L'origine de la riche collection de judaïca à la Bibliothèque royale remonte pratiquement à la création de la Bibliothèque, fondée par le premier monarque absolu du Danemark, Frédéric III (1648-1670), qui succéda à son père Christian IV (1588-1648) à une époque cruciale dans l'histoire du pays. Le roi Christian IV avait adopté la devise Regna firmat pietas (la piété renforce le règne). Se servant des initiales RFP, l'humour populaire de l'époque eut vite fait de la convertir en un adage danois: Riget fattes penge (le règne a besoin d'argent). Fine allusion aux fortunes dépensées par le monarque pour guerroyer, principalement contre la Suède, et pour financer d'extravagants projets de construction de cités et d'édifices.
Il avait mandé architectes et artistes hollandais pour dessiner des châteaux pour la cour royale, des manoirs, des églises, des quartiers résidentiels pour les membres de la marine royale et des bâtiments gouvernementaux. Nombre de ces bâtiments figurent encore dans le paysage urbain du Copenhague d'aujourd'hui, avec leur style renaissance hollando-danois, leurs toits vert-de-gris, leurs tourelles et leurs flèches.
Comprenant que le commerce et ses retombées étaient des valeurs aussi importantes que la piété, Christian IV invita à Copenhague des hommes d'affaires et des agents de change juifs d'Altona. Le premier contingent de Juifs séfarades (Juifs de la nation portugaise) se vit octroyer des privilèges royaux exceptionnels, qui leur permettaient de s'installer sur le territoire danois. Le Roi comptait sur l’expérience des commerçants juifs pour relancer l'économie et créer un nouvel essor. Cependant, en 1648, en dépit de ses efforts, le vieux monarque remit à son fils les rênes d'une nation au bord de la faillite. Frédéric III se montra bien plus intéressé par les arts et les collections de livres que par la poursuite des interminables guerres scandinaves.
La Bibliothèque du roi – la future Bibliothèque royale – était constituée à l'origine par d'importantes collections privées, abritées dans les locaux du château royal, dans la capitale. En 1663, Frédéric III nomma au poste de bibliothécaire et archiviste royal le comte Peder Schumacher, un jeune homme fort prometteur, érudit et homme d’État (qui allait devenir le chancelier Griffenfeld). Schumacher entreprit d'organiser la Bibliothèque et l'agrandit considérablement.
Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, époque des Lumières, il était fréquent que les familles nobles expédient leurs fils, accompagnés de tuteurs, dans les principaux centres d'enseignement d'Europe, afin qu'ils y poursuivent leurs études des langues classiques (le grec et le latin) et de la tertia lingua, la langue et la littérature hébraïques. A leur retour, les ouvrages acquis lors de ces pèlerinages éducatifs étaient incorporés dans les bibliothèques privées de ces nobles et de ces hauts fonctionnaires et ultérieurement transférés à la Bibliothèque royale, soit sous forme de legs soit par acquisition.
Peder Schumacher lui-même acheta des manuscrits et des livres au cours de ses innombrables voyages à Paris, Amsterdam et Venise, les faisant relier par des relieurs professionnels français.
En 1665, le Roi ordonna la construction d'un édifice spécialement destiné à abriter la bibliothèque. Inspiré du modèle de celle à deux étages érigée par le cardinal Mazarin à Paris, le superbe bâtiment fut inauguré en 1673, trois ans après la mort de Frédéric III.
A cette époque, la collection royale de manuscrits et d'ouvrages imprimés comptait déjà 20 000 volumes, dont un nombre considérable de judaïca. Nous en ignorons la provenance et le nombre exact, car rien ne figure à ce sujet dans les archives de la Bibliothèque, mais on peut affirmer avec certitude qu'il y avait «plus de livres juifs au Danemark que de Juifs» (tout comme aujourd’hui) et que tous les manuscrits et ouvrages juifs de la Bibliothèque royale avaient été acquis par des non-Juifs.
La croissance et le développement de la Bibliothèque royale – transformée ultérieurement en Bibliothèques nationale et universitaire du Danemark – reflètent tout à fait la philosophie et les courants de pensée qui marquèrent les cours princières dans l'Allemagne du XVIIe siècle. La science était considérée dans son aspect le plus large; les érudits recevaient une formation polyhistorique; princes et monarques s'adonnaient à la collection de manuscrits et d'ouvrages traitant d'un vaste éventail de thèmes. Le roi Frédéric III ne fut donc pas une exception. Souverains, gentilshommes et notables de la cour souscrivaient en bloc à la maxime Ars et Mars, c'est-à-dire «la poursuite des arts et des sciences sans pour autant négliger les armes». Placées au faîte de l'immeuble de la nouvelle Bibliothèque, deux statuettes de bois plaquées d'or symbolisaient cette approche, représentant Minerve, la déesse de la Sagesse, et Mars, le dieu romain de la Guerre.
Le successeur de Frédéric III, Christian V, n'était ni un érudit ni un monarque aux penchants bibliophiles. Mais une fois établie comme institution indépendante, la nouvelle Bibliothèque royale se mit à acquérir collection sur collection, y compris des livres juifs achetés à des collectionneurs privés ou lors de ventes aux enchères.
La traduction hébraïque du Moreh Nevukhim (le Guide des Égarés) de Moïse Maïmonide, rédigée à Barcelone en 1348, constitue une des pièces les plus précieuses de la collection de manuscrits hébraïques de la Bibliothèque royale. L'ouvrage avait été acquis à Amsterdam par l'érudit danois Hans Bartholin, qui en fit don à Frederik Rostgaard, personnage haut placé à la chancellerie; il passa ensuite aux mains du comte Christian Danneskjold-Samsoe, collectionneur notoire, pour finalement aboutir à la Bibliothèque royale en 1732. Provenant de la même collection, il y a aussi une Bible en hébreu, écrite et ornée en Espagne en 1301.
On trouve également parmi les acquisitions anciennes un livre de prières d'une facture merveilleuse: il s'agit d'un Birkat Ha-Mazon (Bénédictions de grâces) en hébreu et en yiddish, écrit et enluminé par Samuel Dressnitz à Nikolsburg, en 1728. Il appartenait au comte Otto Thott (1703-1785) qui avait amassé à grands frais plus de 120 000 volumes et créé sans doute la plus grande bibliothèque privée d'Europe de son temps. Elle contenait de nombreux ouvrages orientaux rares.
Le XVIIIe siècle marque l'apogée de l'époque des Lumières au Danemark. Parmi les nations européennes rivalisant d'efforts pour s'assurer la suprématie culturelle et scientifique, la petite monarchie occupe une position tout à fait respectable. Toutefois, elle ne le doit pas à ses rois, qui régnèrent en souverains absolus pendant tout le XVIIIe siècle et une grande partie du XIXe, mais plutôt à la prévoyance de certains membres du Conseil privé des rois, personnages cosmopolites d'une grande culture.
J.H. Bernstoff (1712-1772), vivement critiqué en son temps mais également fort respecté, était un intellectuel et un diplomate de Hanovre. Sa neutralité en matière de politique étrangère et la tolérance de ses concitoyens devinrent les principes directeurs de la politique danoise extérieure et intérieure, jusqu'à sa chute en 1770. Il fut un ardent défenseur des arts et des sciences. C'est à lui que s'adressa Johann David Michaelis, professeur de langues orientales à l'université de Göttingen, pour suggérer qu'une expédition de savants se rende en Arabia Felix (Yémen), dans le but, notamment, d'amasser des manuscrits orientaux. Dans la lettre royale d'instruction, émise en 1760, il était stipulé que les voyageurs étaient autorisés à acheter des manuscrits jusqu'à concurrence de 20 000 thaler, mais qu'ils devaient considérer avant tout l'utilité du contenu et l'ancienneté, plutôt que la beauté et le prix.
En 1761, les six membres de l'expédition, deux Danois, deux Suédois et deux Allemands, quittaient le port de Copenhague pour un voyage qui allait s'avérer bien plus hasardeux et dramatique que ces savants messieurs n'auraient pu imaginer. Cinq ans plus tard, en 1766, seul un des six revint, l'ingénieur-topographe et trésorier de l'expédition, Carsten Niebuhr. Au cours de ce voyage mouvementé en Arabia Felix (Yémen), qui fut nommé d'après Niebuhr, deux autres érudits s'étaient distingués: Pehr Forsskäl, disciple du botaniste suédois réputé Carl von Linné, et Frederik Christian von Haven, un orientaliste qui avait étudié chez J.D. Michaelis (sus-cité), de l'université de Göttingen.
F.C. von Haven avait été chargé de procurer à la Bibliothèque royale des manuscrits orientaux «en favorisant les manuscrits ayant trait à la Bible, soit en hébreu soit en arabe».
Les deux érudits suivirent à la lettre les instructions du roi Frédéric V. De précieux manuscrits hébraïques, arabes et perses furent mis en caisse de Constantinople au Caire et expédiés par douzaines à Copenhague. Niebuhr se chargea des objets que ses deux consciencieux collègues n'avaient pas été en mesure d'acheter ou d'envoyer avant leur triste fin. C'est ainsi que la Bibliothèque royale acquit une collection unique de Bibles hébraïques dont le Pentateuque dit Moses de Ebermannstadt, écrit et enluminé d'une délicate micrographie sur vélin, datant de 1290; une Bible du XVe siècle, écrite et ornée de panneaux sophistiqués composés à partir du mot initial, œuvre d'un artiste inconnu d'Espagne; enfin, une autre Bible hébraïque d'Espagne en trois volumes, avec d'exquises enluminures de tapisserie (de style arabe), datant d'environ 1450, acheminée au Danemark dans son coffret de cuir original par Carsten Niebuhr.
Compte tenu des conditions ardues et éprouvantes qui marquèrent l'expédition, il est remarquable de découvrir dans chacune des pages de garde du journal du philologue sémitique F.C. von Haven des commentaires érudits, linguistiques et lexicographiques (le journal se trouve aujourd'hui dans la section des manuscrits de la Bibliothèque royale). Grâce aux volumineux carnets in folio de von Haven, tenus avec une grande rigueur, nous sommes en mesure de retracer la provenance de la plupart des acquisitions, rédigées en arabe, en syriaque ou en hébreu. Les commentaires érudits accompagnant chaque manuscrit et leur datation témoignent de la perspicacité de von Haven et de son expertise en matière de langues sémitiques. Ce qui ne l'empêche pas, dans le cas du manuscrit Hébraïcus XI, d'avouer qu'il ignore de quelle ville le scribe était originaire (elle sera ultérieurement identifiée: Ebermannstadt en Bavière). Ce manuscrit à la délicate micrographie fut acheté pour douze battaks turcs, prix qui semble aujourd'hui dérisoire.
Avec l'apport nouveau des manuscrits de l'expédition Carsten Niebuhr, la Bibliothèque royale était désormais reconnue comme un important centre d'études orientales. Benjamin Kennicott, professeur d'études bibliques à Oxford, se servit de nombreux manuscrits hébraïques comme sources pour son œuvre monumentale, Vetus testamentum (volumes 1-2, 1776-80). Pendant la phase préparatoire de son travail, Kennicott tint le monde des érudits au courant de ses progrès dans le rassemblement des sources des principales bibliothèques d'Europe (The State of the Collection of the Hebrew Manuscripts of the Old Testament, 1-7, Oxford, 1726-68). Sa collaboration avec les autorités danoises est décrite comme suit: «En ce qui concerne les pays étrangers, il me faut exprimer ma plus profonde gratitude pour la lettre qui m'a été envoyée, sur ordre de Sa Majesté le Roi du Danemark, par son Premier Secrétaire d’État, le Baron de Bernstorff. Etant donné que cette lettre témoigne d'une très haute attention royale à la littérature sacrée; étant donné qu'elle exprime la volonté et le bon plaisir d'un Souverain, célébré à travers le monde pour avoir envoyé des hommes érudits en Afrique et en Asie, dans les buts les plus nobles; et étant donné que le bon plaisir de sa Majesté a été exprimé dans cette lettre, d'une manière extrêmement favorable à l'égard de mon travail; je joins ici une copie exacte de la lettre.»
Dans un bulletin ultérieur, Kennicott remercie «avec la plus chaleureuse gratitude, l'honneur d'une promesse faite par Sa Majesté le Roi du Danemark (sur la recommandation de mon ami Son Excellence le Comte de Bernstorff) selon laquelle non seulement ces 8 manuscrits, mais également tout autre manuscrit de la Bibliothèque royale contenant un extrait de la Bible hébraïque, seront envoyés en Angleterre, afin que je puisse personnellement les étudier».
La Bibliothèque royale publia en 1779 un inventaire préliminaire, Index libraorum Arabicorum et Hébraïcorum manuscriptorum, compilé par J.G.C. Adler.
Si on fait abstraction des infortunées pertes en vies humaines, l'expédition du roi Frédéric V et ses réalisations scientifiques furent favorablement jugées par la postérité.
Peut-on dire que les objectifs de l'expédition royale, notamment «l'avancement des sciences et de la connaissance en général et la promotion d'une compréhension et d'une exégèse plus complètes des Écritures saintes» furent accomplis ?
Près de deux cents ans plus tard, nous pouvons répondre par l'affirmative. Toutefois, la tendance à avoir raison après coup ternit jusqu'à nos jours la réputation de von Haven. Ce membre de l'expédition fut blâmé pour son absence de persévérance, son manque d'imagination et son approche pas assez scientifique. Les résultats de son séjour au Caire et au monastère de Sainte-Catherine dans le Sinaï furent extrêmement décevants. Le professeur Michaelis de Göttingen s'était sans doute attendu à des découvertes plus substantielles pour la recherche de la part de son disciple. Ironie du sort, la valeur des manuscrits achetés par von Haven à Constantinople et au Caire pour la Bibliothèque royale est inestimable et dépasse largement le total des frais engagés par Frédéric V dans l'expédition en Arabia Felix.
Quant à Carsten Niebuhr, l'unique survivant, il revint au Danemark en traversant l'Europe à dos de cheval, après avoir effectué des relevés topographiques et dressé des cartes de Persepolis et de Jérusalem.
Le climat politique et culturel dans le pays avait changé. Christian VII avait succédé à son père et lorsque le comte Bernstorff fut congédié, l'activité académique et culturelle connut une période de déclin.
Vers 1800, la Bibliothèque possédait environ 5 000 volumes de judaïca et hébraïca. Parmi les pièces rares, un exemplaire de la première édition complète du Talmud de Babylone, publiée par Daniel Bomberg à Venise entre 1520 et 1522 ainsi que plusieurs autres éditions du Talmud. La collection comptait également un large assortiment d'ouvrages rabbiniques, des éditions rares de la Bible hébraïque, notamment la Bible de Ferrare et un riche ensemble d'objets rituels juifs uniques.
Au cours du XIXe siècle, les rayons de littérature hébraïque de la Bibliothèque ne connurent pas d'enrichissements notables. Le Royaume subit de rapides changements internes et externes et régressa dans tous les domaines, économique, social et politique. Suite à l'instabilité prévalante, des progrès en faveur d'une société plus libérale furent accomplis, aboutissant à l'établissement d'une constitution libre [Grundloven], ratifiée par le roi Frédéric VII en 1849, qui exprima sa position envers les citoyens juifs de façon succincte mais éloquente: «Mes sujets doivent être désignés d'après leur métier [et non d'après leur croyance].» Les Juifs du Danemark avaient déjà obtenu les droits civils en 1814.
Cependant, la Bibliothèque royale poursuivit son expansion dans d'autres domaines, notamment dans celui des genres littéraires nationaux. Ce fut l'âge d'or de la peinture et de la littérature danoises. Ce fut également pendant cette période que les Juifs danois prirent conscience des remarquables trésors de littérature juive détenus par les deux principales bibliothèques de Copenhague: la Bibliothèque royale et la Bibliothèque universitaire fondée en 1482.
En 1853, un commerçant juif danois du nom de Simon Aron Eibeschütz (1786-1856) donna à la Bibliothèque universitaire les moyens d'enrichir sa collection par de nouvelles acquisitions d'ouvrages juifs et hébraïques. La «collection Eibeschütz» et une partie des acquis anciens sauvés de l'incendie qui dévasta Copenhague en 1728 furent transférés dans leur totalité à la Bibliothèque royale.
Le XIXe siècle se distingue également comme une ère d'étude, d'analyse et de recensement. Des chercheurs danois et étrangers se mirent à cataloguer et à décrire les manuscrits orientaux de la Bibliothèque royale. Sur la recommandation du chef bibliothécaire E.C. Werlauff, le roi Frédéric VI, dernier monarque absolu, fit un don important pour la compilation des manuscrits orientaux et pour l'établissement d'un catalogue exhaustif. Au cours du règne de Christian VIII (1786-1848), parut le premier des trois volumes, dédié au roi et intitulé «Codices orientalis Bibliothecae Regiae Havniensis jussu et auspiciis Regis Daniae augustissimi Christiani Octavi enumerati et descripti». Le second volume (1846-1857) recensait la collection des manuscrits hébraïques et arabes et comprenait également les manuscrits hébreux transférés de la Bibliothèque universitaire. Ce fut le professeur de langues orientales, A.F.M. van Mehren, assisté par le grand-rabbin A.A. Wolff (1801-1891), qui dressa le catalogue et fit la description des manuscrits de ce volume.
En 1932, l'acquisition d'un ensemble de 40 000 volumes, manuscrits, livres et matériel d'archives plaça la Bibliothèque royale aux premiers rangs des bibliothèques publiques en possession d'ouvrages juifs et hébraïques. Comptant 25 000 volumes dans ce domaine, la collection avait appartenu à David Simonsen, grand-rabbin de Copenhague et professeur de langues sémitiques à l'université de Copenhague. Cette acquisition globale, la plus importante depuis 1796, avait été rendue possible par de généreuses donations de la fondation Carslberg et de la L. Zeuthen Memorial Foundation, par une subvention spéciale de la Loi des Finances et par la détermination du chef bibliothécaire, Carl S. Petersen.
Né dans une vieille famille judéo-danoise, David Simonsen (1853-1932) avait été formé au Séminaire théologique juif de Breslau, en Allemagne. De 1879 à 1891, il avait été rabbin à Copenhague, puis de 1892 à 1902, grand-rabbin du Danemark. A l'âge de 20 ans, il avait obtenu son doctorat, proxime accessit, en philologie sémitique à l'université de Copenhague. Tout au long de sa vie adulte, David S. Simonsen avait amassé livres et manuscrits, parcourant l'Europe et le Levant en quête de matériaux d'études. Il n'était pas vraiment un bibliophile mais achetait surtout en fonction de ses propres objectifs de recherche. Sa curiosité intellectuelle s'étendait à tous les aspects de la langue et de la littérature hébraïques ainsi qu'à des sujets apparentés. Presque tous ses livres contiennent notes et références bibliographiques écrites de sa main, témoignant de sa vaste érudition.
La littérature juive est représentée dans cette collection unique à travers toutes ses facettes et ses multiples ramifications prises au cours des siècles. David Simonsen avait été à même d'écrire une histoire de l'imprimerie hébraïque et du développement de la typographie hébraïque à partir de sa propre collection. Citons à ce propos Raphaël Edelmann (1902-1972), le premier conservateur de la Section judaïca et hébraïca à la Bibliothèque royale: «Décrire la Bibliotheca Simonseniana en détail revient à faire un tour d'horizon général de la littérature juive et de l'histoire du judaïsme.» De plus, les intérêts de Simonsen s'étendaient à l'arabe, à la philosophie, à l'histoire générale, aux biographies, au folklore et à bien d'autres domaines culturels. Une importante partie de sa bibliothèque consistait en ouvrages rédigés en yiddish, en ladino, en judéo-arabe et en judéo-persan, et révèlent ses connaissances linguistiques.
La collection de manuscrits du professeur Simonsen enrichit le lot existant d'environ 165 pièces, dont certaines d'une très grande valeur pour la recherche, notamment deux recueils de responsa de Maïmonide (1135-1204). Le premier, datant du XIVe siècle et contenant également des responsa de son fils Abraham, est une des premières copies de l'original; le second fut écrit à Fez (1543-44) par un scribe connu. La langue des deux manuscrits est l'hébreu et le judéo-arabe. Parmi un petit lot de manuscrits yéménites exclusifs, contenant surtout des Diwans (anthologies de poèmes), on distingue une Torah du XVIIIe siècle, où figurent accents superlinéaires et vocalisation, avec en appendice un traité grammatical. Egalement remarquable le Ms. Cod. Sim. Hebr. 93, une lettre polémique, attribuée à rabbi Yohanan ben Zakkai (Ier siècle) et adressée aux Juifs de Rome, les mettant en garde contre le christianisme.
D'autres pièces de la Bibliotheca Simonseniana méritent d'être signalées, notamment le Soncino Incunabulum qui possède l'illustration la plus ancienne de la presse hébraïque (c. 1490) et parmi les curiosités, la première publicité pour une imprimerie, dans le volume 4 des responsa de Joseph ibn Leb (Fürth, 1692). Il y a également une correspondance entre deux rabbins sur des questions halakhiques, le Sha'agat Arye (Salonique, 1746) qui relate par ailleurs le drame de deux Juifs lettons. Revenant par mer d'un voyage en Hollande, ils firent naufrage près de la ville côtière de Marstal, dans l'archipel méridional du Danemark. Une petite délégation de la communauté juive de Copenhague fut envoyée sur les lieux pour identifier leurs coreligionnaires noyés. C'est la première fois que les deux localités danoises apparaissent dans la littérature hébraïque.
La vaste correspondance du professeur Simonsen, source précieuse de matériel archival, témoigne de son profond engagement dans les affaires politiques et culturelles d'Europe. Elle révèle son souci pour les réfugiés juifs, ainsi que sa participation active aux œuvres de secours. Dans le sillage des pogroms en Europe de l'Est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la population juive du Danemark s'accrut considérablement avec l'afflux des réfugiés russes et polonais. Ne laissant jamais un appel sans réponse, David Simonsen organisa les secours, faisant campagne pour attirer l'attention des autorités sur cette tragédie humaine. Il était «fort comme un roc», déclara Ismar Elbogen dans une notice nécrologique du Jewish Chronicle, en juin 1932.
Les archives David Simonsen dans la Section judaïca et hébraïca de la Bibliothèque royale, qui n'ont pas encore été entièrement répertoriées, couvrent donc un chapitre crucial de l'histoire européenne juive.
Au cours des années suivantes, Raphaël Edelmann et ses assistants trièrent et cataloguèrent la bibliothèque polyhistorique de Simonsen. Il fallut incorporer 15 000 volumes dans les rayons non-judaïques de la Bibliothèque, mais la majorité des 25 000 volumes de littérature juive et hébraïque, joints à la collection existante, formèrent désormais le noyau de la Section judaïca à la Bibliothèque royale.
La Section s'enrichit régulièrement de nouvelles acquisitions, même durant les sombres années de l'occupation allemande au Danemark (1940-1945). Miraculeusement, pas un seul volume de la collection juive de la Bibliothèque ne fut saisi par les nazis. Les 50 000 ouvrages de la Bibliothèque communautaire juive de Copenhague échappèrent également à l'occupant allemand. Tous ces livres furent transférés en ambulance à la Bibliothèque royale et gardés en sécurité pour être restitués à leurs propriétaires à la fin de la guerre. Depuis son exil à Stockholm (d'octobre 1943 à mai 1945, date de la libération du Danemark), Raphaël Edelmann continua à assumer ses fonctions de conservateur de la Section judaïca à la Bibliothèque royale.
En sa qualité de conseiller bibliothécaire, Edelmann dressa des listes bibliographiques d'ouvrages juifs à acheter dans les pays dont le Danemark avait été coupé par les Allemands, notamment les États-Unis et l'Angleterre. Un grand nombre d'ouvrages juifs américains et anglais, qui risquaient d'être épuisés, furent ainsi préservés.
Grâce à l'initiative de Raphaël Edelmann, la Bibliothèque royale fut en mesure de fournir à la bibliothèque de l'Université hébraïque et à d'autres bibliothèques d'Europe un important lot de livres allemands et de textes antisémites trouvés dans les divers sièges allemands au Danemark.
De généreuses donations publiques et privées permirent à la Bibliothèque royale d'acquérir plusieurs collections dans les années d'après-guerre, notamment un ensemble de mille volumes légués par Moses Friediger, grand-rabbin du Danemark, survivant de Theresienstadt, qui mourut en 1947. Plusieurs centaines de livres en yiddish furent achetés aux successions de Nathan Birnbaum et de S. Beilin. La Bibliothèque reçut de la communauté de Copenhague un millier de volumes comprenant d'anciens ouvrages rabbiniques et des périodiques juifs allemands. D'autres dons parvinrent au cours des années suivantes; le comité juif américo-danois de New York offrit un lot de plusieurs centaines d'objets de judaïca. A signaler encore, l'obtention d'une centaine de manuscrits judéo-perses, d'une importance considérable pour l'avancement de la recherche linguistique, littéraire et historique.
L'année 1949 marque une autre étape mémorable dans l'histoire de la Section judaïca de la Bibliothèque royale. Dix-sept ans après l'acquisition de l'impressionnante collection Simonsen, la Bibliothèque acheta la célèbre bibliothèque privée de Lazarus Goldschmidt (1871-1950), bibliophile et érudit talmudique qui résidait à l'époque à Londres. Elle contenait 44 incunables et d'innombrables pièces rares. Parmi elles, la seconde édition de la Bible hébraïque de Naples, publiée autour de 1492; plusieurs éditions fort précieuses du XVIe siècle, dont un exemplaire rare de la Haggadah imprimée à Prague par Gerson Cohen avant 1520; enfin le Mahzor Tannhausen, daté de 1592.
La bibliothèque Goldschmidt permit à la Section de compléter les chaînons manquants de l'histoire juive dans ses rayons; elle apporta près de 90 volumes de littérature karaïte, notamment une édition de la Bible en karaïte (un dialecte turc ou tatare) écrite en caractères hébraïques, provenant d'Eupatoria et datée de 1841-42 ainsi qu'un Pentateuque avec traduction en karaïte, d'Ortakoi, c. 1835. Une section presque complète de littérature falasha combla un autre vide dans la collection.
Contrairement à la Bibliotheca Simonseniana, la collection Lazarus Goldschmidt possède ce quelque chose qui enchante tout bibliophile: la reliure délicate des volumes et la beauté des livres en font un ensemble fort esthétique. Cette fois encore, des contributions de la Carlsberg Foundation, de C.L. David et d'autres permirent l'acquisition de la Bibliotheca Goldschmidtiana.
Reconnue comme une des principales bibliothèques de judaïca et hébraïca d'Europe, la Section hébraïque de la Bibliothèque royale bénéficie constamment de contributions publiques et de dons privés provenant des amis de l'institution, au Danemark et à l'étranger.
Des donations de livres yiddish ont permis l'établissement d'une collection imposante et diversifiée de littérature yiddish. Une bibliothèque yiddish de Copenhague avait été créée en 1904 par des immigrants de Russie, de Pologne et des provinces baltes, avec un apport initial de 2 500 volumes. Une quantité considérable de livres en yiddish ont été offerts par Leon Forem de New York. Shea Tannenbaum, poète et essayiste de New York, a donné au cours des ans des centaines de livres de littérature yiddish, qui lui étaient personnellement dédicacés par les auteurs. La Bibliothèque publique juive de Montréal a cédé nombre de ses exemplaires qu’elle avait en double. Récemment, la Bibliothèque royale a reçu d'importantes donations comportant surtout des livres yiddish, grâce à une campagne – Judaïca pour Copenhague – orchestrée conjointement par le quotidien juif Forward, la compagnie SAS et un des mécènes les plus fidèles de la Bibliothèque, feu Ralph Cohen de New York.
Jusqu'en 1932, date de l'incorporation de la collection Simonsen, tous les ouvrages de judaïca et hébraïca figuraient dans les catalogues généraux de la Bibliothèque royale. Dans les années 30, et plus spécifiquement en 1945, une section spéciale judaïca fut établie. Elle comprend tous les livres juifs et hébraïques acquis depuis 1932, y compris la collection Eibeschütz sus-mentionnée. Cependant, les ouvrages imprimés à l'intérieur des frontières de l'ancienne monarchie danoise (incluant Schleswig et Holstein) n'y figurent pas: cet ensemble de judéo-danica a été catalogué séparément et placé dans la section nationale danoise de la Bibliothèque royale.
Cette bibliothèque publique est donc une des seules au monde à posséder une section spéciale, avec son propre catalogue, abritant une variété de livres non seulement en hébraïca mais également en judaïca.
Dans un univers où les valeurs culturelles juives ont été systématiquement détruites, la Bibliothèque royale est fort consciente de ses responsabilités en tant qu'important dépositaire de judaïca et hébraïca. Elle ne ménage pas ses efforts afin d’alimenter sa collection et de se tenir au courant, suivant de près le flot de publications savantes paraissant sans cesse dans les domaines de judaïca et de littérature hébraïque moderne. Elle considère de son devoir de mettre ses collections à la disposition du public, notamment lors de manifestations culturelles juives à travers le monde. En collaboration avec le Joint Distribution Committee, la section a ainsi monté des expositions à Paris, à Milan, à Bruxelles et à Strasbourg. En 1969, une exposition s'est tenue à New York, sous les auspices du Jewish Museum, du Conseil national des femmes, du Bureau d'information danois et de la compagnie aérienne SAS. En 1981, une sélection des manuscrits a été exposée au Musée d'Israël, à Jérusalem.
*Le professeur Ulf Haxen est conservateur de la section de judaïca et hébraïca à la Bibliothèque royale du Danemark.
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