M., une femme médecin de 30 ans, est mariée depuis trois ans. Elle a rencontré son mari – un courtier en bourse de 35 ans – à une fête d’anniversaire d’une amie commune et ils se sont mariés au bout de six mois. L’année dernière, M. découvre que son mari a eu une aventure amoureuse avec un autre homme. Ecœurée, elle exige des explications. Le mari, s’excusant profusément, jure en pleurant qu’il a cédé à un coup de tête qui ne se reproduira pas. Quelques mois plus tard, M. se rend compte que son époux poursuit toujours cette relation et elle apprend par ailleurs qu’il a été un homosexuel actif durant toute sa vie adulte. Elle refuse désormais toute excuse et exige un divorce immédiat. Le mari accepte mais déclare que puisque la demande de divorce vient d’elle, il lui faudra montrer «beaucoup de compréhension pour l’accord financier». En l’occurrence, elle devra renoncer à sa part des biens communs, principalement à leur magnifique appartement.
Le divorce dans la loi juive dépend du consentement du mari. Dans les cas extrêmement rares où le mari peut être contraint à donner le divorce, il est difficile d’appliquer cette mesure dans des pays où tous les citoyens sont soumis au système judiciaire local. Par conséquent, il semble que M. n’a guère le choix que de céder au chantage si elle souhaite se dégager de ses liens et entamer un nouveau départ. Le mari lui fait remarquer cyniquement qu’elle peut s’estimer heureuse: certains formulent de telles exigences que la famille de l’épouse est obligée de mobiliser ses propres ressources pour obtenir sa libération.
La Mishna (Ketoubot, 77a) énumère les types de maris qu’on peut contraindre au divorce. Il s’agit d’hommes souffrant d’une maladie sans remède, extrêmement répugnante ou contagieuse ou alors d’individus fort malodorants en raison de leur métier (tanneurs de cuir par exemple). Toutefois, le Shoul’han Aroukh (Even Ha'ezer 154a) stipule que si l’épouse était au courant de la maladie ou du métier du mari avant de se marier, ce dernier ne peut être contraint au divorce. Dans ce cas, l’épouse a de facto accepté l’état ou le métier du mari et elle ne peut donc prétendre que la vie à ses côtés lui est insupportable.
Il en découle que lorsque le mari est contraint au divorce, c’est parce que son état ou son métier constitue une antithèse aux conditions élémentaires du mariage: la vie commune dans le cadre d’une famille normale. Toutefois, si une femme épouse son mari en toute connaissance de cause, cela implique que les clauses de ce mariage précis se situent hors de la norme habituelle et qu’elle y a consenti de son plein gré. Elle ne peut donc prétendre que les clauses du mariage ont été violées et qu’il doit être annulé.
Ce n’est pas le cas lorsqu’un de ces éléments violant les conditions primordiales de la vie commune préexistait au mariage et que l’épouse n’en était pas consciente; car son accord, indispensable pour la validité du mariage, a alors été fondé sur de fausses présomptions. Par conséquent, le mariage a été célébré sans véritable consentement de la part de l’épouse et il est donc nul et non avenu. Ainsi, la Mishna évoque la nécessité d’un divorce uniquement pour les cas où ces éléments sont intervenus après le mariage, modifiant ainsi le contrat initial.
Examinons le cas où le mari se trouve au moment du mariage dans une situation contredisant clairement les conditions primordiales de la vie commune; si la femme l’a épousé sans le savoir, cette union est considérée comme «une transaction erronée», où une partie a été lésée parce que l’autre lui a dissimulé un élément fondamental. Un tel mariage n’a pas de valeur légale aux yeux de la loi juive.
Le rav Yitzhak Elhanan Spector de Kovno, éminente autorité halakhique du XIXe siècle, établit ce qui suit (Ein Yitzhak volume I, Even Ha'ezer 24, 6): un mariage célébré alors que le mari est incapable d’avoir des relations conjugales est nul et ne nécessite pas de divorce. Cette opinion est partagée par plusieurs décisionnaires postérieurs, dont le rav Moshé Feinstein, autorité réputée du XXe siècle (Igrot Moshe, Even Ha'ezer section I, 79).
Le rav Moshé Feinstein déclare (Igrot Moshe, Even Ha'ezer section IV, 113) que l’homosexualité est une condition éminemment répugnante, qui fait honte à tous les membres de la famille. Elle constitue un obstacle à toute vie commune normale et représente une violation flagrante des conditions primordiales du mariage. Rappelons que dans la loi juive, le comportement moral est dicté par la tradition halakhique séculaire et non par les opinions politiquement correctes au goût du jour.
Toutefois, les lois de la «transaction erronée» incluent la restriction suivante: si le défaut ou le vice a été découvert par la partie lésée et que cette personne n’a pas aussitôt annulé le marché, on peut présumer qu’elle l’a accepté en toute connaissance de cause. Elle ne peut donc demander son annulation par la suite (voir Maimonide, Lois de l’acquisition 15, 3). Ainsi, selon le rav Moshé Feinstein, si l’épouse est restée avec son mari après avoir découvert son homosexualité, il est difficile de déclarer le mariage nul et non avenu.
Il existe cependant dans la Halakha une notion qu’on pourrait appeler «la présomption du bon sens». Lorsque l’acte d’un individu peut être attribué soit à un raisonnement standard soit à un raisonnement aberrant, on présume jusqu’à preuve du contraire qu’il a agi pour des motifs standards. Cette notion intervient dans différents cas, dont le suivant, mentionné dans le Talmud: avant de se remarier pour la deuxième fois, une femme donne tous ses biens à sa fille. Plus tard, elle divorce de ce deuxième mari et demande à sa fille de lui restituer tout ce qu’elle lui a donné. Rav Nahman (Traité Ketoubot 79a) juge que l’acte du don initial est invalide. En effet, en donnant tous ses biens à sa fille, la femme avait sans doute pour unique objectif d’empêcher le second mari d’hériter au cas où elle mourrait la première. On présume encore qu’elle avait l’intention, en cas de divorce, d’annuler le don, le motif l’ayant suscité n’existant plus. La loi préfère introduire ce motif dissimulé à l’acte du don, plutôt que de juger que la femme a agi de façon inconsidérée en renonçant à tous ses biens.
De même, lorsqu’une femme continue la vie commune avec un mari homosexuel, cet acte (ou absence d’acte) peut s’expliquer de deux façons: comme l’acceptation anormale du mari tel qu’il est ou comme l’espoir sincère que son histoire relève d’un écart isolé, qui ne se reproduira pas. Nous préférons penser qu’elle a agi en vertu de cet espoir naïf qui s’insère, selon la Halakha, dans le cadre du raisonnement normal, standard. Et nous refusons de croire qu’elle a pris la décision aberrante de vivre avec un homosexuel, sachant qu’une telle vie constitue une grave violation des conditions élémentaires du mariage.
Par conséquent, si le mari de M. refuse de lui accorder le divorce ou s’il exerce sur elle un chantage économique, M. peut s’adresser à un tribunal rabbinique compétent afin qu’il déclare ce mariage nul et non avenu.
* Le rabbin Shabtaï A. Rappoport dirige la yéshivah «Shvout Israël» à Efrat (Goush Etzion). Il a publié entre autres travaux les deux derniers volumes de «Responsa» rédigés par le rabbin Moshé Feinstein z.ts.l. Il met actuellement au point une banque de données informatisées qui englobera toutes les questions de Halakha. Adressez vos questions ou commentaires à E-mail: shrap@bezeqint.net.
|