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Sommaire Économie Printemps 2002 - Pessah 5762

Éditorial - Printemps 2002
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Pessah 5762
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Solidarité où es-tu ?

Par Roland S. Süssmann
Majestueux comme toujours, le fameux hôtel King David, fleuron du tourisme israélien et de l’hôtellerie mondiale, trône au centre de Jérusalem. En le voyant ainsi de loin, personne ne peut imaginer le drame humain qui s’y déroule, comme dans la majorité des hôtels israéliens depuis la fin du mois de septembre 2000: lobby et restaurants vides, étages fermés et licenciements multiples. En effet, depuis cette date fatidique où Arafat s’est lancé dans une nouvelle guerre contre Israël, le tourisme a commencé à décliner dans l’État Juif. Au début, tout le monde voulait croire qu’il ne s’agissait que d’une mauvaise passe. Mais très rapidement, les touristes ont déserté Israël au point que quinze jours après le début des violences arabes, la veille de la fête de Souccoth, seules trois tables étaient occupées dans la magnifique salle à manger du prestigieux hôtel. Les licenciements n’ont pas tardé à suivre.
Afin de nous donner une image de la situation du tourisme en Israël en général, à Jérusalem et au King David, nous avons rencontré HAIM SHKEDI, grand professionnel de la branche du tourisme et directeur-général du fameux hôtel.

Pour commencer, pourriez-vous rapidement rappeler l’historique des faits qui ont mené à la dégringolade dans le niveau du nombre de nuits d’hôtel vendues en Israël ?

L’année 2000 a été excellente pour le tourisme en Israël. Après quelques années difficiles, nous étions optimistes, nous commencions à croire que le tourisme était à nouveau en bonne voie car nous disposions d’un certain nombre de signaux prometteurs. Dès la reprise des hostilités arabes, nous avons immédiatement compris que quelque chose de très négatif venait de se produire et malheureusement, nous ne nous sommes pas trompés. Très rapidement, les premières annulations sont arrivées durant Souccoth. Si le mois d’octobre 2000 était encore plus ou moins supportable, celui de novembre fut l’un des plus mauvais que nous ayons vécu depuis très longtemps. Non seulement nous avions de nombreuses annulations mais surtout, il n’y avait plus aucune nouvelle réservation. Vers le milieu de l’hiver, les Juifs, surtout américains, ayant compris l’ampleur de la catastrophe, ont commencé à organiser les missions de solidarité (n.d.l.r. où étaient les Juifs de Suisse… absents, comme d’habitude,…). Ils ont ainsi amené quelques milliers de leurs compatriotes en Israël, ce qui, en fait, nous a donné l’oxygène nécessaire pour passer l’hiver. Au fur et à mesure que les mois passaient, nous nous rendions compte que la nouvelle Intifada ne constituait pas une crise passagère, mais une nouvelle situation avec laquelle nous devions vivre et à laquelle nous devions nous habituer et surtout dont l’issue était imprévisible. Depuis six ou sept mois, la situation ne s’est pas améliorée, mais s’est stabilisée et nous pouvons compter sur un taux d’occupation qui tourne autour des 30%. Ce n’est pas un état de choses très heureux, mais il nous permet de survivre.

Ce pourcentage correspond-il au taux moyen de nuitées vendues en Israël en général ?

Jérusalem est plus touchée que le reste du pays, mais le King David jouît du rendement le plus élevé de la ville. Ceci peut s’expliquer par le fait que tous les hôtels en Israël ont dû considérablement réviser leurs prix à la baisse. Les rares touristes qui viennent encore aujourd’hui en Israël peuvent donc s’offrir le King David pour un prix correspondant à leur budget, ce qui n’était pas le cas avant. Si quelqu’un peut habiter dans le meilleur ou disons ce qui était le plus cher des hôtels de la ville pour pratiquement le même prix que dans les autres, il aurait tort de s’en priver. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les délégations officielles ne constituent que 3 à 4% de notre clientèle. Nous ne pouvons pas compter sur elles, car elles annulent très souvent à la dernière minute. De plus, dans la plupart des cas, elles n’utilisent que les chambres et très peu les autres services de l’hôtel. Certes, leur présence met beaucoup d’animation dans la vie de l’hôtel, mais ce qui fait la différence, ce sont les clients qui choisissent de venir au King David, tant les individus que les groupes, exclusivement juifs. Il est assez intéressant de constater que dans le temps, nous commencions le mois avec des hauts taux de réservations qui souvent diminuaient de façon importante au fil des jours alors qu’aujourd’hui, en début de mois, les réservations sont relativement basses et se terminent dans la moyenne des mois précédents.

La nature de la clientèle a donc changé et il est intéressant de constater qu’il y a beaucoup plus d’Israéliens qu’avant dans l’hôtel. Là aussi, la question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’un phénomène propre au King David ou si nous sommes face à une tendance générale qui se développe actuellement en Israël ?

Avant l’Intifada, nous recevions en moyenne 7 à 9% d’Israéliens. Aujourd’hui, ce pourcentage se situe entre 25 et 35% car nous nous sommes rendu compte que sans cette clientèle, nous ne pourrions pas survivre. Nous avons donc tout mis en œuvre au niveau des prix afin de permettre à des groupes d’Israéliens de venir à l’hôtel pour des séjours, des week-ends, des séminaires professionnels, etc. Je pense qu’en agissant de la sorte, l’industrie hôtelière réalise quelque chose d’extrêmement sain et positif. En effet, il n’est de secret pour personne que la population israélienne vit une période très difficile. En permettant à une certaine tranche de celle-ci de se changer les idées, de se départir de la grisaille du quotidien en venant passer un week-end ou des vacances dans un hôtel auquel elle n’aurait normalement pas accès, nous participons modestement à renforcer le moral d’une partie de nos concitoyens. Je pense que nous faisons d’une pierre deux coups: d’une part ceci nous permet de continuer à fonctionner et, d’autre part, les Israéliens qui profitent de ces offres découvrent souvent leur propre pays et ont la chance de passer du bon temps dans un hôtel de luxe, ce qui leur fait certainement autant plaisir qu’à nous. A ce sujet, il faut savoir que sans le tourisme intérieur, la situation de l’hôtellerie israélienne serait encore plus négative. Je prendrai l’exemple d’Eilat où, jusqu’au début de l’Intifada, 40 charters européens atterrissaient par semaine alors qu’aujourd’hui, il n’y en a plus qu’un seul. Quant à la saison de Noël dernier, elle a été sauvée par les clients israéliens.

Cette situation vous a-t-elle mené à réaménager le fonctionnement de l’hôtel ?

Nous nous sommes donc adaptés à cette nouvelle réalité et avons mis en place les nouveaux arrangements opérationnels qui s’imposaient et ce malheureusement tout d’abord en réduisant le nombre des employés et les frais au strict minimum. Cela étant dit, nous avons décidé de continuer à tout mettre en œuvre afin que le niveau d’hôtellerie auquel nos clients sont habitués ne soit pas diminué plus que purement nécessaire. Nous avons par exemple supprimé pratiquement toute la décoration florale qui faisait la joie et l’admiration de tous.

La nature du travail a-t-elle changé ?

Comme en toute situation, il y a des aspects positifs et négatifs. Je pense que l’un des points les plus positifs réside dans le fait que nous avons appris, il est vrai durement, que pour réussir, nous devons être plus efficaces. Bien entendu, nous avions toujours en tête les grands classiques du commerce du genre «le client a toujours raison et nous dépendons de lui» mais à présent, tous nos employés ont compris que leur survie professionnelle et la possibilité de nourrir leurs familles dépendent directement du client et surtout de leur façon de travailler mieux, plus vite et plus efficacement. Les travaux effectués dans le temps par dix personnes sont réalisés aujourd’hui par deux et ce de façon plus prompte, plus énergique et plus adéquate.
Cela dit, je pense que l’un des points négatifs réside dans le fait que nous avons dû, comme je vous l’ai dit, réduire les frais. Toutefois, nous restons un hôtel de luxe où la clientèle s’attend à recevoir ce petit plus qui fait qu’elle aime venir dans ce type de lieu. C’est à nous de trouver cet équilibre qui nous permet de réduire les dépenses sans que cela ne se ressente auprès de nos habitués les plus fidèles. Par exemple, nous avons supprimé notre département de conciergerie, dont nous étions si fiers. C’était le meilleur en Israël car opéré par de jeunes professionnels, sympathiques, efficaces, bien éduqués, polyglottes et qui, de plus, étaient dotés d’un système informatique très complet, régulièrement mis à jour avec les moindres désirs de tous nos clients réguliers. Aujourd’hui, ce sont les employés de la réception qui remplissent cette fonction, ils font de leur mieux mais, naturellement, ce ne sont plus des clés d’or. Nous avions également un service de «majordome» à l’étage, très apprécié par les personnes qui souhaitaient se faire aider à déballer leurs bagages ou qui avaient besoin d’un autre type de service individualisé, nous avions un département dit de services généraux, à disposition 24 heures sur 24 et qui répondait à toutes les demandes de la clientèle. Toutes ces prestations, qui ne sont pas absolument nécessaires mais qui font la différence entre des quatre étoiles et un hôtel de luxe et qui étaient très prisées par une certaine clientèle, ont dû être supprimées ou réduites à leur plus simple expression. Nous avons finalement dû fermer la «Régence», notre grill de prestige dans lequel nous avions investi beaucoup d’argent et dont les menus et la carte étaient fameux. J’espère pouvoir l’ouvrir à nouveau pour Pessah, mais rien n’est encore décidé.

Vu la situation, pensez-vous qu’avec le temps, vous serez amené à fermer l’hôtel ?

Je ne pense pas, car nous avons établi un budget pour 2002 prévoyant un taux d’occupation autour des 30 à 35%, qui nous permettra même de faire un petit bénéfice. Je suis un peu plus optimiste qu’il y a deux mois. Je pense qu’en définitive, les Juifs de la Diaspora ressentent, d’une manière ou d’une autre, le besoin de venir en Israël, que ce soit pour des raisons religieuses, familiales, idéologiques ou autres. Or depuis environ quinze mois, ils se sentent en quelque sorte frustrés et je suis convaincu que bientôt, ils redonneront satisfaction à ce désir. Actuellement, nous travaillons avec une équipe réduite au minimum nécessaire, c’est-à-dire 190 employés, dont 60 à temps partiel, au lieu de 320 à 350 dans les bonnes années.
Sur un plan plus large, il y a bien eu quelques fermetures d’hôtels en Israël et les chiffres avancés parlent d’une cinquantaine, ce qui constituerait 20% de l’industrie. Or en analysant les faits, on se rend compte que les hôtels qui ont fermé n’étaient pas de véritables hôtels au sens strict du terme et qu’en définitive, sept grands hôtels ont fermé, ce qui est déjà assez grave en soi.

Nous sommes dans l’État juif et il est curieux de constater que vous gardez des employés arabes alors que vous n’hésitez pas à licencier des Juifs. Comme vous le savez, dans un État arabe, les Juifs seraient les premiers à être mis au chômage. Pouvez-vous nous dire pourquoi, en Israël, vous estimez devoir être «meilleurs» ?

Effectivement, mais les choses ne sont pas simples. Nous avons un intérêt particulier à donner du travail à ce cinquième de notre population qui est arabe, car si ces personnes ne travaillent pas, leur inactivité risque de se retourner contre nous. Sur le plan moral, j’estime qu’étant donné qu’ils sont légalement des citoyens à part entière d’Israël, ils ont le même droit au travail que nous. Nous avons donc un tiers de nos employés qui sont des Arabes. Je dois aussi dire qu’il y a un certain nombre de travaux que les Juifs ne sont plus disposés à faire. Finalement, nous avons besoins de non-juifs pour travailler Shabbat et nous préférons que nos employés ne travaillent pas les jours qui sont fériés dans leur religion. Nous évitons de faire travailler les Arabes le vendredi, les Juifs le Shabbat et les Chrétiens le dimanche.

Vous avez un grand nombre d’employés arabes. Comment assurez-vous la sécurité dans l’hôtel ?

Tous nos collaborateurs arabes sont régulièrement contrôlés par les autorités et nous-mêmes avons mis au point un certain nombre de systèmes internes pour les avoir à l’œil. Nous n’employons que des Arabes israéliens, soit personne des territoires. De plus, le seul département où nous avons augmenté le nombre d’employés est celui de la sécurité, où nous avons pratiquement triplé les effectifs. Mais je veux croire que nos employés sont reconnaissants d’avoir un travail et de pouvoir nourrir leurs familles.

La conclusion qui s’impose est sans appel: aller en Israël ne constitue ni un acte de bravoure ni de charité, mais simplement une manière concrète de faire notre devoir et de témoigner notre solidarité.


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