La rébellion des citoyens arabes d’Israël contre l’État a éclaté le 1er octobre 2000. Dans le langage blanchi des médias, on a utilisé des
termes comme «manifestations», «désordres»; tout euphémisme dissimulant les faits était bon. La visite d’Ariel Sharon, à l’époque membre de l’opposition à la Knesset, sur le mont du Temple à Jérusalem, le 28 septembre 2000 offre le prétexte qui met le feu aux poudres. Dans l’ensemble du Moyen-Orient, les Arabes musulmans, et plus particulièrement les Palestiniens, décrètent que cette visite sur le lieu le plus sacré de la terre pour le peuple juif constitue une «provocation», c’est une «profanation» d’un lieu saint musulman. Yasser Arafat et ses bandes de terroristes, qui n’attendent qu’une occasion de lancer une nouvelle offensive contre Israël, s’en saisissent aussitôt. Le lendemain, 29 septembre, une vague d’attaques terroristes est déclenchée, accompagnée de discours frénétiques exhortant les musulmans du pays à la violence. Ce nouvel assaut de terreur est nommé par les Palestiniens «l’Intifida El-Aqsa», pour mieux souligner sa connotation symbolique religieuse.
Le 1er octobre 2000, les Arabes d’Israël, incités à la violence par leurs dirigeants, y compris des membres de la Knesset, se joignent à l’Intifada, déclenchant une révolte contre l’État. Dans tout le pays, des foules arabes venues des villes et des villages bloquent les principales artères, en particulier la route traversant Wadi Ara et reliant le centre du pays au nord. Les émeutiers mettent tout à sac, incendiant des bureaux de poste, des stations-service, des postes de police, des banques et d’autres institutions publiques, ainsi que des commerces juifs. De nombreux passants juifs, tombés aux mains de jeunes Arabes enragés, sont battus sans pitié; un homme âgé est même tué par une pierre jetée contre sa voiture. Il faudra trois jours à la police pour contenir la première vague de violence, qui reprend de plus belle le 7 octobre et se poursuit encore pendant trois jours.
Treize Arabes trouvent la mort dans les affrontements avec les forces de l’ordre et si le chiffre n’est pas plus élevé, c’est essentiellement parce que la police exerce une grande retenue. Plus tard, la commission d’enquête établie par le gouvernement pour examiner les faits blâmera la police, jugeant qu’elle aurait dû montrer encore plus de retenue !
Ces événements et la réaction israélienne résument bien le problème principal de l’État d’Israël: depuis sa fondation, il a adopté une politique de l’autruche, refusant de reconnaître qu’un puissant ennemi menaçant son existence n’a cessé de croître en son sein.
Israël a été fondé avant tout comme État juif mais aussi comme État démocratique. Si les Arabes vivant dans le pays avaient adopté cet État comme leur patrie, son caractère juif et démocratique aurait été pour eux une bénédiction. Mais les Arabes d’Israël considèrent qu’ils font partie du monde arabe et se perçoivent plus particulièrement comme des «Arabes de la Palestine occupée». Ils ont beau bénéficier de tous les avantages offerts par un État démocratique, cela ne les empêche pas de partager l’espoir que cet État juif cesse un jour d’exister; qu’ils y jouissent de conditions de vie inégalées pour les Arabes du Moyen-Orient n’y change rien.
La commission d’enquête des «Événements d’octobre» a conclu, entre autres, qu’ils étaient le résultat de la discrimination des Arabes par l’État. En vérité, si l’on compare la situation des Arabes à celle des Juifs, ce sont plutôt ces derniers qui souffrent de discrimination. Bien qu’ils constituent aujourd'hui 20 % de la population du pays, les Arabes n’accomplissent pas le service militaire dont ils sont officiellement exemptés; en réalité, ils refusent de participer à la moindre forme de service national, fût-ce la plus pacifique qui soit, même dans leurs propres communautés; ce, parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas à défendre l’État ni à contribuer à sa prospérité. Leur attitude vis-à-vis d’Israël peut se résumer à cet adage populaire: «prends ce que tu peux, ne donne rien». C’est pourquoi ils évitent de payer des impôts réels, que ce soit à l’échelle municipale ou nationale. Dans le même temps, ils bénéficient de tous les services et avantages octroyés par l’État à ses citoyens. Comme ils payent très peu d’impôts sur le revenu, ils entrent statistiquement dans la classe sociale des défavorisés. Mais celui qui traverse les villes et villages arabes du pays sera surpris d’y découvrir les magnifiques villas abritant tous ces «pauvres gens». Nombre de bonnes âmes libérales et humanitaristes se lamentent sur la «pauvreté» des Arabes; s’en trouve-t-il une seule pour s’interroger sur l’origine des fonds ayant permis la construction de ces imposantes demeures ?
Les Arabes israéliens sont représentés à la Knesset par trois partis, élus au cours d’élections libres et démocratiques. Un de ces partis est officiellement communiste, un second s’affiche islamiste et le troisième est «national-démocratique»; s’ils divergent sur le plan politique, ils sont toutefois unis dans leur attitude unanime à l’égard d’Israël comme État juif. Tous souhaitent ouvertement sa disparition bien qu’ils aient prêté serment d’allégeance à «l’État et à ses lois» en se joignant à la Knesset. Les exemples suivants illustrent bien les dérives de cette double allégeance.
Wasil Taha, membre de la Knesset, représente l’Alliance démocratique nationale. Il soutient ostensiblement l’enlèvement début juillet 2006 des soldats israéliens par le Hezbollah libanais et le Hamas de Gaza, deux groupes terroristes. Il y a moins de cinq ans, son confrère, le chrétien Azmi Bishara, à l’époque président du parti, s’est rendu en Syrie; flanqué d’un côté par Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, et de l’autre par le président syrien Bashar Assad, il a explicitement appelé à la poursuite de la guerre contre Israël. «Le monde arabe devrait s’unir, a-t-il affirmé, et joindre ses forces dans une lutte pan-arabe au lieu de se contenter de révoltes locales palestiniennes et libanaises. La situation actuelle réclame l’unité arabe, qui n’existe pas.»
La politique déclarée de Bishara est qu’Israël doit cesser d’être un État juif pour devenir l’État «de tous ses citoyens». En d’autres termes, il souhaite la fin du seul foyer juif dans le monde, l’abolition de tous ses symboles, drapeau bleu-blanc et hymne national compris. Et cet homme siège au Parlement israélien !
Quant à Muhammad Barakah, chef du parti communiste arabe, il déclare: «Ma loyauté ne va pas à un État qui est juif et sioniste… Ce n’est pas un veau d’or que je suis obligé d’adorer.» Ce même homme a prêté serment d’allégeance à «l’État d’Israël et à ses lois» avant d’occuper son siège à la Knesset.
Ahmed Tibi est membre du parti mixte composé par la Liste arabe unie et le Mouvement arabe pour le renouveau. Représentant le mouvement islamiste, ce parti se considère comme un contingent du front islamiste. Pour l’islam, la disparition d’Israël constitue un devoir religieux. Ce parti réclame donc régulièrement l’abolition de tous les symboles juifs de l’État, avant tout le drapeau, l’hymne, la Menora (candélabre à sept branches). Se référant aux tentatives des Arabes pour détruire Israël, alors même qu’il siège au parlement de cet État et qu’il a obtenu son doctorat en médecine d’une université israélienne, il a plus d’une fois déclaré: «Un étendard arabe flottant au-dessus de toute terre arabe libérée est une source de fierté. Je ne doute pas que c’est le sentiment général parmi les Arabes israéliens. Quiconque affirme le contraire ne dit pas la vérité.»
Lorsque Saddam Hussein a lancé l’attaque de missiles contre Israël en 1991, de nombreux Arabes israéliens ont soutenu le dictateur irakien, manifestant ouvertement leur sympathie. «Nous, les Arabes de ce pays, a dit Tibi, nous souhaitons voir une force arabe puissante, capable d’affronter l’axe formé par les États-Unis et Israël.»
Précisons que ce florilège ne contient que les déclarations les plus modérées de ces membres arabes du Parlement israélien, qui jouissent de tous les droits et privilèges offerts par la démocratie juive. Des discours semblables ou encore plus extrémistes peuvent facilement être glanés chez d’autres députés arabes de la Knesset; c’est à qui produira la déclaration la plus hostile à l’égard d’Israël.
Alors qu’Israël se trouve en guerre sur deux fronts simultanés, contre le Hezbollah et le Hamas, Wasil Taha et Muhammad Barakah se prononcent une fois de plus dans cet esprit: ils réitèrent leur soutien à l'enlèvement et à l’assassinat de soldats israéliens, actes «légitimes» à leurs yeux. «Le Hezbollah et les autres ont fait ce qu’il était de leur droit et de leur devoir de faire: agir contre l’occupant israélien et l’expulser.» Rappelons qu’Israël n’est plus installé au Liban depuis l’année 2000 et que depuis près d’un an, il ne reste plus de traces d’occupation israélienne à Gaza.
Lors de la fondation de l’État d’Israël, un des articles de sa déclaration d’indépendance annonçait qu’il n’y aurait pas de discrimination parmi ses citoyens. Les Arabes d’Israël bénéficient des services et du cadre d’un pays moderne. Ils jouissent d’une éducation moderne, d’une technologie moderne, de services médicaux modernes et d’un taux élevé de natalité couplé avec un taux fort bas de mortalité infantile. Au cours des 57 dernières années, la population du secteur arabe a été décuplée. La population arabe se monte à un million et demi de personnes, sur un total d’un peu plus de sept millions d’habitants en Israël. La qualité de vie dont ils jouissent n’existe dans aucun pays arabe. L’analphabétisme a disparu et les universités leur sont ouvertes comme à n’importe quel autre citoyen. Ils possèdent leur propre système éducatif en langue arabe et ils peuvent participer à autant d’activités culturelles qu’ils le souhaitent dans leur langue. Ne croyez surtout pas qu’ils ne sont pas conscients des avantages que la vie en Israël leur présente. Alors même que leurs dirigeants incitent à la haine d’Israël, la plupart des Arabes israéliens sont terrifiés rien qu’à l’idée d’être soumis à un régime arabe. Ils sont parfaitement au courant des maux affligeant leurs plus proches voisins vivant sous l’Autorité palestinienne: corruption, sous-développement, pauvreté, analphabétisme, etc. Ils ont besoin d’Israël, malgré eux.
Un vétéran politique arabe a un jour décrit ainsi les sentiments des Arabes israéliens: «Israël est comme une marâtre; nous sommes heureux qu’elle veille sur nous mais en même temps, nous souhaitons sa mort.»
En conclusion, le danger guettant Israël ne vient pas uniquement des Arabes de l’extérieur, mais également de ceux qui vivent parmi nous. Les Arabes israéliens ne constituent pas seulement un problème démographique mais également un problème géographique. Ils sont concentrés en Galilée, dans le centre du pays et dans le Néguev. Il est à peu près certain que d’ici quelques années, des appels à l’autonomie nationale, voire à la séparation, surgiront dans ces endroits. Certains membres arabes de la Knesset lancent déjà des incitations dans ce sens. Par conséquent, la possibilité que l’État soit détruit de l’intérieur est loin d’être virtuelle. Ici réside le véritable danger, et Israël ne sait comment y faire face.
*Le professeur Moshé Sharon, autorité mondiale de la langue et de la civilisation arabes et professeur d’Histoire islamique à l’Université hébraïque de Jérusalem.
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