Depuis quelque temps, les relations entre la Suède et Israël ont pris un virage positif. Non seulement les contacts sont plus fréquents et plus intenses, mais le gouvernement suédois joue un rôle dans le processus dit de paix ainsi que dans la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les mouvements révisionnistes qui tentent de nier le massacre de six millions de Juifs en Europe.
A Stockholm, nous avons été à la rencontre de S.E.M. ELIYAHU AVIDAN, ambassadeur d’Israël en Suède, qui nous a très chaleureusement reçus.
Pouvez-vous brièvement brosser un tableau des relations israélo-suédoises et de leur récente évolution ?
Je crois utile de rappeler que le Premier ministre, M. Göran Perssons, s’est rendu deux fois en Israël en très peu de temps. La visite historique d’août 1999 s’est très bien passée. Ayant participé à la réunion qui s’est tenue au bureau du Premier ministre, je peux dire que les deux hommes se sont immédiatement bien entendus. Ils ont développé une relation personnelle très amicale et se téléphonent d’ailleurs souvent. Les relations entre nos deux pays vont en s’améliorant à la fois sur le plan politique et commercial, en particulier dans le domaine de la téléphonie. Le ministre israélien du Commerce et de l’Industrie, M. Ran Cohen, est venu en Suède au mois de février 2000 à la tête d’une délégation de représentants des plus importantes sociétés israéliennes actives dans ce domaine, et des relations de travail et commerciales se sont immédiatement créées. Les échanges commerciaux pour 1999 s’élevaient à 450 millions de dollars, chiffre que nous avons atteint au cours des cinq premiers mois de l’an 2000. De plus, par le biais de sociétés privées, un certain nombre de projets scientifiques sont menés à bien conjointement entre des institutions scientifiques et des universités des deux pays. Mais ce qui donne réellement l’image de la qualité de ces relations, c’est la décision du Premier ministre suédois lors d’une conversation téléphonique avec Ehud Barak de se rendre le lendemain pour quelques heures à Jérusalem, pour une visite «entre voisins» !
Comment expliquez-vous ce réchauffement soudain des relations après un gel de tant d’années ?
Les raisons sont multiples comme le sont les causes qui ont voulu que pendant de nombreuses années, les contacts aient été plutôt froids. Mais je pense que ce qui a vraiment fait la différence, c’est la manière dont l’actuel Premier ministre analyse et examine la conduite de la Suède pendant la Shoa. Je crois que cette question a eu un effet positif sur les relations entre les deux pays. Les motivations de M. Göran Perssons sont probablement multiples, mais il cherche visiblement à faire un bilan de ce qui s’est passé à l’époque dans le but de pouvoir ouvrir un nouveau chapitre sur les relations entre le peuple suédois et le peuple juif. Pendant la Conférence sur l’Holocauste, en écoutant ses discours à la synagogue, au fur et à mesure qu’il parlait j’étais de plus en plus convaincu qu’il ne s’agissait pas de paroles écrites par un nègre, mais de propos qui sortaient de son cœur. N’oublions pas que c’est un homme qui a des principes. La Suède vient d’accepter la séparation de l’Église et de l’État ce qui, pour un État laïque, ne devrait pas être surprenant, mais au cours d’une conversation privée, le Premier ministre m’a confié qu’il était contre cette évolution, ce qui m’a étonné venant du dirigeant du Parti social-démocrate, mouvement situé très à gauche. Lorsque je lui ai demandé les raisons de son opposition, il m’a répondu: «Si nous voulons continuer à vivre en tant que communauté unie en Suède et ne pas risquer d’être démantelés en fonction des groupes ethniques que compte notre pays, nous devons construire et renforcer notre nation sur trois piliers qui nous lient: la culture, la langue et la foi. Si ces trois éléments sont maintenus, nous pourrons continuer à avoir une vie communautaire harmonieuse au niveau national.»
En définitive, je pense que le réchauffement des relations n’est en fait qu’un rééquilibrage: avant, elles étaient pour ainsi dire gelées et aujourd’hui, elles sont simplement ramenées à un niveau normal, comme entre tout État démocratique. Nombreux sont ceux qui estiment que le Premier ministre suédois est particulièrement pro-israélien, je ne pense pas que cela soit le cas, mais qu’il s’agit plutôt pour lui d’une simple question de justice et de pondération.
Ceci explique-t-il les raisons pour lesquelles les négociations dites secrètes entre Israël et l’OLP sont menées à Stockholm ?
La Suède jouit aujourd’hui de la confiance des deux parties, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans encore. Elle ne joue pas un rôle d’intermédiaire, du moins pas officiellement, elle ne fait que mettre ses bons offices à disposition en assurant la logistique de telles négociations. La Suède constitue donc un choix logique.
Vers la fin de 1999, la première Conférence sur la Shoa s’est tenue à Stockholm à l’initiative et sous la présidence du Premier ministre M. Göran Perssons. Pratiquement, à quoi a-t-elle servi ?
C’est la première fois que quarante-deux chefs d’État ont participé à une conférence consacrée à ce sujet qui se tiendra dorénavant régulièrement en janvier à Stockholm. Un certain nombre de programmes éducatifs ont été lancés au niveau international et une journée mondiale du souvenir de la Shoa va probablement être établie dans le monde entier, qui sera fixée au 27 ou 28 janvier. Mais le résultat le plus important réside dans le fait qu’un certain nombre de pays qui, jusqu’à présent, n’avaient pas fait le nécessaire pour entreprendre une véritable recherche historique sur ce qui s’est passé chez eux pendant la Shoa ont accepté de mettre en place des commissions nationales chargées de ce type d’enquêtes. Une fois encore, je citerai le Premier ministre suédois qui a résumé la situation de la Deuxième Guerre mondiale en ces termes: «Il y avait trois genres de nations: les pays volontairement pro-nazis comme l’Italie, le Japon et ceux d’Europe centrale, qui ont activement collaboré avec les Allemands; puis les nations qui ont combattu le nazisme, soit les forces alliées; et finalement les États les plus dangereux, les fameux «neutres». Lorsque les forces des ténèbres et les forces de la lumière se combattent, personne ne peut rester «neutre». Quand des atrocités sont commises devant nos portes, celui qui se dit neutre devient complice du crime. Il est donc primordial de mettre un terme définitif à cette neutralité.»
On ne peut pas parler des relations entre la Suède et le peuple juif sans évoquer Raoul Wallenberg. Qu’en est-il aujourd’hui de ce mystère, dix ans après la chute du Mur de Berlin ?
Il s’agit effectivement d’une plaie encore ouverte, car de nombreuses années ont passé depuis que ces événements terribles se sont déroulés. Je ne sais pas si un jour nous saurons la vérité au sujet de cette affaire. Israël a délégué un ambassadeur spécialement chargé de la question, qui s’est déjà rendu plusieurs fois en Russie pour tenter de convaincre les autorités d’ouvrir leurs archives à ce sujet, mais pour l’instant sans succès. Ici, à l’ambassade, nous sommes en contact très proche avec Mme Nina Lagergren, la sœur de Raoul Wallenberg, qui dirige le Comité suédois pour que cette tragédie humaine soit enfin résolue.
Un ambassadeur d’Israël n’est jamais uniquement délégué auprès du pays où il est accrédité, il est aussi l’envoyé d’Israël auprès de la Communauté juive de cet État. Quels sont vos liens avec la société juive suédoise ?
J’entretiens une relation proche et suivie avec la communauté juive d’ici, qui est très active et dynamique. Je vais à la synagogue tous les jours et suis donc en liaison directe avec ce qui se passe dans la vie juive de Stockholm. Je me suis bien entendu rendu dans toutes les autres villes de Suède où il y a des communautés juives, et à Göteborg, j’ai rencontré un envoyé de Habad-Loubavitch qui, dans des circonstances très difficiles, mène une vie juive strictement en conformité avec la Halakha; il a même ouvert une école juive avec vingt enfants… dont neuf ou dix sont les siens. Je profite de mes visites aux communautés juives pour promouvoir l’image d’Israël et partout, je rencontre les gouverneurs, les maires, le clergé et les rédacteurs des journaux locaux.
Dans le cadre de mes activités, outre le traitement des questions bilatérales quotidiennes, je mets également l’accent sur la promotion des échanges culturels entre nos deux pays.
Comment évaluez-vous l’antisémitisme en Suède où il existe un mouvement néo-nazi assez important ?
Bien entendu, nous travaillons avec les autorités pour les combattre et je sais de source sûre qu’ils sont sous la stricte surveillance de la police. Personnellement, je multiplie les contacts avec les églises et le Ministère de l’Éducation pour qu’un vaste programme pédagogique sur la Shoa, sur le racisme et l’antisémitisme en général soit diffusé dans les écoles et dans la presse.
Comment voyez-vous l’évolution des relations entre Israël et la Suède ?
Ce pays vit actuellement une période de transition due à son entrée dans la Communauté européenne et au fait qu’il désire maintenir une certaine indépendance nationale. De plus, la Suède estime avoir une responsabilité toute particulière à l’égard des républiques Baltes qui représentent, pour elle, une sorte de zone de protection face à la Russie. Tous ces éléments font que la Suède est intéressée à renforcer ses liens avec nous tant sur les plans politique et économique que dans d’autres domaines plus spécifiques.
|