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Sommaire Yougoslavie Printemps 2003 - Pessah 5763

Éditorial – Avril 2003
    • Éditorial

Pessah 5763
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Yougoslavie
    • Josip Erlih [pdf]

Éthique et Judaïsme
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Josip Erlih

Par Par Roland S. Süssmann
Lorsqu'un juif voyage en Europe, en particulier dans les pays de l'Est, deux choix s'offrent à lui: soit faire abstraction totale du passé - soit se laisser envahir par l'immensité de l'horreur que les populations juives ont subie dans ces régions, non pas à travers les siècles, mais il y a 60 ans seulement. Le sol de toutes ces nations est trempé de sang juif et la prise de conscience de cette réalité devient d'autant plus tangible lorsque l'on rencontre un survivant et que l'on écoute son récit. Malheureusement, le temps faisant son œuvre, ces victimes sont en voie de disparition et il est d'autant plus important que leurs témoignages soient diffusés.
A Belgrade, nous avons fait la connaissance de JOSIP ERLIH, témoin à charge au procès de Dino Sakic, dernier commandant du sinistre camp de Jasenovac (voir SHALOM Vol. 37), qui fut séparé de sa famille et déporté le 1er septembre 1942 alors qu'il avait tout juste 14 ans. L'histoire du petit Josip est celle de milliers de jeunes de son âge dont la majorité n'a pas survécu. Le plus frappant dans les récits des survivants de cette région, c'est de réaliser à quel point les Oustachis, qui prenaient un plaisir sadique à commettre leurs exactions, étaient directement soutenus par la population locale et combien cette coopération facilitait la tâche des Allemands. De plus, le cycle infernal intimidation - humiliation - spoliation - déportation - assassinat était très savamment orchestré et il était pour ainsi dire impossible d'y échapper. Le système mis en place par les Allemands avait fait ses preuves et bien entendu, la spoliation des biens juifs (qui, dans la Yougoslavie actuelle n'ont pas encore été restitués), les humiliations et les intimidations ne servaient que de mise en condition à l'assassinat final en masse.
Les parents de M. Erlih furent arrêtés pendant la nuit et son père fut immédiatement déporté vers le camp de Jasenovac, où il est mort fin 1941. Le jeune Josip trouva refuge auprès d'une famille Kon dans le village proche de Koska, où il a vu la manière dont les civils juifs et serbes étaient forcés de nettoyer les rues, à genoux, sous les quolibets et les crachats de la foule, avant d'être déportés à Jasenovac pour y être assassinés dans la plupart des cas, dès leur arrivée. Il a également été témoin tout au long de son périple de fuite, avant d'être lui-même déporté dans le camp de travail et d'extermination de Stara Gradiska, du pillage des biens des appartements juifs et de la destruction par le feu, sur la place publique, des objets cultuels, des Sifré Torah et des livres religieux. Le camp de Stara Gadiska avait une réputation terrible pour les horreurs et les assassinats sous la torture qui s'y déroulaient. "La plupart des gens y entraient par le grand portail et en sortaient par la petite porte, celle du cimetière", nous a rapporté M. Erlih. Dès l'arrivée au camp, les détenus devaient abandonner leurs bagages, on leur laissait quelques habits et un peu de linge, le reste était volé. Les photos de familles étaient systématiquement détruites. Entassés dans des cellules et sous-alimentés, ils étaient contraints aux travaux forcés. Les exactions étaient quotidiennes et, pour illustrer la méchanceté gratuite des gardes oustachis, M. Erlih nous a raconté l'histoire de cette femme à qui un garde oustachi a fait un signe de la main. Lorsqu'elle lui a répondu, il l'a simplement abattue d'un coup de revolver et a continué son chemin sans faire de commentaire, sans se retourner. Un autre jour, environ 50 paysans sont arrivés au camp. Après quelques jours, ils ont été enchaînés, emmenés vers un champ de tir et abattus sous les yeux des autres prisonniers, obligés d'assister au massacre. Les Oustachis ont ensuite donné l'ordre de les enterrer tous..., même ceux qui donnaient encore des signes de vie et qui suppliaient de ne pas être ensevelis vivants ! Outre les exactions, les pendaisons, les fusillades et les tortures, la vie au camp de Stara Gradiska était horriblement pénible. Les maladies faisaient rage et un grand nombre de déportés mouraient d'épuisement, les cadences de travail, en moyenne de plus de dix heures par jour, étant infernales. Les conditions d'hygiène étaient infectes, les corps étaient couverts de poux et de punaises. A l'arrivée de l'hiver, une épidémie de typhus s'est déclenchée mais, afin d'éviter que le camp ne soit "liquidé", ce qui aurait impliqué le massacre de tous les prisonniers, les médecins avaient déclaré qu'il s'agissait d'une maladie particulière intitulée la "grippe de Gradiska". Josip Erlih a été également touché par l'épidémie. Il s'est alors rendu à l'hôpital du camp, constitué de quelques petites pièces bondées réservées aux plus malades. Pour gagner de la place, les gardiens procédaient régulièrement à des "ramassages", c'est-à-dire qu'ils sortaient un certain nombre de malades pour les assassiner. Ayant eu connaissance de cette pratique, Josip avait demandé à son gardien "Cici" de l'avertir et de le faire partir avant qu'une telle opération ne se déroule, ce que fit ce "brave homme", malgré le mauvais état de santé du jeune homme et, grâce à la vigueur de sa jeunesse, il guérit progressivement. Mais le conditionnement des prisonniers était tel que la peur, l'épuisement physique et moral, les mauvais traitements (ils étaient souvent battus), les insultes, les punitions collectives et la famine les rendaient abouliques et donc totalement soumis à la volonté de leurs tortionnaires.
Au printemps 1943, soit trois mois avant son 16e anniversaire, Josip Erlih, fut sélectionné pour être déporté à Jasenovac, sous prétexte qu'il était bon pour le ramassage du foin. Il faut savoir que le camp de Jasenovac était le plus important et le plus cruel de tous. Les Juifs étaient égorgés, presque rituellement, sur les bords de la Sava, enfermés dans des bunkers jusqu'à ce qu'ils meurent de faim ou torturés à mort à l'arme blanche en public. Quant aux enfants, ils étaient simplement étranglés ou enfermés dans une pièce où ils étaient asphyxiés au gaz empoisonné. Selon les documents disponibles, environ 800'000 déportés ont été assassinés à Jasenovac, dont environ 20'000 Juifs. Les victimes étaient des Juifs, des Serbes, des Gitans et des Croates progressistes. L'histoire du génocide perpétré par les Oustachis est très vaste et compliquée et ne peut être résumée en quelques lignes dans un article.
Dès son arrivée, Josip Erlih fut affecté à la fabrique de briques, où le travail était non seulement très pénible, mais où des quotas quotidiens de production extrêmement élevés étaient imposés. Ceux qui n'étaient pas à même de remplir les exigences requises étaient souvent fusillés ou pendus, lorsqu'ils ne l'étaient pas pour le simple plaisir des Oustachis. "Après coup, je crois que l'une des choses les plus graves était le fait que nous étions devenus pratiquement insensibles aux assassinats et aux horreurs qui se déroulaient sous nos yeux", me dit Josip Erlih. C'est à Jasenovac que le jeune Josip a par hasard retrouvé son oncle de Zagreb, M. Marko Polak. C'est lui qui lui apprit de quelle manière ses parents étaient morts; son père après de terribles souffrances, fin 1941; quant à sa mère, elle avait été assassinée dès son arrivée au camp, début 1942, en même temps que certaines de ses cousines déportées dans le même convoi.
En automne 1943, la guerre avançant, la défaite des Allemands et des Italiens devenant de plus en plus évidente, les Oustachis ont commencé à vider progressivement le camp, principalement en assassinant les prisonniers. Les premiers touchés furent ceux qui travaillaient à la fabrique de briques. Ayant eu vent de l'affaire, Josip Erlih avait demandé à son chef, un certain Viner, de le transférer dans l'atelier de fabrication de chaînes, et il fut affecté au secteur de la tôlerie. Mais l'horreur de la vie au camp n'était pas uniquement rythmée par les assassinats et les exactions des gardiens. Des Oustachis débarquaient souvent la nuit dans les baraques pour sélectionner des détenus qu'ils battaient sévèrement, souvent à mort. Leurs camarades d'infortune les ramassaient ensuite, tentant de les soigner ou de les sauver, dans de nombreux cas sans succès.
Au début de l'année 1944, Sakic fut nommé à la tête du camp de Jasenovac et sa femme, encore plus cruelle que lui, s'est vu confier la direction du camp de Stara Gradiska. Les deux firent preuve d'un sadisme et d'une cruauté épouvantables, notamment dès que les avions des alliés commencèrent à survoler le camp. De temps en temps, ils larguaient de petites bombes et, lorsque celles-ci tuaient des prisonniers, les Oustachis disaient: "vos camarades ont été tués par les partisans". Parallèlement, des transports de prisonniers serbes et juifs en provenance de toutes les régions de la Croatie indépendante arrivaient tous les jours au camp de Jasenovac et à un moment donné, quelques survivants juifs du camp de Stara Gradiska, qui avait été liquidé, furent également transférés à Janesovac. Comme les Oustachis craignaient les partisans qui gagnaient de plus en plus de pouvoir et surtout le contrôle des routes, les prisonniers étaient poussés à pied le long du fleuve Sava. Ceux qui ne pouvaient pas courir étaient assassinés et jetés dans le fleuve. Pendant ce temps, dans le camp même, un certain nombre de criminels croates et des Oustachis punis croupissaient. Pour sauver leur peau, ils allaient tous les jours dénoncer un certain nombre de prisonniers serbes ou juifs en disant qu'ils préparaient une évasion. Les gens ainsi faussement dénoncés étaient assassinés le jour même.
Sentant que leur fin était proche, les Oustachis avaient décidé d'une part de ne permettre à aucun de leurs prisonniers de survivre et d'autre part, de faire disparaître les traces de leurs crimes. Les conditions devenaient de plus en plus dures et tous les jours, des hommes étaient transférés de l'autre côté de la Sava où ils étaient jetés vivants dans des puits de plusieurs dizaines de mètres de profondeur. En avril 1945, les combats se rapprochant de plus en plus du camp, ses dirigeants prirent alors la décision de démanteler les rails du train qui passait près de Jasenovac. Ils transportèrent les rails et les placèrent en grille sur un énorme fossé près du fleuve qu'ils remplirent de pétrole et de bois. Ils annoncèrent ensuite qu'une partie des prisonniers, à savoir 700 femmes et enfants, allaient être transférés à Sisak et qu'ils devaient se préparer à partir et à traverser le fleuve. Lorsqu'ils arrivèrent à la hauteur du fameux fossé, les Oustachis mirent le feu et précipitèrent une bonne partie de ces malheureux. "Nous étions sur les toits et voyions ce qui se passait. Comme nous étions des témoins gênants, nous allions être liquidés dans une seconde fournée. Ç'en était trop. Nous décidâmes donc de nous évader." Cette fuite n'était pas une mince affaire mais, avec quelques amis, Josip Erlih réussit à fuir le camp et, après de multiples péripéties, échappant à de nombreux dangers, bravant la faim et la soif, il put rejoindre les partisans.
La tragédie des communautés juives de Yougoslavie ne saurait être évoquée sans mentionner le fait que les Juifs de ce pays avaient décidé de ne pas rester passifs. Malgré les lois antisémites et toutes les restrictions de mouvement que cela impliquait, un bon nombre d'entre eux ont pris les armes et combattu les crimes des occupants et de leurs complices locaux afin que la guerre de libération soit victorieuse. Josip Erlih a rejoint les rangs des partisans, il est ensuite devenu un militaire de carrière et a pris sa retraite avec le rang de major.
En quittant Josip Erlih, celui-ci nous a dit, les larmes aux yeux: "Ce que nous avons vécu durant notre détention à Stara Gradiska et à Jasenovac ne pourra jamais être raconté exactement et mon récit ne constitue qu'une petite évocation des crimes inimaginables qui y ont été commis. Je ne sais pas si j'ai survécu à tout ce que j'ai subi par chance ou par hasard, mais je sais que c'était uniquement pour que je puisse témoigner afin que ceci ne se reproduise plus jamais. J'ai comparu au procès de Sakic pendant cinq heures. J'estime que les crimes qu'il a commis ne seront jamais suffisamment punis. Je suis choqué par le fait que son épouse, qui était pire que lui et qui a assassiné de nombreux prisonniers, ait été libérée par les tribunaux croates. Elle se déplace en toute liberté entre l'Argentine et la Croatie. Toutefois, j'ai témoigné sans animosité et uniquement afin que mon histoire et celle de mes compagnons d'infortune ne soit jamais oubliée."

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