A l'hôpital Alyn de Jérusalem, un magicien produit de petits miracles: un sourire, un éclat de rire, un pas en avant. Tout clown qui se respecte sait faire sourire des enfants, même s'ils sont hospitalisés. Mais il faut être magicien pour réussir à faire marcher un garçon de cinq ans atteint d'une rare maladie neuromusculaire, pour redonner goût à la vie à un jeune de 17 ans souffrant de fibrose kystique, pour procurer un sentiment de maîtrise à une gamine de neuf ans reliée à un respirateur.
L'auteur de ces miracles est MICHAEL TULKOFF, alias MAGIC MICHAEL qui exerce ses talents à l'hôpital Alyn, Centre national de rééducation fonctionnelle pour enfants et adolescents à Jérusalem (voir SHALOM Vol. 42). Accompagnant les médecins et les infirmières dans leurs tournées, Magic Michael traîne avec lui un étui à violon plein de ballons, de jeu de cartes, d'instruments musicaux et de gadgets: il essaie d'apporter un peu de joie aux patients mais se concentre surtout sur la rééducation et la réadaptation. Certes, le succès du livre et du film «Patch Adams» a poussé de nombreux hôpitaux à engager des clowns pour divertir les jeunes malades, mais Michael Tulkoff ne se considère pas comme un clown. Originaire de Baltimore, ce Juif orthodoxe de 41 ans évite les nez rouges, les perruques, les costumes de bouffons et le maquillage blanc. Il échange le frac noir des harédim pour une casquette de base-ball imprimée d'un papillon, il chausse une monture de lunettes sans verres décorée de fleurs et, vêtu d'une chemise blanche et de pantalons noirs roulés dans des chaussettes de sports, il part à l'assaut avec ses baskets dépareillées, une pompe à ballon en plastique et un harmonica. Les courtes papillotes enroulées derrière les oreilles et les franges rituelles demeurent les seuls signes de religiosité.
Michael Tulkoff vit avec son épouse Debbie (enseignante spécialisée) et ses six enfants (entre 10 mois et 16 ans) à Rehovot. «Je suis tout à fait en faveur du clown d'hôpital mais je refuse d'être un clown courant d'air qui vient faire son petit numéro, récolte quelques rires et s'en va. Je cherche à créer un effet à long terme. D'ailleurs, imaginez la réaction d'un jeune handicapé devant des culbutes classiques: il m'enverrait promener, et à juste titre. Ce qui distingue ma performance de celle d'un clown, c'est l'objectif recherché: je ne tente pas simplement de remonter le moral, je vise plus haut. J'ai des réunions régulières avec les médecins, au cours desquelles nous discutons des divers cas et réfléchissons à la méthode la plus efficace pour réaliser nos objectifs. Par exemple, un enfant qui souffre d'une grave dégénérescence du système nerveux et demeure le plus clair de la journée passif dans sa chaise roulante, se trouve stimulé par notre relation et veut bien faire l'effort de quelques pas par jour.»
Les sessions hebdomadaires de Magic Michael avec les patients d'Alyn sont financées par des donateurs généreux, de même que ses performances dans les services de pédiatrie à l'hôpital pour enfants Dana à Tel-Aviv et à l'hôpital pour enfants Safra à Sheba-Tel Hachomer. Michael Tulkoff affirme qu'il est le seul «magicien médical» du Moyen-Orient et peut-être même du monde entier.
Magic Michael a commencé à se produire devant des enfants en 1974, alors qu'il n'avait que onze ans. «J'ai été accroché en assistant à une performance à l'école», raconte-t-il au cours d'une tournée dans le service de rééducation fonctionnelle respiratoire d'Alyn, en compagnie du chef de service, le pédiatre Eliezer Béeri. C'est le Dr Béeri qui a décidé de recruter le magicien à l'hôpital il y a 18 mois. «Un simple clown ne nous intéressait pas, nous voulions l'intégrer carrément dans notre équipe médicale, au même titre que les médecins, les infirmières et les ergothérapeutes. J'ai interviewé plusieurs clowns professionnels mais ils ne convenaient pas; trop bruyants, trop agressifs. Ils auraient effrayé les enfants. Michael est expansif mais doux, il associe thérapie et divertissement. Nous avons cru qu'une fois sur place, il pourrait enseigner son art aux physiothérapeutes et aux ergothérapeutes, mais ce n'est pas évident. Il faut une personnalité très particulière pour faire ce genre de travail.»
Aux États-Unis, Michael Tulkoff était président de l'Association des magiciens américains pour la section de Baltimore. Auteur de plusieurs articles dans des revues spécialisées, il a dirigé une société assez florissante de divertissement éducatif, offrant ses services à des écoles, des garderies d'enfants, des bibliothèques et d'autres institutions municipales en Virginie et à Washington DC. Il a aussi donné des performances bénévoles au Centre médical John Hopkins, où il a perfectionné ses talents de magie médicale avant de faire son aliya il y a quatre ans.
Il est heureux de son travail à Dana et à Safra, mais souligne que les jeunes qui forment son auditoire dans ces hôpitaux souffrent en général d'une affection aiguë dont ils ont toutes les chances de se tirer. Les enfants à Alyn, en revanche, sont plongés dans un état d'invalidité permanente, dû soit à un traumatisme (accidents de la route et attentats), soit à des maladies congénitales ou génétiques - dystrophie musculaire, os fragiles, spina-bifida, arthrogrypose (où les os se rétrécissent, provoquant une pression sur les poumons et le diaphragme) - soit encore à des infections acquises. Nombre des patients du service de rééducation fonctionnelle respiratoire ont une trachéotomie, à travers laquelle ils sont reliés à un respirateur. Certains sont capables de parler tandis que d'autres ne peuvent articuler que quelques mots. Beaucoup d'enfants et d'adolescents se trouvent dans une chaise roulante et sont véhiculés ici et là par le personnel soignant; seuls quelques-uns arrivent à man½uvrer dans les couloirs à l'aide d'un joystick.
Quand Michael se promène dans les services, il salue chaque patient par son nom et est salué en retour par les yeux écarquillés de ceux qui ne peuvent répondre de vive voix. Mohi est un petit Arabe de cinq ans qui n'en paraît que trois. Il est sans famille: né à Jérusalem, il est atteint depuis sa naissance d'une myasthénie grave (maladie auto-immune des adultes très rare chez le nouveau-né, elle provoque une fatigabilité musculaire anormale) et vit à Alyn depuis toujours, sa mère l'ayant abandonné. Le Dr Béeri précise que jusqu'ici, aucune famille arabe n'a accepté de l'adopter. Michael tient les mains du garçonnet muet et l'attire en avant par la musique de l'harmonica et par divers tours. Comme les muscles respiratoires de Mohi s'affaiblissent rapidement, le magicien insuffle de l'air dans le tube en plastique de son cou, agissant comme s'il gonflait la roue d'une bicyclette. Grâce à ces exercices, Mohi a déjà réussi à marcher, un exploit dont il était incapable il y a quelques semaines seulement.
L'hébreu de Magic Michael est encore assez hésitant mais malgré tout, il se produit dans cette langue, ainsi qu'en anglais et en espagnol; par ailleurs, il enrichit régulièrement son vocabulaire de mots arabes, russes, géorgiens et amhariques.
Dalia, une patiente de neuf ans souffrant d'arthrogrypose, se meut dans sa chaise roulante dans le hall et, apercevant Michael, semble ravie. «Quel ballon voudrais-tu aujourd'hui ?» demande-t-il. «Un rose comme ma blouse», répond Dalia, la respiration quelque peu sifflante à travers l'appareillage qui la maintient. Capable de bouger son index uniquement, elle l'enroule autour du ballon rose et Michael le gonfle en moins de deux. «Je le veux en forme de chapeau !» ajoute Dalia. Son souhait réalisé, Michael tire un miroir de son sac pour qu'elle puisse admirer le résultat. Heureuse, elle s'en retourne dans sa chambre.
Alyn peut accueillir jusqu'à 93 patients hospitalisés et possède également 60 lits pour soins de jour; le dispensaire reçoit environ 11'500 visites par an.
Michael Tulkoff estime que le pays a besoin d'autres «magiciens médicaux» et souhaite disposer un jour d'un cadre où il pourrait enseigner son art. Il n'a pas le sentiment qu'une formation en psychologie ou en ergothérapie lui fasse défaut. «Je n'ai pas de patience pour cela, je suis un type ouvert et je ressens instinctivement ce dont les patients ont besoin.» Le Dr Béeri secoue la tête, en assentiment.
En soufflant un peu d'air sur l'orteil d'un enfant, en disposant des quilles pour les faire renverser par une balle, en donnant à un patient un mirliton ou un sifflet pour souffler dedans, le magicien oblige les jeunes handicapés à respirer quelques instants par eux-mêmes et à surmonter leur angoisse d'asphyxie. En leur enseignant comment tordre un ballon pour lui donner la forme d'un animal, il améliore leur motricité. Il essaie de stimuler les cinq sens au maximum, parfois il présente même un morceau de savon parfumé au citron pour que l'enfant le hume.
Tous les lundis, le Dr Béeri et les infirmières dirigent Magic Michael vers les jeunes patients qui ont besoin d'une assistance urgente. Nombre d'entre eux sont déprimés par leur condition sans espoir.
«Ils m'ont envoyé auprès de David parce qu'il allait vraiment mal.» A 17 ans, il est gravement handicapé par une fibrose kystique. Lorsque les jeunes filles du Service national lui ont présenté un tableau pour communiquer, il a laborieusement écrit: «Je veux mourir !» Les mains recroquevillées, relié au respirateur, David est un squelette vivant, incapable de se mouvoir ou de se nourrir sans assistance. Un tube plongé dans sa gorge et relié à une pompe aspirante le débarrasse des sécrétions qui s'accumulent dans la bouche et dans la gorge. Il ne peut même pas essuyer sa bouche, se gratter le nez ou sécher une larme coulant sur sa joue. Le rabbin du jeune homme se trouvait en visite chez lui; après leur avoir demandé la permission de s'asseoir auprès d'eux, Michael a opéré quelques tours de magie et d'illusion optique avec des balles et des arcs-en-ciel de papier. «Je lui ai raconté une histoire qu'il a semblé aimer. Je lui ai fait choisir quelques arcs-en-ciel; du coup son estime de soi s'est raffermie et il a éprouvé un sentiment de maîtrise. Je lui ai dit qu'il pouvait montrer les arcs-en-ciel de papier aux autres. Nous sommes ensuite passés au façonnement des ballons. Je lui ai demandé quelle est sa couleur préférée. Fournissant un effort énorme, il a légèrement levé son bras pour tirer un ballon. J'ai placé un poisson en plastique sur une perche et il a pu l'attraper. Enfin, au moment de partir, j'ai posé ma main sur la sienne en guise de poignée de mains, puisqu'on ne peut guère faire plus.»
Alors que Michael s'en allait, le rabbin l'a tiré par le bras avec des larmes aux yeux: «Vous l'avez fait rire et sourire, je ne l'avais jamais vu ainsi auparavant !» Et Magic Michael de lui répondre: «Travailler avec de tels patients est un véritable défi mais parfois, on récolte une petite victoire.»
*Article reproduit avec l'autorisation spéciale du Jerusalem Post.
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