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Sommaire Hongrie Automne 2004 - Tishri 5765

Éditorial - Septembre 2004
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Roch Hachanah 5765
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Éthique et Judaïsme
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Le Mémorial de l’Holocauste


Par Roland S. Süssmann
«Avec le temps… avec le temps, va, tout s’en va, on oublie le visage et l’on oublie la voix …», chantait Léo Ferré dans l’une des plus fameuses chansons du répertoire français. C’est parce que nous vivons à une époque où les derniers témoins survivants de la Shoa nous quittent progressivement et surtout pour que «rien ne s’en aille et que rien ne soit oublié» que le Mémorial de l’Holocauste de Budapest vient d’ouvrir ses portes soixante ans après la déportation des Juifs de Hongrie.
En été 1944, le judaïsme hongrois, dernière victime du génocide perpétré par les Allemands, a été décimé avec la collaboration de la police locale. En un temps record de 56 jours, entre le 15 mai et le 7 juillet 1944, 437'402 personnes ont été déportées par les autorités hongroises, soit pratiquement la totalité de la population juive qui vivait dans les zones rurales. La majorité a été gazée en arrivant à Auschwitz. Parmi les victimes se trouvaient 190'000 enfants ! Les Juifs de Budapest, quant à eux, ont été confinés dans un ghetto et environ 5'000 d’entre eux ont été ensuite assassinés sur les bords du Danube et 7'000 déportés à pied par les membres de l’organisation fasciste des Croix Fléchées. Sur plus de 800'000 Juifs hongrois, pratiquement 570'000 ont été massacrés pendant la Shoa. On estime généralement qu’à ce chiffre s’ajoutent environ 100'000 Gitans.
A ce jour, la majorité des pays d’Europe ayant une culpabilité dans l’assassinat des six millions de Juifs, dont un million et demi d’enfants, ont d’une manière ou d’une autre commencé à faire face aux crimes de leurs parents. Si tous n’ont pas encore fait de mea culpa, une prise de conscience, une mise à jour de la réalité historique commencent à se profiler et ce même en Autriche qui, jusque récemment et malgré sa collaboration volontaire avec Hitler, se présentait comme victime du nazisme. La Hongrie, quant à elle, n’avait jusqu’à présent fait aucun pas dans la reconnaissance de sa responsabilité dans le massacre de sa population juive. Il faut dire que malgré la connaissance des faits historiques, ce sujet était totalement tabou sous le régime communiste. Les exactions des Hongrois, en particulier de la police hongroise, étaient mises sur le compte des Allemands et de «quelques extrémistes hongrois». Pendant les quinze années qui ont suivi la libération, une chape de bonne conscience et de silence recouvrait cette période de l’histoire récente de la Hongrie. Il n’y avait aucune discussion officielle ou publique sur la responsabilité de la société hongroise pendant la Shoa, sur l’absence quasi-totale d’une résistance et sur la vente en masse des objets volés aux déportés par la violence, les abus de pouvoir et la fraude.
Depuis peu, probablement dans un désir d’être à même de se présenter avec un minimum de décence dans l’Union européenne, la Hongrie a commencé à considérer que la recherche, la documentation, l’éducation et le devoir de mémoire constituaient un devoir national. En 2002 (!) une institution gouvernementale, la «Holocaust Documentation Center and Memorial Collection Public Foundation», a été formellement créée et c’est sous ses auspices et son administration que le nouveau Mémorial de la Shoa de Budapest a été construit et qu’il opère.
L’une des questions fondamentales qui se pose lorsqu’un lieu de mémoire est ouvert est de savoir dans quel esprit il fonctionne. Le Dr Andras Darany, historien, directeur du Mémorial de Budapest et descendant d’une famille dont 20-25 personnes ont été déportées, l’a parfaitement résumé: «Notre but est de présenter la Shoa dans notre pays comme une tragédie nationale hongroise et comme une partie intégrante de notre histoire. En 1920, les premières lois anti-juives instaurant le numerus clausus dans les universités ont été instaurées en Hongrie. Vingt-quatre ans plus tard, notre pays était passé d’une simple loi de ségrégation à la collaboration volontaire et active dans l’assassinat de plus d’un demi million de nos citoyens. Si nous ignorons la responsabilité des Hongrois et surtout celle des autorités hongroises, nous ne pourrons jamais avoir de discussion honnête sur l’Holocauste.»
L’inauguration du centre le 16 avril 2004 devait donc marquer un tournant dans la manière dont la Shoa est perçue et présentée en Hongrie. L’institution a quatre activités principales: rétrospective de la Shoa par le biais d’expositions permanentes et temporaires, collecte et recherche de documents relatifs à la Shoa en Hongrie, intégration de l’enseignement de la Shoa hongroise dans le système scolaire (ce qui semble très loin d’être gagné) et entretien d’un mémorial pour rendre un hommage digne à la mémoire des victimes.
Cette opération est certainement basée sur un ensemble de bonnes intentions, toutefois ses buts déclarés semblent être fixés sur un horizon très lointain, bien que le début soit à la fois prometteur et assez impressionnant par la manière dont il a été réalisé. L’exposition permanente n’ouvrira ses portes qu’en 2005, à l’occasion du soixantième anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le centre a néanmoins été inauguré par la présentation d’une remarquable petite exposition de photos rappelant de manière très puissante la façon dont les Juifs des communautés subcarpatiques hongroises étaient transportés vers les chambres à gaz. Intitulée l’«Album d’Auschwitz», cette présentation de photos est unique en son genre. Elle est tirée d’une série de 235 photos prises par deux soldats nazis, Bernhard Walter et son assistant Ernst Hoffmann. Malgré l’interdiction formelle de prendre des photos dans les camps de concentration, ces deux nazis avaient obtenu une autorisation spéciale pour photographier leurs victimes. Ils s’étaient cachés sur les toits des trains pour photographier les captifs marchant vers les chambres à gaz, ceux déclarés «bons pour le travail», le pillage par les Allemands des pauvres avoirs des Juifs gazés, et les victimes attendant, sans se soucier du sort qui leur était réservé, devant les portes des chambres à gaz. L’«Album d’Auschwitz» a été trouvé par hasard à la fin de la guerre par Lilli Jakob, une survivante atteinte de typhus qui pesait encore 40 kilos et qui, à la recherche d’habits chauds, s’était rendue dans une baraque de SS abandonnée. Sur les premières photos, elle a reconnu Naftali Zvi Weiss, le Grand Rabbin de son village natal de Bilke (aujourd’hui intégré en Croatie). Sur d’autres, elle a découvert des membres de sa famille dont elle était sans nouvelles. En 1980, Mme Jakob a donné les photos originales à Yad Vachem. Aucune leçon d’histoire ne peut rendre l’horreur de la Shoa aussi tangible que cette série de photos. Le visiteur est choqué par le fait que, visiblement, les victimes ne savaient pas ce qui les attendait, les seuls qui semblaient craindre quelque chose étaient les enfants.
En ce qui concerne l’activité du centre relative à la recherche et à la documentation, la direction du mémorial organise des conférences et publie un certain nombre de communications d’ordre académique et pédagogique. De plus, un centre de documentation ouvert aux historiens, aux étudiants et aux chercheurs est prévu dans un avenir proche.
Une autre tâche fixée par le centre réside dans l’action éducative. Un vaste programme a été mis en place pour intégrer l’étude de la Shoa non seulement dans le cursus scolaire obligatoire, mais également en créant une chaire d’études de l’Holocauste dans les universités hongroises. Dans ce même esprit, des séminaires spécifiquement destinés aux enseignants sont organisés de manière régulière.
Pour terminer, un mot sur l’architecture, l’ensemble des activités étant intégré dans le mémorial même. Construit aux portes d’une synagogue datant de 1923 ayant été totalement restaurée et intégrée dans le mémorial, ce complexe moderne aux contours brisés et aux murs penchés constitue un lieu de mémoire rempli de symbolismes. Un mur pouvant accueillir plusieurs dizaines de milliers de noms de disparus et devant lequel brûle en permanence une bougie donne à l’ensemble une dimension particulièrement dramatique. De plus, six colonnes en marbre symbolisant les cheminées des fours crématoires par lesquelles six millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont disparu en fumée constituent le centre du mémorial.
Lors de la cérémonie d’ouverture à laquelle le président de l’État d’Israël, M. Moshé Katsav, était présent, le Premier ministre de la Hongrie a notamment déclaré: «J’ai honte que la Hongrie ait participé activement à ces assassinats monstrueux. Il n’y a aucune explication pour ces crimes haineux et impardonnables commis par des Hongrois à l’encontre d’autres Hongrois.»
Avant son ouverture déjà, le Holocaust Memorial Center était l’objet de nombreuses critiques. Il n’est certes pas parfait, mais il n’est pas terminé. Dans l’esprit de ses concepteurs, il ne s’agit que d’un point de départ d’un élément concret qui doit mener à son terme le débat national sur la responsabilité de la Hongrie. On ne soulignera jamais assez que tout était entrepris pour éviter que cette discussion nationale ait lieu. Même le fait que Imre Kertesz ait obtenu en 2002 le Prix Nobel de Littérature pour ses écrits sur la Shoa, en particulier son livre Auschwitz, n’avait pas suffi pour lancer ce débat national si nécessaire.
Mao Tsé Toung disait: «La plus longue marche commence par un petit pas». Celui-ci a enfin été franchi à Budapest.  


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