Un jour, un rabbin m'a raconté qu'au cours d'une conversation qu'il avait eue avec un anthropologue, celui-ci lui avait confié: «Au sujet des Juifs, tout a été dit, écrit et étudié, sauf une question qui me préoccupe et qui constituera le thème de ma prochaine étude, à savoir: les éléphants et la question juive». Ce à quoi le rabbin lui a répondu: «sujet de taille s'il en est, n'est-ce pas !». Une information récemment publiée a certainement dû faire le bonheur de cet anthropologue.
Il ne se passe pas une journée sans que le conflit arabo-israélien ne soit à la une des informations. En général, elles parlent de sang, de mort, de malheur, de man?uvres politiques et, dans le meilleur des cas, d'un vague et illusoire processus de paix. Mais le shabbat 10 décembre 2005, surprise ! Une nouvelle plaisante et heureuse a été annoncée à Jérusalem: la naissance d'un bébé éléphant asiatique au Zoo Biblique de la capitale du peuple juif ! Face à la rareté de l'événement, nous avons immédiatement décidé de nous rendre au jardin zoologique biblique de Jérusalem afin d'y rencontrer son directeur, SHAÏ DORON, pour qu'il nous explique le pourquoi et le comment de cette naissance quelque peu miraculeuse.
Dans votre jardin zoologique, les naissances ne sont pas vraiment une rareté puisque vous avez déjà eu sept girafons, plusieurs singes, etc. Mais un éléphant d'Asie n'est malgré tout pas monnaie courante. Pourquoi et comment avez-vous décidé de vous lancer dans cette aventure ?
L'un des objectifs majeurs des jardins zoologiques modernes réside dans la conservation et la reproduction des espèces en danger. Le problème de la reproduction de l'éléphant d'Asie, en particulier dans les jardins zoologiques, est particulièrement sensible, le nombre de naissances étant en diminution constante. C'est la combinaison de ces deux éléments qui nous a décidés à nous lancer dans cette magnifique aventure qu'a été la naissance d'un bébé éléphant asiatique. De plus, si nous voulons maintenir notre place à travers le monde dans la famille des jardins zoologiques de pointe, nous devons faire de nombreux efforts et investir du temps, des ressources techniques et humaines, des fonds et surtout faire en permanence preuve d'un esprit de pionniers. Il est également important de souligner que, dans notre jardin zoologique, l'éléphant représente l'une des attractions majeures les plus appréciées du public. C'est un animal sympathique mais difficilement accessible or, chez nous, tous les vendredis, nous sortons les éléphants de leur enclos et les amenons à la rencontre du public, qui a ainsi la possibilité de leur donner des carottes, de les toucher, etc. Nous organisons aussi une loterie en faveur du jardin zoologique, dont les billets sont vendus au prix exorbitant de 1.- shekel (environ Frs.0.30). Le gagnant fait un tour à dos d'éléphant. L'un des buts de cette animation est de faire prendre conscience à notre public, constitué de toutes les couches de la population à travers le pays, combien il est important de préserver les animaux en danger d'extermination en général et l'éléphant d'Asie en particulier. Ceci se fait de manière bien plus efficace par une «relation directe» avec l'éléphant, qui peut être répétée régulièrement, plutôt que lors d'une excursion unique en Inde ou en Thaïlande. La naissance de notre éléphanteau a eu un impact considérable à travers le monde. Nous avons mis le film de sa naissance sur notre site Internet, où nous avons eu plus de trois cent mille visiteurs de 76 pays, y compris du monde arabe.
Outre la dimension de l'événement, pouvez-vous nous décrire la manière dont cette naissance a été effectuée techniquement ?
Nous avons procédé à cette opération en coopération avec l'Institut vétérinaire de Berlin, avec qui nous formons une excellente équipe de travail. Notre éléphant mâle étant trop jeune, nous avons commandé du sperme d'éléphant à un jardin zoologique en Grande-Bretagne, afin de réaliser une fertilisation in vitro. Il s'agit d'une intervention très délicate car, une fois prélevé, la durée de vie du sperme est de maximum dix heures. Il a donc fallu tenir compte de cet impératif pour qu'il arrive dans ce laps de temps en Israël et que cela coïncide avec le moment précis de la fertilisation de la femelle. Il s'agit d'une opération très coûteuse, que nous avons pu réaliser grâce à des donations. Nous espérons qu'à l'avenir, notre jeune mâle Teddy (nommé ainsi d'après Teddy Kollek), pourra servir de donateur pour d'autres jardins zoologiques en Europe et au Moyen-Orient. La mère de notre éléphanteau s'appelle Tamar, comme l'épouse de Teddy Kollek. Quant à notre éléphanteau, nous l'avons nommé Gabi en souvenir de notre vétérinaire chef, le Dr Gabi Eshkar , qui a mené une grande partie de cette opération mais qui a malheureusement été tué dans un accident de voiture avant la naissance. La dernière photo que nous avons de lui a été prise dans le jardin zoologique au moment où nous avons découvert sur l'ultrason que nous avions en vue un bébé éléphant bien formé. Gabi a perdu la vie le lendemain. Ses dernières paroles prononcées ici devant la presse étaient: «nous avons un bébé !». En effet, dix semaines après l'insémination, nous avons pu annoncer la grande nouvelle avec certitude. Toutefois, nous ne pouvons pas encore crier victoire, car la première année de la vie d'un éléphanteau est pleine de risques et ce n'est qu'à l'issue de celle-ci que nous pourrons parler d'un véritable succès. Je dois dire que la mère de Gabi est formidable, elle s'en occupe et le protège de manière admirable (une véritable mère juive.). Cela dit, la délivrance en tant que telle a été très difficile. Nous connaissions à peu près la date de la naissance, car nous suivions de très près l'évolution des hormones. Lorsque leur taux a commencé à baisser, nous avons su que le moment était proche. La nuit précédant la naissance a été longue et difficile et le matin, toute l'équipe, la mère-éléphant, les vétérinaires, les assistants et moi-même étions aussi heureux qu'épuisés. Nous avions vécu des instants d'émotion intense car à certains moments, nous craignions de perdre la mère, à d'autres l'enfant et finalement la minute de bonheur est arrivée, un Gabi en bonne santé a vu le jour. Il y a eu un moment particulièrement émouvant lorsque notre cornac, Amar, un homme aussi grand que fort, a pleuré toutes les larmes de son corps en étreignant Tamar, l'heureuse maman ! Il m'a dit: «Je suis le père de plusieurs enfants, mais je ne sais pas quelle naissance m'a le plus ému, celle de mes fils ou celle de Gabi !».
La naissance de Gabi constitue certes un événement, mais il est naturellement accompagné d'un certain nombre de nouvelles technologies ou de découvertes dans le monde vétérinaire. Quelles sont-elles ?
Il y a plusieurs éléments, mais je crois que la découverte la plus importante est celle réalisée par les chercheurs de l'hôpital Hadassah à Jérusalem, qui ont mis au point une technique permettant de prédire le jour exact où l'insémination doit se faire pour qu'elle réussisse. Nous avons ainsi pu indiquer avec précision à nos collègues de Berlin 19 jours avant la date, pour quand nous devions recevoir le sperme.
Pensez-vous que votre nouvelle technique puisse être appliquée à d'autres espèces animales ?
Ceci serait effectivement très important. Toutefois, nous sommes confrontés à deux problèmes: la difficulté de récolter du sperme de la faune et la question financière. Nous avons demandé une bourse à l'Union européenne mais pour l'instant, nous n'avons obtenu qu'un refus. La technique de la collecte du sperme et de son transport de manière à ce qu'il soit utile et efficace est très compliquée. D'ailleurs, nous avons eu un échec avec un rhinocéros.
En conclusion, je voudrais dire que la magnifique épopée de la naissance de Gabi nous encourage énormément à nous lancer dans de nouveaux projets. De plus, nous avons démontré qu'il n'est pas toujours nécessaire que les nouvelles en provenance d'Israël soient de nature conflictuelle.
|