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Sommaire Éthique et Judaïsme Printemps 2002 - Pessah 5762

Éditorial - Printemps 2002
    • Éditorial

Pessah 5762
    • L’optimisme est de rigueur

Politique
    • Vers la lucidité

Interview
    • La clef de la victoire
    • Tourisme et terrorisme

Stratégie
    • La troisième force

Terrorisme
    • La nouvelle logique du terrorisme

Reportage
    • Urgences
    • Avoir le moral

Judée – Samarie – Gaza
    • La vie continue

Judée-Samarie-Gaza
    • Halte à rechelim

Médecine
    • Le laboratoire de l’espoir

Économie
    • Solidarité où es-tu ?

Croatie
    • Stjepan Mesic, Président de la Croatie
    • Jérusalem et Zagreb – Ljubljana – Bratislava
    • Juif en Hrvatska 
    • Glavni Rabinat u Hrvatskoj
    • Une bibliothèque atypique
    • La Shoa en Croatie
    • Les Oustachis
    • La survie en chantant
    • Un tournant décisif

Éthique et Judaïsme
    • Intervenir dans la vie privée ?

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Intervenir dans la vie privée ?

Par le Rabbin Shabtai A. Rappoport *
K. est un des piliers de la communauté juive locale. Industriel fortuné, il est réputé pour son honnêteté en affaires et pour ses activités philanthropiques. Il a ses entrées auprès de personnalités du gouvernement local ainsi que chez des représentants de la loi. L’épouse d’un des membres éminents de la communauté s’est récemment adressée à lui, sollicitant une entrevue privée. Selon la rumeur, les relations conjugales dans ce couple sont tendues mais leurs amis et connaissances, par respect pour la vie privée de cette famille honorable, se gardent bien d’intervenir. Lors de l’entrevue, l’épouse révèle à K. qu’elle subit depuis longtemps des sévices au foyer.
K. a écouté ce récit navrant, aux accents indéniablement véridiques, bien qu’il soit en contradiction flagrante avec l’image donnée par le mari, qu’il connaît de longue date. Cette nuit, il n’a pu fermer l’œil. Doit-il s’immiscer dans cette affaire conjugale ? Ce conflit intime le regarde-t-il ? Son premier mouvement est d’ignorer la requête de l’épouse, de se dire que dans ce genre de situation nul n’est tout à fait innocent, les deux parties ayant des torts; le différend doit être réglé à l’intérieur de la famille, éventuellement en recourant à une thérapie de couple.
Dans sa compilation définitive de Halakha, Arbaa Turim, Rabbi Yaakov ben Rabbi Asher – autorité notoire du XIVe siècle – cite une décision juridique (réponse) écrite par son illustre père (Even Ha'Ezer siman 154) au sujet d’un mari se comportant fréquemment de façon irrationnelle et piquant des colères. L’épouse déclare que son père était pauvre et qu’elle a épousé cet homme faute de mieux. Au début, elle a espéré supporter son comportement mais maintenant, elle n’en peut plus: il agit comme un malade mental et elle craint qu’il ne la tue dans un accès de fureur. La question posée était la suivante: le tribunal rabbinique local doit-il obliger le mari à accorder le divorce à sa femme ? Rabbi Asher répond par la négative, parce qu’on ne peut forcer au divorce que dans les circonstances explicitement mentionnées par les Sages. Dans ce cas, il incombe à l’épouse de négocier le divorce avec son mari ou de fournir l’effort nécessaire pour l’accepter tel quel, continuer à bénéficier de son soutien financier et maintenir les liens du mariage. Cette décision est également citée par Rabbi Yossef Karo dans son codex Shulchan Aruch (ibid. paragr. 5). Cela signifie-t-il que la Loi juive ferme les yeux sur le harcèlement conjugal ?
La grande autorité halakhique du XXe siècle, le rabbin Moshe Feinstein, discute (Igrot Moshe Even Ha'Ezer Vol I siman 80) la validité d’un mariage au cours duquel l’épouse découvre que son mari n’est pas sain d’esprit. Il stipule qu’un tel mariage n’est pas valide si l’épouse n’était pas au courant de l’état mental du mari avant le mariage. Le rabbin Feinstein explique que la réponse sus-mentionnée de Rabbi Asher ne contredit pas sa propre décision puisque dans le premier cas, il ne s’agit pas d’une personne malade mentale mais plutôt d’un homme doté d’un très mauvais caractère, avec qui il serait possible de s’entendre à force de patience et de sagesse. Cependant, le rabbin Feinstein ajoute au nom de Rabbi Eliyahu de Vilna (Biourei Ha’Gr’a seif katan 17) que la réponse de Rabbi Asher ne semble pas incompatible avec une décision établie par Rabbi Shlomo ben Aderet, autorité illustre du XIIIe siècle, également citée dans Shulkhan Arukh (ibid. seif 3, commentaire de Rabbi Moshe Isserlish). Cette décision concerne un mari se mettant régulièrement en colère au point de pousser son épouse à abandonner le domicile conjugal. Rabbi Shlomo décrète que ce mari doit être contraint au divorce parce qu’une telle vie conjugale est considérée comme insupportable. A première vue, la situation décrite ne semble pas plus grave que celle évoquée dans la réponse de Rabbi Asher où il stipulait pourtant qu’il n’y avait pas lieu de contraindre le mari au divorce. Rabbi Eliyahou explique (selon l’interprétation de sa brève note par le rabbin Feinstein) que la réponse de Rabbi Asher porte sur une épouse consciente au moment du mariage du mauvais caractère de son futur mari et disposée à l’accepter malgré tout, s’estimant capable de gérer ses colères. C’est seulement dans ce cas de figure qu’on ne peut contraindre le mari au divorce. En revanche, la décision de Rabbi Shlomo porte sur un mari devenu violent après le mariage; par conséquent, l’épouse n’est pas obligée de continuer à vivre avec lui puisqu’il s’agit d’un comportement normalement inacceptable pour une femme.
Après avoir cité la réponse de Rabbi Shlomo dans ses commentaires du Shulkhan Arukh, Rabbi Moshe Isserlish cite des autorités halakhiques allemandes du XIIIe siècle: «Un mari qui maltraite son épouse physiquement, viole un commandement biblique, comme tout homme qui agresse son prochain. S’il le fait fréquemment, le tribunal doit le punir, l’excommunier, lui appliquer un châtiment corporel approprié et l’obliger à s’engager sous serment à ne plus s’adonner à ces violences. S’il refuse d’obtempérer, certaines autorités décrètent qu’on le forcera à accorder le divorce à son épouse, après l’avoir mis en garde une fois ou deux, parce que maltraiter son épouse constitue un comportement inadmissible pour un Juif, bien que ce soit toléré parmi les Gentils.»
Remarquons que la loi juive considère également la violence verbale comme une agression et la juge donc tout aussi inacceptable.
Dans le chapitre qui sert d’introduction au volume sur la loi civile et la loi pénale (Tur Khoshen Mishpat), Rabbi Yaakov ben Asher met en lumière une divergence intéressante entre deux dictons assez semblables figurant dans le premier chapitre du traité Avot. On attribue le premier dicton à Rabbi Shimon le Juste, qui vécut au début du Second Temple: «L’univers repose sur trois piliers: la Torah, le service divin et la pratique de la bonté.» Le second dicton est attribué à Rabbi Shimon ben Gamliel, du IIe siècle: «L’univers se maintient sur trois piliers: la justice, la vérité et la paix.» Rabbi Yaakov cite l’explication donnée par Rabbi Yona de Girondi. Le premier dicton offre un ensemble de valeurs absolues; l’univers existe afin que ces idéaux soient atteints. Le second nous présente un ensemble de critères minimaux nécessaires pour que l’univers demeure viable et qu’il ne tombe dans l’anarchie; la justice sert à prévenir le mal, la vérité à empêcher le règne du mensonge et la paix à prévenir la violence. Rabbi Yona semble impliquer que dans la Torah, le châtiment des crimes a lieu d’être appliqué dans une société où prévalent les idéaux du premier dicton. Au sein d’une telle société utopique, la violence et les autres crimes sont extrêmement rares en raison précisément de la structure sociale et le châtiment doit être fondé sur la justice absolue. Cependant, lorsque le crime est plus répandu et que la constitution morale de la société est de qualité inférieure, la nécessité immédiate du second ensemble de critères se fait sentir: de nouvelles mesures doivent être adoptées par les tribunaux et par les communautés afin d’assurer « justice, vérité et paix ». Assurer justice, vérité et paix est une obligation impérative pour la communauté et s’il faut recourir à un châtiment plus sévère – alors soit. Autrement, la société se désagrège. De nombreuses décisions juridiques (citées dans Hoshen Mishpat siman 2) stipulent que lorsque la communauté juive seule n’est pas en mesure de prévenir des actes de violence, elle doit recourir aux autorités non juives, parce que mettre un terme à la violence revêt une importance cruciale.
Par conséquent, la requête de l’épouse en détresse ne peut être ignorée. La communauté dans son ensemble doit assurer le maintien de la justice, de la vérité et de la paix non seulement dans la vie publique mais également dans l’intimité de la vie familiale ou conjugale. Ne pas intervenir auprès du mari violent est injustifiable parce qu’une telle indifférence risque de miner l’existence même de la communauté comme communauté juive et d’avoir des répercussions très graves. Il incombe donc à K. de faire tout en son pouvoir pour mettre un terme au harcèlement, d’imposer le divorce si nécessaire, tout en assurant la sécurité de l’épouse, et en faisant intervenir la police locale le cas échéant.

* Le rabbin Shabtaï Rappoport dirige la yéshiva «Shvout Israël» à Efrat (Goush Etzion). Il a publié entre autres travaux les deux derniers volumes de «Responsa» rédigés par le rabbin Moshé Feinstein z.ts.l. Il met actuellement au point une banque de données informatisées qui englobera toutes les questions de Halakha. Adressez vos questions ou commentaires à E-mail: shrap@012.net.il.


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