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Sommaire Roch Hachanah 5760 Automne 1999 - Tishri 5760

Éditorial - Automne 1999
    • Éditorial

Roch Hachanah 5760
    • Défis et responsabilités

Politique
    • Les cent jours de Barak

Interview
    • Dangers et devoirs

Analyse
    • D’un trait de plume ?
    • Jörg Haider 

Art et Culture
    • Les trésors du temps
    • Dora Holzhandler
    • Communication cachère
    • Judaïca aux enchères [pdf]

Reportage
    • Jérusalem et Vienne
    • L’extermination par l’esclavage
    • Juif en Autriche
    • Le Musée juif de Vienne

Témoignage
    • Les crimes nazis - Un signal d'alarme

Jeunes talents
    • Margalith

Portrait
    • De Berlin à Hébron

Économie
    • Cheffe

Éthique et Judaïsme
    • Un enfant - à quel prix ?

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Défis et responsabilités

Par Roland S. Süssmann
Le changement d’année constitue toujours un instant où se mélangent l’espoir et l’appréhension. Une phrase de la liturgie illustre parfaitement l’esprit qui anime ces solennités exceptionnelles du calendrier juif: «Que parte l’année et ses malédictions – bienvenue à la nouvelle année et ses bénédictions.»
Afin de nous permettre de mieux comprendre la signification profonde de Roch Hachanah et de l’ensemble des festivités qui entourent le «Nouvel An Juif», nous nous sommes entretenus avec le rabbin MOSHÉ DAVID TENDLER, l’une des plus grandes autorités rabbiniques de notre temps. Outre son savoir juif encyclopédique, le professeur Tendler est un biologiste de renommée internationale.

Pourquoi est-il encore nécessaire de nos jours, à la fin du XXe siècle, de continuer à célébrer Roch Hachanah en procédant à notre examen de conscience annuel ?

Contrairement à une fausse croyance populaire, Roch Hachanah ne commémore pas la création du monde, mais le sixième jour, celui de la naissance de l’être humain. Nous ne sommes donc pas vraiment concernés par les grandes théories de cosmogonie, ce qui nous intéresse est de savoir quel est le message de l’histoire de la création pour l’être humain, ce qu’il dit à l’homme et quelle est la responsabilité de l’individu dans le monde. Aujourd’hui, nous vivons dans une époque bien particulière, pour ne pas dire schizophrène. C’est ainsi que pendant que l’on assassinait allègrement des hommes, des femmes et des enfants au Kosovo et en Afrique, j’assistais à diverses conférences sur l’éthique médicale où l’on débattait de savoir si l’utilisation de tel ou tel traitement pouvait être recommandé parce qu’il impliquait un acte pouvant être répréhensible sur le plan de la morale et de l’éthique. Par exemple, l’une des questions posées était de savoir si un ovule fécondé contient de la vie et s’il s’agit déjà d’un élément humain alors que parallèlement, à quelques heures d’avion, des femmes étaient violées et massacrées au vu et au su de tous, dans l’indifférence quasi générale. Pouvons-nous vraiment vivre dans un monde aussi fou ? Arrive Roch Hachanah qui nous dit: STOP ! Il n’est pas possible de vivre ainsi. Voici qu’un nouvel an s’ouvre devant nous – faisons encore un essai, car l’année écoulée n’était pas très réussie. Une fois encore, une année se termine au cours de laquelle tellement de conflits se sont déroulés dans le monde que nous ne sommes plus à même de tous les suivre. Roch Hachanah est là pour nous ramener à la réalité et nous inciter à cesser de penser que l’homme constitue l’apothéose de la création. A cet égard, il existe une magnifique phrase du prophète Isaïe: «Tu m’as fait premier et dernier.» Le Midrash nous explique la signification profonde de cette formule en disant: «Si l’homme se conduit correctement, il est le premier être de la création. Tel un roi, il est entré dans ce monde alors que la terre, l’univers et les autres espèces étaient là pour l’accueillir. Mais si sa conduite est détestable, D’ vient lui rappeler qu’il a été créé en tout dernier, après le ver de terre. Ils ont été créés avant toi parce que leur comportement est plus digne que le tien.» Roch Hachanah vient nous remémorer qu’une fois de plus, nous ne nous sommes pas conduits comme le premier être de la création, mais plus mal qu’un ver de terre ou qu’une guêpe. Aucun animal n’a jamais commis les abominations dont l’homme s’est rendu coupable face à son prochain. Certains individus sont naturellement méritoires et ont vécu une vie de dignité, de bonté et de charité, mais le monde dans son ensemble a eu un comportement bestial et indigne. C’est donc à cet égard que Roch Hachanah vient nous inciter à la réflexion.


Vous nous parlez de la manière dont se conduit l’humanité dans son ensemble et c’est vrai que nous vivons dans une époque très violente. Cela dit, nous ne pouvons pas non plus affirmer que chacun d’entre nous, pris individuellement, est un violeur ou un assassin. Dans l’ensemble, les gens travaillent pour gagner leur vie et assurer une existence décente à leurs proches. Pouvez-vous ramener l’esprit de Roch Hachanah au niveau de l’individu, dans la mesure où il a encore une signification aujourd’hui ?

Le message qui s’adresse à l’humanité tout entière concerne bien l’individu, la question que Roch Hachanah lui pose est de savoir: «Te conduis-tu comme le premier être de la création ? Toutes tes activités ne s’apparentent-elles pas en définitive à celles de l’animal qui sont uniquement de travailler et de se nourrir ? En quoi, par ton attitude et ton action, t’es-tu rendu humain ?» Curieusement, la réponse se trouve dans la manière dont nous nous reposons ! C’est ainsi qu’une vache se prélasse sous un arbre pour ruminer alors qu’un être humain digne de ce nom se détend en déployant une activité spirituelle et humaine. Il ne s’agit bien entendu pas de travailler huit heures par jour pour s’apprêter à… regarder la télévision en rentrant le soir, mais d’utiliser son travail pour se préparer à étudier la Torah ou à dévouer son temps à des activités humaines. Pour moi, «étudier la Torah» est un label très large qui définit notre conduite: la manière dont nous nous adressons à nos conjoints ou à nos employés détermine clairement si notre comportement est celui d’un homme ou d’un animal. Si un animal a la possibilité de subjuguer une autre espèce, il cède à son instinct et le fait. Tel ne devrait pas être le cas pour l’homme. En effet, la Torah nous enseigne que plus un être est faible, plus il est sans défense et plus nous avons la responsabilité de l’aider. On peut donc juger une société et le niveau de moralité d’une nation en observant la façon dont elles traitent leurs maillons les plus faibles, les plus malades et les plus pauvres. Roch Hachanah vient nous dire: «Souviens-toi, je t’ai donné un monde que tu peux transformer en un endroit idéal pour l’humanité. D’ dit je ne peux pas le faire, mais je t’ai donné tous les moyens pour réussir: le bien et le mal.» L’homme a donc son rôle à jouer. Dans nos prières de Roch Hachanah, nous déclarons, entre autres, reconnaître et admettre D’ comme notre Roi. A-t-il vraiment besoin de nous pour être couronné ? Certes non, mais par cette déclaration, nous affirmons nous soumettre à Son règne ce qui en clair signifie que nous acceptons Son système de valeurs. Dans cet esprit, Roch Hachanah constitue donc la confirmation et la réactivation de cet engagement et de ce lien profond qui existent minute par minute entre l’homme et l’Éternel. Par cette proclamation, nous disons aussi à D’ que nous voulons qu’il soit notre Roi, non pas un roi qui reste dans son palais, mais un roi qui s’occupe de nous, qui nous protège et qui nous guide. Nous le rappelons à D’ en lui disant à Roch Hachanah que tous nos acquis sont en réalité sans valeur et que d’une seconde à l’autre tout peut changer, tout peut être perdu sans Sa protection et sans Son aide. Nous exprimons cette prise de conscience de façon magistrale et émouvante dans la prière du «Sané Toquef» où nous disons: «D’ décide … qui vivra et qui mourra; qui atteindra le terme de la vie et qui n’y arrivera pas ...»


Toute cette prise de conscience et ces belles déclarations sont certes de grande valeur, mais comment se conjuguent-elles avec le concept de la «techouvah», du repentir sincère ?

Le concept de la techouvah est absolument unique et particulier au judaïsme. En effet, il s’agit de la suppression totale par le pardon d’un acte religieusement et moralement répréhensible. Cela ne concerne évidemment que les manquements dont l’individu s’est rendu coupable dans ses relations avec l’Éternel. Un assassin peut se repentir autant qu’il le souhaite, ce n’est pas pour autant qu’il peut échapper à une peine pénale, bien qu’il ait la possibilité de mettre son âme en paix face à D’. Afin que le repentir soit véritablement sincère, complet et acceptable pour D’, il s’effectue en trois temps intimement liés et inséparables: regretter profondément les erreurs du passé - donc les reconnaître, décider d’arrêter immédiatement d’agir de la sorte et prendre la résolution de ne plus recommencer à l’avenir. Il ne s’agit donc pas d’une confession qui peut mener à une absolution donnée par un ecclésiastique et ce aussi souvent que nécessaire, à chaque fois qu’un individu reconnaît ses fautes. Ce n’est que l’Éternel qui sait si notre repentance est véritablement sincère.
Le Juif est placé seul face à ses responsabilités, aux conséquences qui découlent de ses prises de conscience et aux résolutions qu’il prend pour son avenir. C’est là que la notion de responsabilité individuelle est concrétisée dans toute sa vigueur.
Le repentir constitue Le moment de vérité où nous reconnaissons ne pas avoir eu une conduite à la hauteur de ce que l’Éternel attend et exige de nous. Roch Hachanah s’inscrit tout à fait dans la période propice au repentir sincère, car c’est avant tout la fête de la prise de conscience et de la réaffirmation des liens et des relations qui existent entre l’être humain et D’. Ces deux éléments nous mènent donc directement à la prochaine étape où nous disons vouloir nous améliorer, abandonner nos défauts et nos agissements qui ne sont pas conformes au système des valeurs divines auquel nous venons de faire promesse de fidélité et d’obéissance. En affirmant donc que D’ est celui sur lequel je compte pour me protéger, pour veiller à ce que tout en moi fonctionne parfaitement bien, que chacun de mes vaisseaux capillaires et de mes artères restent ouverts, je veux rétablir et améliorer ma relation avec l’Éternel au cas où je serais coupable de quelques manquements. C’est pourquoi D’, dans sa miséricorde, nous a accordé une «planche de salut», les dix jours de pénitence, durant lesquels nous pouvons regretter sincèrement et douloureusement nos fautes. Nous pouvons bien entendu nous repentir à chaque instant de l’année, mais nos sages nous disent que pendant ces dix jours, D’ est particulièrement réceptif à notre contrition. En fait, il nous dit: «A Roch Hachanah, je vous évalue et à Yom Kippour, je rends mon jugement. Utilisez ces dix jours de bienveillance afin que vos avocats travaillent pour vous», les avocats étant nos actes de piété et de bienfaisance, les mitsvoth.


Tout ce que vous venez de nous dire s’applique à une personne croyante et/ou pratiquante. Qu’en est-il de ceux d’entre nous qui ne sont ni l’un ni l’autre ?

Croyez-vous que D’ ait besoin de nos mitsvoth, de nos actes de piété ? Absolument pas. Toutes les mitsvoth n’ont qu’un seul objet: réglementer la conduite humaine. De plus, les mitsvoth ne constituent pas un bloc monolithique où prévaut le tout ou rien. L’Éternel nous a donné 613 mitsvoth bien séparées. Celui qui en accomplit 612 et en laisse une seule de côté est irréligieux, mais celui qui en réalise une seule exécute un acte religieux. N’oublions pas qu’il existe plusieurs sortes de mitsvoth et que celui qui fait œuvre de bienfaisance, qui aide son prochain, qui est correct avec ses employés et qui traite son entourage avec respect, effectue l’un des 613 actes de piété prescrits par la Torah. D’ailleurs, les Dix commandements sont structurés de manière telle à ce que cinq concernent les relations entre D’ et l’homme et les cinq autres celles entre l’homme et son prochain.


Que considérez-vous être le plus grand défi auquel le peuple juif est confronté aujourd’hui pour préparer son avenir ?

Je pense que la préoccupation dominante qui interpelle nos dirigeants est la question de la survie de notre peuple. A cet égard, le type de rapports qui régit les relations entre le judaïsme traditionnel et le mouvement réformé est fondamental, car nous n’avons pas les moyens de perdre ceux d’entre eux qui sont des Juifs authentiques. Hitler nous a pris trop de monde ! Nous devons faire un effort de rapprochement vers le mouvement réformé basé sur des réalités et sans que les questions essentielles ne soient éludées. La situation est assez terrible, une statistique publiée par le mouvement réformé lui-même et portant sur quatre générations a démontré que sur 100 Juifs qui ont adhéré au mouvement réformé, 11 sont restés juifs; sur 100 membres des synagogues du groupe conservateur, 37 personnes s’identifient encore comme juives; sur 100 Juifs orthodoxes, 961 sont juifs (ils se sont donc presque décuplés) ! Le mouvement réformé a reconnu dans sa déclaration de Pittsburgh de 1999 qu’il encourage un retour à la tradition sans pour autant abandonner certaines pratiques qui lui sont propres comme par exemple les mariages homosexuels, mixtes, etc. Nous devons donc mener un dialogue afin que les Juifs réformés reviennent dans le giron du judaïsme traditionnel. Ils ont la force, les moyens, l’intelligence, le succès et surtout une population nombreuse, ce qui leur permet de jouer un rôle déterminant dans l’avenir du peuple juif. Nous sommes une espèce en danger et nous devons tout mettre en œuvre afin de récupérer ceux parmi nous qui ont cru bien faire en modifiant la discipline de la Torah. Les chiffres et les statistiques démontrent que le fait de vouloir faciliter la pratique religieuse à l’extrême n’a mené à rien d’autre qu’à la perte d’un grand nombre de nos coreligionnaires. Il est grand temps de mettre un terme à cette saignée. L’orthodoxie moderne, dans sa grande majorité, est entrée de plain-pied dans le monde contemporain et ce sans abandonner les règles de la législation juive et les traditions. Rappelons qu’à l’issue de la Shoah, le peuple juif comptait 12,5 millions d’individus et qu’en 1996, le chiffre était identique. Or une espèce qui ne s’agrandit pas est condamnée à disparaître. Nous n’en avons pas le droit et aujourd’hui plus que jamais, nous sommes mis au défi de nous entendre avec les Juifs non-orthodoxes afin d’assurer la pérennité de notre peuple.


Bien que notre calendrier n’ait aucun rapport avec l’arrivée de l’an 2000, pensez-vous que Roch Hachanah 5760 soit d’une façon ou d’une autre concerné par ce changement de millénaire ?

Religieusement parlant, certainement pas. Cela dit, je pense que toute pause, tout instant de réflexion disant «qu’avons-nous accompli au cours de ces 2000 ans, quelle a été notre conduite, comment avons-nous pu agir de la sorte et que pouvons-nous attendre des uns et des autres pour le millénaire qui s’ouvre devant nous ?» est salutaire et précieux. Le moment est peut-être aussi venu de mettre en balance le Christianisme qui, pendant 2000 ans, a tenté d’humaniser l’homme avec les méthodes qui lui sont propres et les résultats que l’on connaît…, avec 3500 ans de Judaïsme et de vie par la Torah ! Jamais nous n’avons eu autant d’occasions qu’aujourd’hui de réaliser des choses. Nous avons le privilège de vivre à une époque où l’homme a réussi à domestiquer la nature, ce qui nous rend la vie bien plus facile et nous a débarrassés de nombreuses servitudes physiques. Par conséquent, l’homme dispose de beaucoup plus de temps libre. La question qui s’impose donc tant pour Roch Hachanah 5760 que pour le changement de millénaire est de savoir de quelle manière nous allons utiliser tout ce temps qui nous est offert. Qu’allons-nous entreprendre afin d’améliorer le sort de nos congénères et de mériter ce titre fabuleux d’être humain et d’apothéose de la création ?

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