Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le Tsunami du 26 décembre 2004 n'a pas seulement fait des vagues dans le Sud-est asiatique, il a déclenché toute une «vague» d'activités à Jérusalem. En effet, dès l'annonce du désastre, le Département scientifique de l'indentification judiciaire et médico-légal de la police israélienne a mis en place une cellule de crise en raison du grand nombre d'Israéliens voyageant régulièrement dans les régions affectées, surtout en période de fin d'année. Afin de nous parler des activités de ce département spécialisé, nous avons été à la rencontre de l'homme qui le dirige, le commandant de police SHALOM TSAROOM. Son équipe a été rapidement dépêchée sur les lieux du drame afin de participer à l'effort international de reconnaissance des corps.
Avant d'évoquer vos missions en Thaïlande directement liées au drame du Tsunami, pouvez-vous brièvement nous décrire les tâches du département de police que vous dirigez ?
A la base, notre travail est celui de l'identification judiciaire, qui consiste avant tout à collecter, à identifier des indices matériels et à effectuer les autopsies lors des crimes que je qualifierai de «civils» (vols, meurtres, viols, incendies criminels et agressions en tous genres). Celui-ci a progressivement été complété par tout un système d'enquêtes liées directement au terrorisme, dont notre population est victime depuis plus de quatre ans. Notre activité couvre tout le pays et comprend un grand nombre de volets, comme la reconnaissance de l'ADN, l'identification des traces de pas, etc. Nous travaillons aussi bien sur le lieu du crime que dans nos propres laboratoires de physique, de chimie, etc., répartis un peu partout en Israël. Ce sont là les activités assez classiques de la science médico-légale. Concernant le terrorisme, nous avons deux missions bien définies: l'enquête médico-légale et la reconnaissance du type d'explosif utilisé. Il faut bien comprendre que notre enquête scientifique permet de constituer un dossier très complet, qui économise souvent un grand nombre de journées d'investigations classiques. Dans la plupart des nombreux cas, nos conclusions permettent de clore un dossier, de trouver les coupables et de les traduire en justice. Dans le monde moderne, en raison de leur objectivité directe, les dossiers scientifiques ont une bien plus grande valeur que les témoignages personnels. Aujourd'hui, la première question que posent les tribunaux lorsqu'un dossier leur est présenté est de savoir si une enquête scientifique et médico-légale a été menée. Cette exigence se développe de plus en plus à travers le monde et je peux affirmer sans fausse modestie que nous nous trouvons-là dans un domaine où Israël est à la pointe du progrès. Notre façon de travailler, les techniques de reconnaissance, d'identification, d'analyse et d'évaluation que nous avons mises au point, les instruments (souvent portables) que nous avons développés dans nos ateliers et la capacité de nos hommes sont unanimement reconnus et appréciés par les professionnels du monde entier, auprès desquels nous jouissons d'une réputation de tout premier ordre. Notre expertise est d'ailleurs très souvent demandée et nous avons effectué des missions de conseil dans de nombreux pays, et pas uniquement en matière de terrorisme.
Justement, concernant le terrorisme, pouvez-vous en quelques mots, bien entendu sans révéler de secrets relatifs à votre façon d'enquêter, nous expliquer en quoi consiste exactement votre activité ?
Comme je vous l'ai dit, une grande partie de notre enquête concerne la reconnaissance du type d'explosif utilisé. Lors d'un attentat suicide, il est toujours très difficile de réunir des éléments car souvent, il ne reste rien ou pas grand chose. Nous devons également découvrir rapidement l'identité de l'individu qui s'est volontairement transformé en bombe humaine, ce qui est toujours très laborieux, car le plus souvent il est totalement déchiqueté et aucune famille ne réclame le corps. Nous faisons donc un effort particulier pour retrouver sa main ou au moins un doigt, en espérant qu'ils ne soient pas brûlés. Sur place, nous prenons une empreinte digitale et tentons de la retrouver dans notre fichier. A ce sujet, je dois aussi dire que si nous disposons d'une grande banque de données d'empreintes et de photos, pour l'instant la loi nous interdit d'établir une base de ce genre qui contiendrait l'ADN des terroristes que nous détenons ou celui des simples criminels. Je pense que ceci va changer prochainement. Chez les bombes humaines, le corps est en général détruit, mais il n'est pas rare que la tête soit plus ou moins intacte ou partiellement reconnaissable. Nous la photographions et la comparons à notre fichier informatisé. En fait, nous mettons tout en ½uvre pour fournir le plus rapidement possible un grand nombre d'éléments aux services de renseignements, afin de leur permettre de faire leur travail. Par exemple, lorsqu'une voiture piégée explose, nous menons une enquête rapide pour savoir de quel véhicule il s'agit, d'où il vient, s'il a été volé - où et quand - et si possible le parcours qu'il a suivi, ce qui nous permet souvent d'identifier le terroriste et d'éventuels complices. La récupération de certaines pièces détachées que nous comparons avec nos fichiers nous guide dans l'identification des véhicules. Comme je vous l'ai dit, l'identification des matériaux explosifs est de toute première importance. Selon le genre d'attentat, nous savons quel type d'explosif nous devons rechercher. Sa reconnaissance nous permet de savoir de quel laboratoire il provient, souvent certains types d'explosifs ont déjà été utilisés pour des attentats d'un genre identique. Nous transmettons ces informations aux services de sécurité qui peuvent ainsi entreprendre les démarches nécessaires pour intervenir là où les bombes sont fabriquées, trouver les coupables et surtout prévenir d'autres attentats.
Vous nous avez parlé «en passant» du fait de retrouver des parties de corps déchiquetés pour identification et divers autres buts. Ne s'agit-il pas là d'une mission particulièrement pénible ?
En effet, c'est la partie la plus astreignante et, progressivement, l'une des plus importantes de notre travail. Malheureusement, au cours des dernières années, en raison de la multiplication des attentats, nous sommes devenus des spécialistes de la reconnaissance des corps, soit de ce que l'on appelle en termes professionnels des «D.V.I. - Disaster Victims Identification». Les personnes qui sont entrées dans nos rangs il y a quelques années savaient qu'elles risquaient d'être confrontées à ce genre d'horreurs de temps en temps, lors de crimes particulièrement odieux, mais elles n'auraient jamais pensé être impliquées de manière aussi profonde et systématique. Aujourd'hui, suite à une décision gouvernementale, cette activité est devenue l'une de nos missions nationales prioritaires. Ce domaine est très vaste, il concerne les accidents de voiture, les incendies, les tremblements de terre, les écroulements d'immeubles et les attentats. La reconnaissance des corps demande beaucoup de temps et d'efforts tant sur le plan purement technique et psychologique qu'en ce qui concerne l'engagement personnel. Je dirai même que l'âme de chacun d'entre nous est à chaque fois profondément traumatisée car, malgré toute l'expérience, personne ne peut dire qu'il s'habitue à l'horreur. Nous nous livrons à de très nombreuses réflexions afin de voir comment améliorer notre travail et surtout comment le compléter de manière plus rapide et plus rationnelle. Nous effectuons cette recherche non seulement pour obtenir des résultats plus vite, ce qui nous permet d'informer les familles qui vivent un calvaire en étant dans l'expectative, mais aussi afin d'être le moins longtemps possible confrontés aux horreurs qui nous affectent tellement. Nous vivons actuellement une situation paradoxale où, d'une part, une partie de nos effectifs nous a quittés parce qu'elle n'a pas tenu le coup psychologiquement et où, d'autre part, nous sommes submergés de candidatures. Par conséquent, nous avons élevé le niveau requis pour être intégré chez nous. Les candidats doivent avoir une formation technique très élevée et une puissante force de caractère. Nous demandons aussi un état d'esprit en éveil qui permet, lorsque l'on entre sur la scène d'un crime, de ne pas seulement voir le cadavre mais d'être à même de détecter très rapidement tout un ensemble de signes et de détails qui permettront de faire avancer l'enquête. Les examens d'entrée sont donc très complets et impliquent aussi une évaluation psychologique. Je peux dire que les candidats que nous acceptons sont meilleurs que ceux qui nous ont quittés. Nous intervenons partout en Israël et à l'étranger en général uniquement lorsqu'il y a des victimes juives ou israéliennes. Lors d'attentats, de tremblements de terre ou sur la demande expresse d'un gouvernement ami, nous dépêchons également une équipe sur place.
Je tiens aussi à dire que dans notre département, nous bénéficions du concours de nombreux volontaires qui nous apportent assistance dans la D.V.I.; trente dentistes et près de six cents membres de l'organisation ZAKA (groupement orthodoxe spécialisé dans la récupération des morceaux de corps déchiquetés). Il ne s'agit pas de professionnels de la reconnaissance, mais de personnes qui nous aident à sortir les corps mutilés, à retrouver des membres manquants, à récupérer des indices et à procéder aux nettoyages des lieux des attentats. Vous pouvez bien imaginer le niveau de dévotion dont ces personnes font preuve. La description de notre travail ne serait pas complète si je ne rendais pas un hommage particulier à nos équipes qui travaillent à l'Institut pathologique d'Abou Kabir et qui, tout au long de l'année, font preuve d'un niveau de professionnalisme tout à fait remarquable.
Votre travail demande-t-il une capacité d'adaptation et une souplesse d'esprit permanentes?
Absolument, et c'est grâce à cette capacité que nous avons réussi à résoudre de nombreux problèmes et à innover dans un grand nombre de domaines, en mettant au point de nouvelles technologies de travail tout en élevant notre niveau de professionnalisme. Bien entendu, il existe des règles de travail bien précises, mais la capacité d'adaptation est primordiale. Lors de notre mission en Thaïlande, celle-ci nous a été d'une très grande utilité.
Justement, puisque vous évoquez votre intervention en Thaïlande, pouvez-vous nous décrire la manière dont votre travail s'est déroulé sur place ?
Comme toujours en pareil cas, nous avons établi notre cellule de crise et mobilisé les différents corps de métiers qui s'y rattachent. Nous disposons d'une procédure bien établie pour préparer une opération à l'étranger, rien n'est laissé au hasard et lorsque nous montons dans l'avion, non seulement tous les équipements sont disponibles et en état de fonctionnement, mais chacun de mes hommes sait quelle est sa place et sa fonction lors de cette nouvelle mission. Au début, il était question que nous nous rendions au Sri Lanka, nous nous sommes donc préparés pour une intervention dans ce pays. Inutile de vous dire qu'une telle préparation requiert des heures de réunions afin de régler chaque détail. Il s'est ensuite avéré que l'armée y dépêchait une mission humanitaire et que notre contribution pour la reconnaissance des corps n'était pas requise. Moins de deux heures plus tard, j'ai reçu une demande de notre Ministère des Affaires étrangères pour que nous nous rendions en Thaïlande. Nous avons mis deux jours pour tout préparer et sommes partis avec une équipe réduite de douze hommes ainsi qu'une tonne et demi de matériel. Nous n'avions aucune idée de la réalité sur place, le seul élément que j'avais en mains était la liste des noms de 1500 Israéliens disparus. Il faut bien comprendre que nous avons l'habitude de traiter une vingtaine ou une trentaine de corps. L'idée de devoir retrouver puis reconnaître quelque 1500 cadavres me procurait un certain nombre de «migraines». Mais il fallait être prêt à faire face à toute éventualité. J'ai fait une petite prière en disant que j'espérais que nous trouvions au moins un membre qui nous permettrait de reconnaître un corps et d'identifier ne serait-ce qu'un seul Israélien. N'ayant donc aucune idée de ce qui nous attendait, j'ai établi un certain nombre de règlements de base. J'ai tout d'abord décidé de répondre positivement à toute demande d'aide, quelle que soit la nationalité de la personne. En arrivant à Phuket, j'ai pris une voiture pour faire un tour du terrain frappé par le désastre. A mon retour, j'avais réalisé qu'il était impossible de travailler selon les règles habituelles et qu'il était impératif de faire le point toutes les deux heures, car la situation évoluait en permanence et un système de travail valable à un moment donné n'avait plus sa raison d'être quelques heures plus tard. A l'issue de mon premier tour d'information, j'ai immédiatement téléphoné en Israël pour faire venir ma seconde équipe qui était en attente.
Afin d'illustrer vos propos, pouvez-vous nous donner un exemple pratique d'une telle évolution ?
Au début, je pensais que le seul moyen de reconnaître les corps de manière efficace était par le biais exclusif de l'ADN. Or en moins d'une journée, je me suis rendu compte que j'avais tort et que je devais utiliser les dents, les signes particuliers (tatouages, cicatrices, bijoux, etc.) et les empreintes digitales. Je vous passe les détails opérationnels relatifs à l'installation et au déplacement de notre quartier général de travail. Il s'agissait en fait d'une opération d'envergure en soi.
Mais vous n'étiez pas seuls sur place. Comment la coopération avec les autres pays s'est-elle déroulée ?
J'ai tout de suite compris qu'il était impossible qu'une seule équipe réalise cet énorme travail. J'ai tout mis en ½uvre afin de réunir les forces étrangères en présence et d'impliquer au maximum les Thaïlandais. Il s'agissait là d'un point primordial, car nous étions chez eux et n'avions en aucun cas le droit d'oublier ce fait. Pour être efficaces, il était très important de ménager les susceptibilités, de jouer de la politique locale et de faire preuve de beaucoup de psychologie. J'ai donc décidé de nommer un Thaïlandais comme président des opérations. Nous avons alors eu l'idée de mettre en place ce que j'appellerai une véritable «usine de reconnaissance». Dans ce but, nous avons créé une banque de données commune à toutes les délégations pour l'ADN, les empreintes digitales, les photos, les dentitions, etc. Celles-ci ont ensuite permis à chaque pays d'aider à retrouver ses citoyens. Un autre aspect de notre travail résidait dans la réunion en un seul lieu les cadavres dispersés dans les hôpitaux, les sanctuaires et d'autres endroits. La totalité des opérations était supervisée par la délégation australienne, la plus importante et la première arrivée sur place, qui a pris la direction de Kao-Lak. Nous avons ainsi établi deux centres: à Krabi, où il y avait environ 800 corps, et à Kao-Lak, où il y en avait près de 3'500. Deux fois par jour, les chefs de mission de la D.N.I. se réunissaient pour faire le point et prendre les décisions qui s'imposaient. Nous avons décidé de demander la direction de Krabi, l'autre centre étant bien trop important pour nous. Nous y avons travaillé avec les délégations japonaise, canadienne, portugaise, italienne, suisse (dirigée par un médecin juif de Zürich). Au fur et à mesure que le temps passait, d'autres délégations sont arrivées sur place si bien qu'en fin de compte, une trentaine de pays étaient représentés. Sans vouloir me vanter, je peux dire que la délégation israélienne, par le niveau remarquable de son professionnalisme et en raison de son expérience, faisait office d'autorité et que nous étions très écoutés. Malheureusement, tout ce que j'ai vu au cours des dernières années dans le cadre des attentats en Israël m'a été utile en Thaïlande. Nous avons donc obtenu la direction de Krabi et avant de commencer nos opérations, je me suis rendu sur place pour évaluer la situation et voir comment travailler de la manière la plus efficace. A un kilomètre du lieu désigné, j'ai été accueilli par une odeur pestilentielle des cadavres souvent en décomposition, exposés au soleil et à l'humidité?, autour desquels les enfants jouaient en toute quiétude. Chez nous, tout est entrepris afin que les enfants ne soient pas confrontés à réalité de la mort. En Thaïlande, celle-ci fait partie des images de la vie quotidienne et il n'y avait aucune raison d'en éloigner les enfants. J'ai donc établi une liste des besoins les plus urgents. Je savais que j'obtiendrais tout ce que je demanderais, car des fonds très importants étaient disponibles. J'ai donc tout d'abord commandé des conteneurs réfrigérés. Pendant que je m'occupais de toute ces questions d'organisation et d'intendance, mes hommes ont commencé à travailler et après une journée, nous avons pu reconnaître le premier corps israélien, celui de Chaliel Sharon. Je n'aurais jamais pensé que nous réussirions aussi vite. Il faut bien comprendre à quels conflits de sentiments nous étions exposés: d'une part la joie énorme d'avoir trouvé et reconnu un corps? et de l'autre, le fait que ce soit une victime israélienne. Nous pleurions tous, mais nous ne savions pas si c'était de joie ou de tristesse ! Le deuxième jour, nous avons reconnu cinq corps, dont ceux de trois Israéliennes: Esther Levy, Chemdah Cohen et Zehava Aloni. Chacun de nous a vécu ce bonheur bizarre à sa manière. Il faut bien comprendre combien les familles nous étaient reconnaissantes lorsque nous leur avons amené les corps de leurs chers disparus et, malgré leur profond chagrin, elles exprimaient leur bonheur. Je vous assure qu'il s'agit d'un drôle de moment à passer. J'ai personnellement averti chacune des familles. Nos «succès» nous ont énormément encouragés à continuer et ont aussi servi d'exemple et de source d'espoir aux autres délégations.
Comment avez-vous organisé la station de Krabi ?
Sans vouloir entrer dans des détails scabreux, je dois vous dire qu'en arrivant à Krabi, j'y ai trouvé des centaines et des centaines de cadavres entassés dans un temple chinois, découverts et mélangés, du nourrisson au vieillard. Je vous laisse imaginer l'horreur de la situation. L'odeur collait à la peau et aux habits, qui souvent étaient irrécupérables. Les Thaïlandais ont alors commencé à s'occuper des cadavres, à les emballer dans des sacs en plastic et à les intégrer dans les 130 containeurs réfrigérés. Ils ont fait un travail fabuleux avec courage, dans le silence et le calme. Après deux jours de nettoyage, la situation a commencé à s'améliorer et l'odeur à s'estomper un peu. Pour couronner le tout, nous avons appris qu'une partie des corps avaient déjà été enterrés. Pour les besoins de l'identification, nous avons dû les faire exhumer, malgré la chaleur et l'humidité. Progressivement, note «usine» a pris forme, les cadavres passaient de station en station: radiographie de la dentition, prise de l'ADN, photo, enregistrement des signes particuliers. A cet égard, je dois rappeler que l'une des Israéliennes a été reconnue grâce à une cicatrice de chirurgie esthétique car elle s'était fait agrandir les seins.
Toute cette opération n'était pas facile à mener. Pour ma part, j'ai identifié trois problèmes de base qui, une fois résolus, nous ont permis de travailler efficacement: organiser le travail effectif en réunissant les moyens techniques requis; établir une coopération internationale où toutes les équipes travailleraient ensemble en bonne entente et dans un esprit d'entraide mutuelle; finalement, obtenir la coopération effective des Thaïlandais, ce qui n'était pas une mince affaire. Je dois vous dire que lorsque je voyais un Israélien travailler main dans la main avec un Japonais, un Portugais et un Italien, dans un seul but commun et mus par une volonté identique de résoudre les problèmes qui se posaient, j'étais ému, heureux et fier.
Vous nous avez dit que vous êtes partis avec une liste de 1500 noms d'Israéliens et qu'en fin de compte, vous en avez retrouvé sept. Qu'est-il advenu des autres ?
Au fur et à mesure que le temps passait, la liste se réduisait, car les Israéliens ont progressivement contacté leurs familles qui ont à leur tour informé nos services en Israël. La grande chance, le miracle dans toute cette affaire réside dans le fait que deux jours avant le Tsunami, la majorité des Israéliens qui se trouvaient à Phuket en étaient repartis. En effet, il y avait un grand festival de musique israélienne au nord du pays, intitulé «Full Moon», où la plupart des Israéliens présents en Thaïlande s'étaient rendus ! Cela dit, lorsque nous sommes repartis, nous avions trouvé tous les Israéliens qui ont péri dans le Tsunami, ce qui signifie que nous avions 100% de réussite. En plus de nos concitoyens, nous avons identifié 24 autres corps. D'ailleurs, notre réputation était un peu surfaite car pour un oui et pour un non, les gens disaient: «allez voir les Israéliens - ils auront la solution à votre problème?».
Que sont devenues les différentes banques de données que vous avez établies ?
Elles fonctionnent encore toujours à Phuket. La Chine a pris la responsabilité de gérer la banque de l'ADN, ce qui constitue une charge financière et un travail considérables. Quant à l'avenir, je pense que lorsque l'opération sur place sera terminée, ce qui prendra encore un certain temps, les délégations se retrouveront pour établir une marche à suivre internationale en cas de désastre majeur. Celle-ci sera basée sur nos différentes expériences et bien entendu les banques de données y joueront un rôle essentiel. Il est impossible qu'un pays frappé par un tel malheur gère seul les effets et les conséquences de la catastrophe. C'est uniquement par le biais d'une coopération internationale bien réglée qu'un tel bouleversement peut être raisonnablement rétabli. Mais je ne voudrais pas terminer l'évocation de notre mission sans rendre hommage aux Thaïlandais qui ont fait un travail remarquable en prenant l'initiative toute simple de photographier tous les cadavres, leurs visages, les éventuels tatouages, etc., d'exposer les photos et de les intégrer dans une banque de données qu'ils ont mise à la disposition de tout le monde, des familles et des délégations. Cette petite goutte d'eau a grandement facilité notre travail au point que je n'hésite pas à affirmer que je ne suis pas certain que sans elle, nous aurions réussi.
Que conseillez-vous d'entreprendre afin de faciliter la reconnaissance des corps en cas de désastre ?
Afin d'éviter que les familles des victimes appelées à reconnaître un être cher ne soient profondément choquées, je conseille que chaque individu soit muni d'un signe distinctif: tatouage ou petit bijou dont on ne se sépare pas, comme une alliance particulière?, voire un piercing. Il faut bien comprendre que souvent les visages photographiés sont horriblement mutilés au point d'être totalement méconnaissables. Or la photo d'un signe distinctif peut éviter un traumatisme à un membre de la famille du défunt.
Nous aurions encore pu écouter le commandant Tsaroom pendant des heures. Les anecdotes, heureuses et malheureuses de cette terrible expérience sont innombrables. Le commandant Tsaroom nous a aussi parlé de l'importante action de soutien qu'ont menée Loubavitch et Zaka sur place. Les Israéliens sont repartis. A ce jour, vingt-cinq délégations internationales travaillent toujours à Krabi selon le modèle et les règles établis par le commandant Shalom Tsaroom et ses équipes. Le petit Israël, qui ne dispose que de moyens limités, a donné une grande leçon de professionnalisme au monde entier. Mais au-delà de cette réalité, l'action de la police scientifique de l'État juif a apporté sa petite pierre à l'amélioration de l'image d'Israël. C'est ainsi qu'un Suisse, dont les Israéliens ont identifié le frère, s'est adressé au commandant Tsaroom en pleurs et en l'embrassant: «Je dois vous demander pardon en mon nom et au nom de mon frère que vous avez retrouvé. Nous détestions les Israéliens et depuis des années, nous entreprenions tout pour nuire à l'image de votre pays? sans vous connaître !». En guise de réponse, Shalom Tsaroom l'a embrassé. Sans commentaires.
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