L'allumage des bougies, acte religieux connu sous le nom hébraïque de "Hadlakath Neroth", joue un rôle à la fois varié et hautement symbolique dans la vie juive, plus particulièrement dans le cadre du Shabbat, du Temple de Jérusalem et de Hanoucah. Tout foyer où le judaïsme est vécu ne serait-ce que de façon purement symbolique est immédiatement identifié en tant que tel par la présence des bougeoirs shabbatiques. Le Temple de Jérusalem, marqué par la Menorah, le fameux chandelier à sept branches se trouvant à l'entrée du Saint des Saints, est devenu l'emblème officiel de l'Etat d'Israël. La "Hanoukiah", le chandelier à huit branches, est le symbole de Hanoucah, la plus célébrée des fêtes du calendrier juif, Yom Kipour inclus.
Deux éléments distinguent les lumières de Hanoucah. Aussi bien pour Shabbat que pour le Temple de Jérusalem, le nombre de bougies reste identique alors qu'à Hanoucah, il augmente de jour en jour. De plus, les lumières de Shabbat et du Temple doivent impérativement être allumées lorsqu'il fait encore jour, alors que les bougies de Hanoucah, elles, ne peuvent être enflammées qu'après la tombée de la nuit. En fait, ces deux différences se complètent. En effet, lorsque le soleil brille encore, les jours se ressemblent un peu: hier peut être comme aujourd'hui. Il en est tout autrement de ce qui se passe après la tombée de la nuit. Lorsque les ténèbres s'installent, les lumières de la veille sont insuffisantes et celles d'aujourd'hui ne sauraient suffire pour demain.
Cette symbolique vient nous rappeler que tant que le soleil brille, tant que la vie juive est florissante et que l'accomplissement de nos préceptes divins et de la moralité juive - la Torah et les Mitsvoth - constituent la norme, on peut éventuellement se satisfaire de perpétuer nos gestes quotidiens, nos actes étant alors de qualité. Il est vrai qu'un tel monde existait autrefois et qu'aujourd'hui, nous assistons à une infime renaissance de cette vie juive intense et perdue dans l'assimilation. Toutefois, lorsque "le soleil s'est couché", que l'observance de la Torah et des Mitsvoth s'éclipse progressivement des principes qui régissent notre vie quotidienne, nous sommes appelés à raviver ces flammes qui luisent encore au fond de toute âme juive. Alors qu'il s'agit de faire admettre les normes de notre patrimoine religieux aux membres d'une société qui se contente et se complait dans un monde totalement laïque, la routine religieuse qui était de mise dans le "monde d'hier où brillait le soleil" est totalement inadaptée. "Les bougies" d'hier sont insuffisantes car si nos actes, l'accomplissement routinier des Mitsvoth et la propagation de la Torah, de la lumière, peuvent éventuellement suffire aujourd'hui, elles ne sauraient être satisfaisantes pour faire face aux exigences de demain.
Cette conception de l'effort constamment renouvelé et du développement permanent nous est également enseigné par une autre facette de la fête de Hanoucah. L'accomplissement d'une Mitsvah peut se faire soit de manière minimale, soit avec "Hidour Mitsvah", c'est-à-dire par l'embellissement de l'acte religieux. Il est vrai que pour la plupart d'entre nous, l'accomplissement minimal est souvent satisfaisant. Il en est tout autrement pour l'allumage des bougies de Hanoucah. En effet, selon la loi, il suffirait d'allumer une bougie chaque soir pendant huit jours. Or aujourd'hui, il ne viendrait à l'esprit de personne d'agir de la sorte. Le "Hidour Mitsvah" qui est de mise, réside justement dans le fait d'allumer chaque soir une bougie supplémentaire, une le premier soir, deux le deuxième, etc., l'idéal étant que chaque membre de la famille dispose d'une Hanoukiah personnelle aussi belle que possible. Là encore le message est celui du progrès constant, du développement ininterrompu dans la qualité et surtout celui du refus de se contenter et de se reposer sur les acquis d'hier.
Pouvons-nous pour autant affirmer que Hanoucah constitue la fête la plus importante du calendrier juif ? Certes non, car chaque fête est la plus importante en son temps ! Un concept classique de la tradition juive veut que "vivre avec son temps" signifie vivre en fonction et au rythme de la lecture et de l'interprétation de la Paracha (segment du Pentateuque que nous lisons chaque semaine à la synagogue). Hanoucah, par la manière dont cette belle fête est célébrée, nous offre un enseignement supplémentaire et complémentaire. Savoir allumer les bougies de Hanoucah avec la même ferveur que nous prions à Kol Nidré, savoir apprécier, honorer et glorifier le moment présent tout en gardant un ýil fixé sur des lendemains meilleurs. Voici ce qui, dans le judaïsme, signifie vivre avec son temps.
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