Pour Israël, sept ans après les Accords d’Oslo, un bilan négatif se dégage. Le but fixé n’est pas atteint, puisque la «fin du conflit» qui devait couronner l’accord définitif, qui devait justifier tous les sacrifices et finalement légitimer, aux yeux d’une opinion sceptique, la stratégie concoctée par Rabin et Péres, n’est pas au rendez-vous. En revanche, ce qui a été cédé, en territoires et en symboles, l’a été de manière irréversible. Quant aux énormes concessions, pour le moment verbales et au conditionnel, des dirigeants israéliens, elles ne pourront pas être oubliées ni rétractées, le jour où un réel progrès deviendra possible. Pour le monde arabe, en revanche, pour les voisins palestiniens d’Israël, tout cela est globalement positif.
La tactique adoptée depuis son élection par M. Barak est sans doute critiquable – la majorité des députés israéliens s’y oppose et c’est un gouvernement nettement minoritaire qui gère la politique de la nation et prend des initiatives peut-être décisives pour son avenir. Elle est cependant habile, cette tactique, et à certains égards efficace, car elle agit à court terme comme un révélateur. Israël, explique M. Barak à ses interlocuteurs étrangers – c’est-à-dire surtout à M. Clinton – est prêt à aller très loin, plus loin que quiconque l’avait imaginé il y a peu de temps encore: cession de plus de 90% des territoires, y compris la vallée du Jourdain, démantèlement d’une grande partie des localités juives de Judée-Samarie et de Gaza, maintien des autres au prix d’un échange de territoires, accueil sur son sol de quelque cent mille réfugiés palestiniens et surtout partage de souveraineté à Jérusalem. Voilà beaucoup de tabous brisés, beaucoup de sacrifices douloureux. Nul ne peut désormais raisonnablement affirmer qu’Israël mène une politique intransigeante, ni même lui suggérer d’en faire plus, de céder encore. (Pas pour le moment, en tout cas. Après-demain, ce sera autre chose.)
Cette démarche du Premier ministre israélien lui a permis de faire l’économie de nouvelles concessions sur le terrain: alors que M. Netanyahou, à son corps défendant, mais piégé par Oslo, se voyait contraint de rétrocéder de larges portions de la Cisjordanie à l’Autorité palestinienne, en particulier l’essentiel de la ville de Hébron, M. Barak a beaucoup sacrifié en paroles, mais n’a rien cédé en kilomètres carrés. En plaçant la barre à la bonne place – la plus haute – il a démontré à quel point l’interlocuteur était incapable de conclure. Incapable car en fait, comme on pouvait le lire en filigrane dans les Accords d’Oslo, il ne voulait pas, il ne veut toujours pas, reconnaître la légitimité d’un État juif sur la terre d’Israël.
Mettre fin au conflit, une fois pour toutes, et grâce au règlement du problème palestinien, étendre cette normalisation à l’ensemble du monde arabe, c’était là l’ambition – dirons-nous la folle ambition ? – des artisans d’Oslo. Le rejet par Arafat d’un compromis généreux – dirons-nous trop généreux ? – à Jérusalem, en particulier dans le périmètre du Mont du Temple, a débouché sur l’échec des négociations. M. Barak envisage de plus en plus aujourd’hui de changer son fusil d’épaule: il aurait prouvé aux Israéliens et aux nations de bonne volonté que le maximum avait été fait, et que dans ces conditions, puisqu’il n’y a pas d’abonné au numéro demandé, Israël doit se concentrer sur ses problèmes internes. Ce qui, à ses yeux, ouvrirait la porte à une coalition avec le Likoud et sauverait son gouvernement.
On n’en est pas encore là, car les inconditionnels de l’idéologie d’Oslo n’ont pas dit leur dernier mot. Pourtant Arafat est clair. Il se compare de plus en plus souvent à Saladin, reprenant ainsi l’analogie classique du nationalisme arabe: Israël est un nouveau royaume des Croisés et son destin sera identique. Il suffit de toucher au sujet – encore peu évoqué – des trois à quatre millions de réfugiés palestiniens prétendant à un droit au retour, pour constater à quel point il est illusoire d’espérer une solution définitive.
L’idée de Barak d’utiliser le dossier si complexe de Jérusalem pour contraindre Arafat à dire sa vérité n’était donc pas mauvaise, mais elle risque, à long terme, d’être coûteuse. Car tout n’est pas que stratégie politique dans la vie d’une nation et il est dangereux de briser, ne serait-ce que par le discours, des opinions, des attitudes, des ententes consensuelles. Il est difficile ensuite, sinon impossible, de revenir en arrière. A court terme encore, le report de la déclaration d’indépendance palestinienne peut être porté au crédit de M. Barak. La faiblesse manifeste de l’Autorité palestinienne, sa prise de conscience que l’option d’une confrontation violente avec Israël n’existe pas, car la population n’est pas prête à une nouvelle intifada et qu’une initiative agressive de l’armée d’Arafat ne peut qu’échouer rapidement, débouchent inéluctablement sur une prolongation des négociations. Mais tant qu’Arafat reste Arafat, les chances de conclure sont minces, cependant que grandit, une fois de plus, la menace d’une nouvelle vague de terrorisme. Et il apparaît de plus en plus nettement que derrière le brouillard des Accords d’Oslo, il n’y a finalement rien d’autre qu’un mirage.
M. Barak joue donc à quitte ou double. Si un accord est conclu, il emportera sans doute l’assentiment d’une majorité d’Israéliens, non pas par adhésion de cette majorité aux conditions draconiennes d’un pareil règlement, mais surtout par fatigue et parce qu’un peuple épris de paix est toujours enclin à saisir un espoir, même fallacieux. Mais si l’édifice d’Oslo s’effondre, le Premier ministre israélien aura beau jeu d’annoncer qu’il quitte la partie. Ou qu’il exige une redistribution des cartes. C’est là un jeu nécessaire mais dangereux, car il débouche, dans une conjoncture à venir, sur une nouvelle épreuve de force avec le monde arabe.
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