Par moment, l'on peut se poser la question de savoir s'il existe une mathématique des événements ou un concours de circonstances pouvant avoir une signification. Ainsi, cinq mois jour pour jour après l'évacuation unilatérale et précipitée du Sud-Liban sur ordre de Éhud Barak, la seconde Intifada a été lancée par Arafat. Cinq mois jour pour jour après la fin de l'expulsion des Juifs de leurs foyers à Gaza, le Hamas a gagné les élections dans les régions peuplées d'Arabes en Judée, en Samarie, à Gaza et à Jérusalem. Hasard ou simple coïncidence, le fait est que sur le plan intérieur, ce sont aujourd'hui ces deux pôles qui constituent l'une des sources majeures de préoccupation de l'armée israélienne.
Afin de nous brosser un tableau de la situation sécuritaire actuelle, nous avons été à la rencontre du Major général MOSHÉ KAPLINSKY, Vice-chef d'état-major de l'IDF, qui nous a très chaleureusement reçus, en exclusivité, dans son bureau situé au 14ème étage de la nouvelle forteresse de l'armée érigée en plein centre de Tel-Aviv. C'est la troisième fois que je conduis une interview dans ce building qui, outre le bureau du Premier ministre, est probablement l'immeuble le mieux gardé d'Israël. A chaque fois, je suis impressionné par l'atmosphère rassurante de force et de puissance tranquilles que l'on ressent à l'intérieur du bâtiment.
Nous sommes à la veille de Pessah et l'une des plus fameuses phrases qui caractérise cette fête est le «Mah Nichtanah», où le plus jeune membre de la famille pose la question: «qu'est-ce qui différencie cette nuit de toutes les autres nuits ?». En paraphrasant cette interrogation, je vous demanderai ce qui différencie la situation sécuritaire actuelle d'Israël de celle qui existait avant l'élection du Hamas ?
Avant de vous répondre de manière précise sur le phénomène du Hamas, je vais vous donner une évaluation générale de notre situation actuelle. Malheureusement, nous allons continuer à être confrontés au terrorisme avec, en tête, la terreur palestinienne. Parmi cette population, le groupement le plus actif est le Djihad islamique, qui estime être le véritable vainqueur de cette élection. Il a déclaré que le Hamas avait abandonné l'opposition armée pour s'adonner au combat politique. Par conséquent, les membres du Djihad islamique se sentent investis de la mission de poursuivre ce qu'ils appellent la «résistance» et ce que nous estimons être du terrorisme. Ils agissent donc en fonction de leurs dires, préparent de nombreux attentats, tentent de réactiver le cycle des bombes humaines en Israël et continuent de lancer des fusées Kassam sur des agglomérations juives situées le long de notre frontière méridionale. Nous sommes aussi confrontés au terrorisme organisé par le Fatah, qui agit par le biais des brigades Al-Aksa, aussi dites brigades des martyrs. Le Fatah a très mal admis sa défaite électorale et cherche à se venger en déclenchant des actes de terrorisme sur les routes de Judée et de Samarie. Nous sommes donc confrontés quotidiennement à ces différents genres de terreur. De plus, derrière la scène, le Hamas met tout en ?uvre pour relancer le terrorisme en finançant ce type d'activités, en apportant une aide active au trafic d'armes et en tentant de rétablir les groupes terroristes que nous avons éliminés dans le passé. D'une certaine manière, le Hamas se prépare à s'engager dans une série d'opérations terroristes dès que le bon moment se présentera. A ce jour, les membres du Hamas ne sont pas directement actifs sur le terrain, mais apportent un large soutien à ceux du Djihad et du Fatah. Ils leur donnent beaucoup d'argent, entraînent leurs agents, leur fournissent toutes sortes d'armes et organisent toute la logistique pour pouvoir les utiliser. Un autre groupe opérant de manière régulière en Judée, en Samarie et à Gaza est le Hezbollah, qui est profondément engagé dans le terrorisme en Israël. Ses membres offrent de l'argent, des armes, un entraînement et toute autre forme de soutien aux activistes des différentes organisations terroristes. Dans les mois à venir, nous devrons faire face aux risques d'attentats pouvant être organisés par chacun de ces groupes, individuellement ou en collaboration directe. Il est important de savoir que malgré leurs divergences, ces organisations sont unies dans le but d'infliger le plus de dommages possibles à Israël. Nous retrouvons le Hezbollah au nord du pays le long de la frontière avec le Liban. Cette organisation terroriste y est déployée avec des milliers de missiles et de roquettes pointés sur les villes et les villages du Gallil. Nous devons être conscients de la réalité sur le terrain et des capacités d'attaques du Hezbollah. Au mois de janvier dernier, des membres de cet organisme ont tenté de kidnapper des soldats israéliens. J'estime qu'il s'agit là d'une embuscade stratégique. En commettant un enlèvement, ils savent très bien que nous n'avons pas d'autre choix que d'agir. Il faut se souvenir que le Hezbollah joue sur deux tableaux en même temps. D'une part, c'est une organisation terroriste structurée en un groupe paramilitaire qui contrôle tout le Sud-Liban. D'autre part, il a une représentation légitime et officielle au parlement libanais et deux ministres au gouvernement. Il tente donc de tirer le meilleur parti des deux situations. Je crois que les gouvernements occidentaux devraient continuer à faire pression sur le Hezbollah afin qu'il accepte d'être désarmé et cède le terrain à l'armée libanaise. Ceci créerait une situation de stabilité au nord. Malheureusement, nous en sommes bien éloignés. A ce sujet, je souhaite souligner ici que l'Iran est très profondément impliqué dans le terrorisme en Israël même et dans les pays environnants. Ceci est particulièrement vrai au Liban, où le Hezbollah n'est en fait rien d'autre que le bras de l'Iran, qui lui procure tout ce dont une organisation terroriste a besoin pour bien fonctionner. Depuis peu, le Hezbollah a augmenté son activité dans les territoires, qu'elle coordonne avec le Hamas. Les leaders de ce groupe ont été reçus récemment en Iran. Pour ceux qui avaient encore des doutes sur les intentions de l'Iran, du Hamas et des autres organisations terroristes que j'ai mentionnées, je rappellerai ici qu'au mois de février 2006, le président iranien s'est rendu à Damas, où il avait invité tous les dirigeants du Hamas et de toutes les organisations terroristes que j'ai citées pour une rencontre de travail. Il ne s'agit pas là d'une démarche anodine, Mahmoud Ahmadinejad a voulu montrer au monde entier qu'il souhaite non seulement renforcer sa coopération avec la Syrie, mais qu'il entend bien collaborer avec tous les groupes terroristes, y compris le FPLP. Un maximum de publicité a été donné à cette rencontre, où tous ceux qui sont actuellement liés au terrorisme d'une manière ou d'une autre ont été conviés à se joindre au combat contre Israël et contre l'Occident, combat mené en commun par l'Iran, la Syrie et l'ensemble des organisations terroristes. Il ne s'agit pas d'une nouvelle situation, mais d'un développement qui aggrave considérablement notre situation sécuritaire.
Que faites-vous pour combattre cette nouvelle réalité ?
Comme par le passé, nous continuons d'agir avec tous nos moyens contre le terrorisme, et ce quotidiennement et à tous les niveaux. Nous l'avons fait pendant toute l'Intifada et à ce jour, nous avons eu certains succès et réussi à endiguer quelque peu le terrorisme et ses effets néfastes sur la population. Si vous comparez la situation actuelle à celle d'il y a deux ou trois ans, quand les gens ne sortaient pas dans les cafés et évitaient de prendre le bus, vous pouvez apprécier le travail que nous avons accompli et que nous comptons bien continuer à faire. Au niveau politique, il n'y a aucun contact entre les dirigeants israéliens et ceux du Hamas. Il en est de même pour l'armée car pour nous, il s'agit d'une organisation terroriste et nous la traitons comme telle.
Aujourd'hui, le masque de modération de l'OLP, dont les gouvernements israéliens successifs l'avaient affublé depuis les désastreux Accords d'Oslo, est tombé. Le leadership librement choisi par les populations arabes vivant en Judée, en Samarie et à Gaza est une organisation terroriste dont le but officiellement déclaré est la destruction d'Israël, dont elle nie simplement le droit à l'existence. Pouvez-vous nous dire de quelle manière l'armée d'Israël va réagir sur le terrain face à cette menace ouvertement proclamée ?
Nous allons devoir être beaucoup plus sévères et plus déterminés. Au cours des derniers mois, nous avons mené diverses activités avec les forces de l'OLP. Ceci est bien entendu terminé, car il est totalement exclu de coordonner quoique ce soit avec elles. Nous avons tenté d'aider la population civile en lui permettant de passer plus facilement les points de contrôle. Ceci est aussi terminé. Nous sommes obligés de contrôler chaque individu très sévèrement et ne pouvons plus prendre aucun risque, même mesuré. A plus long terme, nous devons prévoir les conséquences qu'implique l'installation d'un gouvernement du Hamas aux portes de nos villes. Je ne sais pas ce qui se passera au niveau politique, mais je peux vous dire que l'armée mettra tout en ?uvre pour prévenir et combattre le terrorisme et ce sans la moindre hésitation.
Vous nous avez parlé d'une possible augmentation des actes de terrorisme sur les routes de Judée et de Samarie. Comment pensez-vous que celles-ci se dérouleront effectivement ?
Je crains que de nombreux membres du Fatah qui, au cours des derniers mois ont cessé leurs actions terroristes, ne reprennent du service très rapidement, ne serait-ce que pour maintenir leur position au sein de leur société et dans leurs villages respectifs. Je crois que des tirs sur des voitures civiles auront lieu, mais nous sommes prêts à faire face à ce nouveau danger.
Pensez-vous que des roquettes Kassam pourraient être tirées au départ de l'une ou l'autre des villes arabes de Judée ou de Samarie ?
Nous mettrons tout en ?uvre afin de l'éviter. N'oubliez pas que nous sommes présents absolument partout en Judée et en Samarie et que nous intervenons jusqu'au plus profond des villes et des villages arabes. Ceci nous permet d'agir très rapidement dès que nous constatons qu'une telle activité commence à se préparer. Il ne fait aucun doute que les organisations terroristes font tout pour disposer de Kassam en Judée-Samarie mais à ce jour, nous avons pu les en empêcher et j'ai de bonnes raisons de croire que nous allons continuer dans cette voie.
Vous vous préparez donc à faire face à une nouvelle vague de violence. Malgré tout, Israël continue à apporter son aide aux populations arabes des territoires en matière d'aide humanitaire, d'eau, d'électricité, etc. Pensez-vous qu'avec le temps, en raison du terrorisme, ce soutien devra être stoppé ?
Personnellement, je ne pense pas que s'attaquer à l'aide humanitaire que nous apportons à ces populations nous permettra de mieux combattre le terrorisme. Nous devrons tout faire pour combattre la terreur tout en épargnant les personnes qui ne sont pas impliquées dans ce genre d'activités. Il s'agit là d'une opération extrêmement délicate et difficile et il est du devoir de chacun de nos officiers de trouver le moyen d'agir de la sorte.
Quelle est votre évaluation de la situation sécuritaire sur la frontière sud du pays après le retrait unilatéral de Gaza ?
Comme vous le savez, l'armée a dû se redéployer et comme vous pouvez le constater, nous avons malgré tout pu mener à bien un certain nombre d'opérations contre les gens qui tentent de s'infiltrer en Israël pour y commettre des actes de terrorisme. Nous rencontrons un certain nombre de difficultés pour combattre les roquettes Kassam, mais ceci ne constitue pas une nouveauté et n'est en rien lié au retrait de Gaza. Nous allons trouver la solution, nous assistons déjà à une réduction du nombre de ce type d'attaques. Sur le plan militaire, il est toujours mieux d'agir lorsque l'on est effectivement sur le terrain, comme nous le faisons partout en Judée-Samarie. Toutefois, nous n'étions plus présents à Gaza depuis très longtemps. Pour l'instant, à Gaza, nous n'agissons que de l'extérieur, ce qui est très difficile et très risqué.
Récemment, Abou Abbas a déclaré qu'Al-Quaida déploie une certaine activité à Gaza. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Nous savons que cette organisation est très bien implantée tout autour d'Israël, en particulier en Jordanie, où elle a commis un certain nombre d'attentats. Mais elle est aussi présente au Liban et au mois de février dernier, des roquettes ont été lancées par des membres d'Al-Quaida contre des villages juifs situés en Galilée. Nous savons que cette organisation tente de créer des cellules terroristes en Judée-Samarie et à Gaza, mais je ne pense pas que pour l'instant, ceci ait pu se faire. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour l'en empêcher. Cela dit, je crois qu'aujourd'hui, grâce à l'intervention américaine en Irak, les organisations terroristes ont compris que leurs actes ne resteront jamais impunis et qu'avant de se lancer dans quelque chose d'inconsidéré, ils doivent y réfléchir à deux fois. Je ne pense pas que le terrorisme international va diminuer rapidement mais malgré tout, j'estime que la détermination de l'Occident peut avoir des effets positifs.
Pour résumer, votre préoccupation principale réside donc aujourd'hui dans l'essor des organisations terroristes installées en Judée, en Samarie et à Gaza, et dans les conséquences directes sur Israël des dissensions au sein même de ces organisations, qui mèneront inévitablement à une reprise systématique de la terreur. Avez-vous une autre source d'inquiétude majeure ?
Le développement de la capacité nucléaire de l'Iran constitue une menace qui risque de déstabiliser tout le Moyen-Orient. Je pense qu'aucun État de la région ne pourra rester les bras croisés si l'Iran obtient effectivement l'arme atomique.
Pensez-vous qu'avec le temps, Israël, qui est en première ligne, deviendra obligatoirement le «bras de l'Occident» et devra agir en Iran, comme ce fut le cas pour Osirak ?
Je crois que les menaces globales doivent être adressées à la communauté internationale et résolues par cette dernière !!!
L'expulsion des Juifs de leurs foyers à Goush Katif par l'armée d'Israël n'est pas un acte qui est resté sans conséquences au sein de l'armée. De nombreux soldats ont été marqués, pour ne pas dire traumatisés, par la mission qui leur a été imposée. Aujourd'hui, six mois après ces tristes événements, pensez-vous qu'il existe une scission au sein de l'armée entre les soldats religieux et les autres ?
Tout d'abord, je voudrais souligner le fait que l'armée est restée l'élément unificateur de la nation et je peux vous dire que non seulement nous sommes très fiers de cette réalité, mais que nous mettons tout en ?uvre pour maintenir cette situation. Ceci ne signifie pas qu'il n'y a pas de tensions entre les soldats religieux et les non-religieux, mais nous sommes très, très éloignés d'un point de rupture. Je crois qu'il est du devoir des dirigeants de l'armée et de ceux du monde religieux en Israël de tout faire pour mettre un terme à ces tensions, afin que nous vivions ensemble et surtout que la jeunesse religieuse puisse et veuille continuer à apporter sa contribution à l'armée, comme elle l'a fait par le passé et comme elle le fait aujourd'hui. Depuis le retrait de Gaza, nous avons eu deux cessions de recrutement et je peux vous dire que le nombre de jeunes gens religieux en provenance de Judée, de Samarie et anciennement de Gaza qui se sont portés volontaires pour être intégrés dans des unités de combat ou des cours d'officiers n'a en rien diminué, bien au contraire.
Estimez-vous qu'en évitant une rupture au sein de l'armée et en y réduisant les tensions entre religieux et non-religieux, cette situation peut constituer un exemple qui aura des répercussions dans la société civile israélienne ?
Ma réponse est: absolument oui. Il faut savoir que nos jeunes officiers ont su agir de manière appropriée pour réduire les tensions et je dois aussi dire que tout le monde a compris que nous n'avons pas d'autre choix que d'avoir une armée forte et unie, dont la mission principale est de défendre et de protéger le peuple juif en Israël et dans la Diaspora.
Récemment, il y a eu un nombre grandissant de cas où des officiers supérieurs de l'armée israélienne n'ont pas pu se rendre dans des pays européens parce qu'ils risquaient d'être arrêtés et traduits en justice pour avoir accompli leur devoir en Israël. Pensez-vous qu'il est du devoir des Juifs de la Diaspora d'intervenir contre ce genre d'agissements ?
Tout d'abord, je dois vous dire que je suis surpris et déçu par ce genre de situation. Je ne comprends pas que l'Occident, qui vient de vivre plusieurs expériences traumatisantes dues au terrorisme, s'attaque à des hommes qui dévouent une grande partie de leur vie à la lutte contre la terreur. Je pense qu'il est avant tout du devoir des gouvernements occidentaux de tout entreprendre pour que de telles situations ne puissent pas se présenter.
Nous aurions encore pu écouter le Vice-chef d'état-major, le Major général Moshé Kaplinsky, pendant des heures. En m'accompagnant à la porte, il m'a dit: «Faites bien comprendre à vos lecteurs que nous allons continuer à défendre les Juifs en Israël et que notre action ici aura une influence directe sur la situation sécuritaire des Juifs partout à travers le monde, dont nous sommes également responsables».
|