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Sommaire Pessah 5766 Printemps 2006 - Pessah 5766

Éditorial
    • Éditorial - Avril 2006 [pdf]

Pessah 5766
    • Liberté et Responsabilité [pdf]

Politique
    • Mirages de l\'unilatéralisme [pdf]

Interview
    • La situation sécuritaire [pdf]
    • Courage et Détermination [pdf]
    • Judaïsme et excellence [pdf]

Judée-Samarie
    • Honte et Espoir [pdf]

Analyse
    • Renaissance du califat ? [pdf]
    • Multiculturalisme et Antisémitisme [pdf]
    • Trop tard ? [pdf]

Reportage
    • Naissance à Jérusalem [pdf]

Recherche scientifique
    • Piquer sans aiguille [pdf]
    • Traces suspectes [pdf]

Art et Culture
    • Le Musée Menahem Begin [pdf]
    • Montparnasse déporté [pdf]

Espagne
    • Jérusalem et Madrid 1986 - 2006 [pdf]
    • Comunidades Judias de España [pdf]
    • Paella cachère ! [pdf]
    • Juif et Basque [pdf]
    • Les Juifs et la littérature contemporaine [pdf]
    • Esther Bendhan [pdf]
    • Museo Sefardi [pdf]

Éthique et Judaïsme
    • Dura Lex - Sed Lex [pdf]

La mémoire courte
    • Les événements du mois d'avril [pdf]

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Liberté et Responsabilité

Rabbin Motti Eilon. (Photo: Bethsabée Süssmann)

Par Roland S. Süssmann

«Qu'est-ce qui différencie cette nuit de toutes les autres nuits ?». C'est avec cette fameuse question, «Mah Nishtanah», qu'année après année les familles juives du monde entier commencent la célébration de la fête de Pessah. Si nous nous tenons simplement au texte pur de la Haggadah récité le soir du Séder, la réponse est en fait toujours la même: nous commémorons la sortie d'Égypte. Ce qui change, ce sont les circonstances dans lesquelles se situe cette célébration, qui diffèrent chaque année.
La question que nous posons aujourd'hui paraphrase cette fameuse citation en disant: «qu'est-ce qui différencie ce Pessah de tous les autres Pessahim ?». En l'an 5766, dans quel contexte national et religieux abordons-nous la plus célèbre de nos fêtes et de nos commémorations ? Afin de nous guider dans nos réflexions, nous avons été à la rencontre du rabbin MOTTI (Mordehaï) EILON, étoile montante du Mouvement national religieux en Israël et Rosh Yeshivah de la fameuse Yeshivath Hakotel de Jérusalem, qui accueille plus de 1500 élèves en provenance du monde entier.

Comment définiriez-vous le défi majeur auquel nous sommes confrontés tant en Israël que dans la diaspora et pour lequel les enseignements de Pessah nous donnent un moyen de faire face avec efficacité ?

Avant de répondre directement à cette question, je voudrais rappeler ici quel est l'esprit essentiel, le message fondamental de cette célébration, très souvent mal interprété. Lorsque nous évoquons l'idée de Pessah, nous pensons immédiatement à la libération d'Égypte. Le concept de liberté nationale et d'indépendance est donc très présent, or il ne constitue que l'un des aspects de la fête de Pessah, et pas le plus important. La libération en soi est de loin insuffisante. Dans le judaïsme, le mot liberté n'est pas un billet pour une vie de libertin ou libertaire, loin de là. Pour qu'une liberté puisse exister, il faut qu'elle s'accomplisse dans un but désigné, précis et réalisable. La libération d'Égypte nous a menés de l'affranchissement de l'esclavage, non pas vers l'indépendance, mais vers l'émancipation - la prise en mains - individuelle et nationale. Nous entendons souvent ce slogan disant: «laisse partir mon peuple». Or il s'agit d'une citation sortie de son contexte et partiellement amputée. Moïse a toujours dit à Pharaon: «laisse partir mon peuple, afin... ». Il n'exige pas une libération dans le simple but de libérer le peuple de l'esclavage égyptien, mais afin qu'il puisse vivre son identité. C'est dans cet esprit que se situe la véritable dimension de la liberté, puisqu'elle implique une servitude volontaire. C'est là le message essentiel de la libération du peuple juif. La sortie de l'esclavage égyptien n'a de raison d'être que si elle s'effectue pour entrer dans un assujettissement voulu permettant à chacun de s'assumer et de s'accomplir, en se subordonnant à l'Éternel et à ses commandements. Débarrassé de l'autorité égyptienne - symbole de pratiques et de valeurs qui nous sont étrangères - l'individu juif qui choisit librement de vivre selon les critères de la vérité, de la moralité et des lois divines peut ainsi atteindre la véritable liberté. Être libre et émancipé ne signifie donc pas de rompre avec toute forme de contrainte, mais bien au contraire de renforcer la relation et le lien qui nous rattachent à notre servitude volontaire.
Cela dit, j'en viens au second élément essentiel du message général de Pessah. Comme vous le savez, la partie principale de la fête se passe au cours du Séder, ce dîner familial qui se déroule selon un ordre strict où la lecture de la Haggadah se mêle directement aux gestes symboliques dont j'en rappellerai ici simplement quelques-uns: le plateau du Séder avec les trois matsoth - le pain de la misère et ses petits récipients contenant chacun un élément symbolique, comme par exemple le Maror - l'herbe amère - qui rappelle l'amertume de la vie d'Israël en Égypte, ou le Harosset - pâte brunâtre faite de pommes, d'amandes, de cannelle et de vin rouge qui évoque le mortier et l'argile des briques que Pharaon exigeait de ses esclaves. Parmi les nombreuses traditions qui jalonnent cette soirée se trouve une coupe de vin, simplement posée sur la table de fête mais qui n'est pas bue, celle du prophète Elie, dont il est dit que la venue doit précéder celle du messie. Il y a de très nombreuses explications à cette tradition, mais je crois que l'une d'elles est plus particulièrement adaptée à notre temps. Elle provient des écrits du prophète Malachie (III 23-24) qui dit: «.or, je vous enverrai Elie, le prophète, avant qu'arrive le jour grand et redoutable. Lui, ramènera le c?ur des pères à leurs enfants, et le c?ur des enfants à leurs pères.». Cette expression de l'unité familiale et nationale retrouvée constitue en fait le second volet de l'accomplissement de la liberté, qui se compose donc de deux éléments et qui nous permet d'assumer notre identité juive: la servitude volontaire envers les commandements divins et l'unité.
Pour répondre à votre question, il faut donc savoir dans quelle mesure ces deux éléments s'inscrivent dans la situation actuelle. Nous vivons à une époque où les incertitudes et les inquiétudes par rapport aux fondements même de notre société juive en Israël et dans la diaspora constituent une source de préoccupations permanentes. Or pour pouvoir faire face et continuer à assumer notre véritable identité, celle qui implique que nous vivions selon les valeurs morales fondamentales du judaïsme, nous devons inscrire ces deux éléments essentiels de la fête de Pessah dans notre quotidien. Je veux dire par là que nous devons affirmer et renforcer notre identité juive et, dans un second temps, tout mettre en ?uvre afin de retrouver une forme d'unité nationale.

Vous dites «retrouver» l'unité nationale. A-t-elle été perdue et si oui, comment expliquez-vous ce phénomène?

Ce qui est vrai pour Israël l'est aussi pour la diaspora. Il est bien connu qu'une société qui ne connaît pas ses racines est une société en perdition. Or bon nombre d'entre nous ne savent plus où se trouvent les racines fondamentales par rapport à la famille, à l'État, au service divin et malheureusement au pays même. Souvenons-nous que le Premier Temple a été détruit parce que le peuple avait abandonné la moralité religieuse et que le Second l'a été parce qu'il n'y avait pas d'unité dans le peuple. Or l'un n'est pas réalisable sans l'autre et si nous voulons vivre notre véritable liberté, nous devons tout entreprendre afin que ces deux éléments convergent. Aujourd'hui plus que jamais, le moment est venu de remettre en place nos priorités nationales bouleversées. Selon les politiciens, tout notre avenir dépend de notre situation sécuritaire. Or, il n'en est rien, car la réalité sur le terrain est bien différente. Notre faiblesse réside dans le fait que nous ne sommes pas un seul peuple, mais un ensemble de petites communautés idéologiques ayant uniquement en commun le fait de parler hébreu. Nous ne retrouvons le sentiment d'unité que dans le malheur, pendant les guerres et lorsque les attentats meurtriers se multiplient dans les rues d'Israël. Pour comprendre la gravité de ce phénomène, il faut se souvenir dans quel esprit l'État a été fondé. A l'époque, il était évident pour tous qu'il n'était pas question de créer une entité exclusivement religieuse ou socialiste, conçue selon des théories totalement athées ou basées sur la création du «nouveau juif» dépourvu de toute relation avec le judaïsme, etc. L'État juif a été créé afin d'établir une unité nationale, pluraliste, basée sur le seul concept nous permettant de vivre notre identité pleinement et librement: le retour du peuple juif sur sa terre pour y construire son pays. C'est dans cet esprit qu'ensemble, nous avons bâti le pays, qu'ensemble, nous avons été à l'armée et qu'ensemble, nous avons réussi à vivre et à prospérer. Nous avions un dénominateur commun, une raison de vivre et de nous battre. Or progressivement, «l'ensemble des petites communautés» dont je vous ai parlé a pris forme et les membres de ces différentes unités vivent côte à côte mais ne se connaissent pas, ne se rencontrent pas et n'ont plus de dénominateur commun.
Notre priorité n'est pas de savoir si nous devons combattre l'OLP ou le Hamas, la Syrie ou l'Iran. Il s'agit de se souvenir de qui nous sommes, de notre identité et de la manière dont nous pouvons l'assumer ensemble. C'est de là que nous tirons notre force et non pas du nombre de tanks. Le renforcement de notre identité nationale passe par une meilleure connaissance mutuelle. Nous devons impliquer tous les éléments de la société dans le développement des villes et villages juifs partout dans le pays, car il faut bien se rendre compte qu'aucun endroit, qu'il soit sur la côte méditerranéenne ou en Judée-Samarie, ne peut garder son caractère juif s'il est uniquement peuplé de Juifs religieux. Jérusalem ne restera pas juive si sa population est exclusivement constituée de Juifs pratiquants. Nous devons tout entreprendre afin de multiplier les villes mélangées pour que toutes les tendances constituant notre nation souhaitent venir s'y installer. Je crois que c'est là le défi central de notre époque et que nous devons faire du renforcement interne de notre société notre priorité nationale.

Certes, il s'agit là d'une idée magnifique, mais vous n'ignorez pas que la réalité est très loin de ces idéaux. La société israélienne et juive à travers le monde est idéologiquement très divisée, sans parler du fait que votre idée implique un programme à long terme. Le temps presse, que peut-on effectivement faire pour y remédier ?

C'est pour cela que nous devons nous concentrer sur ce qui est essentiel et non pas sur des problèmes secondaires. Nous savons que demain, l'OLP ou le Hamas mettront tout en ?uvre pour nous rendre la vie de plus en plus difficile et pour nous infliger le malheur. La question qui se pose donc est de savoir si oui ou non nous disposerons de suffisamment de force intérieure pour faire face. A long terme, nous ne pouvons pas nous contenter de colmater les brèches pendant que la maison s'écroule. Or c'est ce que nous faisons actuellement, tant au niveau national qu'à travers le monde juif. La solution passe par des programmes éducatifs de base qui, à ce jour, font défaut. Je vous citerai un exemple simple. Un sondage réalisé par l'armée a révélé récemment que 70% de la jeunesse israélienne n'a jamais vu le Kotel Hamaaravi (le mur dit des lamentations). Si demain un politicien propose un retrait unilatéral de la partie de Jérusalem où se trouve le mur, comment voulez-vous que cette idée n'obtienne pas un soutien populaire ? Il faut comprendre combien toute cette ignorance est profonde et parallèlement, je suis quotidiennement témoin de l'existence d'une véritable soif de savoir et de connaître nos valeurs pratiquement dans toutes les couches de la société. Ceci constitue une grande source d'optimisme. Nous en sommes arrivés au point où des programmes accélérés doivent être mis en place, non pas pour promouvoir la pratique religieuse, mais simplement pour transmettre la base même de nos valeurs qui définissent notre identité individuelle et nationale. C'est vrai, le temps presse et nous ne restons pas les bras croisés. Tout d'abord, parce qu'il relève de notre responsabilité de rabbins, de Juifs et surtout de Juifs pratiquants, de combattre cette ignorance qui sape notre identité nationale. Nous n'avons pas le droit de laisser le règlement de ce problème entre les mains du gouvernement et des politiciens. Pour ma part, je participe à un programme, Berechit», où nous diffusons dans environ mille jardins d'enfants non religieux à travers tout Israël un programme auquel participent les parents et dont le but est de transmettre un certain nombre de connaissances fondamentales sur le judaïsme. Nous touchons ainsi 200'000 personnes. Parallèlement, nous avons pris l'initiative d'organiser, en coopération avec le Ministère de l'Éducation, des séjours éducatifs d'une semaine à Jérusalem pour des jeunes collégiens. Il est prévu que dans les quatre ans à venir, 60'000 jeunes participent à ce programme. Progressivement, nous préparons le retour vers nos valeurs centrales et vers les éléments des racines qui nous unissent.

Comment pensez-vous que cet ensemble de petits fossés que vous constatez dans la société israélienne et que vous vous employez à combler rejaillit sur la diaspora ? Quelles en sont les conséquences et que peut-on faire pour y remédier ?

Je suis très impliqué dans tout ce qui se passe dans le monde juif et dans notre yéshivah, nous accueillons des élèves en provenance du monde entier. En plus du phénomène de fragmentation de la société israélienne dont je vous ai parlé, nous sommes confrontés dans la diaspora à l'assimilation qui n'affecte pas uniquement la vie religieuse et l'identité juive, mais aussi les relations des communautés juives avec Israël. Ce lien peut être rétabli et établi par un programme très simple: le lien direct. Je m'explique: dans chaque école juive, chaque élève doit avoir un correspondant dans une école israélienne, les écoles à proprement parler doivent effectuer des jumelages avec des écoles en Israël. Ce genre de programmes doit être créé au niveau des adultes. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'une action gouvernementale ou ministérielle, mais individuelle. Je crois qu'il y a aujourd'hui un début de prise de conscience tant à Tel-Aviv qu'à Hébron, sur le Golan et dans la diaspora, qui veut que si nous ne renforçons pas nos liens et nos identités par le biais de l'éducation juive, nous sommes promis à un avenir incertain. Nous devons donc provoquer une prise de conscience fondamentale dans notre société, ce qui inclut la diaspora, et la responsabilité pour que ce défi puisse réussir est avant tout entre les mains de ceux qui ont le privilège d'avoir la connaissance, à savoir le monde religieux. Pour ma part, j'y travaille.
En conclusion, je voudrais dire que le message de Pessah 5766 nous rappelle quels sont les deux piliers de notre réussite: le renforcement de notre identité en toute connaissance de cause, en investissant nos forces et nos moyens financiers dans la diffusion de programmes éducatifs dynamiques et attrayants, et la consolidation des liens qui nous unissent. Le défi est de taille, mais si chacun d'entre-nous joue son rôle et fait face à ses responsabilités, nous réussirons. Personne n'a le droit de déléguer l'accomplissement de son devoir à un ministère ou à une organisation. Notre survie en tant que nation et en tant qu'État en dépend.


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