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Sommaire Éducation Automne 2000 - Tishri 5761

Éditorial - Automne 2000
    • Éditorial

Roch Hachanah 5761
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Interview
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Yémin Orde

Par Roland S. Süssmann
YÉMIN ORDE. L’endroit est idyllique, pour ne pas dire bucolique. Situé dans les forêts du mont Carmel, il offre une vue imprenable sur la Méditerranée et ses habitants y sont heureux. Et pourtant, ce lieu pourrait n’être qu’une vallée de larmes et de malheurs. En effet, c’est à Yémin Orde que sont réunis cinq cents adolescents âgés de 13 à 19 ans déracinés et souvent traumatisés, qui ont fait leur alyiah en provenance du monde entier. Un homme, le Dr CHAIM PERI, un éducateur de tout premier plan, a décidé de s’occuper d’eux et de leur offrir une chance en leur donnant toutes les bases nécessaires afin qu’ils puissent se forger une place digne au soleil.

Vous dévouez votre vie à une mission extrêmement compliquée, l’intégration dans la société israélienne, qui est très dure et très complexe, d’enfants ayant connu un début de vie difficile. Dans quel esprit travaillez-vous ?

Yémin Orde est un centre où nous élevons des jeunes issus d’un contexte perturbé et bouleversé. Ils viennent aussi bien de Bosnie, des Favellas ou d’orphelinats juifs brésiliens, de Tchétchénie, de Cuba, de Russie, de Biélorussie, d’Éthiopie que de France. Tout enfant transplanté dans un nouvel environnement et une autre culture est immanquablement marqué par les changements qu’il vit et les angoisses qu’engendre la séparation de la maison et du système de vie auquel il est habitué. La plupart des enfants dont nous nous occupons actuellement ont vécu dans des endroits sans loi ni ordre, ils ont connu de nombreuses difficultés tout en évoluant dans un environnement qui leur était familier. Or la transition et leur arrivée en Israël ajoutent une nouvelle crise aux nombreux drames qu’ils ont déjà vécus. Dans ces conditions, les chances pour que ces adolescents deviennent en définitive des citoyens sains, animés des valeurs justes, productifs et créatifs sont assez minimes. Nous avons comme philosophie de travail qu’aucun enfant n’a droit à l’échec. Dans cet esprit, nous sommes confrontés à un grand problème de notre temps qui réside dans le fait qu’Israël n’est plus une communauté qui fonctionne par rapport à ses idéaux, mais une société profondément divisée, capitaliste, de consommation et au leadership en crise. Le fait d’aller à l’armée et de se battre pour le pays ne constitue plus une priorité. Il s’agit donc pour nous de transférer ces jeunes d’un milieu déstabilisé vers une société en proie à d’énormes difficultés. Nous voulons que Yémin Orde soit perçu par nos protégés comme un lieu d’espoir pour une vie de plénitude. Pour ce faire, j’aime utiliser cette formule, qui peut sembler être une boutade: «En neuf mois, l’enfant qui nous est confié doit renaître.» Il s’agit bien entendu d’une renaissance au sens d’une nouvelle prise de conscience sur ce qu’est la vie, en analysant le passé et surtout en préparant sereinement l’avenir.


Vous avez décidé de relever un défi très difficile. Pratiquement, comment procédez-vous ?

Nous avons cinq cents enfants, dont un tiers d’Éthiopiens pour lesquels nous avons établi un programme particulier, qui sert d’ailleurs de plate-forme pilote pour leur éducation en Israël. Nos enfants vivent ensemble, suivent un cursus scolaire et un programme d’intégration et je suis très fier de pouvoir souligner ici que les deux premiers avocats d’origine éthiopienne entrés au barreau d’Israël sont issus de nos rangs.
Cela étant dit, les meilleures solutions aux problèmes éducatifs n’ont jamais été générées dans les académies, mais sur le terrain et en général dans de petites institutions qui affirment: «Il y a une voie et des solutions, suivez-nous !». Ici, à Yémin Orde, nous avons été confrontés décade après décade à de nouveaux défis. Dans les années 60, je travaillais avec des enfants marocains, dans les années 70, j’avais des enfants nés en Israël issus de milieux défavorisés, dans les années 80, je m’occupais d’enfants éthiopiens aussi bien en Israël qu’en Éthiopie même et depuis le début des années 90, des enfants parlant russe. A chaque étape, D’ a déposé un nouveau défi devant notre porte et bien que toutes les situations soient différentes les unes des autres, elles ont toutes ce dénominateur commun, celui de sortir un enfant d’un contexte brisé et de le projeter dans un cadre incohérent et sans espoir. Il faut bien comprendre que ce sont les graines que nous implantons aujourd’hui dans les jeunes qui nous sont confiés qui fleuriront lorsque nous ne serons plus de ce monde. A Yémin Ordre, nous avons créé une atmosphère permettant à chaque jeune de savoir qu’ici, nous sommes disponibles et accessibles en tout temps et qu’il n’existe pas d’autorité établie par la bureaucratie. Chez nous, aucun enfant ne peut être menacé de renvoi car d’une part c’est souvent ce qu’il cherche à provoquer, et d’autre part nous avons établi un autre système de punitions qui consiste à réparer personnellement les dommages causés. Nous ne sommes pas une institution, mais un instrument qui, par le biais de l’éducation et de l’harmonie, prépare un avenir meilleur. Il faut bien se rendre compte que des enfants venus de tous les coins du monde n’ont pas toujours les dispositions nécessaires pour s’entendre entre eux, le mélange de jeunes Éthiopiens avec de jeunes Russes ne constituant certainement pas une alliance naturelle. Nous ne créons pas ici une utopie ou une vie idéale et protégée, nous préparons nos jeunes à vivre pleinement leur existence en tant que citoyens israéliens responsables.

Malgré toutes les bonnes intentions dont vous êtes animé et les expériences positives, il reste un problème fondamental qui réside dans le fait qu’une grande partie des immigrants parlant russe ne sont, selon la Halakha (législation juive), pas considérés comme juifs. Comment faites-vous face à cette question ?

Il est vrai que pratiquement la moitié de mes protégés ne sont pas halakhiquement juifs. Je pense que tous ces jeunes dont le grand-père, la grand-mère ou le père étaient juifs et qui sont aujourd’hui montrés du doigt en Israël comme étant «non-juifs» se tourneront inévitablement, à plus ou moins long terme, contre nous. Pour se forger une identité, les adolescents ont avant tout besoin d’avoir le sentiment d’être à leur place et d’être acceptés. Lorsqu’ils sont rejetés, ils deviennent agressifs. Nous touchons là à un problème très grave. Une étude récente a démontré que des milliers de jeunes immigrants enregistrés en Israël en tant que non-juifs et qui représentent pratiquement 35% des adolescents venus s’établir ici, s’adonnent de manière importante à l’alcoolisme, à la drogue, sont violents et tombent dans la criminalité. J’estime utile que tous ces jeunes reçoivent une formation religieuse identique à celle offerte aux Éthiopiens et aux Falasha Mura. Il faut bien comprendre que leur comportement violent et leurs excès ne constituent que la pointe d’un iceberg et que la situation ne peut qu’empirer. Le fait de ne pas les enregistrer comme juifs va bien au-delà de la loi juive. Il s’agit du problème du rejet culturel de milliers de jeunes qui, se retrouvant automatiquement marginalisés, ne seront jamais absorbés par la société israélienne et développeront des sentiments de haine et de vengeance. D’ailleurs, ils forment déjà des groupuscules racistes et d’obédience nazie. Il s’agit d’une menace pour Israël, d’une bombe à retardement qui doit être désamorcée dès aujourd’hui. Nous avons à faire à des jeunes intelligents au potentiel et au bagage culturel valables. A Yémin Orde, nous offrons avant tout un dialogue éducatif où les jeunes savent qu’ils sont acceptés avec toutes leurs différences culturelles. Avec la coopération du Grand Rabbinat d’Israël, j’ai établi ici il y a quelques années un centre d’études menant à la conversion intitulé «Shvout Am» où nous les préparons à une conversion en bonne et due forme au judaïsme. Nous leur offrons ainsi une possibilité de vivre progressivement de façon totalement intégrée dans la société israélienne, ne serait-ce que d’un point de vue pratique. Le fait qu’en définitive la conversion ait lieu ou non ne constitue pas un succès ou un échec pour nous, notre but primordial étant de donner à ces jeunes le sentiment de leur estime personnelle. J’ajouterai une touche sentimentale à cette question en disant que ces enfants, qui risquent de devenir des exclus de notre société, nous ont été d’une certaine manière restitués par l’Éternel après la Shoa. Qui nous a donné la permission de les abandonner dans leur misère ? Cela étant dit, les solutions ne sont pas faciles mais il n’est pas raisonnable de penser que des milliers de jeunes qui veulent vivre en Israël, aller à l’armée et être acceptés comme citoyens, sont disposés à passer devant un tribunal rabbinique en disant «je m’engage à tenir shabbat, à manger casher, etc. », sans mentir. Nous devons trouver des solutions courageuses dans le cadre de la halakha afin d’éviter que de terribles drames ne se déroulent ici dans quelques années. J’ai régulièrement des discussions très sérieuses avec mes protégés afin de définir comment vivre en Israël lorsque l’on est rejeté par le Rabbinat, sans pour autant tomber dans le cercle vicieux de la marginalité.

A Yémin Orde, vos jeunes ont finalement une existence très protégée. Comment se passe généralement le processus d’intégration dans la vie courante ?

Cet endroit ne constitue pas une station de passage dans leur vie, mais une maison, une référence, une base et une source de réconfort et d’encouragement. A leur égard, nous sommes engagés à vie. Statistiquement, sur dix enfants envers lesquels nous avons pris cet engagement de parrainage définitif, un ou deux s’adressent à nous pour les aider plus tard et les huit ou neuf autres démarrent dans la vie active en se sentant épaulés et en nous rendant régulièrement visite.
Il faut savoir que nous les soutenons lorsqu’ils vont à l’armée, nous garantissons des hypothèques pour eux, nous les aidons à se marier, nous les envoyons dans les universités et même à l’âge de 30 ans, nous leur trouvons les premiers capitaux pour commencer une affaire. D’une manière ou d’une autre, tous gardent le contact avec nous et tous nos anciens nous apportent une aide financière dès le moment où ils en ont les moyens, ce qui constitue une façon pour eux de nous rembourser leur passage ici dont les dépenses leur sont en quelque sorte «avancées et remboursables sans date fixe».
En parlant de finances, je voudrais également dire que nous recevons chaque semestre un groupe de jeunes Anglais en provenance de Londres et de Liverpool envoyés ici par leurs parents, qui paient pleinement pour leur séjour, afin de renforcer de façon concrète leur éducation juive et sioniste. Il s’agit souvent de jeunes vivant dans des milieux très aisés, qui n’ont jamais fait leur lit, et qui se retrouvent soudain dans un environnement totalement différent, entourés de jeunes Russes, Éthiopiens, etc.

En conclusion, si vous deviez résumer votre philosophie de travail en quelques points, comment le feriez-vous ?

C’est très simple, elle tient en cinq éléments : le ciel – l’expérience religieuse; la terre – il y a toujours une place pour chacun d’entre vous et vous serez accepté sans restrictions aucune; traditions du passé pour préparer l’avenir; qualité du dialogue; pour terminer, nous enseignons à nos enfants comment s’occuper de ceux qui sont moins fortunés qu’eux. Pour ce faire, nous recevons régulièrement des familles frappées par le terrorisme, qui ont soit perdu un être cher, soit dont l’un des membres survivants est blessé à vie. Nous accueillons aussi chaque été 350 enfants cancéreux.

Nous le voyons, Yémin Orde est bien plus qu’un simple centre d’absorption. Il s’agit d’une préparation à la vie et d’une source d’encouragement permanent. A cet égard, il est intéressant de noter qu’à la demande du Dalaï Lama, le Dr Peri a accepté de recevoir pour un semestre 14 enfants Tibétains. De plus, nous avons appris que lorsque Elie Wiesel veut recharger ses batteries de courage, il vient passer quelques jours avec les adolescents de Yémin Orde !


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