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Sommaire Recherche Médicale Printemps 2005 - Pessah 5765

Éditorial - Avril 2005
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Excellence et récompense

Par Roland S. Süssmann
Le 10 décembre 2004, lorsque le professeur AVRAM HERSHKO a pris la parole à Stockholm pour prononcer le discours de remerciements et d'acceptation du Prix Nobel de Chimie 2004 au nom des trois récipiendaires, deux Israéliens - lui-même et le professeur Aaron Ciechanover - et le professeur Irwin Rose, un Juif américain, pendant un court instant les c½urs de tout Israël et de tous les Juifs du monde ont battu un peu plus fort. En effet, l'événement était de taille puisque c'est la première fois qu'un Prix Nobel a été attribué à des Israéliens pour une découverte scientifique. Ce jour-là, nous avons à nouveau été envahis par ce sentiment de fierté que nous ressentons chaque fois que l'État juif étonne le monde. Il est vrai que ces exploits se situent en général dans le domaine militaire, comme lors du bombardement du réacteur nucléaire de Saddam Hussein ou de la libération des otages à Entebbe.
L'histoire des Prix Nobel et du peuple juif est intimement liée puisqu'au cours des cent premières années de l'existence de cette distinction - soit du moment où ce prix prestigieux a été attribué pour la première fois en 1902 par Albert Nobel à Wilhelm Roentgen pour la découverte des rayons X et l'attribution du prix en 2002 - pratiquement un cinquième des lauréats étaient juifs: 130 noms juifs figurent sur la liste de près de 700 récipiendaires. Ceci est d'autant plus frappant que la population juive ne représente que le vingt-quatrième d'un pourcent de la population mondiale et que cette performance s'est déroulée pendant le siècle qui a connu de nombreuses persécutions et la Shoa. Il faut noter qu'à ce jour, le monde musulman n'a produit que six lauréats du Prix Nobel.
La liste des récipiendaires juifs est non seulement longue mais aussi prestigieuse: 37 prix en physique, 24 en chimie, 39 en physiologie et médecine, 10 en littérature, 13 en économie et 7 pour la paix. On ne saurait évoquer les Prix Nobel sans parler de la honte et de l'infamie qui ont marqué cette institution à tout jamais lorsqu'elle a attribué son prix pour la Paix au terroriste Yasser Arafat, l'encourageant ainsi à continuer d'assassiner des Juifs et de verser le sang en Israël.
Cela dit, la présence disproportionnée de Juifs parmi les lauréats constitue un phénomène assez inexplicable, mais qui peut trouver sa source dans la quête permanente de la recherche de l'excellence, motivée par la lutte pour la survie qui caractérise le peuple juif.
Les deux lauréats israéliens du Prix Nobel de Chimie 2004 effectuent leurs travaux dans le cadre du Technion de Haïfa, plus particulièrement au «Rappaport Family Institute for Research in the Medical Sciences», institution indépendante intégrée dans le Technion et spécialisée dans la recherche dans le domaine des sciences biomédicales. Quant au professeur Irwin Rose, né en 1927 à New York, il a obtenu son diplôme de médecine à Chicago en 1952 et déploie son activité dans le Département de physiologie et de biophysique à l'Université de Californie à Irvine.
Mais qui sont les deux récipiendaires israéliens ?
Le professeur Avram Hershko est né en 1937 à Karcag, en Hongrie, et a obtenu son diplôme de médecine à l'Université Hébraïque de Jérusalem en 1969. Il s'est ensuite consacré à la recherche en biochimie. Le professeur Aaron Ciechanover est né en 1947 à Haïfa, a obtenu son diplôme de médecine au Technion de Haïfa en 1982 et a également décidé de se vouer à la recherche en biochimie. Les raisons pour lesquelles ces trois lauréats ont obtenu le Prix Nobel sont multiples et leurs recherches, très vastes, ne peuvent être que superficiellement ébauchées dans un bref article. En résumant de manière très succincte l'essence même de leurs travaux, on peut dire qu'ils ont découvert la manière dont la dégradation des protéines est réglementée à l'intérieur même d'une cellule vivante. Celle-ci s'opère par le biais d'une petite protéine du nom de ubiquitine - du latin ubique qui signifie partout - présente dans tout le corps. Lors de l'attribution du prix, le professeur Lars Thelander a notamment déclaré: «Votre découverte du système de dégradation contrôlé des protéines dans une cellule vivante nous a permis de comprendre comment, au niveau de la molécule, la cellule contrôle un certain nombre de processus biochimiques. Vous avez totalement changé la manière de penser relative à la dégradation des protéines.» Les exemples des différents processus affectés par l'ubiquitine sont très nombreux. Lorsque cette dégradation ne s'effectue pas correctement, l'individu tombe malade et peut, entre autres, être atteint du cancer du col de l'utérus ou avoir des fibromes, pour ne citer que deux petits exemples parmi de nombreux autres. La découverte des lauréats du Prix Nobel de Chimie 2004 permettra le développement de nombreux médicaments.
Nous nous sommes rendus à Haïfa où nous avons été reçus très chaleureusement par le professeur Avram Hershko, qui nous a accueillis dans son minuscule bureau situé dans son laboratoire du sixième étage du Rappaport Medical Sciences Building.

Pensez-vous que dans le contexte actuel dans lequel Israël est plus souvent décrié que félicité, l'attribution d'un Prix Nobel à deux scientifiques israéliens revêt une signification toute particulière ?

Je citerai le présentateur des informations du soir le jour où notre récompense a été annoncée: «Pour une fois, nous pouvons ouvrir le journal avec une bonne nouvelle». Je crois que cette dernière n'était pas seulement bonne pour le public israélien et pour nous, mais pour le monde juif en général. Cela dit, je pense qu'il y a un grand nombre d'excellents scientifiques en Israël et j'espère que nous ne sommes que le début d'une longue série. De plus, si j'en juge par la manière dont nous avons été reçus en Suède, à un moment où l'Europe ne fait pas absolument preuve d'un excès de sympathie à notre égard, je veux croire que l'attribution de ce prix aura permis de mieux nous faire connaître. Je ne sais pas si cela aura des implications politiques, mais il s'agit d'un petit pas dans la direction du changement de notre image. Du moins, je l'espère.

L'attribution du Prix Nobel à deux scientifiques israéliens va bien au-delà de l'obtention de cette distinction. Elle couronne aussi l'excellence de l'éducation scientifique en Israël. Parallèlement, l'État juif est considéré comme étant à la pointe de la recherche dans de nombreux domaines scientifiques. Comment voyez-vous l'avenir de la formation et de l'éducation supérieures en Israël ?

Je suis très inquiet quant à l'avenir de l'éducation supérieure en Israël. Comme vous pouvez bien l'imaginer, lors de l'annonce de l'attribution du Prix Nobel, nous avons été reçus successivement par le Premier ministre, le Ministre de l'Éducation et le Président de l'État. A chacun, j'ai fait part de mes craintes dues avant tout aux énormes réductions budgétaires auxquelles les académies et les instituts de recherche ont récemment été soumis. Au cours des deux dernières années, les budgets ont été réduits de 30% mais ce qui est bien plus grave, c'est qu'un professeur sur deux partant à la retraite n'est pas remplacé. Il faut savoir qu'un étudiant en médecine coûte environ US$.25 - 30'000, -- par an. Les étudiants participent financièrement pour environ 10%, le reste provenant de subsides du gouvernement et des donations. Nous avons des «Amis du Technion» aux États-Unis et en Europe (également en Suisse). Les industries pharmaceutiques ne versent pas de subsides aux universités. Je peux dire que la majorité des ingénieurs israéliens ont fait leurs études au Technion et ceux qui ont bien réussi apportent aussi leur contribution financière. J'estime que tant que les études doivent être subventionnées, c'est le devoir du gouvernement de procurer les fonds nécessaires. Je rappellerai ici que Ben Gourion avait compris l'importance de l'instruction supérieure pour l'avenir d'Israël et pour sa place dans le monde des sciences et de la technologie alors qu'à l'époque, la situation économique n'était certainement pas meilleure qu'aujourd'hui.

Pensez-vous que nous allons assister progressivement à une fuite des cerveaux ?

C'est un problème qui a toujours existé. La seule arme que nous ayons pour le combattre réside dans le sionisme. En général, une fois leur doctorat obtenu, nos étudiants vont faire un post-doctorat à l'étranger. Si nous ne pouvons pas leur offrir un poste à la hauteur de leurs capacités et un salaire leur permettant de mener une vie décente, ils ne reviendront pas. C'est pour cette raison que je pense que notre avenir scientifique est en grand danger. Prenons l'exemple de mon fils, qui est chirurgien. Après deux ans passés à l'étranger, il est revenu en Israël bien qu'ici, son salaire soit nettement inférieur et qu'il ne dispose pas des moyens techniques de travail qui lui étaient offerts à l'étranger. En Israël, nous disposons d'une infrastructure de base qui nous permet de travailler, bien qu'elle ne soit pas aussi moderne que celle que je connais aux USA. Nous pouvons coopérer avec des centres de recherche dans le monde entier mais pour cela, nous avons absolument besoin de gens très capables.

Vous nous parlez de votre inquiétude quant à l'avenir, surtout en raison des problèmes matériels du moment. Mais au-delà de cette question, estimez-vous que le niveau des études scientifiques, la motivation et le nombre de jeunes qui se lancent dans ce type d'études sont suffisamment élevés aujourd'hui en Israël ?

De ces points de vue-là, la situation est assez encourageante. Mais il faut bien comprendre que les coupes sombres d'aujourd'hui affecteront l'avenir dans dix ou vingt ans, si ce n'est pas déjà dans cinq ans. Pour ma part, je suis un produit de l'éducation d'il y a 35 ans. Mon collègue, le professeur Aaron Ciechanover, qui a obtenu le Prix Nobel avec moi, a fait ses études il y a 25 ans, c'était mon étudiant et il a effectué sa recherche sous ma direction, bien qu'il soit indépendant aujourd'hui. Mon inquiétude est motivée par une tendance que j'ai vue se développer au cours des quatre années écoulées, suite aux importantes coupures de budgets.

Que faut-il faire pour renverser cette évolution négative ?

Deux choses: un changement radical de politique de la part de notre gouvernement, et à ce niveau le judaïsme mondial ne peut pas faire grand-chose, et l'augmentation des donations, domaine dans lequel les Juifs à travers le monde peuvent nous aider. Voyez-vous, j'ai passé ma vie dans mon laboratoire, où je réalise quotidiennement de nouvelles expériences. Aujourd'hui, je me sens obligé de consacrer une partie de mon temps à utiliser le prestige de l'attribution du Prix Nobel pour aller parler aux Amis du Technion en Amérique, afin qu'ils augmentent leurs contributions. Celles-ci sont avant tout attribuées comme bourses à des étudiants diplômés, soit env. US$.20'000, -- par étudiant, et ils sont 4000 ! Il faut bien comprendre qu'en Israël, les étudiants sont plus âgés qu'ailleurs puisqu'ils font tout d'abord trois ans d'armée et qu'un grand nombre d'entre eux deviennent des officiers. Ils obtiennent leurs licences à un âge où ils sont déjà mariés et pères de famille. Il s'agit donc de leur procurer un salaire afin qu'ils puissent se lancer dans un programme de recherche, en général de quatre ans, et de leur permettre de vivre décemment. J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas de financer la recherche en tant que telle, pour laquelle d'autres sources de financements sont disponibles. Aujourd'hui, notre premier souci doit être de préparer l'avenir en finançant des jeunes gens qui demain auront des positions dans les facultés tant au niveau technique que de l'enseignement. Il faut aussi savoir que les coupes budgétaires génèrent une série d'interrogations parmi nos meilleurs éléments qui se posent la question de savoir si oui ou non ils ont un avenir en tant que scientifiques en Israël. La situation politique et sécuritaire est déjà assez difficile à vivre sans que nos étudiants aient besoin d'être confrontés à ce genre d'interrogations. Par conséquent, je serai reconnaissant à chaque personne qui voudra bien nous apporter son soutien.

Lorsque vous faites une découverte, comment cela se passe-t-il au niveau de la commercialisation ? Le Technion peut-il en bénéficier ?

Cela varie de cas en cas. En ce qui me concerne, un médicament, totalement basé sur les résultats de ma recherche, a été développé aux États-Unis. Je n'en ai tiré? que de la gloire. Ma découverte, portant sur ce qui se passe dans la cellule, ne peut pas être patentée, contrairement aux médicaments.

Nous assistons actuellement en Europe au développement d'une nouvelle forme d'antisémitisme qui réside dans le fait de vouloir annihiler de la mémoire collective l'énorme contribution juive dans le domaine des sciences et de la culture. Pensez-vous que le fait que deux Israéliens aient obtenu un Prix Nobel en sciences contribue à combattre cette nouvelle donne ?

Je l'espère de tout mon c½ur. Mon épouse est d'origine suisse et je suis naturellement très préoccupé par le développement de cet aspect de l'antisémitisme en Europe. Je dois aussi dire que le Prix Nobel confère une notoriété qu'aucun autre prix - souvent plus important et que j'ai également obtenu - n'offre. Je pense l'utiliser pour le bien de notre cause, qui nous lie au judaïsme mondial.

En conclusion, nous pouvons dire que le nombre de lauréats juifs du Prix Nobel rappelle au monde quelle fut et quelle est notre contribution pour faire avancer le bien-être général. Une vieille anecdote illustre bien cette réalité. Lorsqu'un intellectuel français, connu pour ses sentiments antisémites, s'est une fois de plus attaqué à une personnalité rabbinique, celui-ci lui a simplement répondu: «n'oubliez pas qu'à l'époque où vos ancêtres grimpaient aux arbres pour se tirer dessus avec des flèches? les miens rédigeaient le Talmud !».



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