés pour le traitement de certaines formes de cancer. De plus, il est intéressant de savoir que toute la production d’herbes médicinales a un nouveau débouché. En effet, certaines formes d’huiles essentielles extraites de ces herbes sont utilisées comme pesticides naturels pour la protection des plantes et des récoltes. Cette découverte va permettre de supprimer progressivement les pesticides chimiques qui se retrouvent dans notre nourriture et qui causent tant de nuisances à l’environnement. Ces huiles essentielles trouvent également une application dans l’aromathérapie.
Comment travaillez-vous pour recenser les herbes médicinales qui existent en Israël, les lieux où elles sont cultivées et les différentes façons dont elles sont utilisées ?
Il y a environ quinze ans, nous nous sommes lancés dans une étude ethno-botanique tout à fait unique dans le cadre de laquelle nous avons rendu visite à tous les différents groupes ethniques qui vivent en Israël, les Bédouins, les Arabes, les Druzes, bref, toutes les minorités installées sur le mont Hermon et à travers tout le pays jusqu’au Sinaï. Nous avons ensuite évalué ces données et établi un précis intégral de toutes les plantes médicinales d’Israël dont les bienfaits sont transmis par tradition et qui sont utilisées aujourd’hui en Israël même. Nous avons aussi comparé ces renseignements à certains élément cités dans l’Antiquité ou dans la Bible. Cet ensemble de données constitue une base extrêmement importante pour la mise au point de nouveaux médicaments. Les chercheurs peuvent ainsi avoir facilement accès à ce qui est utilisé actuellement, ce qui était employé dans le temps, ce que disent les publications scientifiques qui sortent aujourd’hui et cet ensemble de données permet d’utiliser des herbes médicinales dans la médecine moderne. Il faut savoir que nous avons mis dix ans pour collecter tout ce matériel car dans de nombreux cas, il n’a pas été facile de gagner la confiance de nos interlocuteurs. Nos collaborateurs, qui parlaient arabe, avaient pour tâche d’expliquer que nous n’étions pas venus pour «voler un secret», mais pour préserver et publier ce savoir pour lequel nous avions beaucoup de respect. Dans chaque village, nous devions établir qui était le véritable guérisseur - le plus jeune avait 60 ans - qui connaissait la tradition, les plantes et leurs diverses utilisations. A chaque fois, nous devions vérifier et recouper leurs dires. Une fois qu’ils avaient compris notre démarche et qu’ils nous avaient en quelque sorte «adoptés», ils participaient très volontiers et activement. Aujourd’hui encore, je reçois régulièrement des informations et des plantes jusqu’alors inconnues. Récemment, j’ai coopéré avec un scientifique de Sichem (Naplouse) qui s’était livré à une étude similaire dans les territoires sous administration palestinienne. Nous avons comparé nos résultats ainsi que les plantes médicinales et leurs utilisations dans diverses applications curatives. Ce travail comparatif fera prochainement l’objet d’une publication qui, en plus, a pour but de montrer qu’entre Israéliens et Arabes, nous savons aussi faire d’autres choses que de nous combattre en permanence.
Les différentes immigrations juives en Israël vous ont-elles permis de faire des découvertes ? Des immigrants sont-ils venus en Israël avec des graines de leurs pays ?
Tel a été le cas pour la toute première vague d’immigrants. Si quelqu’un débarquait par exemple de Russie avec une plante particulière, celle-ci pouvait nous intéresser en tant que telle, mais il n’était absolument pas certain qu’elle puisse pousser dans les conditions climatiques et dans le sol d’Israël.
Pouvez-vous nous donner un ou plusieurs exemples pratiques de plantes qui grandissent en Israël dont vous avez découvert les applications médicales ?
Les exemples sont extrêmement nombreux, mais je voudrais vous parler de la Matthiola Cruciferae, la matthiole populairement appelée la giroflée rouge ou le violier. Cette crucifère native d’Israël et issue de la famille des moutardes a des germes qui ont une huile très riche en un acide gras omega-3 non saturé essentiel, (le PUFA – omega-3 polyunsaturated fatty acid). Cette huile est dépourvue de cholestérol, ne contient aucun risque de survitaminose, dispose d’un bon goût et dégage une odeur agréable. Il a été démontré que ses composants sont extrêmement efficaces dans la lutte contre les maladies coronariennes (réduction importante du niveau des triglycérides et du cholestérol), le cancer, l’arthrite et certains problèmes dermatologiques. L’absorption de PUFA est hautement recommandée par les autorités de la santé en Israël.
Comment votre découverte est-elle ensuite commercialisée ?
Nous travaillons avec une jeune compagnie, Bio-NovelTech Ltd, qui a pour but de développer et de vendre le produit final. Dans le cas de l’huile de matthiole, nous étudions actuellement diverses formes d’extraction, probablement à froid, et le conditionnement final. Je pense que nous allons finalement le commercialiser sous forme d’huile à salade, de capsules ou comme additif nutritionnel. Une recherche est en cours afin de savoir si cette huile peut avoir des applications dans le domaine de la cosmétique.
Sommes-nous en train de construire un avenir meilleur grâce aux plantes médicinales ?
Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un monde fascinant dont nous apprenons encore à découvrir et à utiliser les bienfaits. Cela étant dit, il faut faire très attention à la manière dont les plantes ont été cultivées, au procédé d’extraction, à leur degré de toxicité, etc. Une certaine forme de prudence est donc de mise, ce qui n’enlève rien aux nombreuses qualités des herbes médicinales.
Pour terminer, pouvez-vous nous parler des projets que vous menez en Chine ?
Le ARO a signé des accords de coopération agricole avec un grand nombre de pays dont nous recevons d’ailleurs régulièrement des visiteurs. Notre activité ne se limite donc pas exclusivement à la Chine avec laquelle nous avons un certain nombre de projets en commun. Nous avons d’ailleurs une ferme de démonstration dans les environs de Beijing, qui fonctionne déjà depuis quelques années. Dans ce cadre, nous exposons différentes méthodes d’irrigation ainsi que certaines techniques agricoles concernant les fruits et légumes. A l’Université d’agriculture de Beijing se trouve un département où des enseignants israéliens se relayent pour des séries de cours d’environ trois semaines et de nombreux Chinois viennent aussi suivre une formation en Israël. Nous avons également établi un programme de coopération et de développement pour l’agriculture en terrain aride et désertique. Au mois d’octobre dernier, j’ai participé à un projet spécial pour le développement de l’industrie florale dans la province du Yu-nan limitrophe du Vietnâm.
Grâce aux travaux de l’ARO et aux recherches du professeur Zohara Yaniv-Bachrach, les fleurs et les herbes de la Terre Sainte nous révèlent progressivement leurs secrets dont prochainement nous profiterons tous des bienfaits qui contribueront à l’amélioration de notre bien-être quotidien.
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