Éditorial - Automne 1999
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Par Emmanuel Halperin, notre correspondant à Jérusalem
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Ehoud Barak veut être fidèle à son nom: en hébreu, Barak, c’est l’éclair. Élu pour «faire la paix» - contre un Netanyahou injustement perçu comme indifférent, voire hostile, aux mirages paradisiaques de la normalité – il lui faut donc une paix éclair. Une paix à la hussarde. Après cent ans de conflit israélo-arabe, quinze mois doivent, selon lui, suffire à assurer les fondements d’une solution pacifique. Et il lui faut, en cent jours, mettre le train sur les rails, car la loi du genre est connue: si un nouveau gouvernement temporise, hésite, rate le coche, il va s’alourdir, s’assoupir, et finalement renoncer à la grande mission que le peuple lui a confiée.
Mais le peuple a-t-il vraiment demandé à M. Barak de céder tout le Golan en échange d’une paix froide avec Damas ? Attend-il vraiment de lui qu’il reconnaisse un État palestinien souverain à Gaza et en Judée-Samarie ? Certainement pas, et tout montre à quel point l’opinion israélienne reste floue, incertaine, habitée par le doute. Il n’empêche: Ehoud Barak pense pouvoir disposer d’une éclaircie politique, peut-être de courte durée, et ce stratège confirmé estime qu’il est impératif pour lui d’exploiter cet atout, de faire le maximum pour que cette embellie, due à une conjoncture propice, tant interne qu’internationale, se transforme en une paix rayonnante, solide et stable.
Si tel est son destin – être l’homme grâce à qui s’établira enfin la paix – il n’a pas le droit de lui tourner le dos, au contraire, il doit tout faire pour que ce destin advienne. Démarche respectable que la sienne, sans doute même consubstantielle au concept d’homme d’État. C’est aussi affaire de caractère, de tempérament: Barak s’est toujours perçu et présenté, même aux heures difficiles dans l’opposition, quand il était contesté par ses amis politiques, comme un Général la Victoire, un homme qui réussira demain, car il a réussi hier. Certains ricaneurs l’affublent déjà d’un couvre-chef napoléonien.
Tout cela explique le forcing des premières semaines, la ronde impétueuse des voyages et des rencontres: de Clinton à Eltsine, de Moubarak à Arafat, et plutôt deux fois qu’une. Et l’optimisme affirmé, le dynamisme affiché, la poignée de mains et les sourires tous azimuts. Mais la matière résiste, et les hommes d’en face, peut-être séduits dans un premier temps, posent quelques questions simples et décourageantes. Allons, ce n’est qu’un début, dit Ehoud Barak, continuons le combat.
L’analyse politique du nouveau Premier ministre se fonde essentiellement sur un constat lucide: dans cette région du monde, il n’y a pas de pitié pour les faibles, c’est toujours vae victis, malheur aux vaincus, et Israël, comme l’ont toujours dit Ben Gurion, Golda Meir ou Menahem Begin, ne peut se permettre aucune défaite: la première serait la dernière, il n’y aurait pas de deuxième chance.
Conséquence: il ne suffit pas qu’Israël soit un État fort, une société solide; il faut que cette force soit évidente, éclatante, éminemment supérieure à celle de ses voisins. La paix impose donc, paradoxalement, une plus grande puissance militaire, un armement plus sophistiqué, et donc de plus grandes dépenses. C’est ce que M. Barak a longuement expliqué au président Clinton. S’il faut renoncer au Golan pour satisfaire la Syrie, s’il faut céder l’essentiel de la Judée-Samarie à Arafat, si l’Irak et l’Iran se dotent demain – comme cela est prévisible puisque la Russie refuse de limiter ses transferts de technologie – d’armements nucléaires et d’autres gadgets non conventionnels, il faut absolument qu’Israël possède une force de dissuasion convainquante. Autrement dit, au-delà des soixante nouveaux F-16 commandés aux États-Unis pour 2,5 milliards de dollars, au-delà des trois sous-marins dont le premier, le Dolphin, a été livré en juillet, il faudra beaucoup d’argent pour améliorer la défense nationale, sans compter les alternatives qu’il faudra trouver à la présence de troupes et de stations d’alertes sur les hauteurs du Golan et sur celles de Samarie. M. Clinton a manifesté beaucoup de compréhension pour ce discours, mais en sera-t-il de même lorsqu’il s’avérera que c’est le contribuable américain, dans les dix années à venir, qui devra payer la note ? Les spécialistes estiment que la réévaluation des besoins militaires d’Israël, à laquelle s’ajoute le coût civil de toute cession territoriale (notamment les compensations qui devront être versées aux habitants des localités juives déplacées) imposera un doublement de l’aide américaine à Israël: de trois milliards à six milliards de dollars par an. Le Congrès acceptera-t-il ?
Il faut le souligner: aux yeux de M. Barak, c’est le fondement même de tout progrès vers une solution pacifique. Sans un dispositif de sécurité crédible – comme c’est le cas, par exemple, dans le Sinaï, entre l’Égypte et Israël – les accords politiques conduisant à des concessions territoriales douloureuses ne pourront pas être appliqués. N’est-ce pas faire preuve d’un optimisme exagéré que de croire en une extraordinaire générosité du seul bailleur de fonds possible ? Car ce n’est bien sûr pas l’Union européenne qui participera aux frais.
Ehoud Barak veut ensuite mener de front la négociation avec la Syrie et avec l’Autorité palestinienne. Pour ce qui est de la Syrie, après quelques échanges de vagues politesses sur un «nouveau départ», sur une «chance à saisir», Assad et ses porte-parole n’ont pas attendu plus de quelques semaines pour se dire «vivement déçus». Pourtant, le nouveau gouvernement laisse entendre qu’une cession du Golan est désormais probable – après vote à majorité qualifiée à la Knesset et référendum. Mais Assad s’entête à ce qu’Israël s’engage à se replier sur les lignes du 4 juin 1967 et non sur la frontière internationale, c’est-à-dire accepte pratiquement une mainmise syrienne sur la rive orientale du lac de Tibériade. Après quelques frémissements, la situation semble donc de nouveau bloquée. Mais M. Barak, curieusement, garde le sourire.
Il aura fallu encore moins de temps pour que les palestiniens se disent déçus. Ils s’attendaient à une application immédiate et entière des Accords de Wye Plantation, que M. Netanyahou avait signés sous la contrainte américaine. L’attente d’Arafat était fondée: avant et pendant la campagne électorale de ce printemps, l'opposition travailliste avait eu beau jeu de critiquer le gouvernement Likoud pour le «mauvais tour» joué aux palestiniens, c’est-à-dire la non-application des clauses sur la cession à Arafat de 27% des territoires de Judée-Samarie. M. Netanyahou justifiait son attitude par le refus des palestiniens de remplir leur part du contrat, notamment la lutte contre le terrorisme, la réduction des effectifs – abusivement gonflés – de la «police» palestinienne, la collecte d’armes illégales, l’interdiction d’inciter à la haine d’Israël et des Juifs dans les écoles et dans la presse palestiniennes.
Mais l’opposition faisait peu de cas de ces explications, qu’elle tenait pour des prétextes et des manœuvres dilatoires. Or voici que M. Barak, dès son élection, se présente chez Arafat et lui explique qu’il vaudrait mieux retarder une partie au moins de l’application de Wye, afin de l’intégrer aux négociations sur le règlement définitif du conflit. Et le ministre le plus «à gauche» du gouvernement Barak, Yossi Beilin, de renchérir: l’accord signé par Netanyahou, dit le Ministre de la Justice, est loin d’être parfait, il ne faut donc pas le considérer comme intouchable, l’essentiel est d’aboutir à un règlement global, etc. Pas question, répond Arafat. Et le Président de l’Autorité palestinienne se permet même de remarquer que «Barak est aussi menteur que Netanyahou, mais quand même moins sophistiqué».
Ce que le Premier ministre ne dit pas, c’est que la cession des territoires promise à Wye (avant même un accord d’ensemble qui – c’est suggéré dans le programme travailliste – acceptera la création d’un État palestinien sans même que l’OLP renonce au droit au retour des réfugiés de 1948) laissera Israël sans grands atouts territoriaux à négocier. Il essaye donc de faire machine arrière, ou du moins de freiner, exactement comme son prédécesseur, et aussitôt son image positive «d’homme de la paix» en est ternie aux yeux des pro-palestiniens. Une fois de plus on voit bien qu’un dirigeant israélien qui veille avant tout aux intérêts de son pays, quelle que soit sa bonne volonté «pacifique», a peu de chances de trouver grâce aux yeux des contempteurs systématiques de «l’occupation israélienne».
Cent jours, c’est bien peu pour lancer la machine sur la bonne voie, mais c’est assez pour décevoir, à gauche comme à droite, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Les critiques de M. Barak en Israël, qui dénoncent ce qu’ils appellent son «bonapartisme», n’agitent pas encore le spectre d’un Waterloo politique, mais ils croient déjà percevoir les prémices d’un échec annoncé.
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