Dans notre périple à travers les terres exclusivement juives de Judée, de Samarie et de Gaza, nous avons décidé de faire halte aujourd’hui dans le village de KFAR ADOUMIM, situé à quelques kilomètres de Jérusalem en plein désert. Mais en quoi ce charmant village où vivent environ 270 familles est-il différent des autres localités juives en Israël ? Sa particularité réside dans le fait que contrairement aux autres agglomérations de ce type, Kfar Adoumim est la concrétisation d’un projet purement idéologique et non politique ou stratégique. En effet, toute l’idée de ses fondateurs était de faire cohabiter harmonieusement une communauté de Juifs religieusement pratiquants et non pratiquants.
Pour certains, c’était «mission impossible», mais la réalité sur le terrain a démontré qu’avec un peu de bonne volonté de part et d’autre, une telle aventure est non seulement réalisable, mais peut aussi être couronnée de succès. C’est ainsi que depuis un peu plus de vingt ans, les résidents de Kfar Adoumim vivent quotidiennement une expérience unique en Israël.
Mais comment tout cela a-t-il commencé ?
En 1976, soixante familles membres de trois groupes politiques, le syndicat de la Histadrouth, le Betar et le Goush Emounim (le bloc de la foi), habitaient dans un petit endroit appelé alors «Mishor Adoumim» (qui depuis a connu un essor remarquable). Au cours d’une assemblée générale, tous les habitants se sont réunis afin de décider de l’avenir de leur bourgade, à savoir s’il fallait maintenir son statut communautaire et villageois ou entreprendre la planification nécessaire afin de transformer progressivement Mishor Adoumim en une ville plus importante. C’est cette dernière solution qui a été retenue. Quelques familles en faveur de la première idée ont alors décidé de partir et ont demandé l’autorisation de s’installer sur une autre colline et de fonder la nouvelle agglomération de Kfar Adoumim. Elles ont alors pris la décision d’y créer une école où religieux et non religieux pourraient bénéficier d’un enseignement commun qui permettrait à chaque enfant d’apprendre à connaître cet autre groupe de la société israélienne dont il se sent exclu. Dans le village, l’acceptation et le respect de «l’autre» se reflètent à tous les niveaux de la vie. C’est ainsi que des personnes non religieuses tentent de vaquer à leurs activités laïques le jour du shabbat de manière à ne pas déranger leurs voisins pratiquants qui, à leur tour, font des efforts pour ne pas imposer leur mode de vie. Toutefois, il est assez courant que des personnes non pratiquantes maintiennent une cuisine cachère afin que leurs enfants puissent recevoir leurs camarades de classe religieux pour des repas.
Mais c’est au niveau scolaire que cette expérience prend sa véritable dimension et surtout prépare les enfants à un avenir où l’entente entre Juifs de tous bords et le respect constituent la règle numéro un. L’école compte 270 enfants, âgés de 6 à 15 ans, dont la majorité vit à Kfar Adoumim. Seuls quelques-uns viennent des deux villages juifs avoisinants, Alon et Noféh Prat, deux agglomérations qui fonctionnent exactement selon l’exemple de Kfar Adoumim. Dans l’école même, la proportion entre «religieux et non religieux» est d’environ moitié – moitié, ce qui ne signifie pas qu’une partie est strictement orthodoxe et l’autre totalement libérale, mais que tout le spectre des différents niveaux de religiosité est représenté. Dans l’ensemble, les études sont assez individualisées, il y a des cours communs et des leçons de matières juives plus fréquentes et élaborées pour les enfants issus de familles pratiquantes. Toutefois, un certain nombre d’activités intellectuelles, en particulier l’enseignement de l’art, dont le but est de donner aux jeunes une large ouverture d’esprit, sont fréquentées par tous, ce qui contribue largement à la consolidation de l’harmonie. Le village étant situé dans le désert, un fort accent est mis sur l’étude des éléments naturels environnants qui sont d’une richesse inouïe. Cet enseignement a également pour but de renforcer l’identité juive des enfants en raison du lien profond qui existe entre le peuple juif et le désert, dont en fait il est issu. De plus, un programme d’instruction de la préservation de la nature, de la protection de l’environnement, des sciences naturelles, des relations entre l’homme et l’animal et de la vie en tant que telle est très poussé dans le cadre de l’école. Il s’agit d’ailleurs d’une activité très prisée par les élèves, car il leur arrive très souvent de trouver de petits animaux dans le désert qu’ils apportent à l’école pour les soigner, les nourrir et les étudier. Bien qu’intégrée dans l’établissement, la salle zoologique est considérée comme activité extra-scolaire et donc intégralement financée par les parents des écoliers.
Dans la situation politique actuelle, une question majeure se pose, qui est de savoir comment les enfants et les adolescents de cette école réagissent face à la violence arabe. Dans une conversation avec le directeur de l’école, Daniel Steiner, celui-ci nous a notamment déclaré: «Dans l’ensemble, notre village et ceux environnants sont relativement calmes si bien que nos jeunes ne sont pas directement confrontés à la violence, comme c’est le cas dans d’autres régions de Judée et de Samarie. De plus, il est curieux de constater qu’en général, la population de nos contrées est nettement moins inquiète, pour ne pas dire plus téméraire, que celle des villes. Cela étant dit, nous sommes à l’écoute de nos élèves à qui nous demandons d’exprimer leurs craintes et leurs angoisses et que nous dirigeons au mieux de nos possibilités. Il s’agit avant tout d’une aide psychologique complémentaire à celle que leur apportent leurs parents.»
Il est intéressant de constater que l’expérience de réunir des enfants religieux et non religieux n’est pas prévue dans les programmes du Ministère de l’Éducation. Il en découle qu’un certain nombre d’activités qui sont justement liées à cette tentative d’harmonisation sont financées par les villageois qui souhaitent vraiment que leur idée continue à être couronnée de succès. Contrairement à d’autres écoles du même type en Israël qui, dans de nombreux cas, bénéficient des bienfaits d’un seul ou de plusieurs mécènes et où des élèves religieux et non religieux se côtoient, l’école de Kfar Adoumim est au centre d’une expérience de vie globale. Cela signifie que lorsque les élèves quittent l’école, ils continuent à fréquenter leurs petits camarades dont les parents ont une conception différente de la vie religieuse.
Dans une conversation à bâtons rompus avec Mme Hagit Ariel qui, avec son mari Ouri (voir SHALOM Vol. 30) est l’un des couples fondateurs de Kfar Adoumim, celle-ci nous a notamment déclaré: «A une époque où l’entente et la compréhension mutuelle au sein du peuple juif sont de toute première importance afin de renforcer la cohésion entre nous, il est primordial que des expériences de vie commune aussi bien réussies que celle de Kfar Adoumim puissent bénéficier d’un soutien financier et moral important de l’ensemble du peuple juif. Malheureusement, les responsables qui cherchent à collecter des fonds pour le développement de notre école ont énormément de difficultés à se faire entendre et comprendre, d’une part parce que notre village est situé en Judée et que de nombreuses organisations juives ne soutiennent pas les projets se trouvant sur cette terre, et d’autre part parce que l’expérience et ses résultats ne sont pas assez connus.»
Ce qui se passe à Kfar Adoumim va bien au-delà d’une simple expérience de vie commune entre Israéliens non pratiquants et religieux. Les efforts d’une telle cohabitation réalisés par les habitants de ce village tant au niveau financier que quotidien constituent un exemple vivant pour tout Israël. Elle a de fortes chances de jouer un rôle de taille dans l’évolution des relations entre ces deux pans de la société juive en Israël et dans la Diaspora.
L’école de Kfar Adoumim mérite notre soutien à tous !
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