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Sommaire Lituanie Automne 2001 - Tishri 5762

Éditorial - Automne 2001
    • Éditorial

Roch Hachanah 5762
    • Les sources de l’espoir

Politique
    • Israël sans stratégie politique

Interview
    • Pragmatisme et optimisme
    • Terreur et stratégie
    • Le véritable «nouveau Moyen-Orient»
    • Arabe pur sang !

Judée – Samarie – Gaza
    • Kfar Adoumim

Art et Culture
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Recherche scientifique
    • Un missile dans le ventre !

Jeunes leaders
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Lituanie
    • Palingénésie impossible
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    • Excellence et anéantissement
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    • Un signe venu de l’au-delà
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    • Ni Vilna – Ni Vilno - Mais Vilné !
    • Mammé louchen in Vilné !
    • «Dos is geven unser Glick !»
    • Lituanie quo vadis ?
    • Ambivalences lituaniennes
    • La mémoire en images

Éthique et Judaïsme
    • Entre prudence et panique

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La mémoire en images

Par Roland S. Süssmann
«Après tout, j’étais quand même très humain. Lorsque je devais abattre une femme qui tenait un enfant, je tuais toujours d’abord la mère, afin qu’elle ne vive pas la douleur de voir mourir son bébé dans ses bras. Voici l’un des nombreux aveux que le remarquable cinéaste lituanien SAULIUS BERZHINIS a enregistrés lorsqu’il a interviewé des auteurs des crimes les plus abjects commis contre des Juifs en Lituanie par des Lituaniens pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Le temps presse – les survivants et les assassins meurent jour après jour, souvent sans avoir pu témoigner ni raconter leur terrible calvaire ou, pour les meurtriers, sans avoir tenté de soulager ce qui leur sert de conscience, dans la mesure où ils en ont une.
Saulius Berzhinis est très au fait de cette réalité car, depuis 1992, il collecte des témoignages. Bien avant que Steven Spielberg ne lance son projet de vidéothèque mondiale de la mémoire, il avait commencé à interviewer et à filmer des survivants, des témoins et des assassins. Sa démarche l’a ainsi mené à faire plus de 40 expéditions en Lituanie, en Lettonie et en Biélorussie. Il a immortalisé des informations sur la vie culturelle, sociale, religieuse et économique des minorités nationales annihilées pendant la Shoa. C’est sur les lieux mêmes des crimes et là où tous ces gens ont vécu que plus de 200 heures de souvenirs et de dépositions ont été filmées. Le cinéaste a ainsi interrogé des survivants, des sauveteurs, des spectateurs et surtout des assassins. Il a réalisé des films comme «Farewell, Yerushalayim de Lita», 1994, un documentaire sur la civilisation des Juifs de Lituanie, «Days of Memory», 2000, qui rapporte le premier colloque où Juifs et Lituaniens, survivants, historiens et politiciens, se sont rencontrés pour la première fois depuis la guerre (en 1993), «The way to Treblinka», réalisé pour la BBC en 1997, «The People», 1998, documentaire sur les prisonniers lituaniens dans le goulag soviétique, «The Bridgestone banner», 1988, plusieurs fois primé et qui a obtenu le Grand Prix du film de Oberhausen. Bref, la liste des œuvres de Saulius Berzhinis est longue et passionnante.
En 1992, la fameuse affaire de «la réputation injustifiée des meurtriers lituaniens de Juifs» a été lancée par le procureur de la République d’alors, M. Arturus Paulaskas, actuellement président du Parlement, qui disait que les accusations contre les criminels de guerre n’avaient aucune base légale, qu’en fait ils avaient été victimes des injustices soviétiques et qu’ils méritaient d’être réhabilités. A la demande d’une société de production cinématographique de Hambourg, Saulius Berzhinis a alors réalisé un film intitulé «Taboo in the Times of Freedom», qui démontrait la validité légale des accusations portées contre la Lituanie et son système de réhabilitation des anciens assassins de Juifs. A l’occasion de cette production, le cinéaste, qui pourtant avait déjà fait quelques recherches dans le domaine, réalisa combien de choses étaient cachées, combien de vérités, de drames et de crimes étaient inconnus, volontairement ou par manque d’intérêt. De plus, beaucoup de gens nés après la guerre avaient des parents ayant vécu en Lituanie pendant cette période, à qui ils n’avaient pas l’intention de poser des questions. Lors de l’avènement de la nouvelle indépendance de la Lituanie, M. Berzhinis et son équipe commencèrent à voyager en Europe occidentale. Ils rencontrèrent de nombreux Juifs d’origine lituanienne qui avaient survécu à la Shoa et qui leur racontèrent des histoires sur la guerre et les crimes commis par des Lituaniens, dont ils n’avaient jamais entendu parler.
Parallèlement à son activité de cinéaste, Saulius Berzhinis fonda une institution qui porte le nom de «Alternative Holocaust Archive in Lithuania». Il prit cette initiative lorsqu’il se rendit compte qu’il était très difficile de trouver du matériel d’époque tels que des documents ou des photos, la majorité ayant été détruits, cachés ou simplement oubliés. L’un des buts de ces archives est également de récolter des noms et des visages de Juifs ayant vécu en Lituanie. Par exemple, lorsque dans un village il interviewait des personnes âgées sur leurs anciens voisins juifs disparus et qu’il leur demandait si elles n’avaient pas des photos d’époque, il s’entendait souvent répondre: «Nous en avions sur les murs mais avec le temps, nous les avons tapissés à plusieurs reprises et il doit certainement y en avoir encore sous les couches de papier.» En grattant une, deux ou trois épaisseurs de tapisserie, des photos apparaissaient soudain et, dans la plupart des cas, elles étaient récupérables. Cette collecte a également pour objectif de compléter et d’enrichir une série de photos qui illustrera un livre en préparation, dont la base photographique vient des archives du Vilna Gaon State Museum. Dans cet ouvrage, dont le titre sera « …The faces returned», les illustrations seront accompagnées de poèmes ou de versets extraits des écrits d’Abraham Sutzkever, Menke Katz, Chaim Grade, Moshé Kulbak, etc. Ce mélange de poésies et de photos devrait permettre au lecteur de retrouver un peu de l’atmosphère de la vie juive d’avant-guerre en Lituanie. Il sera distribué dans les écoles et les universités. Le but d’une telle publication est de combattre les préjugés et les mythes basés sur l’ignorance et qui entretiennent l’antisémitisme.
Une autre activité de ce centre est le recensement des anciens cimetières juifs, dont la plupart ont été détruits dès le début de l’occupation allemande, les pierres tombales ayant été utilisées dans le bâtiment et les chaussées. Cette recherche doit avant tout permettre de retrouver des noms et de rétablir la mémoire des personnes qui ont vécu en Lituanie.
Dans cet esprit, les personnes âgées sont interrogées sur leurs souvenirs concernant la vie juive d'avant la guerre, mais aussi sur ce qu’elles ont vu pendant la Shoa. A ce sujet, la société lituanienne est en fait divisée en plusieurs catégories en ce qui concerne son attitude envers les Juifs: les auteurs des crimes, les indifférents, les participants passifs - par exemple les voleurs des biens immobiliers des Juifs ou de leurs avoirs sous la menace alors que ces derniers se cachaient -, les sympathisants mais qui ne les ont pas aidés, et enfin cette infime minorité de héros parmi les héros qui leur ont apporté un véritable secours. Il faut bien comprendre qu’à l’époque, le fait de cacher un Juif ou une famille constituait un acte tout à fait particulier. En effet, la présence allemande en Lituanie étant très puissante et solidement installée, il n’y avait aucun espoir qu’elle reparte un jour. Donc, si quelqu’un acceptait d’héberger une famille, cela pouvait être pour toujours, avec tous les risques quotidiens que cela impliquait. Au fur et à mesure de la récolte des témoignages, l’atmosphère de l’époque devint de plus en plus claire et tangible pour S. Berzhinis. Il se rendit compte que les Juifs étaient des condamnés à mort ambulants. Par conséquent, les personnes qui allaient dans les appartements et les maisons pour se servir ou, pire, qui arrêtaient un Juif dans la rue pour le raquetter en lui demandant sa montre ou son argent, n’estimaient pas faire quelque chose de mal. Le Juif allait mourir, il n’avait plus besoin de toutes ces choses bassement terrestres. C’est dans cette logique qu’en toute bonne foi, les actes de cruauté les plus barbares étaient commis à leur égard. Mais la collecte des témoignages a mené à un développement inattendu. En effet, en interrogeant des témoins oculaires des massacres de Juifs, M. Berzhinis a réalisé qu’en Lituanie se trouvait un grand nombre de charniers inconnus. Il a donc décidé d’ajouter un but aux activités de son centre d’archives et de mettre en place une équipe avec pour unique objet de retrouver des charniers inconnus. Son organisation est la seule qui s’occupe de rechercher ces fosses communes cachées et à ce jour, environ deux cents charniers ont été officiellement recensés. L’un des témoins a notamment raconté que lorsque les troupes russes ont quitté la Lituanie en 1941, de nombreux Juifs les ont suivis afin de trouver refuge en Russie. Or l’Armée rouge ne laissait entrer que les communistes, les autres personnes étaient refoulées. A Utmerge, les Lituaniens savaient que les Juifs allaient revenir sur leurs pas. Ils les ont donc attendus, les ont agressés, totalement dépossédés et finalement tués à coups de barres de fer et enterrés sous une route, dans une forêt, afin que les corps ne soient jamais retrouvés. A 200 mètres du charnier se trouvait une vieille maison où vivait un Lituanien qui avait tout vu. Le Centre commence à être connu, il est régulièrement contacté par des survivants qui veulent témoigner et raconter ce qu’ils savent, ce qu’ils ont vu et qui, par la même occasion, désignent des endroits où ils se rappellent qu’il y a des charniers. De plus, des vétérans de la Wehrmacht, qui étaient en route pour occuper la Lituanie et qui ont été témoins des massacres de Juifs par des Lituaniens, se mettent aujourd’hui en rapport avec le Musée juif ou le centre de M. Berzhinis afin de leur signaler les lieux dont ils se souviennent.
Mais l’action la plus importante de Saulius Berzhinis réside dans ses interviews filmées de Lituaniens qui ont assassiné des Juifs de leur propre initiative ou collaboré activement avec les Allemands. Il a retrouvé 18 assassins et tous ont consenti à être interviewés et filmés. Les motifs pour lesquels ils ont accepté de parler sont nombreux: soit ils n’ont plus rien à perdre, ayant été condamnés par des tribunaux soviétiques et purgé leur peine, soit ils souhaitent se débarrasser d’un poids avant de mourir, soit c’est un moyen pour eux de continuer leur action. C’est ainsi qu’un meurtrier a commencé sa «carrière» alors qu’il n’avait que treize ans. Il avait bu et ses compagnons de boisson l’avaient incité à tuer un Juif sous les effets de l’alcool. A son réveil, se rendant compte de son acte, il voulut se suicider. Ses amis l’ont alors conduit chez le curé du village qui lui a expliqué qu’il avait très bien agi, car il avait vengé le crime commis par les Juifs contre Jésus. L’homme s’est ensuite engagé dans le terrible XIIe bataillon, connu pour ses exactions et exécutions en masse. Il a personnellement assassiné des centaines de Juifs en Biélorussie. Dans l’interview avec Berzhinis, il a notamment déclaré: «Vous comprenez, pendant la guerre, l’Église jouait correctement son rôle, car elle combattait les Juifs. Après, elle est tombée sous l’influence des Soviets et s’est mise dans son tort. D’ailleurs, toute la politique de conciliation de Jean Paul II à l’égard des Juifs est simplement répugnante.»
Il est intéressant de noter que des noms de criminels ont été retrouvés dans les archives du KGB, grâce à des témoins de scènes de massacres auxquelles ils avaient passivement assisté ou à des survivants qui connaissaient leurs bourreaux, car il s’agissait en fait de voisins ou d’amis. Toutefois, il n’est pas rare que ces derniers refusent de divulguer des noms craignant, aujourd’hui encore, d’être tués par leurs agresseurs d’hier.
Les témoignages de ces meurtriers sont primordiaux, car ils démontrent à quel point ils étaient conscients de leurs actes, dont ils tirent encore aujourd’hui une grande fierté. Nous avons écouté longuement Saulius Berzhinis nous parler de ses rencontres avec ces meurtriers. Aucun n’a de regrets, quelques-uns tentent de se justifier en disant qu’ils étaient forcés d’agir ainsi et qu’en fait, ils sont des victimes des circonstances. Ils combattaient le communisme et les partisans, par conséquent leurs agissements étaient justifiés.
Saulius Berzhinis a encore de nombreux projets, tous plus passionnants les uns que les autres. Il a conclu notre très longue conversation en disant: «Pour moi, l’Holocauste n’a pas tué uniquement la grande majorité de la communauté juive de Lituanie, cela a été l’assassinat et le point final de l’un des plus grands centres, plusieurs fois centenaire, de la culture juive dans le monde. Personne n’a le droit d’oublier ce qui existait ici. Pour ma part, je viens de terminer un film qui s’appelle «The end of the road» (La fin de la route) où, en coopération avec le professeur Dovid Katz, j’ai recueilli les témoignages des derniers Juifs de «Lité» parlant yiddish. Cet acte de mémoire constitue un devoir que je ressens profondément, bien que n’étant pas juif.»
Ce que le cinéaste Saulius Berzhinis ne nous a pas dit, c’est que son honnêteté intellectuelle et son objectivité historique lui ont valu de nombreux ennuis et blocages professionnels.
Ses films méritent d’être vus et diffusés, les responsables des services de documentaires des grands studios et chaînes de télévision ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, ils lui confient régulièrement des missions et lui offrent de participer à des coproductions.


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