Éditorial - Automne 1997
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Roch Hachanah 5758
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Le rôle joué par la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, ses relations avec l'Allemagne nazie, les fonds en déshérence des victimes juives des Allemands, l'attitude des banquiers helvétiques, l'or nazi et les avoirs individuels des nazis déposés dans les banques suisses continuent d'agiter et d'inquiéter les esprits dans notre pays. Certains milieux utilisent d'ailleurs ce dossier comme prétexte pour se livrer impunément à des expressions ouvertement antisémites et ce tant au niveau politique qu'individuel. Afin de faire le point sur l'ensemble de la problématique, nous nous sommes adressés à S.E.M. le Conseiller fédéral FLAVIO COTTI, chef du Département fédéral des affaires étrangères et vice-président de la Confédération suisse.
C'est dans son confortable bureau du Palais fédéral que nous avons été très cordialement reçus par le Conseiller fédéral. Nous avons rencontré un homme très au fait du rôle exact joué par la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, tant dans ses manquements que dans ses bonnes actions. S.E.M. Flavio Cotti est très conscient de l'essor dangereux de l'antisémitisme en Suisse et est très fermement déterminé à tout mettre en ýuvre pour lutter contre ce fléau, notamment par le biais d'un effort éducatif. Dans une conversation à bâtons rompus, M. Cotti a très fortement insisté sur le fait que pour lui, "combattre toute attitude raciste représente l'obligation morale de chaque citoyen et citoyenne suisse". Nous avons également pu constater que toute son action est inspirée par deux lignes directrices: la recherche de la vérité et l'établissement de la justice (tant pour les victimes que pour la manière dont la Suisse est jugée). Il s'agit là d'un défi peu ordinaire et les tout premiers pas entrepris jusqu'à présent pour y faire face ne constituent en réalité qu'une faible amorce.
Pouvez-vous en quelques mots dresser un tableau de la situation actuelle du dossier de la question des fonds juifs en déshérence et du rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, en particulier à la lumière du récent sondage mené par l'École Polytechnique de Zurich?
Les premiers mois de la crise ont vu la mise en place des importantes mesures annoncées par la Suisse. Nous nous trouvons actuellement dans une phase de concrétisation et de suivi des initiatives prises. Ceci est d'autant plus important que, malgré une certaine internationalisation de la problématique, la Suisse demeure au centre de la polémique et de l'attention des médias internationaux. Il est donc fondamental que les organes mis sur pied ces derniers mois produisent rapidement des premiers résultats, dans l'intérêt de la vérité, de la justice et de la solidarité.
J'ai eu l'occasion de le dire à maintes reprises, par l'analyse objective et sans complaisance de notre histoire récente, nous saisissons une occasion unique de plonger nos racines dans un passé réel, non idéalisé, et de démontrer notre confiance en l'avenir de ce pays, confiance que le sondage que vous évoquez me semble refléter. De plus, ne l'oublions pas, l'action de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale ne se résume pas à ses manquements. Notre pays peut être fier des très nombreux services qu'il a rendus aux Alliés, et de l'accueil qu'il réserva à quelque 230 000 réfugiés, dont 27 000 Juifs. Nous recevons ainsi de nombreux témoignages de gratitude, de personnes ayant trouvé chez nous, au cýur de la tourmente, refuge et réconfort. Face aux reproches souvent disproportionnés qui nous sont adressés, il importe de le rappeler, en Suisse comme à l'étranger.
Le Fonds dit " humanitaire " dispose de ses premiers capitaux. Pensez-vous que l'argent que la Banque Nationale doit verser sera libéré prochainement? Si oui, quand? Si non, pourquoi? Pourquoi ce retard?
Le Conseil fédéral a récemment approuvé le Message recommandant au Parlement d'agréer la contribution de 100 millions de francs de la Banque Nationale suisse au Fonds humanitaire. A partir de maintenant, nous sommes confrontés à l'alternative suivante. Soit le Parlement s'estime effectivement compétent, et donne à cette contribution son approbation. Mon výu serait que les deux chambres du Parlement se prononcent lors de la session d'automne. Cette décision étant soumise, de par notre Constitution, au référendum facultatif, la contribution de la Banque Nationale ne serait alors versée effectivement qu'à l'échéance du délai référendaire, ou, le cas échéant, après le rejet d'un éventuel référendum. Soit le Parlement estime, dans le sillage de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, que la contribution de la BNS relève des compétences propres de cette dernière, et le processus législatif est interrompu. La BNS pourrait alors immédiatement libérer sa contribution sans que celle-ci soit soumise au référendum.
La dotation effective du Fonds s'élève actuellement à 170 millions de francs. Il importe aujourd'hui que le Fonds apporte au plus vite un soutien aux victimes de la Shoa, sur la base des moyens dont il dispose déjà.
Depuis le début de la controverse, l'impression prévaut que toute l'action de la Suisse, et ce à tous les niveaux concernés, se limite avant tout à une action défensive plutôt qu'offensive (commissions, fondations, etc.). En fait, il s'agit plus d'une simple réaction que d'une véritable action. Pensez-vous que cette impression soit juste? Si oui, pourquoi? Si non, à quel niveau l'action se situe-t-elle exactement?
Il est vrai, d'une manière générale, que la confrontation de la Suisse avec son passé récent est une conséquence des demandes et questions pressantes adressées à notre pays. Dans ce sens, le cas de la Suisse illustre les lacunes qui caractérisent le traitement apporté aux conséquences patrimoniales de la Seconde Guerre mondiale et, en particulier, de l'holocauste. Pour les raisons que nous connaissons bien - la Guerre froide et les nouveaux impératifs stratégiques qu'elle impliquait - on constate en effet que la Suisse, ainsi que la plupart des États occidentaux, y compris les États-Unis, avaient négligé de répondre à toutes les questions que cette sombre époque soulève. A cet égard, et cela ne la disculpe nullement, la Suisse n'est donc pas la seule à avoir été rattrapée par son passé. Les mesures adoptées par notre pays peuvent ainsi être perçues comme des réponses ou des réactions aux demandes qui lui furent adressées.
Cela étant dit, il convient de noter que les instruments mis en place par la Suisse font preuve de créativité et d'un réel souci d'exhaustivité: le domaine bancaire est couvert par le Comité Volcker; les aspects historiques, économiques et juridiques du rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale font l'objet du mandat confié à la commission Bergier. En outre, indépendamment de ces investigations, il apparaissait indispensable de faire preuve de solidarité avec les victimes de la Shoa, d'où la création du Fonds spécial humanitaire pour les victimes de l'holocauste dans le besoin.
Outre les banques et les autorités fédérales, il convient également de noter que la population suisse elle-même s'est saisie de cette controverse. Un débat historique très riche et intense anime aujourd'hui notre pays, ses écoles, ses universités, et ses médias. Enfin, de nombreux citoyens ont créé des associations dans le but de venir en aide aux survivants de l'holocauste, dont l'extrême précarité des conditions de vie, essentiellement dans les pays de l'Europe centrale et orientale, est apparue au grand jour avec la fin de la Guerre froide.
Je crois donc pouvoir dire que l'action de la Suisse - population, banques et autorités confondues - va bien au-delà d'une simple réaction. Nous faisons preuve, par notre action résolue, d'une sincère volonté d'éclaircir les questions demeurées en suspens depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et nous sommes déterminés à apporter une réponse humaine, rapide et équitable aux problèmes non résolus du passé. C'est ce qui permet notamment au Sous-secrétaire d'État Eizenstat de souligner le rôle modèle de la Suisse dans ce contexte.
Le 23 juillet 1997, les banques ont publié une liste de près de 2000 comptes en déshérence. Il s'est avéré que cette liste a été plus un élément d'embarras et de maladresses qu'un outil efficace pour apporter de nouveaux éclaircissements au dossier. Que pensez-vous de cette publication et comment voyez-vous la suite qui sera donnée à toute cette question?
La publication par l'Association suisse des banquiers de la liste des noms des titulaires étrangers de comptes dormants depuis la fin de la guerre a donné lieu à un certain nombre de critiques en Suisse comme à l'étranger. Il appartient évidemment aux banques de répondre aux critiques qui leur sont adressées et de corriger les erreurs ou maladresses commises. Néanmoins, je souhaiterais rappeler qu'il y a quelques mois encore, une telle mesure n'aurait pas été envisageable. Avec toutes ses imperfections, cette publication témoigne de la volonté de transparence qui caractérise l'action des banques suisses.
Par conséquent, j'estime que la publication de ces listes, les résultats des travaux de l'Ombudsman des banques - lequel, en sus des montants annoncés par l'ASB, est parvenu à identifier les ayants-droit de comptes dormants pour une valeur totale de 17 millions de francs - et les investigations du Comité Volcker apporteront une réponse aussi complète que possible à la problématique des avoirs dormants depuis la fin de la guerre.
Ce qui compte en définitive, c'est la volonté absolue des banques de restituer tous les avoirs dormants à leurs ayants-droit, et de verser à des organisations caritatives appropriées les montants non réclamés.
Toujours au sujet de la publication de cette liste, pensez-vous qu'il s'agit là effectivement d'un premier pas vers la suppression du secret bancaire en Suisse? Si oui, pourquoi et quelles en seraient les implications prévisibles à court et moyen termes? Si non, pourquoi?
Le secret bancaire est un des nombreux instruments qui, en Suisse, contribuent à assurer la protection de la sphère individuelle. Dans ce sens, le secret bancaire n'a pas pour objet de protéger la banque des indiscrétions publiques, mais bien le détenteur de compte.
La situation particulière des avoirs dormants depuis la Seconde Guerre mondiale exigeait des mesures extraordinaires. La Commission fédérale des banques a donc ordonné de telles mesures, afin de faciliter les recherches menées par les ayants-droit. Seuls les noms de titulaires de comptes ouverts avant le 9 mai 1945, et dormants depuis, ont été publiés. Les comptes ouverts après cette date et ceux qui ont connu une activité après la fin de la guerre ne sont pas publiés. Il s'agit donc d'une mesure tout à fait ponctuelle, je le répète, justifiée par la tragique problématique de l'Holocauste et, plus largement, de la Seconde Guerre mondiale. Il serait donc erroné d'en déduire la prochaine disparition du secret bancaire.
Quelles sont votre position et votre politique concernant les fonds nazis déposés dans les banques suisses? Ni la commission Volcker ni la commission Bergier ne s'occupent vraiment du traitement de cette question.
J'attire votre attention sur le fait que ce thème est partie intégrante du mandat confié à la Commission Bergier. (n.d.l.r.: Décret fédéral du 13 décembre 1996).
Cette controverse a provoqué un environnement assez malsain en Suisse même, en particulier au niveau des relations entre la population suisse et les citoyens juifs du pays. Certains politiciens profitent de cette situation pour renforcer leur pouvoir, les expressions de haine se multiplient et l'image de la Suisse continue à être traînée dans la boue à travers le monde. En votre qualité de leader Suisse, quelles sont les démarches pratiques qui peuvent être entreprises afin d'améliorer cette situation?
Le Conseil fédéral condamne fermement les manifestations de racisme et d'antisémitisme, sous quelque forme que ce soit. J'ai eu personnellement l'occasion de le rappeler publiquement à plusieurs reprises. A cet égard, la nouvelle disposition pénale en matière de discrimination raciale, pour laquelle je m'étais engagé en son temps, me paraît développer ses effets, comme le démontrent les condamnations récemment prononcées à Zurich et à Genève. D'autre part, la Commission fédérale contre le racisme vient de lancer une campagne de sensibilisation et de prévention sur le thème du racisme et de l'antisémitisme au quotidien.
Si la crise actuelle a suscité des manifestations ponctuelles d'antisémitisme, je tiens à souligner que tout politicien qui tenterait d'en profiter à des fins démagogiques se montrerait indigne des responsabilités qui lui incombent ou auxquelles il prétend aspirer. Même marginaux, de tels comportements sont odieux et inadmissibles. Ils ne doivent cependant pas occulter l'élan de solidarité de la population suisse envers les victimes de l'Holocauste, ainsi que les initiatives privées en leur faveur.
En votre qualité de Ministre des Affaires étrangères, avez-vous pu constater un changement d'attitude ou de position important dans les relations internationales que la Suisse entretient avec les autres États? Je pense en particulier avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël.
Cette controverse a certainement jeté un éclairage nouveau et pas toujours flatteur sur la Suisse. Il est vrai qu'auparavant, la perception de la Suisse s'apparentait plus à une image d'Épinal qu'à la réalité complexe d'un pays moderne et diversifié. Cela étant, je n'ai pas constaté de changement important dans nos relations bilatérales, pas plus avec ces trois pays qu'avec d'autres. Il est clair que cette question est évoquée et discutée à l'occasion de rencontres bilatérales. Mais nos relations reposent sur une vaste palette de domaines divers, qu'ils soient politiques, économiques, sociaux ou culturels, et la discussion actuelle n'a pas affecté l'excellente qualité de nos contacts. Je voudrais enfin souligner que l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, et de la passivité occidentale face à l'Allemagne hitlérienne d'avant-guerre, est malheureusement riche d'enseignements pour l'ensemble des pays occidentaux, ainsi que l'illustre, entre autres, la douloureuse question du refoulement des réfugiés juifs. Aussi, les travaux historiques en cours requièrent-ils la participation et la coopération de tous les États concernés.
Pour terminer, si la " Fondation pour la solidarité " est refusée, quelle signification ce rejet aura-t-il pour vous?
Comme le Président de la Confédération, le Conseiller fédéral Arnold Koller, l'a déclaré lors de son allocution du 5 mars dernier, la Fondation suisse de Solidarité est un projet qui inclura dans le cercle de ses bénéficiaires les survivants de la Shoa, mais qui ira aussi bien au-delà de cette discussion. Par le biais de cette Fondation, il s'agira de donner une nouvelle impulsion à l'esprit humanitaire qui caractérise la Suisse. C'est une entreprise tournée vers l'avenir et qui doit être pensée dans le long terme. Les deux groupes de travail constitués à cet effet sont en train d'élaborer leur rapport et leurs propositions, après avoir conduit environ 70 auditions avec plus de 50 organisations potentiellement concernées. Sur cette base, un projet concret sera présenté au Parlement et à la population. Je pense donc qu'il est prématuré de se livrer à des suppositions sur un éventuel rejet et je suis personnellement confiant qu'une fois cette proposition connue, elle saura susciter un large intérêt au sein du peuple suisse.
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