Lorsque l’on voyage dans les pays d’Europe de l’Est, le sentiment de traverser un grand cimetière juif est partout omniprésent. Chaque endroit et chaque rue sont les témoins d’une histoire juive riche en événements plus tragiques qu’heureux. Mais si la connaissance du passé est fondamentale, il faut se souvenir que le présent et les espoirs quant à l’avenir jouent un rôle primordial. C’est dans cet esprit que nous avons été à la rencontre du rabbin TAMÁS VERÖ, jeune guide spirituel néologue de Budapest. Mais avant de parler de l’activité qu’il déploie aujourd’hui, un bref regard en arrière sur sa famille s’impose.
Originaire d’un petit village situé dans la campagne hongroise, les grands-parents de Tamás étaient traditionalistes mais pas pratiquants, célébrant les fêtes juives mais ne mangeant pas cachère et ne tenant pas Shabbat. Toutefois, ce sont les parents du jeune rabbin qui ont célébré le premier mariage authentiquement juif qui s’est déroulé à Budapest après la Deuxième Guerre mondiale, soit en 1946. Ils se sont d’ailleurs mariés dans la synagogue dont leur fils est aujourd’hui le rabbin et où il bénit régulièrement des mariages (une vingtaine par an). Il est intéressant de savoir que les parents et la grand-mère de Tamás sont les seuls survivants, 12 personnes des deux familles ayant été déportées. Sa grand-mère a été cachée dans les mêmes conditions qu’Anne Frank, mais elle n’a pas été dénoncée. Elevé sous le joug du régime communiste, le rabbin Ver? se souvient des difficultés auxquelles ses parents ont dû faire face. Tout d’abord sa circoncision, qui s’est faite dans le plus grand secret, juste avec un mynian (quorum de dix hommes requis pour une cérémonie ou un office religieux) d’initiés. Cette année-là, il n’y a d’ailleurs eu que trois circoncisions religieuses dans toute la Hongrie. Le rabbin se rappelle aussi qu’à chaque fois que ses parents manquaient un jour de travail pour aller à la synagogue, à Roch Hachanah et à Yom Kipour, ils étaient interrogés le lendemain sur les raisons de leur absence et sur le lieu où ils s’étaient rendus. Les investigateurs savaient très bien qu’ils avaient été à la synagogue, ils cherchaient à les punir et à les décourager en multipliant les tracasseries.
Le rabbin Ver? a débuté sa scolarité dans la capitale hongroise, il est ensuite allé dans un gymnase juif afin d’obtenir sa maturité, puis s’est inscrit à l’Université juive de Budapest pour se préparer au rabbinat. Les études ont duré sept ans, dont une année passée en Israël et une autre consacrée au travail pratique dans une communauté, à Szeged. Tamás Ver? avait toujours voulu faire des études de judaïsme, mais le seul moyen de joindre l’utile à l’agréable était de faire des études rabbiniques. Dans sa jeunesse, il était déjà très actif, notamment comme moniteur dans le mouvement de jeunesse Hachomer Hatzaïr. Ses études terminées, le rabbin Ver? a été rabbin assistant à la synagogue Leó Frankel située à Buda, dont il est devenu le rabbin en titre au bout de deux ans, le rabbin détenant ce poste étant décédé.
Combien de membres comptez-vous dans votre communauté ?
Nous envoyons notre bulletin communautaire à environ un millier de foyers. Toutefois, un vendredi soir normal, nous pouvons compter sur une centaine de fidèles. A Roch Hachanah et à Yom Kipour, nous recevons le nombre de personnes que la synagogue peut absorber. Je ne sais pas combien, car nous avons quatre cents sièges assis et de nombreuses places debout. Contrairement à d’autres endroits, ce ne sont pas que des habitants du quartier qui viennent chez nous, mais également des gens des autres coins de la ville.
Dans quelle moyenne d’âge se situent vos fidèles ?
J’ai beaucoup de chance, car j’ai un public très jeune. Ceci provient du fait que lorsque les camps de jeunesse ont commencé à Sarvaj en 1998, je m’y suis rendu en tant que moniteur. J’y ai fait la connaissance de nombreux jeunes gens et jeunes filles, dont une grande partie vient suivre les offices dans ma synagogue. De plus, lorsqu’ils veulent se marier, ils sont toujours heureux que la cérémonie ait lieu dans ma synagogue et que je sois le rabbin officiant. Le fait que je les connaisse bien constitue évidemment un facteur de confiance et me facilite la tâche quant à l’enrichissement de la vie communautaire. En plus de mes fonctions dans ma communauté, je suis également aumônier militaire. Je peux affirmer fièrement que l’armée hongroise compte trois soldats juifs dont deux rabbins (le rabbin de la synagogue de la rue Dohany et le rabbin Ver?).
Existe-t-il d’autres jeunes Juifs hongrois qui, comme vous, ont décidé de se consacrer à la vie et à la survie communautaires ?
Lorsque j’ai passé mon diplôme en 1999, notre promotion, qui comptait une poignée d’élèves, était la première qui se présentait à ce genre d’épreuves en dix ans. Aujourd’hui, il y a huit élèves rabbins à Budapest. Actuellement, nous sommes un total de deux rabbins sortis de notre promotion qui sont actifs en Hongrie. Toutefois, parallèlement à notre action, nous avons l’avantage de compter un grand nombre de jeunes volontaires Juifs qui déploient une activité éducative juive auprès des enfants et des adolescents.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots quelle est votre principale préoccupation ?
C’est très simple, je souhaite augmenter le nombre de membres actifs de ma communauté. Pour ce faire, j’ai besoin de plus de moyens financiers. Je dois vous dire que mon épouse se rend régulièrement dans les écoles non juives du quartier pour les aviser que nous avons un Talmud Torah. Celui-ci compte actuellement 16 élèves et offre un certain nombre d’activités auxquelles nous invitons tous les enfants juifs que nous pouvons accepter. Souvent, suite à sa visite, les écoles téléphonent aux parents qui viennent ensuite discuter avec nous, chez eux ou chez nous. Cela dit, nous faisons face à une grande difficulté, l’indifférence quasi totale de la majeure partie des Juifs hongrois face au judaïsme. De plus, ceux-ci ne sont pas disposés à payer une cotisation communautaire, même symbolique. Finalement, et c’est triste à dire, les gens ne s’intéressent à la communauté que pour les enterrements. Paradoxalement, il y a malgré tout de plus en plus de mariages religieux, de circoncisions et de Bar Mitsvoth. Les raisons de cette contradiction ne s’expliquent pas. Le fait est que parallèlement à ce phénomène, nous vivons une très grande période d’assimilation. Il y a deux ans, nous avons envoyé un questionnaire aux anciens élèves de ma classe du collège juif qui étaient restés en Hongrie, car la plupart sont partis en Israël ou aux USA. Le but était de savoir de quelle manière ils vivaient leur identité juive. La majorité avait contracté des mariages mixtes et tout abandonné. Quelques-uns se souvenaient encore qu’ils étaient juifs et se rendaient une fois par an pour un court moment à la synagogue. Malgré toute l’assimilation à laquelle nous assistons, je dois dire que nous découvrons un autre phénomène intéressant. En effet, sur le plan judaïque, nous vivons à une époque où ce sont les enfants qui instruisent les parents. Pour illustrer mes propos, je vous citerai l’exemple que l’on m’a répété à de nombreuses reprises: des jeunes adolescents qui viennent dans un camp juif découvrent des traditions et un mode de vie juif. Lorsqu’ils rentrent chez eux, il n’est pas rare qu’ils souhaitent continuer à pratiquer certaines coutumes, en général l’allumage des bougies du vendredi soir, ce qui constitue un petit pas encourageant dans la bonne direction. Comme vous le voyez, la situation n’est pas simple, elle exige beaucoup de travail et de détermination, mais il y a de sérieuses chances que nous gagnions ce combat de tous les jours.
Au vu de cette situation, pensez-vous que ce soit bien que des écoles juives acceptent aussi des élèves non juifs ?
En Hongrie nous n’avons pas le choix, puisque par exemple l’école juive Javne Lauder est considérée comme une école d’état. Je ne pense pas que, dans l’ensemble, les élèves trouvent un partenaire pour la vie pendant leur scolarité. Si nous regardons le côté positif des choses, je veux croire que les adolescents non juifs qui sortent d’une école juive nous connaissent et seront moins, voire pas du tout antisémites.
Procédez-vous à des conversions ?
Oui, mais elles ne sont pas reconnues par le Grand Rabbinat d’Israël. Toutefois, depuis peu, nos conversions sont considérées comme un premier pas vers une conversion acceptable et, en Israël, le temps de préparation est considérablement réduit. L’obédience néologue n’est pas reconnue en Israël comme étant recevable selon les règles de la législation juive. A Budapest, il y a environ une centaine de conversions par année. Les raisons sont multiples et dans la plupart des cas, elles ne sont pas liées à un éventuel futur mariage. Nos candidats ne sont pas toujours de prime jeunesse. De plus, nous avons régulièrement des jeunes gens de 20-25 ans qui nous contactent afin de se faire circoncire, bien qu’ils soient issus de parents authentiquement juifs. Nous procédons chirurgicalement, mais faisons une cérémonie religieuse pour l’attribution d’un nom juif, etc.
Comment gérez-vous les décès ?
Nous n’avons qu’une seule Chevrah kadisha (société mortuaire) qui s’occupe de nos chers disparus selon les règles de la Halakah pour tout Budapest. Elle est assez chargée puisqu’il y a en moyenne dix enterrements par semaine, soit près de 600 inhumations juives par année. Cela dit, il n’est pas rare que les personnes qui décèdent souhaitent être enterrées dans le même cimetière que leurs proches, où il y a souvent des caveaux familiaux. Quant aux cimetières à proprement parler, le plus important est situé dans le quartier de Pest et il y en a encore deux du côté Buda de la ville. Si jamais quelqu’un décède dans mon secteur et qu’il n’a pas de famille, je m’occupe de tout pour qu’il ait un enterrement digne. Telle est la règle en vigueur pour l’ensemble des seize synagogues de Budapest.
En consacrant sa vie à la communauté juive, le rabbin Ver? donne l’exemple. Espérons qu’il sera suivi.
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