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Sommaire Reportage Printemps 2000 - Pessah 5760

Éditorial - Printemps 2000
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Juif au Danemark

Par Roland S. Süssmann
A Copenhague où vit 95% de la population juive danoise, nous avons rencontré un président de communauté totalement atypique, M. JACQUES BLUM. Universitaire frisant la cinquantaine, M. Blum détonne par son franc parler, sa manière de dénoncer des réalités souvent déplaisantes et de s’attaquer sans vergogne aux problèmes. Ce président surprend d’autant plus lorsque l’on sait combien la mentalité danoise aime faire dans la douceur et que les éclats y sont très mal vus. Jacques Blum dirige donc «sa» communauté de six mille âmes (certains l’estiment à huit, d’autres à dix mille) avec clairvoyance et sans illusions.
Malgré son petit nombre, la communauté se subdivise en groupes d’origines diverses. Il y a ceux que l’on appelle les «Juifs-Vikings», terme s’appliquant aux familles aujourd’hui très assimilées dont la présence au Danemark remonte, preuves à l’appui, au début du XVIIe siècle. Vient ensuite le groupe des «Juifs russes» qui constitue actuellement la majorité de la communauté juive danoise, arrivé à l’époque des grands pogromes du tournant du siècle. La dernière grande vague d’immigration au Danemark, composée de Juifs allemands qui fuyaient Hitler, date des années trente. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la communauté danoise n’a pas connu de grand afflux de Juifs, quelques hongrois en 1956, quelques tchèques en 1968 et un groupuscule plus important de polonais dans les années 1962-72 (très assimilés). La communauté actuelle est donc assez hétéroclite et partiellement composée des survivants de la Shoa revenus de Suède au Danemark après la guerre.

Il est vrai que notre rencontre a pour but de brosser un tableau actuel de la vie juive au Danemark. Il serait toutefois impensable de parler du présent sans évoquer le fait que pendant la Seconde Guerre mondiale, les Danois ont effectivement sauvé «leurs» Juifs, tous sauf cinq cents d’entre eux. A votre avis, pourquoi ont-ils agi de la sorte alors que les autres pays occupés par les Allemands collaboraient activement ou, dans le meilleur des cas, laissaient faire ?

L’attitude danoise s’explique par diverses raisons. Tout d’abord, il faudrait briser cette légende qui dit que le Roi est descendu dans la rue avec une étoile jaune épinglée sur sa veste. C’est faux, il ne l’a jamais fait, comme il est faux de dire que tous les Danois étaient philosémites, ils ne l’étaient pas. Mais il est important de rappeler que le parti nazi était totalement insignifiant au Danemark et que bien qu’occupé par les Allemands, le Danemark n’était pas en guerre avec l’Allemagne. Cette dernière l’utilisait comme aire de repos pour ses soldats revenus du front et ne souhaitait donc pas voir se développer des émeutes dans le pays. Finalement, il faut souligner qu’il n’y a pas de traditions antisémites au Danemark, bien qu’il existe aujourd’hui un parti d’extrême-droite.

Comment expliquez-vous cela ?

Officiellement, il s’agit du résultat de notre esprit de tolérance, d’ouverture et de notre sens inné de la démocratie. A mon avis, c’est plutôt dû au fait qu’il est extrêmement difficile d’être étranger ou minoritaire dans ce pays. Celui qui ne s’assimile pas est discriminé de la manière la plus subtile. En fait, les Juifs n’ont jamais été acceptés en tant que Juifs, mais comme «voisins ou amis danois». En étudiant les lois danoises concernant les étrangers, on peut dire que celles en vigueur en Suisse sont carrément «tolérantes»… La mentalité danoise est constituée d’un mélange d’humilité et d’arrogance et le fait est que les Danois n’aiment pas les étrangers. On peut donc dire que les Danois sont un peuple très tolérant, puisqu’il n’y a pour ainsi dire pas de minorités étrangères parmi eux. Quant aux Juifs qui y sont établis depuis 300 ans, ils sont totalement assimilés et ne font jamais cas de leur «yiddishkeit» (attitude judaïque) en public. D’ailleurs, les offices de notre grande synagogue (la ville a une seule synagogue et un petit oratoire orthodoxe) sont aussi solennels et rigides que ceux de l’église danoise, bien que depuis un an les choses soient en train de changer, car les enfants participent un peu plus aux offices. Bref, les Juifs sont acceptés tant qu’ils ne se font pas remarquer, et appréciés… parce qu’il ne sont pas musulmans. L’attitude danoise à l’égard de ces derniers est extrêmement négative et dans l’esprit de la population, un bon Juif danois est un Danois. Les Juifs réagissent très favorablement à cette conception des choses et le vieil adage disant «vivons cachés, vivons heureux » est de mise dans la communauté.

Votre explication du passé et de la mentalité danoise a de quoi surprendre, mais parlons du présent. Qu’en est-il de la jeunesse ?

Environ 80% de nos jeunes font des mariages mixtes. Cela étant dit, la jeunesse juive sacrifie à cette tendance générale qui veut que les gens soient à la recherche de leurs racines, ce qui n’empêche pas que nos forces vives partent, souvent en Israël. Il faut bien comprendre que malgré le fait que nos services communautaires classiques fonctionnent bien, il n’est pas facile de vivre au Danemark en tant que Juif pratiquant, sans parler de la difficulté pour nos jeunes de trouver un partenaire juif dans la communauté, ce notamment en raison du petit nombre de candidats disponibles.

Quelle est votre préoccupation principale en tant que Président de la communauté juive ?

Nous vivons en quelque sorte une situation à la fois paradoxale et explosive. En effet, sous l’étiquette faîtière de communauté orthodoxe sont regroupées toutes les différentes tendances et origines de nos membres qui en réalité sont à 90% libéraux. De cette réalité découle un ensemble de conflits qui sont disputés d’une manière très peu élégante, où chaque mot devient «une offense personnelle». Je passe donc malheureusement une grande partie de mon temps à calmer les esprits, mobilisant ainsi énormément d’énergie qui, par conséquent, n’est pas utilisée à des fins concrètes et constructives. C’est regrettable. Je pense malgré tout que notre système de maintenir une seule communauté fonctionnant sous le label de l’orthodoxie et appliquant une politique souple et intelligente constitue le meilleur moyen de préparer et je dirais même de sauvegarder l’avenir du judaïsme danois.

Sans vous demander de jouer les prophètes, comment envisagez-vous l’avenir de votre communauté ?

Dans les années à venir, il n’y a pas de raisons objectives pour qu’il y ait des changements dramatiques. A long terme, je crois qu’il y aura des Juifs au Danemark… probablement au Musée du Judaïsme danois et que la synagogue sera toujours visitée… mais pas pour les offices. Cela étant dit, on assiste à une tendance qui veut qu’il soit «sain et écologique» de vivre en fonction des règles du judaïsme, à laquelle s’ajoute une réaction aux conséquences de l’assimilation. En fait, la génération actuelle de quinquagénaires supporte mal que ses petits-enfants soient totalement déjudaïsés, célèbrent Noël (événement majeur au Danemark) à la place de Hanoucah et ne peuvent pas faire leur Bar Mitsvah. Il ne s’agit pas d’un retour vers la pratique religieuse, mais vers une réactivation de l’identité juive et laïque. Il y a donc un certain espoir que la communauté juive survive d’une manière ou d’une autre... à condition que la direction communautaire soit à même d’offrir une structure avec laquelle la grande majorité des Juifs danois peut s’identifier et se sentir à l’aise. Aujourd’hui nous vivons une belle expérience qui permet de démontrer de quelle façon une petite communauté juive en Europe a une chance de survie. Il s’agit de maintenir cet équilibre extrêmement fragile qui réside dans le fait que les Juifs libéraux acceptent les structures orthodoxes de la communauté et que les Juifs pratiquants reconnaissent la majorité non-religieuse comme un élément indispensable à la survie de la communauté. C’est du maintien de cette équation difficile que dépend notre survie en tant que communauté juive vivante et vibrante, ce qui nous permettra d’éviter qu’elle ne soit transformée en relique de musée.


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