Éditorial - Avril 1997
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VADIM GLUZMAN et ANGELA YOFFE, deux noms dont il faudra se souvenir ! Dans la vie, il s'agit en fait de M. et Mme Gluzman. Mais qui sont-ils ? Lui, 23 ans, grand violoniste virtuose, est né à Zitomir en Ukraine et a été élevé à Riga - Elle, 23 ans, grande pianiste, est née à Riga ! Tous deux sont venus s'installer en Israël respectivement en 1990 et 1991 avec leurs familles. L'expression de leur art est le produit de l'enseignement qu'ils ont suivi dans les meilleures écoles de musique d'URSS, d'Israël et des États-Unis.
"Je vous accorde cinq minutes !" dit Isaac Stern à Vadim, le jeune violoniste de 16 ans lorsque ce dernier fut présenté au grand maître pour une audition en 1991 à Tel-Aviv. Non seulement les "cinq minutes" se transformèrent en une leçon magistrale privée de plus d'une heure, mais Isaac Stern a suivi la carrière de Vadim Gluzman de très près et aujourd'hui, il est considéré comme l'un des jeunes violonistes les plus prometteurs de notre époque. Ses maîtres ont été Roman Schnea, Zakhar Bron, Yair Kless, Arkady Fomin, Masao Kawasaki et actuellement, il étudie et travaille avec Dorothy DeLay. Après des débuts couronnés de succès, Vadim Guzman a gagné une série de concours internationaux tels le Tibor Varga, le CIEM de Genève mais surtout, en 1994, le prestigieux "Henryk Szeryng Foundation Career Award". L'obtention de ce titre ne lui a pas rapporté d'argent, mais une série de concerts à travers le monde, dont le premier à Rome le 3 décembre 1994 sous la baguette de Lord Yehudi Menuhin. La fondation Szeryng a servi de "sésame" au jeune Vadim qui, depuis sa fameuse victoire, a donné des concerts dans le monde entier, en particulier aux États-Unis (entre autres à Carnegie Hall, New York), en Amérique du Sud et en Europe (à la Salle Gaveau à Paris). Pour la saison 1997/98, il est déjà engagé pour une série de concerts et de récitals en Allemagne sous la direction de Henrich Schiff, en Espagne, au Canada, au Japon ainsi que dans plusieurs villes d'Europe. Le jeune soliste a joué sous les baguettes des plus prestigieux chefs d'orchestre de notre temps et participe régulièrement aux activités des orchestres de chambre de San Diego, de Salzburg et de l'English String and the Oratorio Society of New York. Au début, sur l'intervention personnelle d'Isaac Stern, l'America-Israel Cultural Foundation lui avait prêté un violon Pietro Guarneri. Aujourd'hui, Vadim Gluzman joue sur un violon aussi beau que rarissime, un "ex-Leopold Auer", violon réalisé en 1690 de la main du grand luthier Antonio Stradivari dit Stradivarius. Il s'agit d'un prêt de la Stradivari Society of Chicago.
Vadim Gluzman a déjà enregistré deux CD et participe régulièrement à des programmes de radio et de télévision. Entre 1994 et 1995, il a enregistré cinq concerts avec Radio France.
Mais Vadim Gluzman ne poursuit pas sa fabuleuse carrière tout seul, il apparaît régulièrement aux côtés de sa charmante épouse Angela Yoffe, virtuose de piano. Ils ont d'ailleurs sorti un CD ensemble. Issue d'une famille de musiciens, Angela a fait ses premières armes à l'école Darzina de Riga et poursuivi ses études avec Ilze Graubin à Riga. Dès son arrivée en Israël, elle est entrée à la fameuse Académie Rubin où son maître était le professeur Victore Derevianko. En été 1992, elle a été admise à la Meadows School of the Arts à Dallas en tant qu'élève du professeur Joaquin Achucarro. Angela a gagné de nombreux prix et participé à d'innombrables concerts à travers le monde. Elle est actuellement assistante en piano au studio de violons de Dorothy DeLay à la fameuse Juilliard School de New York où elle étudie également la musique de chambre avec Johnatan Feldman tout en enseignant. Elle prévoit de faire une tournée de concerts aux États-Unis, au Canada, en Europe et au Japon, souvent en collaboration directe avec son époux, Vadim Gluzman. S'il est vrai que ce magnifique couple mène en quelque sorte une carrière parallèle, c'est bien Vadim Gluzman qui en est la vedette.
Etiez-vous ce que l'on appelle un "surdoué" dont le talent a éclaté dès le plus jeune âge ?
Pas vraiment. J'étais un enfant tout à fait normal et, à l'âge de sept ans, mon école a découvert que j'avais certaines aptitudes à jouer du violon. Mon père, chef d'orchestre, et ma mère, professeur de musique, ont tout d'abord refusé de voir le potentiel que je renfermais. Mais le père de celle qui allait devenir mon épouse et ma partenaire dans la vie, Angela, était spécialisé dans la découverte de jeunes talents. Ma mère me fit passer une audition chez lui et il lui dit: "Ne te mens pas à toi-même... ton fils sera violoniste !" J'avais sept ans et bien entendu, j'étais jaloux de voir mes parents enseigner à tous mes amis sauf à moi. Comme Angela, je fus intégré dans une école spéciale pour enfants doués où les études musicales représentaient 50% du programme.
A quel moment avez-vous décidé de faire carrière en tant que violoniste ?
En fait, c'est l'école qui a pris cette décision pour moi, mais je dois dire que j'ai très vite compris que pour réussir en tant que Juif, un seul choix s'imposait à moi: être le meilleur. D'ailleurs, lors de mon retour d'études en Sibérie (où se trouvait la meilleure école), je n'ai pas été autorisé à donner de concert parce que je suis juif et que mon père, qui devait diriger le concert, l'est également. Je n'avais le droit de jouer que dans le cadre du Centre communautaire de Riga. Voyez-vous, j'ai toujours pensé que tout ce qui nous arrive dans la vie est mérité, aussi bien les bonnes que les mauvaises choses. Mon épouse et moi-même avons été punis par le talent qui, contrairement à ce que l'on peut croire, n'est pas un cadeau.
Etes-vous en train de dire que l'effort est plus important que la satisfaction de pouvoir jouer avec une telle virtuosité ?
Non, c'est équivalent. Nous aimons énormément ce que nous faisons et bien entendu, aucun effort n'est trop important pour réussir. Le véritable succès, le moment d'intense satisfaction ne dure qu'un dixième de secondes. Il s'agit de ce bref instant où je me présente devant le public, portant mon violon à mon cou. Cette fraction d'interaction silencieuse et de communion entre le public et moi vaut tout l'or du monde, tout mon temps, tout mon travail et tous mes efforts.
A quel âge avez-vous donné votre premier concert avec un orchestre et comment s'est développée la coopération musicale entre Angela et vous ?
J'ai donné mon premier concert avec un orchestre à l'âge de neuf ans sous la baguette de mon père, Michaël Gluzman. Quant à la coopération avec mon épouse, nos deux familles se connaissent depuis toujours et en tant que musiciens, nous évoluions dans les mêmes milieux. Quelque temps après mon arrivée en Israël, j'ai été contacté par la radio pour enregistrer un récital et le producteur m'a demandé si je connaissais un pianiste pouvant m'accompagner. J'ai immédiatement appelé Angela et depuis ce jour, plus personne d'autre qu'elle ne m'accompagne au piano en solo.
Parlez-nous de vos relations avec le judaïsme lorsque vous viviez encore Riga et la façon dont s'est passée votre intégration en Israël.
A Riga, je savais qu'être juif était lié à un certain nombre de difficultés. Une fois par an mon arrière-grand-mère, pour une raison obscure, jeûnait toute une journée et une fois par an, nous recevions un pain plat et mauvais que mon père obtenait en faisant la queue à la synagogue. Pour le reste, ma condition de Juif était celle du défi et du rejet permanents. Par contre, je peux dire que dès mon arrivée en Israël, je m'y suis senti intégré. J'étais rentré à la maison, j'avais trouvé mon identité, mon pays, mon peuple et aujourd'hui, je mange cachère. J'ai immédiatement pu continuer mes études et, pour les besoins de ma carrière, j'ai été dispensé de l'armée. Mais mon premier contact avec Israël s'est déroulé à Riga lorsque j'ai entendu pour la première fois l'Israel Philharmonic Orchestra (IPO). Ce fut à la fois un choc terrible et une révélation tant du point de vue du niveau, de l'approche et des sentiments d'expression de la musique: la liberté d'interprétation et l'ouverture d'esprit avec laquelle la 5ème de Mahler était jouée. C'est là, ému aux larmes, que j'ai réalisé combien nous étions limités par notre naissance même. Nous avions appris à jouer d'une certaine façon et il était impossible de penser interpréter autrement ou même de discuter d'une idée avec le chef d'orchestre. Mais mon intégration en Israël s'est avant tout opérée sur le plan humain bien plus que sur le plan musical. L'accueil de la population et la solidarité qui s'est développée à notre égard constituent non seulement un souvenir inoubliable, mais une leçon de vie formidable que je n'oublierai jamais. Sur le plan musical, j'ai surtout appris une chose en faisant mes études de musique de chambre en Israël: comment écouter les autres.
Pourquoi vivez-vous actuellement à New York ?
C'est en fait grâce à Pinchas Zuckerman et surtout à Mme Waltraud Szeryng, qui m'a ouvert les portes des plus grands halls de concert du monde. Nous sommes des artistes israéliens et nous nous présentons comme tel au public, mais aujourd'hui, il est pratiquement impossible de débuter une carrière internationale depuis Israël. C'est à New York que l'on peut vraiment mettre le pied à l'étrier et être lancé de façon efficace. Un jour, nous retournerons vivre en Israël, notre patrie et notre véritable foyer.
Quels sont vos projets d'avenir ?
Notre activité se conjugue en trois temps: répéter... répéter... répéter ! Ce qui ne signifie pas que nous passons nos journées accrochés au violon ou au piano. Nous connaissons le fonctionnement technique de nos instruments, mais nous devons perfectionner notre jeu et notre interprétation.
Vous avez le privilège de jouer sur un Stradivarius. Quels sentiments cela vous inspire-t-il ?
Il s'agit bien entendu d'une émotion tout à fait spéciale. Il faut bien comprendre que la Stradivari Society of Chicago, à qui appartiennent ces violons, ne les prête qu'avec parcimonie et après avoir opéré un choix très sévère. La société a pour but de trouver des sponsors qui achètent ces violons, qui les prêtent à la société qui, à son tour, les assure et choisit les artistes qui ont le droit de les utiliser. Un Stradivarius vaut aujourd'hui entre deux et cinq millions de dollars et constitue un excellent investissement puisque sa valeur augmente en moyenne de 20% par an. Je ne peux qu'encourager tout investisseur potentiel à s'engager dans ce genre d'investissement. Il faut bien comprendre qu'il s'agit d'une aide importante apportée à de jeunes artistes qui tous, aujourd'hui, jouent avec des instruments prêtés par la Stradivari Society of Chicago. Pour ma part, j'ai reçu un superbe cadeau de Mme Waltraud Szeryng qui m'a offert l'un des archets de feu son mari, l'un des plus grands violonistes de son époque, Henryk Szeryng; il s'agit d'un archet fabuleux, dont la poignée est en tortue et or.
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