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Sommaire Art et Culture Automne 1999 - Tishri 5760

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Judaïca aux enchères

Par Jennifer Breger *
D’importantes ventes aux enchères d’objets d’art ju if se sont tenues cet été, offrant ainsi aux collectionneurs l’occasion d’acquérir des ouvrages et des manuscrits anciens. La première a eu lieu chez Christie’s le 23 juin à New York; les articles proposés, provenant tous d’un seul propriétaire, étaient des manuscrits hébraïques et des ouvrages juifs datant des débuts de l’imprimerie et appartenant à la bibliothèque du Beth Din de la «United Synagogue» de Londres. La vente de cette importante collection n’a pas manqué de susciter un vif intérêt. La «Synagogue» a décidé de se séparer de ses trésors en raison de difficultés financières. Elle a d’ailleurs déjà vendu de nombreux objets cultuels en argent. Les ouvrages n’étant pas exposés au public et ayant néanmoins récemment fait l’objet d’un cambriolage, les responsables de la Synagogue ont estimé plus sage de les mettre en vente et d’utiliser le produit réalisé pour des fonds de retraite et d’autres besoins pressants.
La décision a suscité quelques faibles protestations en Angleterre. Le comité administratif de la «United Synagogue», constitué de représentants de 66 synagogues, a entériné la vente des livres et manuscrits par un vote de 100 contre 5. Une collection finit toujours par être démantelée à un certain moment pour être reconstituée ailleurs, autrement, c’est dans l’ordre des choses. Le mouvement inverse existe également, il arrive que des objets d’art passent de la propriété privée à la propriété publique.
Les adversaires de la vente ont avancé entre autres un argument disant qu’elle marque la dispersion d’une part du patrimoine du judaïsme anglais. Harry Rabinowicz, érudit et rabbin, qualifie cette initiative de “crime” et de “scandale”, ajoutant que “le démantèlement et la vente d’un legs anglo-juif de cette importance sont sans précédent”. C’est d’autant plus désolant que le noyau de la collection était constitué par la bibliothèque de Salomon Hirschell (1761-1842), qui fut le premier Grand Rabbin d’Angleterre, nommé à ce poste à la Grande Synagogue de Londres en 1802. Descendant du Maharam de Padoue (1482-1565) et neveu du célèbre rabbi Jacob Emden, son père, Zwi Hirsch Levin, avait été le rabbin de Berlin. Avant de venir à Londres, il avait occupé pendant neuf ans le poste de rabbin à Prenzlau en Prusse. S. Hirschell était considéré comme une éminente autorité rabbinique; il avait également œuvré en faveur de l’établissement d’un institut Beth Midrash pour étudiants en Torah et aspirants rabbins. Selon le “Jewish Chronicle” du 6 octobre 1845, lors de son décès, sa bibliothèque comptait plus de quatre mille ouvrages, “parmi lesquels des livres et manuscrits fort précieux assemblés par notre défunt Grand Rabbin, par son père et par son grand-père”. Elle fut vendue pour une somme de 300 livres, versée à l’établissement du Beth Midrash.
Des 140 manuscrits mis en vente par Christie’s, 14 au moins proviennent de la bibliothèque du père de Hirschell et plus de 20 sont des manuscrits médiévaux. Parmi ces derniers, on compte quelques pièces très spéciales. Le Séfer Sinai, par exemple, un code halakhique établi par le frère du célèbre Méir de Rottenburg, constitue l’unique exemplaire médiéval connu de cette œuvre. Il fut copié sur parchemin par trois scribes en Allemagne méridionale en 1391. Il y a également un sidour manuscrit du début XVIIe qui fut le livre de prières de rabbi Sheftel Sofer de Prezemyl. Le texte est accompagné de toutes les voyelles, conférant à cette édition une qualité rare et précieuse. Rabbi Sofer était un expert en vocalisation, un grammairien réputé et son sidour est devenu ainsi un ouvrage de référence pour la version précise de la liturgie. Le manuscrit se distingue aussi par les “haskamot” (approbations) qu’il contient, signées par d’éminents rabbins du XVIIe siècle, notamment rabbi Joshua Falk, auteur du “Derisha et Perisha”, le Bach (Rabbi Joël Sirkes), le Maharsha, le Kli Yakar et d’autres encore. Ces signatures célèbres témoignent de la richesse de l’érudition dans le monde juif de la Pologne du XVIIe siècle. Il y a encore une série de 77 manuscrits contenant des textes mystiques ou cabalistiques, dont plusieurs exemplaires de traités rédigés par les disciples du “Ari” (rabbi Isaac Luria), mystique et savant célèbre du XVIe siècle.
Parmi les ouvrages présentés se trouve un manuscrit d’une œuvre halakhique d’un intérêt particulier pour les Juifs suisses: il s’agit du “Semak”, qui contient des gloses de rabbi Moshé de Zurich, un des rares rabbins et érudits médiévaux suisses. Il semble qu’il ait vécu à Zurich au début du XIVe siècle, avant de s’établir à Berne. Il se trouve qu’un certain Moses ben Sussman de Zurich est mentionné dans les archives de l’an 1329 et ultérieurement.
Bien que la bibliothèque du Beth Din possède une importante collection de livres imprimés, 8 incunables seulement et un ouvrage imprimé plus tard ont été mis en vente. L’incunable le plus remarquable est sans doute le Sefer Rashba de l’érudit espagnol Ibn Adret, qui fait partie d’une célèbre série de textes imprimés à Rome entre 1469 et 1472. Parmi les articles présentés, le sidour imprimé sur vélin à Prague en 1515 suscite un très vif intérêt. Etant le troisième ouvrage en hébreu imprimé au nord des Alpes, il représente un des deux seuls exemplaires connus, le second, conservé à Oxford, n’étant pas complet. Il est entièrement enluminé par un artiste de l’époque à l’aquarelle et à la détrempe, orné d’or et parfois d’argent.
La présente vente de Christie’s a succédé à celle de la collection Shane l’année dernière, également originaire de Grande-Bretagne et propriété d’un collectionneur privé. Vente considérable présentant un large éventail d’objets, elle a attiré beaucoup de monde et Christie’s a réalisé un chiffre de plus de 5 millions de dollars. La vente de cette année est plus spécialisée mais, compte tenu de la dynamique créée, il ne fait pas de doute que de nombreux acheteurs ont voulu acquérir ne fût-ce qu’une partie de cette fameuse bibliothèque, phénomène semblable à celui qui s’est produit lors de la vente de la bibliothèque Sassoon.
Il y a bien entendu la fascination suscitée par une vente “spéciale”, mais il ne faut pas sous-estimer l’effet durable causé par des ventes régulières offrant chaque fois des objets rares et de qualité. Sotheby’s tient régulièrement des ventes d’art juif en Israël, environ deux fois par an, mais depuis plusieurs années, la société «Judaica» en organise également, à Jérusalem, offrant des catalogues en hébreu et en anglais. Elles présentent toujours une superbe variété d’ouvrages uniques, d’objets d’intérêt historique, qui sont très appréciés des spécialistes du livre hébraïque et des étudiants en histoire juive. Cette année, Judaica a proposé 69 œuvres de l’atelier de Zeev Raban (de l’École des Beaux-Arts Bezalel) et un Rouleau d’Esther unique provenant de Lyon et daté d’environ 1900. Ce rouleau “Hamelekh” possède de remarquables miniatures originales, illustrant des scènes de théâtre. On y voit Esther manœuvrant Haman comme s’il était un personnage de théâtre de marionnettes. Egalement mis en vente, quelques-uns des premiers ouvrages hébraïques imprimés à Londres au XVIIe siècle, plusieurs livres d’Orient et d’Extrême-Orient (Bagdad, Calcutta et Poona). Comme d’habitude, de nombreuses œuvres ont été imprimées en Terre sainte, notamment plusieurs des premiers livres imprimés à Jérusalem ainsi que des affiches et des appels publics rabbiniques.
«Kestenbaum & Co» de New York ont tenu leur première vente publique de livres hébraïques en novembre 1996 à New York et ils en sont maintenant à leur septième vente, offrant toujours une marchandise de haute qualité présentée dans d’excellents catalogues. La vente du mois de juin est la plus importante jamais tenue par cette maison. Plus de 700 articles figurent au catalogue, dont une grande collection d’objets rituels juifs. Deux tiers des articles proviennent d’une unique collection, celle d’un couple arrivé aux États-Unis en 1940 d’Europe centrale. Parmi eux, plusieurs très belles lampes de Hanuka et des “rimonim” (clochettes décoratives pour rouleaux de Torah). Il y a également un sidour fait à Venise en 1772, dans une superbe reliure d’argent italienne, provenant de la collection du prince Nicolai Callimachi de Moldavie. Il semble qu’il existe un document confirmant que ce livre de prières fut acheté par un ancêtre du prince, homme d’église féru d’ouvrages juifs. Il en fit l’acquisition lors d’une visite au pape à Rome en 1774 et le sidour demeura aux mains de la famille depuis.
On distingue également un incunable de Naples: il s’agit d’un commentaire de la Torah par rabbénou Behayé imprimé en 1492. La vente comporte une grande collection d’objets rares liés à la figure controversée du rabbin et érudit Jacob Emden. Particulièrement intéressant, un livre de prières en deux volumes: imprimé à Venise autour de 1520 par le célèbre imprimeur chrétien Daniel Bomberg, il suit le rite gréco-roumain dérivé du rite pratiqué dans l’Empire byzantin. C’est un ouvrage d’autant plus rare qu’il n’existe aucun autre exemplaire complet. Le “makhzor” contient des informations concernant les lois et coutumes de la communauté roumaine, proches de celles pratiquées à l’époque en Eretz Israël. Avec le temps, le rite roumain fut remplacé par le rite séfarade.
De nombreux autres articles rares figurent dans cette vente, par exemple le premier livre hébraïque - et semble-t-il le seul - à avoir été imprimé à Damas en 1605, lorsque les imprimeurs juifs de Safed vinrent s’y réfugier, fuyant une attaque des Druses. Parmi les manuscrits, on remarque un ouvrage en hébreu accompagné d’une traduction en italien faite à Ancona au XIXe siècle; très finement illustré, il porte sur les lois de l’abattage rituel, présentées sous forme de questions et réponses.
On a assisté cet été à la seconde vente publique au bénéfice de la Yéshivah de Baranovitch. Celle de l’année dernière avait recueilli un joli succès, 95% des objets ayant été vendus. La vente comporte cette fois une série d’articles importants et de manuscrits fascinants, dont ceux des Baalé Tossaphot. Mais il y en a un qui a déjà soulevé pas mal de controverse. En effet, lorsqu’il est question de “découverte” dans le monde des livres juifs, la tension monte aussitôt, surtout à l’idée qu’il s’agit peut-être d’un faux ! Une Haggadah de sept pages imprimée sur vélin par Soncino en 1486 a semble-t-il été découverte il y a un an et demi ou deux ans en Israël, dans la reliure d’un autre ouvrage du XVIe siècle. C’était pratique courante d’utiliser de vieux feuillets pour remplir la reliure d’ouvrages plus neufs. Il s’agit d’un format différent de celui de la Haggadah Soncino qui fait partie d’un autre livre de prières. Selon les organisateurs de la vente, les pages ont dû être lavées et traitées chimiquement afin d’aplatir les feuillets qui étaient totalement racornis. Ce traitement a rendu le vélin transparent et la datation au carbone semble désormais impossible; cela dit, d’autres tests de laboratoire ont montré qu’il y a un lien entre ces pages et d’autres ouvrages imprimés la même année sur les mêmes presses. Ces feuillets n’ont pas trouvé acquéreur.
Les enchères du mois de juin ont commencé par une vente importante chez Christie’s à Amsterdam où deux paires de rimonim, l’une anglaise (Hester Bateman, Angleterre 1780), l’autre américaine (Zalmon Bostwick, New York 1850), ont été vendues bien au-dessus de la valeur estimée, respectivement pour US$.330'000,-- et US$.420'000,--.
Quant à la vente de Christie’s de New York, elle a réalisé un chiffre de pratiquement quatre millions de dollars. Le livre de prières enluminé de Prague datant de 1515 a été vendu pour US$.937'500.--, ce qui constitue un record absolu. Un autre livre de prières manuscrit du XVIIe siècle, contenant des signatures et des annotations rabbiniques, est parti à US$.225'000,--. Dans les ventes Kestenbaum & Co de New York, une reliure en argent d’un livre de prières en provenance de la collection de la famille royale de Moldavie a été acquis pour US$.27'500,-- (trois fois l’estimation). Une saison de ventes spectaculaires se termine au cours de laquelle de nombreux records ont été établis, ce dès le mois de mars chez Sotheby’s New York où une couronne de Torah de la cour hassidique du rabbi Israël de Ruzhin (1797-1850) a été vendue pour US$.1'322'500,--, suivie par quelques objets de la fameuse collection Sasoon qui ont atteint des prix records au mois d’avril chez Sotheby’s à Tel-Aviv.
Aujourd’hui, les amoureux des livres et des manuscrits savourent le plaisir de feuilleter les superbes catalogues richement illustrés et abondamment documentés. Ils participent à la fièvre qui anime les ventes publiques, car il existe une véritable fascination pour ce monde des livres et manuscrits hébraïques qui transcende la valeur monétaire de ces précieux articles.

* Jennifer Breger est diplômée de l'Université d'Oxford et de l'Université hébraïque de Jérusalem. Elle est spécialiste en livres juifs et hébraïques et vit à Washington.

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