Éditorial - Décembre 1994
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• Un calvaire inutile
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Par le Rabbin Shabtai A. Rappoport
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K. et H. avaient chacun atteint la trentaine lorsqu'ils se marièrent. Pendant plusieurs années, ils tentèrent d'avoir un enfant, en vain. A l'âge de quarante ans, H. dut subir une hystérectomie quand un examen médical révéla un cancer de l'utérus. Désormais, elle n'avait plus aucun espoir de mettre au monde un enfant.
Toutefois, on expliqua au couple que des ovules pouvaient être prélevés sur les ovaires de H. pour être ensuite fécondés in vitro par le sperme de son époux K. Un ou plusieurs zygotes (pour augmenter les chances de succès) pouvaient alors être implantés dans l'utérus d'une mère porteuse, qui porterait l'enfant génétique de K. et H. et le mettrait au monde pour eux. C'était pour H. l'unique voie possible pour réaliser son désir de maternité. Ils décidèrent de tenter cette procédure et au cours de l'année qui suivit, H. dut subir une série de traitements chirurgicaux pénibles au cours desquels des ovules furent prélevés de ses ovaires. Ils furent ensuite fécondés avec le sperme de K. Mais avant même d'entamer la recherche d'une mère porteuse, un problème surgit: qui seraient les parents de l'enfant selon la Halacha ? Serait-il considéré comme juif si la mère porteuse ne l'était pas ? Et fallait-il choisir une mère porteuse juive ou préférer plutôt une mère porteuse non juive ?
En ce qui concerne la paternité, il a été établi (Turei Zahav, Yore Déa 195,7, Igrot Moshe Even Ha'Ezer vol I, res. 1) que le père génétique - celui qui donne le sperme - est toujours considéré comme le père légal de l'enfant, en dépit de l'absence de relations sexuelles entre lui et la mère, et qu'il soit ou non marié avec la mère. Ceci est valable tant que la mère est juive. Dans le cas d'une mère non juive et d'un père juif, on considérera que l'enfant n'a pas de père et n'a de relations de parenté qu'avec la mère (Yevamot 17a). C'est pourquoi l'insémination artificielle - lorsque la semence d'un donneur est injectée dans l'utérus d'une femme - d'un donneur juif inconnu soulève la question d'un inceste potentiel. Le père légal qui, comme on l'a vu, est le donneur de sperme, peut avoir d'autres enfants et dans la mesure où son identité demeure inconnue, l'enfant né par insémination artificielle de son sperme risque d'épouser un de ses frères ou sýurs. Les autorités rabbiniques qui permettent l'insémination artificielle dans le cas d'un mari stérile, interdisent en général le recours à un donneur juif. Dans notre cas toutefois, l'identité du père est parfaitement connue, c'est la mère porteuse qui demeurera anonyme. Il faut par conséquent déterminer si elle aura des liens familiaux légaux avec l'enfant qu'elle portera pour K. et H. Ce n'est qu'au cours des dernières années que le problème de la définition de la maternité de substitution a été soulevé et il fait encore l'objet de débats intenses: jusqu'à une époque récente, il était tout simplement impossible que la mère génétique - celle qui donne l'ovule - ne soit pas également la mère porteuse.
Il existe malgré tout un précédent intéressant qui peut jeter une lumière sur cette question épineuse. Dans le traité Yevamot 78a-b, le Talmud discute le cas de la conversion au judaïsme d'une femme enceinte et le statut de son enfant. Il y est clairement stipulé qu'on considère que le fýtus a subi une conversion indépendante à travers l'acte de sa mère et qu'il n'est pas défini comme juif uniquement parce que né d'une mère - désormais - juive. Pour qu'un enfant hérite de la judéité de sa mère, il faut qu'il ait été conçu à un moment où sa mère était déjà juive. Mais si la mère s'est convertie après la conception, au cours de la grossesse, elle ne transmet pas la confession juive à son enfant par succession. On peut donc en conclure que la judéité est transmise par la mère génétique et que l'ovule à partir duquel l'enfant a été conçu doit appartenir à une femme juive.
Par ailleurs, une règle bien connue concernant le statut familial des convertis stipule (Yevamot 97b) qu'un converti au judaïsme est semblable à un nouveau-né et n'a pas de liens de parenté avec sa famille antérieure. Il s'ensuit que, selon la loi biblique, l'interdiction de mariage pour cause d'inceste ne concerne pas un frère et une sýur convertis. Puisque nous avons établi qu'un enfant dont la mère s'est convertie pendant sa grossesse est considéré comme un converti autonome, il ne devrait pas avoir de relation familiale avec sa mère ni avec ses frères et sýurs nés de cette mère avant la conversion de cette dernière. Il est toutefois précisé (ibid.) que cet enfant sera au regard de la loi juive le frère légal des enfants conçus et mis au monde par sa mère après sa conversion.
La seule explication logique à ce phénomène réside dans le fait que la maternité n'est pas définie génétiquement, mais par la gestation et la mise au monde. C'est pourquoi l'individu converti avant sa naissance, alors que sa mère était enceinte de lui, a beau être considéré comme un converti autonome, il demeure malgré tout le fils légal de sa mère convertie qui l'a porté et mis au monde après sa conversion. Cette relation familiale a donc dû être déterminée très précisément à l'instant même de la naissance et ce parce que la règle énoncée ci-dessus (un converti avant la naissance est apparenté à ses frères et sýurs conçus et mis au monde par sa mère après la conversion de cette dernière) n'est pas limitée à une étape quelconque de la grossesse. Il n'est pas dit qu'un converti avant la naissance est apparenté à ses frères et sýurs à condition d'avoir été converti avant la fin du premier ou du second trimestre de la grossesse. Il est clair que même si la conversion de la mère enceinte et de son enfant a eu lieu un jour avant la naissance, cet enfant aura toujours des liens de parenté avec sa mère, même s'il est un converti autonome. Par conséquent, la maternité, contrairement à la judéité, n'est pas déterminée génétiquement au moment de la conception, mais plutôt physiologiquement, au moment de la naissance. Un être conçu par une femme non juive qui se convertit au cours de sa grossesse est certes juif non par succession mais par conversion, il sera malgré tout considéré comme le fils de cette femme, parce qu'au moment de la naissance, elle était déjà juive. En conclusion, contrairement au cas d'une personne qui se convertit individuellement (après sa venue au monde) et qui n'a donc plus de relation familiale avec sa mère, cet enfant-là est juif par conversion tout en ayant une mère juive par naissance.
En fait, il est assez compréhensible que la confession juive se transmette par la conception. Aux yeux de la Halacha, le fýtus est un être en puissance, qui devient un individu à part entière après la naissance. L'essence même de notre foi réside dans l'Alliance entre D' et le peuple d'Israël, que nous avons acceptée au mont Sinaï lors du don de la Torah, alliance qui nous engage nous et tous nos descendants jusqu'à la fin des temps. Cette foi a donc une portée actuelle et virtuelle, actuelle pour nous, virtuelle pour ceux qui viendront après nous. La portée virtuelle est signifiante pour un être en puissance. Au moment de la conception d'un enfant, l'alliance et la promesse deviennent astreignantes et c'est pourquoi il sera élevé dans la foi juive. En revanche, celui qui n'a pas été conçu par une mère juive ne sera pas considéré juif par succession, mais uniquement par conversion.
La relation maternelle n'a pas de signification virtuelle, elle ne peut exister qu'entre une mère et un enfant réel. Il n'y a pas de mère d'un enfant qui existe seulement en puissance. Par conséquent, cette relation est déterminée non par la conception, mais par la naissance. C'est ici d'ailleurs que la relation maternelle se distingue de la relation paternelle puisqu'il n'y a pas d'autres liens paternels que ceux créés à la conception.
La conclusion qui semble s'imposer est la suivante: la confession d'un enfant est celle de la mère qui l'a conçu ou, en d'autres termes, de la mère génétique. Tout enfant né d'un zygote formé par le sperme de K. et un ovule de H. sera juif indépendamment de la religion de la mère porteuse. Si cette dernière est juive, le nouveau-né sera également l'enfant légal de K. Si la mère porteuse n'est pas juive, la question de la paternité de K. devra être discutée séparément afin de déterminer s'il est possible qu'un enfant ait des liens de parenté à la fois avec un père juif et une mère non juive. Dans les deux cas, puisque H. n'aura pas porté l'enfant et ne l'aura pas mis au monde, elle ne sera pas considérée comme sa mère légale par la Halacha. Comme il est son enfant génétique, il se peut fort qu'il lui ressemble et qu'il possède certains de ses traits caractéristiques. Elle peut l'élever, l'aimer et le considérer comme son propre enfant, et c'est elle qui lui lègue la religion juive. Mais c'est avec la mère porteuse qu'il garde un lien de parenté légal et il faudra veiller à empêcher un inceste éventuel si cet enfant désire un jour épouser un des autres enfants nés de la mère porteuse.
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