Éditorial - Automne 1997
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Roch Hachanah 5758
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Par le rabbin Shabtaï Rappoport*
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B. est un ingénieur informaticien de talent, âgé de 26 ans. Depuis sa tendre enfance, il souffre de problèmes d'ouïe. Au cours de son adolescence et de ses années d'étudiant, il a appris à surmonter son handicap par un habile jeu de conjectures et d'intuition. Il a même réussi à décrocher un diplôme d'enseignant. Ses jeunes élèves ont bien remarqué qu'il les écoutait avec une attention intense, mais il en était d'autant plus aimé. Des examens médicaux ont fini par établir que des minuscules tumeurs cérébrales, sans doute bénignes, exerçaient une pression sur ses nerfs auditifs. Une intervention chirurgicale, envisagée, a été rejetée en raison des risques qu'elle comportait et des bénéfices douteux qu'il en retirerait, dans la mesure où l'atteinte des nerfs auditifs était sans doute irréversible. Lorsque son ouïe s'est encore détériorée, il a été contraint de renoncer à l'enseignement et a été engagé par une société d'informatique comme programmeur.
Récemment, B. a commencé à souffrir de maux de tête et d'accès de vertige. Un examen par RMN a révélé que les minuscules tumeurs cérébrales avaient soudain commencé à se multiplier et à grossir; créant une pression à l'intérieur du crâne, elles posaient désormais un danger immédiat pour sa vie. A nouveau, on envisagea sérieusement une intervention chirurgicale bien que les risques fussent plus élevés qu'auparavant; mais cette fois, il s'agissait d'une mesure destinée à sauver sa vie et pas seulement son ouïe. Il était évident que sans intervention, B. était menacé de mort imminente. Toutefois, ses chances de survivre à l'opération étaient fort incertaines.
Faut-il miser sur une telle chance ? Devons-nous tenter de sauver une vie au prix d'une entreprise héroïque mais terriblement risquée ? ou devons-nous plutôt choisir la voie de la prudence et nous abstenir de toute intervention qui risque de tuer le patient ?
Sur la question appelée en éthique médicale "rapport bénéfice/risque", il existe une source bien connue illustrant l'opinion de la Halakha, dans le Talmud de Babylone (Avoda Zarah 27b). On y définit le concept de "vie provisoire": c'est la vie d'un être dont la mort est imminente, à moins d'une intervention médicale qui le sauve in extremis. Les sages permettent de prendre des risques mettant cette "vie provisoire" en danger s'il s'agit d'une tentative de traitement pour sauver le patient et lui rendre une existence normale. Il reste à déterminer jusqu'à quel point on a le droit de risquer une telle vie. Rabbi Haim Ozer Grodzynsky, décisionnaire réputé du judaïsme lituanien d'avant-guerre, a stipulé (Ahiezer, 2e partie, Yore Déa chap. 16) que même "une opération extrêmement dangereuse, qui tuera presque sûrement le patient" est autorisée "tant qu'un rétablissement quelconque est possible, et ce même si les chances du patient de s'en sortir sont très minces". Cette décision demande quelques éclaircissements. En général, dans le processus de prise de décision, la Halakha tient compte du calcul des probabilités. Ainsi, une éventualité qui est hautement probable ou qui a de fortes chances de se réaliser dans un proche avenir est considérée par la Halakha comme une certitude. On sait qu'un animal destiné à l'abattage rituel pour une consommation conforme aux lois alimentaires juives doit être exempt de toute maladie organique dangereuse et de tout traumatisme. Or la plupart de ces maladies sont extrêmement difficiles à détecter lors d'un abattage ordinaire. C'est là que le principe énoncé ci-dessus intervient: dans la mesure où tout animal élevé dans un environnement ordinaire est très probablement en bonne santé, il sera jugé sans hésitation aucune conforme aux lois alimentaires.
La règle définissant une issue en fonction de la plus haute probabilité devrait également s'appliquer à la question de la gestion du risque. Si l'issue la plus probable d'un acte médical est le décès du patient, cet acte devrait être jugé comme un meurtre et donc absolument prohibé. Même le meurtre d'un agonisant est passible de la peine de mort (Maimonide, Lois sur le meurtre, chap. II, § 7). Par conséquent, le fait que la vie du patient soit en danger imminent ne devrait pas jouer ici. Dans ce cas, pourquoi Rabbi Haim Ozer autorise-t-il malgré tout une telle intervention ?
Le raisonnement semble reposer sur le principe selon lequel sauver une vie n'est jamais considéré comme un meurtre. Examinons ce principe de plus près. Selon la Halakha, une vie doit être sauvée pratiquement à n'importe quel prix. Voici ce qu'écrit Maimonide (Lois sur l'homicide, chap. I, § 6-9): "Lorsqu'un homme, fût-il un mineur, poursuit un autre homme et tente de le tuer, tout Juif a le devoir de sauver la personne pourchassée, même s'il faut pour cela tuer le poursuivant... Il est interdit d'hésiter et de prendre en pitié la vie du poursuivant." Il faut donc tenter de sauver la vie de l'un, même au prix de la vie d'un autre. Cette règle s'applique même à un mineur, et par conséquent même à un innocent, lorsqu'on se trouve face à un poursuivant qui menace involontairement la vie d'autrui. La préférence absolue dont bénéficie la vie de la personne pourchassée indique que sauver une vie ne peut, par définition, être un meurtre. A partir de l'instant où il est établi qu'en raison des circonstances la vie de la personne pourchassée doit être sauvée, l'interdiction de meurtre est levée. Précisons encore une fois que ceci ne s'applique qu'au poursuivant. Dans tous les autres cas, il est interdit de sauver une vie au détriment d'une autre.
Etant donné que toute intervention médicale susceptible d'aider le patient équivaut au sauvetage d'une vie, et que la vie du patient doit être sauvée, une telle intervention ne peut en aucun cas être jugée comme un meurtre - peu importent les probabilités en jeu. Dans cette perspective, l'intervention est non seulement autorisée mais considérée comme une nécessité en raison de l'obligation de sauver la vie.
Bien que Rabbi Moshe Feinstein se fût dans un premier temps déclaré d'accord avec la décision susmentionnée (Igrot Moshé Yore déa, 2e partie, chap. 58), il s'en démarqua plus tard (ibidem Yore Déa, 3e partie, chap. 36), autorisant ce type d'intervention uniquement lorsque les chances sont égales. Ce point de dissension demande également à être expliqué.
Rabbi Moshe ben Nahman, le célèbre commentateur du XIIIe siècle, écrit (Torat ha'Adam, Consideration of Life Danger, Edition Shevell, p. 41) que l'intervention médicale diffère des autres actes de sauvetage d'une vie humaine, par exemple lorsqu'on sauve une personne de la noyade. Sauver une vie signifie éliminer le danger et restituer à la vie son cours normal. L'intervention médicale consiste à causer la régression ou l'arrêt d'un processus physiologique susceptible de conduire à la mort. Il s'ensuit qu'un acte médical ne doit pas être considéré comme le rétablissement de la santé mais plutôt comme la création d'un nouvel état de santé.
Le Talmud de Babylone (Bava Kama 86a) cite le jugement suivant de Raba concernant un individu qui a blessé son prochain, lui causant une fracture du bras: si cette fracture se résorbe complètement, l'auteur de la blessure ne doit rien lui payer excepté les jours de travail perdus jusqu'à sa guérison. Le bras fracturé n'est pas considéré comme une "dévaluation" (en termes modernes: perte de capacité fonctionnelle) du plaignant parce que cet état est réversible. Toutefois, rabbi Itzhak ben Avraham du XIIe siècle rend un autre jugement (Or Zaroua, Baba Metsiya 262) pour le même cas d'un individu ayant causé une fracture du bras à son prochain: si l'homme blessé a besoin d'un traitement médical, par exemple d'une intervention chirurgicale, afin que son bras recouvre sa fonction normale, il incombe à l'auteur de la blessure de couvrir les frais du traitement, comme s'il s'agissait d'une "dévaluation" directe du plaignant. Il justifie ce jugement en expliquant qu'a priori, on considère que le plaignant a perdu la fonction de son bras de façon permanente. La possibilité d'un traitement médical ne change rien à cet état de faits. Ce traitement est plutôt considéré comme une façon de réparer le dommage, devoir qui incombe à l'individu incriminé. Rabbi Méir Simha de Dvinsk, commentateur réputé du début de notre siècle, déduit de ce qui précède la règle suivante (Or Saméah, Lois sur l'homicide, chap. 3, § 11): un homme qui tire sur un autre homme et l'atteint mortellement ne peut se disculper en arguant que le blessé aurait pu recevoir des soins médicaux et que sa vie aurait pu être sauvée si le médecin soignant n'avait pas été négligent. Etant donné que le traitement médical n'est pas considéré comme l'élimination d'un danger de mort mais plutôt comme un acte de réparation, l'homme qui a tiré est entièrement responsable du meurtre. Si la victime avait été effectivement sauvée, et uniquement dans ce cas, le coup de feu n'aurait pas été considéré comme un meurtre. Mais la possibilité d'une intervention médicale ne constitue en aucune façon un facteur disculpant. L'éminent collègue de rabbi Méir Simha de Dvinsk, rabbi Yossef Rozin de Dvinsk, pousse le raisonnement plus loin (Zofnat Pa'anéah, Compléments au Lois du shabbat, chap. II): l'intervention médicale n'étant pas l'équivalent d'un sauvetage direct d'une vie mais un acte qui inverse un processus physiologique, un acte de réparation, il doit être régi par les lois usuelles de la Halakha et non par les considérations appliquées en cas de sauvetage d'une vie. Il s'ensuit que si une intervention médicale va très probablement tuer le patient, il est en effet interdit d'y recourir, quel que soit le danger imminent pesant sur la vie du patient.
Revenons à l'intervention chirurgicale proposée pour enlever les tumeurs du cerveau de B.: étant donné qu'en Halakha, ce sont les décisions les plus récentes des autorités rabbiniques qui ont force de loi - parce qu'elles représentent une élaboration plus avancée -, cette intervention ne sera pas autorisée.
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