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Sommaire Analyse Printemps 2003 - Pessah 5763

Éditorial – Avril 2003
    • Éditorial

Pessah 5763
    • Identité et existence

Politique
    • Et après ? [pdf]

Interview
    • Un défi de taille

Recherche scientifique
    • Excellence et tradition
    • Le secret du ribosome

Judée - Samarie - Gaza
    • Migron [pdf]

Shalom Tsedaka
    • Rien ne vaut une vie ! [pdf]

Analye
    • Divorce politique [pdf]

Analyse
    • Impuissance ou indifférence ?

Œnologie
    • Le'hayim !

Reportage
    • Volonté - Endurance - Succès [pdf]

Pologne
    • Une tentative de réparation
    • Mémoire et espoir [pdf]

Union Serbie - Monténégro
    • Jérusalem et beograd
    • Savez jevrejskih opstina jugoslavije
    • Quatre enterrements... et un mariage !
    • Hier - aujourd'hui - demain ? [pdf]
    • Quo vadis serbia ? [pdf]
    • Jevrejski istorijski muzej
    • La Shoa en Serbie

Yougoslavie
    • Josip Erlih [pdf]

Éthique et Judaïsme
    • Responsabilité filiale

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Impuissance ou indifférence ?

Par le Dr Pamela Schatzkes *
Il est généralement admis que les efforts du judaïsme anglais pour secourir les Juifs d'Europe pendant les années 30 et 40 étaient minimes, parfaitement inadaptés à la situation, entrepris sans grande conviction et menés de façon totalement inefficace. De nouvelles recherches et une réévaluation radicale du sujet démontrent qu'au contraire, le judaïsme anglais était loin d'être indifférent à la tragédie et qu'il a déployé des efforts tenaces pendant toute cette période. Il faut aussi souligner que le leadership juif de Grande-Bretagne a été appelé à jouer des rôles différents avant et pendant la guerre, rôles pour lesquels il n'était pas qualifié de façon adéquate.
Dans les années d'avant-guerre, il a obtenu des résultats remarquables, faisant jouer son expertise administrative, fournissant des garanties financières de subsistance et réussissant ainsi à secourir plus de 50'000 réfugiés juifs. Exploit d'autant plus impressionnant quand on prend en compte l'ampleur du désastre, les contraintes imposées par les règlements de la politique d'immigration britannique et l'absence chronique de fonds.
Les efforts surhumains du judaïsme anglais dans les années d'avant-guerre n'ont pas été reconnus à leur juste valeur. En avril 1933, les dirigeants du judaïsme anglais se sont engagés de façon formelle vis-à-vis du gouvernement britannique à assumer la totale responsabilité de l'accueil des réfugiés juifs, prenant toutes les charges à leur compte. C'est uniquement grâce à cet engagement et au soutien financier de la communauté juive anglaise fourni par la suite, que le gouvernement britannique a alors autorisé l'entrée des réfugiés juifs d'Allemagne et d'Autriche. Entre 1933 et 1939, la communauté juive anglaise a rassemblé plus de trois millions de livres sterling, somme considérable en période de dépression économique, pour une communauté comptant à peine plus de 330'000 membres.
D'autre part, les organisations juives anglaises ont souvent été accusées d'avoir eu recours à des procédés de sélection discriminatoires à l'égard de certains des réfugiés. En effet, elles avaient estimé au début que le nombre des réfugiés n'excéderait pas 3000 ou 4000 personnes. Quand il s'est avéré qu'il s'agissait d'un nombre beaucoup plus élevé, après la Kristallnacht (en novembre 1938), les Juifs anglais ont dû se livrer à des choix difficiles, favorisant ceux qui pouvaient fournir une garantie financière privée ou encore ceux, comme les jeunes, susceptibles d'émigrer ailleurs, une fois parvenus en Angleterre. Les ressources humaines et financières requises pour faire face au désastre étaient infiniment plus élevées que ce que les dirigeants juifs anglais avaient pu imaginer et se situaient bien au-delà de leurs capacités.
Il est intéressant de relever qu'en dépit de la sélection, près de 80'000 visas ont été émis entre le 1er mai 1938 et le 31 mars 1939. On sait toutefois aujourd'hui que la grande majorité des récipiendaires de ces visas britanniques ne sont jamais arrivés en Angleterre. Pourquoi ? Sans doute, beaucoup de ces réfugiés ont éprouvé des difficultés à boucler leurs affaires en Allemagne et à se procurer les autorisations nécessaires pour quitter ce pays. D'autres s'étaient peut-être procuré les visas comme police d'assurance et les avaient gardés en réserve jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour en faire usage. Mais plusieurs milliers de détenteurs de ces visas, qui auraient pu légalement entrer en Grande-Bretagne durant les mois précédent le début de la guerre, ne l'ont pas fait. On peut cependant se poser la question de savoir de quelle façon le judaïsme anglais aurait dû et pu réagir face à un tel afflux. Il reste certain qu'en réalité, ces réfugiés n'ont pas été rejetés.
On a également reproché au judaïsme anglais d'avoir fait venir de nombreux enfants par le Kindertransport (1938-1939) pour ensuite les placer dans des familles adoptives non-juives, où ils ont été élevés dans la foi de leurs tuteurs. Il se trouve qu'en dépit du vif désir des organisations de réfugiés de placer les enfants dans des foyers appropriés, cela n'a pas été possible dans tous les cas, les nombreux appels lancés aux familles juives pour qu'elles leur offrent l'asile n'ayant pas suscité suffisamment de réponses.
Concernant les années de guerre elles-mêmes, les critiques à l'encontre du judaïsme anglais sont encore plus sévères; le leadership s'est vu accusé d'avoir placé ses propres intérêts étroits avant ses responsabilités morales. En fait, la communauté juive anglaise, dépourvue de tout pouvoir politique, n'était pas en mesure de faire quoi que ce soit sinon de négocier et d'user de persuasion pour convaincre le gouvernement d'agir. Pour réussir, il ne s'agissait plus de déployer des talents administratifs mais des talents politiques. Son manque d'expérience politique et d'habileté diplomatique a tragiquement ôté au leadership juif toute capacité d'influence. L'indifférence britannique face à la catastrophe juive était la conséquence directe des problèmes d'immigration en Grande-Bretagne et en Palestine que le sauvetage des Juifs européens allait, selon les autorités, immanquablement entraîner. L'indifférence du gouvernement britannique face à la catastrophe du judaïsme européen était fondée sur le concept suivant: le sauvetage des Juifs poserait des problèmes d'immigration aussi bien en Grande-Bretagne même qu'en Palestine; une immigration juive vers l'Angleterre, qui ne serait pas strictement réglementée, provoquerait une aggravation importante de l'antisémitisme; finalement, des ressources importantes, utiles à l'effort de guerre, seraient vilipendées dans une opération aventureuse, périlleuse et pratiquement sans espoir de réussite. Le Livre Blanc publié en mai 1939 fixait une limite totale de 75'000 immigrations en Palestine jusqu'en mars 1944, date à partir de laquelle aucun Juif ne serait autorisé à immigrer sans l'accord arabe. Cette mesure a eu pour effet d'éliminer la Palestine comme principale voie de secours pendant la guerre. La politique britannique avait pour objectif de maintenir la sécurité intérieure et la stabilité au Moyen-Orient. Elle estimait nécessaire d'apaiser les Arabes afin de prévenir toute vague de sentiments anti-britanniques à un moment où la Grande-Bretagne ne pouvait se permettre d'envoyer dans la région des militaires en grand nombre.
En outre, le gouvernement britannique a toujours refusé d'admettre que les Juifs européens constituaient un cas spécial, digne de mesures de sauvetage et d'assistances particulières. Il est donc volontairement resté sourd aux appels et s'est constamment refusé à faire des déclarations de mise en garde soulignant la situation critique des Juifs (une seule déclaration dans ce sens fut émise, en décembre 1944). Il a manifesté une semblable réticence pour la reconnaissance d'une identité juive nationale. A son avis, cela risquait de renforcer la propagande allemande selon laquelle les Alliés menaient une "guerre juive", de compliquer la politique britannique palestinienne et de créer des problèmes de rapatriement après la guerre.
Après la confirmation fin 1942 des rumeurs concernant la Solution finale et le plan du génocide nazi, le leadership du judaïsme anglais a formulé une série de propositions, au taux d'efficacité variable: une journée de prières et de jeûne a été organisée, suivie d'une manifestation publique; des délégués sont intervenus auprès du gouvernement pour susciter des débats parlementaires et tenter d'obtenir la médiation du pape. Ils ont suggéré d'ouvrir les portes de la Palestine sans limitations aux réfugiés, de tenter de faire intervenir les Pouvoirs protecteurs, les pays neutres et le Comité international de la Croix-Rouge. Certains ont émis l'idée de faire diffuser des émissions au service européen de la BBC d'autres, le lancement de tracts au-dessus de l'Allemagne. Autre proposition: accorder aux Juifs des ghettos de Pologne le statut de prisonniers de guerre, afin qu'ils puissent recevoir des colis de nourriture et bénéficier de la protection prévue par les termes de la Convention de Genève. Peu de ces initiatives ont obtenu une réaction favorable, avant tout en raison de la priorité britannique accordée à l'effort de guerre et le refus catégorique du gouvernement de négocier avec l'ennemi. Les autorités ont souligné à chaque reprise que la victoire des Alliés constituait le seul moyen d'aider le judaïsme européen. Corollaire de cette position: l'impératif absolu de faire passer l'effort de guerre avant toute autre chose.
Les opinions concernant le rôle de Winston Churchill dans le destin des Juifs d'Europe sont toujours fort divisées. Il semble avoir été suffisamment affecté pour faire, à diverses occasions, des déclarations publiques en leur faveur. Churchill s'est également exprimé avec vigueur en privé au sujet de la Shoa, écrivant à Anthony Eden en juillet 1944: "Il ne fait pas de doute que ceci est probablement le crime le plus grand et le plus horrible jamais commis dans l'histoire du monde." Michael Cohen affirme toutefois que Churchill n'était "pas totalement dénué de préjugés anti-juifs", tout en reconnaissant qu'il était sans doute "profondément bouleversé" par les persécutions nazies subies par les Juifs. M. Cohen maintient que "les sentiments humanitaires... furent rarement, sinon jamais, traduits en assistance concrète".
Il existe diverses opinions concernant le degré d'antisémitisme des milieux officiels britanniques. Certains historiens estiment que l'antisémitisme a joué un rôle majeur dans les prises de décision du gouvernement britannique. Yehouda Bauer affirme que "les documents britanniques attestent... que dans les considérations de la position britannique entrait une bonne part d'antisémitisme, ouvertement exprimé dans les débats internes". Il y avait sans aucun doute de l'antisémitisme au Foreign Office, comme en font foi les commentaires individuels franchement désobligeants de certains fonctionnaires. Il est également sûr que le sauvetage des Juifs d'Europe ne figurait pas parmi les objectifs de guerre des Alliés. Mais tout cela ne prouve pas que la politique britannique des années de guerre ait été activement antisémite. Les faits ne permettent pas de contredire l'affirmation de Bernard Wasserstein selon laquelle "un antisémitisme conscient ne doit pas être considéré comme une explication adéquate du comportement officiel".
Les périodes les plus critiques de la catastrophe du judaïsme européen ont coïncidé avec les batailles les plus décisives pour les gouvernements britannique et alliés: l'insistance des organisations juives intervenait donc au moment le moins propice pour trouver une oreille compatissante. Ainsi, au cours de l'été 1944, les déportations de Hongrie ont coïncidé avec le jour J du débarquement des alliés. En plein milieu de la guerre, les efforts du judaïsme anglais étaient doublement importuns et constituaient une source d'irritation pour les fonctionnaires du gouvernement, tenus à une Realpolitik plutôt qu'à une "politique éthique", concept formulé après la Deuxième Guerre mondiale.
En dépit du désespoir et des bonnes intentions des dirigeants du judaïsme anglais - dont le professeur Selig Brodetsky, militant sioniste et président du Board of Deputies of British Jews, l'institution représentant officiellement le judaïsme anglais - , il faut avouer que leur démarche était empreinte d'une certaine naïveté. Des propositions irréalistes furent soumises, dont celle datant du début 1943, qui suggérait de faire évacuer deux millions de Juifs d'Europe, opération qui aurait été considérée comme absurde même en temps de paix; la requête constamment réitérée d'ouvrir les portes de la Palestine alors que le gouvernement britannique était clairement intransigeant à ce sujet; une autre proposition suggérait de demander à Hitler la libération de toutes les femmes et de tous les enfants juifs. Les problèmes logistiques et militaires impliqués par toutes ces stratégies n'ont jamais été vraiment pris en considération.
Y avait-il seulement une proposition qui aurait pu aboutir ? Il se trouve que certains plans de sauvetage inventifs et aux objectifs de modeste portée ont parfois réussi. Le rabbin Dr Solomon Schonfeld avait mis au point, de façon indépendante, un plan destiné à fournir des visas pour l'île Maurice à un petit nombre de réfugiés. Le simple fait de posséder un tel visa a parfois permis à leurs détenteurs d'échapper à la déportation, peu importait qu'il soit ou non utilisé. Schonfeld savait que le gouvernement britannique se montrerait favorable à ce plan, qui pouvait servir d'objection aux critiques soulevées par son traitement des immigrants juifs illégaux déportés de Palestine et détenus justement sur l'île Maurice depuis novembre 1940. Si la stratégie de l'île Maurice a réussi, c'est aussi parce que Schonfeld avait commencé par une requête modeste, avec une liste de 30 noms, qui augmenta progressivement à 100; en fin de compte, plus de 1000 personnes ont ainsi été sauvées.
Le judaïsme anglais était loin d'être indifférent à la tragédie des Juifs d'Europe mais il n'avait pas les moyens d'agir de façon directe. Son échec presque total doit être attribué en partie à sa propre naïveté diplomatique, mais principalement à l'indifférence du gouvernement britannique face au destin d'une minorité ethnique étrangère en temps de conflit global. Toutefois, tout en reconnaissant leur maladresse déplorable, il faut admettre que les dirigeants du judaïsme anglais ont eux-mêmes été pris dans le tourbillon d'une immense tragédie et n'en sont donc pas moins dignes de respect.

* Le Dr Pamela Shatzkes est écrivaine et professeur à la "London School of Economics and Political Science".

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