Éditorial - Printemps 2000
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Lorsqu’il croupissait dans les geôles du Goulag soviétique, NATHAN CHTARANSKY rêvait simplement de deux choses: d’être un homme libre et de pouvoir rejoindre son épouse Avital en Israël. Dans ses espoirs les plus fous, il n’aurait jamais imaginé non seulement devenir plusieurs fois ministre, mais surtout jouer un rôle primordial, pour ne pas dire d’arbitre, dans la politique israélienne. C’est en effet sa présence au sein du gouvernement d’Ehoud Barak qui donne encore un peu de crédibilité à la coalition actuellement en place. Afin de comprendre la position et l’action de Nathan Chtaransky par rapport à la politique actuelle du gouvernement dont il est le ministre de l’Intérieur, nous rapportons ici l’essentiel d’un très long entretien particulièrement chaleureux que nous avons eu à Jérusalem avec l’ancien prisonnier de Sion.
Bien que vous ne fassiez pas partie de la famille politique traditionnellement considérée de gauche en Israël et que vous ayez servi le pays comme ministre dans l’administration de Benjamin Netanyahou, vous êtes un membre proéminent du gouvernement d’Ehoud Barak. Dans quel esprit concevez-vous le déroulement et l’évolution du processus de paix, notamment avec la Syrie ?
Je ne pense pas que pour le leadership syrien, la paix constitue un but en soi. Comme tous les régimes totalitaires, il situe ses priorités dans la manière de rester au pouvoir et de garder le pays sous son contrôle de façon stable. Dans cet esprit, la majorité de ses efforts vise à contrôler les citoyens, leurs actes et leurs pensées, la réussite dépendant avant tout du maintien du spectre d’un ennemi à la fois interne et externe. Dans les pays occidentaux, lorsqu’un dirigeant politique est élu, il a pour mission d’apporter la paix et la prospérité à son peuple. Un dictateur n’est pas lié par ce genre de considérations. Pour lui, les notions de guerre ou de paix ne constituent que les moyens d’assurer la pérennité de son pouvoir. C’est pour cette raison que le président Assad lance quotidiennement d’autres messages à son peuple, reflétant un jour des positions sans compromis, le lendemain des attaques directes contre Israël puis, la même semaine, un ton un peu plus conciliant contenant néanmoins des «conditions préalables à toute négociation». Connaissant bien, par expérience, le fonctionnement des régimes totalitaires, j’ai donc des difficultés à comprendre d’où viennent ces idées qui veulent nous faire admettre à tout prix le principe que M. Assad a des intentions pacifiques à notre égard et pourquoi nous y croyons dur comme fer.
En ce qui me concerne, et c’est ainsi que les choses ont été définies dans la plate-forme de mon parti, Israël Be’Alyiah, j’estime que les véritables changements au Proche-Orient ne pourront pas se concrétiser tant que les régimes de la région écarteront toutes valeurs démocratiques. Nos concessions doivent être à la mesure de l’ouverture et de la démocratisation de nos voisins.
Dans ces conditions, comment pensez-vous sérieusement pouvoir réussir une négociation alors que votre gouvernement semble disposé à faire d’énormes concessions à un partenaire totalitaire ?
L’approche actuelle, qui est de céder à toutes les demandes et exigences syriennes, en particulier en ce qui concerne la cession du Golan, est fausse, dangereuse et ne mènera jamais à une véritable paix. Au début des pourparlers, je me trouvais dans une opposition minoritaire au sein du gouvernement mais progressivement, de plus en plus de ministres et de politiciens commencent à émettre des doutes quant aux véritables intentions des Syriens. Dans le cadre des négociations à proprement parler, nous constatons d’ailleurs que notre Premier ministre négocie avec … un ministre des Affaires étrangères. Cette asymétrie constitue un message très clair des Syriens pour exprimer le degré d’importance qu’ils accordent à ces négociations et en fait à Israël. Je ne suis donc pas certain que les pourparlers actuels puissent aboutir.
Vos principes et votre idéologie semblent finalement assez éloignés de ceux de M. Barak. Quelles sont les limites au-delà desquelles vous estimerez ne pas pouvoir rester dans son gouvernement ?
Si nous nous retrouvons avec un accord impliquant l’abandon pratiquement total du Golan aux Syriens en contrepartie de quoi nous aurions le droit d’entretenir quelques stations électroniques d’avertissement sur les hauteurs du mont Hermon desservies par quelques Israéliens, je mettrai bien entendu tout en œuvre afin que le référendum ne passe pas et je quitterai immédiatement le gouvernement. J’espère toutefois que le message démocratique que la population d’Israël fait parvenir aujourd’hui à notre Premier ministre sera entendu, que l’avis de l’opinion publique sera pris en compte et qu’un tel traité ne sera pas sujet à un référendum. Ceci m’éviterait évidemment d’être confronté au dilemme que je viens de vous décrire.
Quelle est votre position face au processus de négociations en cours avec l’OLP ?
Les pourparlers avec les palestiniens sont nettement différents de ceux avec la Syrie. Israël est le pays des droits de l’homme où la Haute Cour de justice joue un rôle proéminent. Lorsque nous étions confrontés à l’intifada, nous nous trouvions dans une situation intenable car nous dirigions les vies des populations palestiniennes. Nous avons donc dû trouver une solution pour nous débarrasser de ce problème en accordant une forme d’autonomie aux palestiniens afin de ne plus être impliqués dans leurs vies. La question est de savoir si ceci devait être fait par le biais du processus d’Oslo. L’idée majeure de ce mécanisme était d’établir et de bâtir une véritable confiance mutuelle entre les deux parties en donnant progressivement aux palestiniens certains territoires et le contrôle de leur population. Cela n’a pas marché. Nous sommes aujourd’hui pratiquement à la fin du processus et la confiance n’a pas pu être installée. Je pense que ceci est dû au fait que dès le début, nous n’avons pas insisté sur le principe de la réciprocité, car l’esprit dans lequel les Accords d’Oslo ont été conçus a été totalement faussé. En effet, l’idée était qu’Arafat étant affaibli, on ne pouvait pas lui en demander trop, quels que soient les accords pour lesquels il s’était engagé. En d’autres termes, Israël devait remplir ses obligations jusqu’au dernier grain de sable alors qu’Arafat devait faire de son mieux, même si ses actes étaient très loin en dessous de ses promesses. Cette conception des choses allait en fait beaucoup plus loin, car elle disait qu’Israël devait renforcer Arafat en lui accordant de plus en plus de concessions et qu’en contrepartie, l’État juif devait s’abstenir d’exiger qu’Arafat tienne ses engagements. Les accords signés à Wye Plantation ont permis que la notion de réciprocité soit à nouveau prise en considération. J’ai été l’un des négociateurs de ces traités, je sais qu’ils sont loin d’être parfaits et qu’ils comportent beaucoup de lacunes, mais sur ce point essentiel, ils constituent un véritable succès. En fait, à Wye, nous avons réussi à mettre un terme au concept de «l’Arafat faible» bien que, pour ce faire, nous ayons eu non seulement les palestiniens mais aussi les Américains contre nous. Même lorsque nous étions enfin arrivés à obtenir une concession des palestiniens, les Américains remettaient les choses en question en disant que si Arafat se montrait trop conciliant avec nous, il risquait de se retrouver en danger dès son retour ! Dès le lendemain de l’arrivée des délégations dans la région, Arafat s’est rétracté sur toute la question de la réciprocité que d’ailleurs le gouvernement Barak, dès son entrée en fonctions, s’est empressé d’abandonner. En fait, lorsque nous avons négocié notre entrée au gouvernement et que j’ai insisté pour que cette notion reste comme principe de base dans les négociations, le groupe d’Ehoud Barak s’est fortement opposé à cette idée, prétextant qu’il s’agissait d’un terme qui avait «mauvaise réputation». En clair, cela signifiait que cette idée servait d’excuse à Israël et surtout au gouvernement sortant pour ne pas continuer les négociations et ne plus accorder de concessions aux palestiniens bref, pour ne pas signer d’accord avec eux. Ceci est bien entendu totalement faux. Une formule plus douce a été finalement mise au point disant que chacune des parties est obligée de faire des «efforts parallèles».
En ce qui concerne ma position aujourd’hui sur la négociation avec l’OLP, elle est très claire. Je pense que nous devons tout mettre en œuvre afin de trouver des compromis concernant le partage des territoires et donner une autonomie très large aux palestiniens: de nombreux droits, sauf celui de nous détruire. Mais en même temps, afin de réussir dans ce processus, nous devons insister sur la notion de réciprocité mutuelle. Je pense qu’il est parfaitement envisageable de construire une forme de coexistence pacifique mais dans l’état actuel des choses, nous en sommes assez éloignés. D’ailleurs, lors de la signature des accords de Sharm-El-Sheik où nous avons abandonné la notion de réciprocité, nous avons accordé quelques concessions supplémentaires aux palestiniens qui n’étaient pas prévues à Wye et ce dans le but d’arriver à un accord-cadre devant mener à une entente sur le statut permanent. Celui-ci aurait dû être signé le 13 février 2000, cela n’a pas été fait. Pour l’instant, les palestiniens doivent encore et toujours nous démontrer qu’ils ont très sérieusement l’intention de vivre en paix avec nous. Mais lorsque nous voyons ce qui est enseigné dans les écoles palestiniennes, c’est-à-dire la haine des Juifs et des Israéliens, de nombreux doutes subsistent. Cette question de l’éducation et de la non-incitation à la violence fait partie intégrante des accords signés et reviendra certainement en toute première place des objets de négociations dans les mois à venir.
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