Éditorial - Printemps 2000
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Pessah 5760
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Les fêtes juives ont cette particularité de délivrer un message moderne, positif et concret quelle que soit l’époque dans laquelle la célébration se déroule. Ceci est spécialement vrai en ce qui concerne Pessah, cette solennité fabuleuse si chargée d’histoire, où le symbolisme est omniprésent. Afin de nous parler de l’actualité permanente de Pessah, nous nous sommes adressés au Rabbin Dr NORMAN LAMM, président depuis 1976 de la Yeshiva University de New York, la plus importante et la plus prestigieuse institution universitaire juive au monde. Figure dirigeante de l’orthodoxie moderne et disposant à la base d’une formation scientifique, le rabbin Lamm jouit d’une réputation internationale de talmudiste, d’écrivain, de philosophe et de conférencier.
Quel est le message fondamental que Pessah apporte actuellement à chacun d’entre nous ?
Pessah telle que perçue par la grande majorité de la communauté juive contemporaine est la fête de l’indépendance et de la liberté politique. Dans cet esprit, il s’agit donc uniquement d’une sorte de fête nationale célébrant ces formes d’affranchissement. Ce concept prend souvent des proportions très importantes dans la vie juive. Afin d’illustrer mes propos, je rappellerai ici que lorsque la lutte pour la libération des Juifs d’URSS fit ses débuts en Amérique, de nombreux orateurs réclamèrent avec force que des matsoth (pain azyme) soient distribuées aux Juifs qui vivaient alors en URSS. Or les personnes qui firent ces demandes étaient personnellement très éloignées de toutes formes de pratiques religieuses. Pour elles, les matsoth représentaient un symbole parmi d’autres leur permettant d’exprimer leurs sentiments démocratiques en rapport direct avec la liberté individuelle. La distribution de matsoth ainsi requise n’avait aucune dimension religieuse intrinsèque, il s’agissait en quelque sorte d’une émasculation de la signification authentique de Pessah. En effet, si cette fête incarne bien la liberté politique, elle représente tout autant la régénération spirituelle. C’est là un principe exprimé par Nahmanides, rabbi Moshé ben Nahman, ce philosophe et kabbaliste catalan du XIIIe siècle qui dit notamment que les fêtes de Pessah et de Shavouoth sont intimement liées au point que dans le calendrier juif elles ne constituent ensemble qu’une seule et grande fête dont le début (Pessah) et la conclusion (Shavouoth) sont reliés par une période de sept semaines d’un genre de «Khol Hamoed» (journées semi-fériées). Pessah représente l’indépendance politique, Shavouoth la révélation du Sinaï, le don des Dix Commandements ainsi que la mission religieuse et métaphysique dont le peuple juif a été chargé. Ces deux solennités sont profondément attachées, l’une ne pouvant être perçue sans l’autre. Chaque fête a sa propre signification, mais elle doit être comprise comme faisant partie d’un duo indissociable.
Aujourd’hui plus que jamais Pessah vient nous rappeler que pour un Juif, l’indépendance politique et les ambitions nationales doivent être intimement liées à un engagement religieux. Mais Pessah nous dit également que célébrer uniquement Shavouoth est insuffisant, la dimension religieuse et spirituelle à elle seule étant incomplète sans son pendant national. Notre plénitude en tant que Juif ne peut donc être atteinte que si nous vivons simultanément ces deux formes de liberté, tant la spirituelle que la nationale.
Voici donc les principes de pensées selon lesquels ces fêtes devraient être célébrées, mais de quelle manière ces préceptes sont-ils mis en pratique ?
Je pense qu’il s’agit d’un processus éducatif qui a pour but de faire comprendre à ceux qui se considèrent uniquement comme étant «de culture juive», en mettant de côté tout l’aspect religieux du judaïsme, que cette conception des choses remet en question la continuité du peuple juif. Il existe aujourd’hui une mode à travers le monde qui veut promouvoir un judaïsme «folklorique», voire même une forme de spiritualité juive totalement vidée de tout son sens puisque l’aspect divin en est exclu. C’est là une distorsion qui constitue une source d’insatisfaction tant pour l’âme que pour l’intelligence. Le contraire est également vrai, car la dimension spirituelle à elle seule est insuffisante. C’est pourquoi la branche très orthodoxe de notre peuple qui réfute l’État d’Israël ne doit pas oublier que Pessah en particulier et le judaïsme en général ont cette dimension politique et nationale qui font de nous un peuple. Personne n’a le droit d’ignorer le fait que nous vivons un grand moment de l’histoire juive, un instant dont nous avons rêvé pendant des siècles. Le sionisme religieux a pour but de concilier les deux esprits de Pessah et de Shavouoth, mais cela n’est réalisable qu’à travers un système éducatif adéquat, ce tant en Israël que dans la diaspora.
Vous nous avez bien expliqué dans quel esprit Pessah doit être célébrée et comment cette fête s’inscrit dans notre époque. Malgré tout, en raison des nombreuses difficultés qui entourent la fête, je pense notamment aux nettoyages des lieux d’habitation et aux limitations alimentaires, Pessah a finalement «mauvaise réputation», étant considérée par beaucoup comme une source d’ennuis plutôt que comme une fête et une joie. Ne serait-il pas possible de faciliter un peu les choses ?
Ce que vous appelez des «complications» constitue en fait un enseignement qui veut que l’indépendance a son prix. La liberté se paie en une seule monnaie: la difficulté, le travail, la transpiration et les larmes. Je pense que pour une personne qui a compris l’esprit de Pessah, les difficultés de la préparation constituent une partie intégrante des joies de la célébration.
Ce n’est certes pas aisé, mais la vie veut que rien ne puisse être obtenu avec facilité et qu’aucun but ne puisse être atteint par la désinvolture. Quant à la liberté et à l’indépendance, si elles sont acquises sans difficulté, elles ne sont qu’illusoires et certes provisoires.
Nous vivons à une époque fabuleuse où il existe un État juif fort, vibrant et couronné de succès. Parallèlement les Juifs ne sont plus persécutés, bien que l’antisémitisme soit toujours actif. Pourquoi en un temps aussi béni est-il encore nécessaire de célébrer une libération politique et nationale d’aspect religieux ?
Il est profondément malsain, en période de prospérité, de vouloir oublier son passé et ses origines. C’est justement au moment où les choses vont bien qu’il faut faire acte de mémoire, ce afin de pouvoir préserver tous ces bienfaits. S’installer dans le bien-être ramollit l’individu qui devient suffisant et content de soi. Il perd rapidement ses réflexes politiques et de défense si bien que le danger d’être privé de tout ce qu’il a acquis le guette très rapidement. La vigilance est donc de mise, surtout en ce qui concerne la conservation de l’indépendance et de la liberté. Un peuple qui oublie qu’il est sorti de l’esclavage est condamné à y retourner très vite !
Ce qui est vrai pour tous les pays l’est aussi pour Israël et il n’est pas rare que des populations prospères désirant plus le beurre que les fusils se laissent aller à une forme de paresse face à ce magnifique cadeau qu’est l’indépendance. Pessah constitue donc aussi une forme de rappel afin que nous apprécions ce que nous avons aujourd’hui. A notre époque, il est particulièrement important de ne pas oublier où nous étions il n’y a pas si longtemps encore, dans quel état était notre peuple il y a moins de 60 ans, lorsque nous étions plus esclaves que libres. D’ailleurs, à travers toute l’histoire juive, nous avons assisté au retour à la déchéance et à l’esclavage chaque fois que les Juifs ont choisi d’oublier leurs expériences du passé.
Vous nous dites de faire «acte de mémoire». Dans la pratique, à quoi pensez-vous ?
La célébration du Séder est en fait une reconstitution dramatique non seulement de la sortie d’Égypte, mais aussi du passage de l’esclavage à la liberté. A cette occasion, nous disons: «A toutes les époques, nous devons nous considérer comme étant sortis nous-mêmes d’Égypte…». Moïse Maïmonide explique qu’en fait, ce soir-là, nous sommes tenus de témoigner véritablement année après année l’histoire de la libération. Dans certaines traditions, comme par exemple au Yémen, les Juifs prennent les matsoth sur leurs épaules et marchent en procession autour de la table familiale afin de mettre physiquement en scène l’Exode de l’Égypte. Dans cet esprit nous ne nous contentons pas uniquement d’un acte de mémoire exprimé par de simples mots, mais nous revivons réellement le miracle de la libération. En agissant de la sorte, nous gravons nos racines et nos origines dans nos cœurs et nous apprécions d’autant plus tous les bienfaits qui nous sont donnés, particulièrement à notre époque.
A travers tous les symboles qu’il renferme et tout son rituel, le Séder constitue également un acte éducatif permettant d’acquérir et de comprendre le message initial de Pessah, cette célébration de la liberté nationale et spirituelle si profondément liées que l’une ne peut exister sans l’autre.
Voyez-vous, chaque Pessah constitue un autre maillon dans la longue chaîne de notre histoire. Pour tous ceux d’entre nous qui ont un certain sens de l’histoire, la tradition ne constitue pas un jeu, mais un élément essentiel qui est le garant de notre avenir. Sans elle, nous risquons de nous retrouver très vite sans religion et surtout sans liberté politique.
Pour terminer, il ne faut pas oublier que Pessah est aussi la fête de la gratitude. Nous l’exprimons pendant le Séder en énumérant combien nous sommes redevables à l’Éternel pour tous les bienfaits (Dayénou) qu’Il nous prodigue. Une fois par an, il n’est pas mauvais de faire un petit arrêt et de prendre conscience de combien nous sommes privilégiés et de nous en souvenir pour préparer l’avenir.
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