Une vieille blague illustre combien, à un moment donné, Israël était loin de toute idée d’être présent dans l’espace. Un jour, un Américain s’est vanté auprès d’un Israélien en lui disant: «nous venons d’envoyer un satellite sur la lune !». Et l’Israélien de lui répondre: «bientôt, nous enverrons un satellite sur le soleil». L’Américain: «c’est ridicule, il y fait beaucoup trop chaud !». Sur quoi l’Israélien lui répondit fièrement: «eh bien, nous le lancerons de nuit !». Aujourd’hui, un tel dialogue, même imaginé, ne pourrait bien entendu plus avoir lieu en Israël.
En effet, l’un des éléments essentiels qui permet le développement économique d’un pays réside dans une infrastructure de communication rapide et solide. L’utilisation de satellites pour l’établissement de réseaux de communication privés et publics constitue donc aujourd’hui la méthode la plus sophistiquée et la plus économique (rapport qualité/prix) disponible actuellement sur le marché, en particulier en des lieux où l’infrastructure de communication est inexistante ou doit être modernisée.
Le Département des systèmes de missiles et de l’espace de l’industrie aéronautique d’Israël offre toute une gamme de satellites parmi les plus modernes et les plus performants au monde. Bien entendu, ceux-ci ont une application particulière dans le domaine militaire ce qui, pour Israël, constitue un plus de tout premier plan. Afin de nous permettre de connaître l’essentiel du programme spatial israélien de communication et d’observation, nous avons rencontré JOSEPH WEISS, vice-président et directeur général de l’IAI - Israel Aircraft Industries Ltd, Systems Missiles & Space Group. Pour la petite histoire, il est intéressant de dire que pour être admis dans le «saint des saints», à savoir le Centre de recherche de l’Industrie aéronautique israélienne (Mabat), nous avons dû passer au préalable un sérieux examen sécuritaire et avons été accompagnés à chaque pas de la visite guidée et parfaitement balisée par une dame, certes charmante, qui n’est autre que le chef de la sécurité de cet endroit à la fois mystérieux et magique.
Pourquoi Israël a-t-il estimé nécessaire de développer une industrie spatiale ?
Nous faisons actuellement partie d’un tout petit club de sept ou huit pays dont les membres sont à même de dessiner des satellites, de les développer, de les construire, de les tester, de les lancer et de les utiliser tant qu’ils fonctionnent. Toute cette aventure a commencé il y a environ 25 ans, après la signature du traité de paix avec l’Égypte de 1979, aux termes duquel Israël a évacué le Sinaï et s’est retrouvé pratiquement sans aucune profondeur territoriale pour les services de renseignements. Il faut bien comprendre qu’à l’époque, l’idée d’être présents dans l’espace pour collecter des informations n’était pas très répandue, cette technologie n’étant alors utilisée que par les USA, la Russie et la France. Mais après une série d’études et de discussions, la décision a finalement été prise en 1982.
Comment avez-vous établi votre industrie ?
Il était beaucoup plus simple de prendre la décision que de savoir comment la réaliser. Il s’agissait d’un domaine que nous ne connaissions absolument pas et nous avons dû tout apprendre depuis le début. Pour ce faire, nous avons envoyé nos étudiants dans des universités spécialisées afin de leur permettre d’étudier ce qu’est l’espace. La décision de 1982 ne concernait pas seulement la construction de satellites, mais aussi la capacité de lancement et surtout l’indépendance totale de gestion de ces appareils qui nous donnerait un accès à toutes les images que nous souhaitions obtenir. «L’indépendance», tel est le mot clé de toute cette opération. Nous ne voulions pas prendre le risque que notre accès aux images puisse devenir l’enjeu d’une pression politique. Nous devions donc être capables de tout faire nous-mêmes. En 1989, le premier satellite israélien de démonstration, OFEQ 1, (Horizon en hébreu) a été mis sur orbite. Il s’agissait d’une espèce de boîte rectangulaire munie d’un certain nombre de composants électroniques mis au point par nos services. Pour nous, il était important de tester et de démontrer que nous étions à même de fabriquer des éléments capables de fonctionner sans faille et de se maintenir dans l’espace. A la hauteur à laquelle nous opérons, soit entre 450 et 800km, il n’y a que le vide, l’apesanteur et de nombreuses particules de tous genres. Nous nous trouvons donc au-delà de l’atmosphère à proprement parler et tous nos satellites doivent pouvoir se maintenir pour une période d’environ six ans. Le satellite de démonstration suivant, OFEQ 2, a été lancé en 1990. Là encore, il ne s’agissait pas d’un satellite opérationnel, mais d’un objet de test afin d’examiner nos capacités à construire, lancer et utiliser un satellite capable de travailler pendant une longue période.
Les lancements se sont-ils immédiatement faits du sol israélien ?
Nous avons une rampe de lancement en Israël même. A ce sujet, il faut savoir qu’étant entourés de pays arabes, nous ne pouvons pas lancer nos satellites comme cela se fait dans le monde entier vers l’est, c'est-à-dire en direction de l’orbite de la terre. Pour des raisons de sécurité, sous sommes obligés de les lancer vers l’ouest, soit à l’envers de la rotation de la terre. Cela exige une augmentation de 30% de la puissance de lancement et c’est évidemment nettement plus coûteux. Par conséquent, nous avons été contraints de faire des satellites plus petits, moins volumineux et plus légers. Aujourd’hui, ils offrent la meilleure parité coût/poids et qualité/prix.
Que s’est-il passé après le second lancement de démonstration ?
Tout d’abord, je dois dire que nous avons alors constaté que nous étions définitivement à même de nous lancer dans cette aventure de manière efficace, solide et sérieuse. Nous avons donc préparé la première génération de satellites d’observation opérationnels. En avril 1995, nous avons lancé le premier satellite mis au point par les services du gouvernement israélien, OFEQ 3. Il était prévu qu’il fonctionne pendant quatre ans en orbite, en fait il a travaillé pendant cinq ans et demi. Soudain, les yeux de nos services de renseignements se sont ouverts sur un tout autre horizon. A l’époque, la résolution était de 1.5m, ce qui revient à dire que d’une hauteur d’environ 600km, on pouvait voir un objet de 1.5m. Aujourd’hui, celle-ci est réduite à près de 70cm. En raison du succès d’OFEQ 3, l’IAI a décidé d’utiliser les installations techniques construites ici par le gouvernement israélien pour les satellites d’observation afin de se lancer dans la fabrication de satellites de communication. Nous avons alors construit AMOS 1, qui a été lancé au mois de mai 1996 et qui est toujours opérationnel. Il faut bien comprendre que la technologie des satellites de communication diffère totalement de celle des satellites d’observation. Ceux-ci tournent à la vitesse de 7 à 8km par seconde et sont placés, comme je vous l’ai dit, dans une orbite basse, soit à maximum 800km de la terre. Les satellites de communication sont «fixes» et placés à 36'000km de la terre. En fait, ils ne sont pas fixes, ils tournent simplement à la même vitesse que la rotation de la terre. En général, ils sont placés au niveau de l’équateur. En termes simples, ce sont des miroirs qui reflètent ce qui se passe à un point de la terre sur un autre point. Par exemple, pour la transmission du Mondial de Berlin à Tel-Aviv, un miroir du satellite enregistrait ce qui se passait sur le terrain de jeu et un autre le reflétait avec un rayon vers un capteur. Mais la différence essentielle entre un satellite de communication et celui d’observation réside dans le fait que le premier offre un service civil alors que le second a une vocation strictement militaire. Par conséquent, il faut bien comprendre que les satellites de communication constituent en fait «une marchandise» et que leurs services sont commercialisés dans le monde entier. Nous vendons des services à différents pays au Moyen-Orient et en Europe. Pour ce faire, nous avons fondé une société commerciale qui s’appelle ISI (Image-Sat-International). Dans le cadre de cette organisation, nous avons lancé EROS (Earth Resources Observation Satellites). Nous avons aussi créé une autre société israélienne pour la commercialisation de nos satellites et de leurs services, Spacecom. Le lancement des satellites de communication ne peut pas se faire d’Israël, car il exige une énorme puissance au départ. Nous avons donc pu travailler avec la Russie qui utilise encore et toujours les fusées Soyouz, celles qui avaient transporté Gagarine et les premiers astronautes soviétiques dans l’espace, y compris la fameuse chienne Laïka. D’ailleurs, le dernier satellite AMOS que nous avons ainsi lancé dessert l’Europe, le Moyen-Orient et la côte est des États-Unis, ce qui revient à dire que lorsqu’un soldat américain stationné en Irak parle à sa famille par exemple à New York, il se peut qu’il utilise, sans le savoir, un satellite israélien. Progressivement, nous avons lancé plusieurs satellites d’observation et de communication et aujourd’hui, cinq satellites totalement fabriqués, testés et opérés par Israël gravitent autour de la terre tant à usage militaire que pour des communications civiles. Pour terminer, il faut savoir que toute notre industrie spatiale n’a que huit cents employés et que nos satellites sont entièrement réalisés par nous du premier coup de crayon à la lecture des images et à la transmission des communications.
Quels sont les éléments essentiels que vous testez avant un lancement ?
Avant de partir pour son grand voyage, un satellite passe par deux phases critiques au moment du lancement: le bruit et le tremblement. Nous avons construit des plateformes tremblantes particulières qui recréent parfaitement les conditions de tremblement telles qu’elles existent au moment du lancement. Nous avons aussi mis au point des chambres acoustiques hermétiques, où le bruit du lancement est reproduit. Il s’agit d’un bruit dont la force du volume et des décibels peut facilement tuer un homme. De plus, nous vérifions au sol que le satellite est à même de résister aux changements de température. En effet, lorsqu’il est tourné vers le soleil, la température est très élevée, mais lorsqu’il est orienté dans l’autre direction, il est exposé à des températures glaciales. Il faut donc qu’il puisse supporter ces changements drastiques et relativement rapides sans éclater ou tomber en panne. Du sol, nous opérons les satellites 365 jours par an sans interruption et ce dans trois stations différentes: une pour AMOS, une pour EROS et une pour OFEQ.
Utilisez-vous l’énergie solaire ?
La majorité du carburant est utilisée pour le lancement du satellite puis, pendant toute son activité, le combustible restant est véritablement brûlé au compte-gouttes. C’est la raison pour laquelle chaque satellite est muni d’un panneau solaire qui permet de faire fonctionner un certain nombre d’instruments à bord. Dans ce domaine, nous avons une coopération très dense avec l’industrie spatiale européenne, à qui nous avons acheté certains panneaux solaires pour nos satellites de communication. En ce qui concerne nos satellites d’observation, nous avons construit les panneaux solaires nous-mêmes et ce aussi bien dans le but de permettre à certains instruments inclus dans le satellite de fonctionner que de nous faciliter les manipulations à partir du sol. Cela dit, selon l’orbite dans laquelle se meut le satellite et la position dans laquelle il se trouve par rapport à la terre et au soleil, l’énergie solaire ne peut pas être utilisée. Pendant cette période, c’est une pile qui se trouve à bord qui prend la relève 72 minutes par jour sur une période de 45 jours. La pile est perpétuellement rechargée par l’énergie solaire.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Au cours des dix-huit dernières années, nous avons lancé sept satellites. Aujourd’hui, nous avons des commandes pour huit satellites pour les quatre ans à venir. Nous devons donc sortir en moyenne deux satellites par an. En ce moment, nous construisons AMOS 3 qui remplacera AMOS 1, que nous avons lancé il y a dix ans et dont nous estimons qu’il sera hors d’usage en 2008. Nous avons prévu de lancer de nouveaux satellites pour les services de renseignements israéliens. De plus, en coopération avec la France, nous mettons au point un satellite qui portera le nom de VENUS (Vegetation and Environnemental New Micro Satellite). Il s’agit d’un petit satellite que nous construisons pour la France et qui sera utilisé pour observer l’évolution de certaines végétations par le CNES, le Centre national d'études spatiales. Nous sommes également en négociations avec l’Agence spatiale italienne.
Quant à la préparation de l’avenir, nous travaillons en étroite coopération avec toutes les universités d’Israël et le Technion de Haïfa. D’ailleurs, en 1997, celui-ci a construit avec notre aide un satellite, le Techsat 1, que nous avons lancé et qui est toujours sur orbite. De plus, nous organisons ici des visites de jeunes, afin de les encourager à se lancer dans la recherche spatiale.
Vous nous parlez de satellites d’observation à usage militaire, en particulier pour les services de renseignements. Comment se fait-il que lorsque des Arabes viennent enlever des soldats, vous ne les voyiez pas arriver ?
Afin de pouvoir prendre des images, les satellites volent donc à une orbite relativement basse. Pour ce faire, ils doivent tourner à une vitesse élevée qui est de 7 à 8km par seconde, soit une rotation totale autour de la terre de 19 minutes. Ils ne sont donc pas fixes. Pour prendre des images permanentes d’un point précis, il faudrait que nous puissions photographier de nos satellites de communication. Or en raison de la grande distance, personne au monde n’a encore à disposition une telle capacité ou technologie. Ceci ne signifie de loin pas que les satellites ne donnent pas à nos services de renseignements les informations dont ils ont absolument besoin mais, à l’heure actuelle, aucun satellite ne nous permet de voir ce qui se passe à l’intérieur d’une maison, d’une cave ou d’un tunnel.
Que deviennent les satellites à la fin de leur vie ?
Les satellites d’observation tombent progressivement dans l’atmosphère et sont ainsi brûlés. Quant aux grands satellites, il y a une obligation internationale d’y laisser un peu de carburant et le moment venu, ils sont propulsés dans l’espace.
Nous le voyons, la présence israélienne dans l’espace constitue un élément essentiel dans son combat pour sa survie. Elle n’en est qu’à ses débuts, mais toute une technologie aussi secrète que sophistiquée y est développée quotidiennement. Il ne fait aucun doute que la participation du petit État juif aux réalisations les plus modernes de notre temps et aux techniques déterminantes pour l’avenir de l’humanité constitue une source de fierté pour nous tous.
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