Un musée ne constitue pas un ensemble d’objets morts et désuets assemblés pour satisfaire la curiosité du visiteur, mais une institution vivante qui a un message. Le Musée juif d’État de Lituanie est non seulement porteur d’un certain nombre de vérités qu’il transmet avec solennité, mais il constitue un acte de mémoire tourné à la fois vers un passé glorieux et vers l’avenir. Outre son aspect purement éducatif sur le passé de la vie juive en Lituanie et les horreurs de la Shoa et du régime soviétique, le Musée juif de Vilna a sa propre histoire car, en 75 ans, il a été ouvert et fermé à trois reprises.
Le premier musée fut créé en 1913, lorsqu’un groupe d’intellectuels conduit par le Dr. J. Wygodsky, A. Virshubsky, L. Frenkel et A. Nyshul fondèrent, parallèlement au musée, la Société des Amoureux des antiquités juives. La majorité de la collection fut détruite pendant la Première Guerre mondiale. En 1919, le fameux ethnographe, scientifique et auteur du Dybbuk, S. An-ski (de son vrai nom Salomon Rapoport, 1863-1920) raviva la société défunte et rouvrit le musée. Parmi les objets alors exposés se trouvaient les textes originaux des «trois privilèges» accordés aux Juifs par des rois polonais, des rouleaux de Torah âgés de plusieurs siècles, des livres du fameux Gaon de Vilna et du Rabbi de Berditchev, des ouvrages rarissimes des XVIe et XVIIe siècles, des pièces d’argent datant de l’époque de Bar Kochba ou des Hasmonéens, des objets en cuivre et en ivoire ainsi que des lettres et des manuscrits de prestigieux auteurs et personnalités juifs dont Meir Dick (1814-1894), Mendele Mocher Sforim (1835-1917), Sholom Aleïchem (1859-1916), Chaim Nachman Bialik (1873-1934), Theodor Herzl (1860-1904) et du célèbre historien Simon Dubnow (1860-1941). A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le musée avait acquis plus de 6000 livres et 3000 objets d’art, dont des peintures et des sculptures. Le contenu unique de ce premier musée fut complètement détruit pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Curieusement, un nouveau musée juif fut fondé à Vilna en 1944 après la libération par les Soviétiques, avec, comme directeur, l’auteur et partisan Shmerl Kaczerginski. Il était aidé dans sa tâche par un comité de survivants, dont le fameux poète Abraham Sutzkever et le partisan Abba Kovner. Ils se mirent à la recherche d’objets qui auraient survécu à la destruction et trouvèrent dans des caves, des greniers et des fosses, des peintures endommagées et des lettres d’auteurs comme Itzig Leib Perezt (1852-1915) et Abraham Mapu (1808-1867). Toutefois, 30 tonnes d’imprimés de valeur, de livres, de manuscrits et de documents furent envoyés dans des fabriques de papier afin d’être recyclés. Les responsables du musée décidèrent alors de cacher ce qu’ils pouvaient de leur valeureux et malheureux trésor dans les anciens locaux de la prison juive, dont les murs étaient recouverts de graffitis disant: «Demain ils nous emmènent à Paneriai – vengez-nous » ou «Souvenez-vous de nos souffrances et de la manière dont ils nous ont tués». Dans ce qui avait été la bibliothèque du ghetto, ils trouvèrent des piles de documents, des objets endommagés issus du premier musée de An-ski, des archives de différentes sociétés et organisations juives, des lampes de Hannoucah, etc., etc., éparpillés sur le sol humide. L’un des responsables du musée, Leizer Ran, intitula ainsi cette découverte: «Une pile de papiers d’horreurs et de souffrances».
Mais ce nouveau musée n’eut qu’une très courte vie. Dans le cadre de leur campagne contre le cosmopolitisme et le sionisme, les autorités soviétiques le fermèrent officiellement le 10 juin 1949 et sa collection fut dispersée dans les autres musées et archives de Lituanie.
Vers la fin des années 1980, un fort mouvement nationaliste se fit jour en Lituanie. Quarante ans après avoir fermer le second musée juif, les autorités soviétiques lituaniennes autorisèrent l’ouverture du troisième musée juif de Vilna, cette fois sous les auspices du Ministère de l’Éducation. L’initiative avait été prise par un groupe d’intellectuels membres de la Fondation lituanienne pour la culture, notamment par un jeune académicien et futur parlementaire, Emmanuel Zingeris, alors président de la Société pour la culture juive. Il avait organisé une exposition d’art et d’objets juifs lituaniens à Kaunas en juin 1988 et à Vilna en septembre 1988. M. Zingeris devint le premier directeur du nouveau musée juif, qui alors n’avait pas de collection. Il commença à acheter des objets cultuels et à travailler avec les archives d’État où se trouve une énorme documentation juive. Ceci était d’autant plus intéressant que ces archives étaient totalement fermées sous le régime soviétique. Depuis que la Lituanie a recouvré son indépendance, le musée a connu un nouvel essor.
Structuré de manière à pouvoir accueillir des expositions temporaires, le nouveau musée est en deux parties, l’une consacrée à la Shoa, à la résistance et à la destruction, et l’autre à la vie juive en Lituanie en général et à Vilna en particulier. Dès l’automne prochain, les deux musées seront réunis en un seul lieu, mais pour l’instant les expositions sont encore séparées, celle relative à la Shoa se trouvant dans une petite maison en bois vert au 12 de la rue Paménkalino, le Musée juif en tant que tel étant abrité dans les locaux du centre communautaire au 4 de la rue Pylimo.
SHOA ET RÉSISTANCE
Si le visiteur ne dispose que de peu de temps et qu’il doit faire le choix entre les deux musées, il faut absolument que celui-ci se porte sur le Musée de la Shoa, «The Jewish State Museum of Lithuania». Loin de se contenter de relater uniquement les faits historiques froids et objectifs, les responsables du musée, en particulier son curatrice et directrice scientifique, Mme Rachel Kostanian, réalisent quotidiennement un acte de mémoire. En effet, le musée est présenté de manière à raconter la vérité comme vécue et ressentie par les victimes et les survivants. Mais avant de nous lancer dans la visite de ce véritable mémorial actif et vivant, il faut rappeler que lorsqu’en 1939, suite au pacte Ribbentrop-Molotov, les pays Baltes furent occupés par les Soviétiques, 30'000 personnes furent déportées dans les camps staliniens entre le 14 et le 18 juin 1941, parmi lesquelles se trouvaient 7000 Juifs ! Le régime soviétique était considéré comme «moindre mal» par rapport au nazisme, car certains Juifs pouvaient travailler dans des structures étatiques. Cette condition était exploitée par la propagande allemande avec le slogan suivant: «Tous les Juifs sont des communistes.» Il n’en fallait pas plus pour que les antisémites lituaniens, qui étaient à l’affût de n’importe quel prétexte pour s’en prendre aux Juifs, se lancent dans des actions violentes contre les populations juives.
La première salle du musée montre une grande carte de la Lituanie couverte d’étoiles jaunes indiquant les lieux où vivaient les Juifs avant la Shoa. Il existait environ deux cents communautés prospères dans le pays, qui comptaient 240'000 âmes. En face se trouve une autre carte de la Lituanie parsemée d’étoiles noires indiquant les endroits des charniers où les Juifs ont été assassinés en masse. A ce jour, plus de deux cents sites ont été identifiés. Rappelons que c’est en Lituanie que le plus grand pourcentage de Juifs a été massacré, soit environ 96%. L’exposition propose un certain nombre de photos de pogromes dans les quartiers juifs, les «shtettel», dans lesquels un abattage systématique de la population juive a eu lieu avant l’arrivée des Allemands. Ces pogromes étaient perpétrés par des voyous locaux qui plus tard ont été intégrés dans l’armée allemande en qualité d’auxiliaires militaires ou policiers. La première émeute antisémite accompagnée de meurtres systématiques est survenue à Kaunas le 25 juin 1941 dans la banlieue juive de Slabotka, où 1500 personnes ont été brutalement assassinées par un groupe d’habitants de la ville qui ont également pillé maison après maison. Dans l’une des pièces du musée, on peut voir une photo d’une inscription murale écrite avec du sang par un plombier du nom de Puchert disant: «yddn – nekomme » (juifs – vengez). Une autre image montre un amoncellement de cadavres de personnes assassinées le 27 juin 1941; environ 60 Juifs avaient été amenés au garage Lietùkis de Kaunas et exécutés de la manière la plus horrible, avec des matraques, des pieds-de-biche, des crosses de fusils, certains ayant même été remplis d’eau jusqu’à ce qu’ils éclatent. Toujours à Kaunas, le Grand ghetto dans lequel vivaient 29'000 personnes a été fermé le 15 août 1941. Quant au Petit ghetto, il a été liquidé le 4 octobre 1941 et ses 1800 habitants, dont 200 orphelins, ont tous été assassinés. Parallèlement, les nazis ont mis le feu à l’hôpital juif et tous les patients, les médecins, les infirmières et les visiteurs sont morts brûlés vifs. Le 28 octobre 1941, 10'000 Juifs du Grand ghetto ont été sélectionnés et transférés dans une forteresse locale qui portait le nom du 9ème fort et abattus systématiquement. Progressivement, les Juifs du ghetto ont été assassinés. Au moment de la liquidation du ghetto entre le 8 et le 14 juillet 1944, 7000 personnes y vivaient encore. Pendant ces journées terribles, la majorité fut tuée sur place, les nazis faisant exploser ou incendiant les maisons afin que ceux qui s’y cachaient soient massacrés avec certitude. Les hommes survivants furent déportés vers les camps de la mort de Dachau, les femmes vers le Stutthof.
Il faut savoir que la majorité des Juifs lituaniens ont été tués en 1941 et la cadence des meurtres était terrifiante. Dans la première salle du musée se trouve une copie du rapport de Karl Jäger, le chef de la police de sécurité à Kaunas, stipulant: «L’Einsatzkommando 3 (unité spéciale des nazis désignée spécifiquement pour tuer des éléments indésirables) a liquidé au cours des cinq derniers mois 137'346 personnes, dont 130'000 Juifs.» Suit le détail des exécutions par nombre d’hommes, de femmes, d’enfants, avec les dates et les lieux. Entre juin et septembre 1941, 7 à 8000 Juifs ont été tués à Kaunas, 9600 à Vilna, 3500 à Siauliai et dans les provinces, tous les habitants juifs des villages ont été exterminés, soit 8700 personnes à Panevzys, 3700 à Rokiskis, 5300 à Marijampolè, etc, etc.. Jäger termine sa comptabilité macabre en disant: «Litauen ist Judenfrei», la Lituanie est libérée des Juifs, il est toutefois malheureux que certains Juifs qui travaillent, Arbeitsjuden, survivent encore.»
La salle suivante présente la brutalité des restrictions imposées aux Juifs. Ils étaient déchus de tous leurs droits civiques, licenciés, bannis des lieux publics et forcés de rester confinés à domicile, interdits d’utiliser toute forme de transport, obligés de remettre tous leurs objets de valeur et de porter des insignes. De plus, ils n’avaient pas le droit de marcher sur les trottoirs, ils étaient contraints de se déplacer en file indienne et avaient interdiction de saluer ou de commercer avec des chrétiens. Ils n’étaient autorisés à effectuer leurs achats qu’en fin de journée, en fait lorsque les étalages étaient pratiquement vides. Dès 1942, les femmes juives n’avaient plus le droit d’accoucher, sous peine de mort.
Mais le plus terrifiant étaient les enlèvements organisés d’hommes et de jeunes gens. Ces derniers étaient systématiquement kidnappés par les nazis et leurs hommes de mains lituaniens dans le but de supprimer d’éventuels résistants ou intellectuels. Ils étaient emmenés vers un lieu inconnu et aucun d’entre eux n’en a réchappé. Des milliers d’hommes ont ainsi été assassinés avant l’établissement du ghetto.
La visite continue de salle en salle, l’horreur et la collaboration active et volontaire entre la population lituanienne et les Allemands sont démontrées avec force de détails: plans des ghettos, nombre de personnes massacrées, déportations dans les camps de travail vers la Lettonie et l’Estonie, liquidations des camps et massacres d’enfants, documents, lettres décrivant les horreurs des exterminations, etc.. Les Juifs savaient ce qui les attendait, témoin cette lettre écrite en yiddish par Leah Teiz, qui se trouvait alors dans la fameuse yéshivah de Telz: «Aujourd’hui, le 30 décembre, ils vont me tuer avec mes deux enfants. C’est ainsi qu’ils ont anéanti tout le judaïsme lituanien: vengez notre sang innocent versé.»
Si l’une des tâches les plus importantes du musée est de faire en sorte que les victimes et leurs souffrances indicibles ne soient jamais oubliées, ce qui au vu de l’avenir de la communauté juive de Lituanie n’est de loin pas acquis, il a aussi pour but de rappeler la dimension de l’héroïsme juif et toute l’étendue de la résistance qui n’existaient pas seulement sous une forme paramilitaire, par l’action des partisans, mais aussi au niveau intellectuel.
Les nazis ont annihilé la culture juive avec la même fureur froide qu’ils ont assassiné les Juifs. Ils avaient organisé des succursales du fameux quartier général Alfred Rosenberg, l’un des grands idéologues du racisme, un antisémite fervent et ministre des territoires orientaux occupés. Vingt intellectuels juifs furent ainsi réquisitionnés dans le but de sélectionner les meilleurs objets du YIVO (Yidisch Visenschaftlicher Institut), des livres rares, des manuscrits et des objets cultuels de valeur qui devaient être transférés en Allemagne. Une partie de la collection a été retrouvée plus tard à Francfort. Risquant leurs vies afin de sauver les ouvrages les plus précieux, ces hommes firent preuve d’une imagination incroyable pour établir des cachettes appelées «malina» qui se trouvaient dans la cave, au grenier, sous l’immeuble, etc. Malheureusement, en définitive, leurs efforts furent vains, car l’immeuble du YIVO et celui de la fameuse bibliothèque Strashun furent bombardés et incendiés dans la bataille finale pour la libération de Vilna. De plus, à Kaunas, où un groupe d’intellectuels juifs avait été réquisitionné par les nazis pour faire le tri des objets cultuels volés, tous ces vestiges de la vie juive ont finalement été détruits dans les flammes.
Un autre aspect de la résistance spirituelle et intellectuelle juive dans le ghetto est également très clairement démontré. Un genre d’université juive secrète comptant environ 2500 élèves avait été organisée dans le ghetto. Quant à la bibliothèque «Meficei Haskalah», dirigée par le fameux historien Herman Kruk (dont le fameux journal quotidien a permis de comprendre la vie, les vicissitudes et ce qui s’était réellement passé dans le ghetto), elle a enregistré cent mille mouvements de prêts de livres.
La visite nous mène ensuite dans la quatrième salle réservée aux partisans et aux autres combattants de la liberté. Elle démontre combien il est faux de dire que «les Juifs se sont laissé tuer comme des animaux que l’on mène à l’abattoir» et rappelle quelle a été l’action, certes désespérée, de la résistance juive, dont le but était d’organiser une révolte et qui a commis autant d’actes de sabotage que possible. Le souvenir des héros de toutes les formes de résistances est bien présent et leur mémoire honorée.
L’exposition se termine par un ensemble de grandes photos d’enfants représentant les victimes des ghettos, des camps de concentration et des chambres à gaz. Mais ces enfants symbolisent surtout l’avenir perdu du judaïsme lituanien si plein de vie et si prometteur.
Un coup d’œil rapide au livre signé par les visiteurs à la sortie permet de constater que la même formule brève et frappante revient presque à chaque page: «Plus jamais !»
Actuellement, le musée reçoit environ 5000 visiteurs par an, dont quelques élèves de cinq ou six écoles lituaniennes et des collégiens israéliens.
VIE JUIVE ET MÉMOIRE
«The Vilna Gaon Jewish State Museum», sis 4 rue Pylimo, est constitué d’un ensemble de petites galeries dont la première est réservée aux Justes parmi les Nations, aux Lituaniens qui ont accepté de sauver et d’aider des Juifs, soit en mettant leurs vies et celles de leurs enfants en danger, soit en étant arrêtés et souvent torturés et assassinés. Une liste de 2300 «sauveurs de Juifs» a été établie, des hommes et des femmes de tous horizons et de toutes professions: écrivain, garde forestier, nonne, curé, biologiste, cartographe, architecte, etc.. Outre les noms qui figurent sur cette cartothèque, le musée a établi une large base de données et de recherches mise à jour en permanence, soit avec de nouveaux noms, soit avec de nouveaux faits. 120 portraits de ces Justes sont exposés et il est prévu d’en présenter 500 dans le nouveau musée, avec un accès informatisé qui donnera au visiteur le moyen de se renseigner de manière très complète sur le sujet.
La deuxième galerie est consacrée à la mémoire de la Grande synagogue de Vilna. Selon l’historienne américaine Lucy Dawidowivicz, certaines indications permettent de penser que la première synagogue de Vilna date de 1440. Ce qui est sûr, c’est que la Grande synagogue a été construite en 1576 et qu’elle était entourée d’un bain rituel et d’un abattoir cacher. La ruelle où se trouvait cette magnifique synagogue s’appelait la «yiddische gass», et porte encore aujourd’hui le nom de «Zydu gassya» (rue des Juifs). A travers les siècles, au gré des invasions suédoises, prussiennes, cosaques et moscovites, la synagogue a été plusieurs fois victime des flammes mais a à chaque fois été reconstruite, jusqu’à sa destruction finale par les Soviétiques après la Deuxième Guerre mondiale. Étant donné que dès le XVIIe siècle aucun bâtiment n’avait le droit de dépasser la hauteur de l’église, le rez-de-chaussée de la synagogue se trouvait quelques mètres sous le niveau du sol de la rue. Aujourd’hui, si l’on détruisait le jardin d’enfants qui se trouve en lieu et place de cette dernière et que l’on creusait un peu, le sol intact du grand hall de prières pourrait être mis à jour. Ce qui est intéressant de savoir, c’est que la cour de la synagogue était devenue le centre de la vie juive tant sur le plan spirituel que culturel et même administratif. Cette exposition du musée présente un certain nombre de pièces, pour la plupart restaurées et qui ont miraculeusement survécu à la destruction de la synagogue. Dans cette même salle, on peut voir des objets cultuels juifs traditionnels, parmi lesquels un Séfer Torah datant de 1908 dont les bois portent une indication disant qu’il a appartenu aux membres de la corporation juive des fabricants de chaussures de la ville de Panevezys. De nombreuses photos rappellent la splendeur perdue de ce magnifique lieu de prières. Suit une petite exposition sur les synagogues de Lithuanie pour la plupart détruites.
La seconde salle montre une exposition assez curieuse que l’on ne retrouve pas dans beaucoup de musées juifs à travers le monde, il s’agit d’un «Pourimspiel». Cette tradition du jeux de marionnettes rappelant l’histoire de la reine Esther, du roi Assuérus et du sauvetage des Juifs de son royaume, est typique des pays Baltes. Les poupées ont été offertes au Musée de Vilna en 1991 par le Musée d’État Ciurlionis de Kaunas. La révélation expliquant que c’est bien là un «Pourimspiel» vient du fait que, parmi toutes les poupées, il n’y a qu’une seule femme qui, de plus, porte des habits royaux.
Les galeries se suivent et rappellent la richesse de la vie juive en Lituanie tant sur le plan intellectuel qu’artistique. Une salle spéciale est dédiée aux combattants juifs de la liberté, aux résistants et à ceux qui se sont battus pour l’indépendance de la Lituanie dans les années 1918-20.
La collection du musée comprend également des objets de l’ancien Musée juif de Kaunas et des premiers musées juifs de Vilna. Elle est placée sous la responsabilité de Mme Rosa Bieliauskiené, qui en est le curatrice, et qui est également en charge des documents, des livres, des lettres, des notes écrites, des journaux intimes découverts dans les ruines du ghetto, des périodiques et divers matériaux juifs retrouvés dans les archives soviétiques et enfin accessibles.
Pour terminer, il faut souligner qu’une exposition temporaire extrêmement riche dédiée au centième anniversaire de la naissance du violoniste Jascha Heifetz a rencontré un très grand succès.
En conclusion, nous pouvons dire que malgré les moyens relativement limités dont disposent ces musées, les hommes et les femmes qui s’en occupent avec dévouement rendent ces lieux de la mémoire non seulement attractifs et intéressants mais attachants et surtout donnent envie aux visiteurs d’en savoir plus sur ce qu’était la vie juive en Lituanie et plus particulièrement à Vilna, sa Jérusalem.
TORAH ET LAÏCITÉ
Rien, aucune plaque, aucune indication même symbolique n’indique l’endroit où se trouvait la Grande Synagogue de Vilna. En son lieu et place, un jardin d’enfants établi dans des baraques en bois. A côté, dans un minuscule square situé entre un bistrot un peu louche et des cordes où sèche du linge, se dresse la statue du Gaon de Vilna, Rabbi Eliahou ben Shlomo Zalman, qui vécut à Vilna de 1720-1797.
Sa vie et son histoire sont connues, et il est impossible de résumer son œuvre gigantesque en quelques lignes. Toutefois, un reportage sur Vilna serait incomplet sans une petite évocation de son œuvre. Au XVIII e siècle, le Gaon de Vilna était reconnu partout dans le monde comme étant l’une des plus grandes autorités en matière de Torah et de Talmud. Il a révolutionné la manière d’étudier ce dernier dans les yéshivoth et a codifié le Talmud de Babylone. Son large savoir tant sur le plan laïc que religieux a constitué un changement radical dans la manière de penser traditionnelle de la société juive. Outre sa façon très simple et directe d’expliquer le Talmud, il a écrit des commentaires pour pratiquement tout le Talmud ainsi que divers ouvrages sur la trigonométrie, la géométrie, l’algèbre et une brève grammaire de la langue hébraïque. Il était opposé au mouvement hassidique dont il rejetait le mysticisme. Le mélange de son savoir encyclopédique tant sur le plan religieux que laïc a fait que dans un certain sens, il n’était pas très éloigné du mouvement philosophique de la Haskalah (mouvement juif de la Lumière) sans pour autant en avoir adopté les thèses. Ironie de l’histoire, la seule autorité rabbinique actuellement en place en Lituanie est un hassid du Rabbi de Loubavitch, le rabbin Meir Beer Krinsky.
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