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Sommaire Interview Automne 2004 - Tishri 5765

Éditorial - Septembre 2004
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État et Nation

Professeur Shalom Rosenberg. Photo Bethsabée Süssmann

Par Roland S. Süssmann
L’année 2004 marque le centenaire de deux événements directement liés à deux personnalités qui, bien qu’elles n’aient pas eu le privilège de vivre la résurrection de l’État juif, ont fortement marqué l’histoire récente d’Israël: Théodore Herzl, décédé le 3 juillet 1904, et Abraham Itzhak HaCohen–Kook, le premier Grand Rabbin ashkénaze de Palestine, qui s’est établi en 1904 à Jérusalem. Ces deux grands hommes avaient une conception opposée du sionisme. Herzl était l’avocat d’un État juif ne répondant qu’aux besoins matériels et laïques du peuple juif, alors que le Grand Rabbin Kook prônait la dimension spirituelle de la renaissance nationale, devenant ainsi le père du Mouvement national-religieux. Les deux écoles de pensées ont fortement marqué la société israélienne.
Le débat qui se déroule aujourd’hui dans le pays, et qui a des ramifications aussi bien dans le monde académique que dans la vie politique, trouve ses racines dans les divergences de conception qui opposaient les doctrines de ces deux penseurs juifs. Il en découle que l’un des sujets les plus importants actuellement débattu en Israël et dans le monde juif concerne la définition de l’identité juive et israélienne. Afin de nous éclairer sur le sujet, nous avons rencontré le professeur SHALOM ROSENBERG, philosophe, directeur de l’Institut des langues, de littérature et des arts de l’Université hébraïque de Jérusalem et également détenteur d’une chaire au Touro College de Jérusalem.

Nous vivons actuellement au cœur d’un débat de société fondamental déterminant pour l’avenir de la société israélienne. A votre avis, quels sont les principaux points de cette discussion essentielle ?

Il faut tout d’abord constater que nous entendons un foisonnement d’idées qui vont des plus simples aux plus absurdes en passant par les plus raisonnables. Ainsi, le lobby qui promeut les thèses dites du post-sionisme ou du post-modernisme (qui en fait remettent l’identité juive d’Israël en question) a une influence importante dans le domaine des arts. Il s’agit d’un mouvement dont les idées vont à l’encontre du bien-être du peuple juif. Il faut bien comprendre que l’issue du débat actuel, qui sera déterminant pour l’identité d’Israël, a pour titre «un État pour tous ses habitants» et non pas «un État sioniste». Or, il ne s’agit pas seulement d’avoir un État juif aujourd’hui, mais de le maintenir en tant que tel dans l’avenir, ce qui n’est pas gagné. Cette question ne concerne pas uniquement la société israélienne, mais l’ensemble des communautés juives à travers le monde. Nous sommes au cœur même de la nouvelle définition du sionisme. Si ce terme avait pour but l’établissement de l’État juif et la promotion de l’immigration, le fait est que ces deux éléments ne suffisent plus à maintenir un État qui soit juif. Le sionisme doit étendre sa définition au fait de maintenir un équilibre stable entre l’État d’Israël et le peuple juif.
Nous vivons une époque assez curieuse, où deux courants s’affrontent. D’une part la globalisation, qui tente de supprimer les identités spécifiques et de créer une sorte de nivellement généralisé, ce qui signifie l’abandon de la loyauté envers chacune des identités. Il s’agit d’établir un statut universel identique pour toute l’humanité, ce qui impliquerait la fin de l’Histoire de l’humanité après l’écroulement de l’URSS. D’autre part, nous sommes au cœur d’un conflit de civilisations où l’islam est confronté à l’Occident. En Israël, nous nous trouvons entre les deux mouvements et c’est là que notre spécificité juive et israélienne joue un rôle particulier. En effet, en tant qu’Israéliens, nous perpétuons la particularité de la condition juive, cette condition spéciale en deux volets qui a été définie par nos sages et qui caractérise notre indépendance dans notre interaction avec les autres peuples et civilisations: Am levadad Yishkon - un peuple qui demeure seul - ostracisé, marginalisé, ghettoïsé, victimisé mais aussi introverti. Par la même définition, nous sommes aussi Or Lagoyim - une lumière pour les nations, soit un baromètre, une sirène d’alarme et un modèle. Il est primordial que nous gardions notre spécificité et notre identité juives et ce au niveau individuel, politique et national.


Ne pensez-vous pas que d’autres débats qui animent le pays, comme le fossé entre religieux et non religieux, la divergence gauche-droite notamment en ce qui concerne la continuité de la présence juive en Judée-Samarie et à Gaza, sont tout aussi importants que la définition de l’identité ?

Il est vrai que les questions que vous évoquez font beaucoup de vagues, mais elles ne touchent pas aux fondements mêmes ni aux racines de l’État, comme c’est le cas pour la définition de l’identité israélienne et de l’implication du judaïsme dans cette définition. En fait, la question fondamentale qui se pose est de savoir comment définir l’identité juive, en particulier en Israël. Celle-ci est basée sur trois piliers: la religion, l’État, et ce que l’on appelle en anglais «peoplehood», terme intraduisible qui comprend l’identification ethnique et un certain nombre de concepts philosophiques ou idéologiques. Il n’y a pas d’autres points de détermination de l’identité juive. Les uns s’estiment juifs uniquement par le biais de la religion et de la prière, d’autres n’ont qu’un sentiment national, une troisième catégorie n’est concernée par aucune des deux premières mais tire son appartenance au peuple juif de l’antisémitisme ou simplement de la moralité. Finalement, il y a ceux qui se sentent juifs de par leurs racines, mais qui n’ont aucune affinité avec la connaissance et la pratique religieuses ou avec l’État juif. Il faut bien comprendre que l’identité juive est un phénomène pluridimensionnel et d’ailleurs, le fait de s’identifier avec l’un des trois piliers précités n’exclut pas d’être proche d’un autre et un mélange de ces trois dimensions est tout à fait courant, l’une d’entre elles pouvant être facilement plus prédominante que les autres. Il s’agit d’un phénomène totalement subjectif où chacun d’entre nous trouve sa place dans le cadre de ce triangle que forment les trois piliers dont j’ai parlé. Parallèlement, ce sont les tensions qui existent entre ces trois côtés de ce polygone qui alimentent le débat national. Mais nous tirons notre force du fait que nous avons réussi à établir un modus vivendi commun qui permet à chaque tendance de se développer à la fois dans un cadre commun et indépendamment. Je pense donc que l’identité de la majorité des Juifs en Israël est composée du dénominateur commun qui existe entre l’État et la nation.

Estimez-vous que nous sommes dans un débat idéologique dont le but est de définir si Israël doit être un État juif ou un «État de Juifs» ?

Le débat est bien plus grave et plus fondamental que cela. En effet, je pense sincèrement que les deux concepts que vous évoquez peuvent très bien cohabiter et que les questions du Shabbat, «de qui est juif», etc., qui reviennent régulièrement à la une de la presse, trouvent des solutions viables pour tous. Toutefois, je crains que nous ne soyons face à un autre danger, celui de la formation progressive d’un État où les Juifs peuvent vivre, mais qui n’est en fait pas fait pour eux. Je m’explique: le «contrat de mariage» qui lie Israël au reste du peuple juif est aujourd’hui défini par la Loi du Retour. Aucune autre démocratie occidentale ne définit la citoyenneté de la majorité de ses ressortissants par le biais d’une appartenance religieuse. Cette démarche est problématique et comprend de nombreuses contradictions, mais c’est uniquement par ce moyen que nous définissons Israël comme étant un pays pour les Juifs. Or il existe aujourd’hui en Israël une frange de la société juive israélienne très cultivée, qui fait partie des «opinionmakers», présente dans les médias et dans le monde intellectuel, qui veut qu’Israël soit une espèce d’entité neutre, sans identité juive, pour ne pas dire sans identité du tout. En fait, il s’agit d’une idée rétrograde, prônée au début de l’existence de l’État par le Parti communiste israélien et qui se résume à une sorte d’état fonctionnel, sans idéologie.

Comment comptez-vous combattre ce phénomène qui semble prendre de l’ampleur ?

L’une des doctrines de l’armée israélienne fonctionne sur le principe suivant: si l’on veut obtenir quelque chose pour une année, on plante du blé; si l’on veut établir quelque chose de plus durable, il faut planter des arbres; mais si l’on veut établir quelque chose de permanent, il faut éduquer les gens. Il n’est pas possible de travailler avec une vue à court terme. Nous, les éducateurs et les penseurs, en Israël et dans le monde juif, pouvons et devons faire notre possible afin d’élever des générations à l’aise en toute connaissance de cause avec leur identité juive et qui ne seront pas tentées par des théories nihilistes. Ce programme éducatif très vaste ne passe pas uniquement par les écoles, mais aussi par la télévision, le théâtre, le cinéma, etc. Toutefois, ceci est directement lié à un certain nombre d’événements extérieurs à Israël et au monde juif. Après le 11 septembre en Amérique, un nouveau mode de pensée s’est mis en place. Les intellectuels de tous bords ont commencé à donner plus d’importance à l’identité nationale. Ce n’est pas encore le cas en Europe, mais j’ai de bonnes raisons de penser que nous commençons à ressentir quelques-unes de ces vibrations positives en Israël.

Reste une question fondamentale. En sa qualité de démocratie occidentale située au Moyen-Orient, Israël constitue un corps étranger, pour ne pas dire une réalité contre-nature. Il n’est pas question d’en orientaliser le mode de vie et, bien que très américanisée, l’existence ne se déroule pas en Israël comme aux USA. Sur le plan culturel, c’est l’Europe qui domine la scène. Dans le cadre de cette réalité, où s’inscrit la place de l’identité juive ?

L’une des raisons du conflit avec nos voisins réside dans notre spécificité. Ils savent bien que nous ne pouvons pas nous assimiler à la région, ne serait-ce que du point de vue du droit de la femme, de l’exercice des libertés individuelles, etc. Si nous devions vivre en paix et que les contacts entre les populations devaient s’intensifier, je ne crois pas que notre identité serait en danger. Par contre, nos voisins craignent, peut-être à juste titre, que notre mode de vie ne prenne pied chez eux, ce qu’ils ne souhaitent pas. Mais si j’observe ce qui se passe sur le plan scolaire en Amérique, je vois que la drogue et la violence risquent à moyen terme de détruire l’école dans ce pays, et je ne pense pas que nous devions suivre cette voie. Il ne fait aucun doute que nous devons être ouverts sur le monde, en particulier sur le plan culturel, et il est juste de dire que dans ce domaine, c’est l’Europe qui nous apporte le plus. Parallèlement, chacun d’entre nous et l’État doivent maintenir une identité juive spécifique et définie qui exclut toute sorte d’isolation. Pour ce faire, il n’existe qu’un seul moyen: le maintien de la cellule familiale juive, soit le mariage exclusif entre Juifs, la multiplication des foyers juifs et la pérennité de ce que j’appellerai «notre espèce et nos traditions», soit le judaïsme. L’ouverture sur le monde implique une certaine prudence. De plus, notre religion nous a fixé une mission très importante, nous sommes les «ambassadeurs» de l’Éternel sur terre. Ceci ne nous donne aucun privilège mais une masse impressionnante d’obligations, la première étant celle de nous conduire correctement. Lorsque l’un d’entre nous commet un méfait, ce n’est pas lui qui est montré du doigt, mais les «Juifs». Or notre religion nous interdit de désacraliser le nom de l’Éternel. Le concept de «Hilloul Hachem», d’outrage à l’Éternel, est compensé par le concept de «Kidoush Hachem», la sanctification de D’. Il s’agit là d’un élément qui fait partie intégrante de notre identité et qui devra aussi progressivement être intégré dans l’identité israélienne. D’ailleurs, ce concept se retrouve dans une grande partie de la société israélienne qui se veut non religieuse mais qui se réclame adepte des valeurs juives et ce en particulier sur le plan éthique, mais aussi en maintenant un certain mode de vie. En Israël, aucune loi n’impose la circoncision, aucune loi ne prévoit de maintenir la semaine de deuil (chivah) lorsque survient un décès et il n’y a certainement aucune loi qui oblige qui que ce soit à célébrer le Séder et malgré tout, plus de 90% de la population pratiquent ces traditions. En conclusion, je dirai qu’il est vrai que nous sommes engagés dans un débat fondamental très important quant à l’identité juive en Israël mais, parallèlement, nous avons atteint un certain équilibre qui, pour l’instant, nous permet de vivre en harmonie. Nous vivons à une époque où les gens ont besoin d’identité et de racines pour retrouver l’espoir. Nous devons faire très attention à ce que des mouvements trop religieux ou antireligieux ne prennent le devant de la scène et aliènent ceux qui veulent vivre leur identité juive de la manière équilibrée dont je vous ai parlé: en toute connaissance de cause et en étant ouvert sur le monde. Heureusement, il y a aujourd’hui en Israël et dans le monde un nouveau mouvement de pensée et d’action qui gagne de l’importance, qui met tout en œuvre afin de promouvoir ce mode d’existence. Il s’agit d’un groupe de jeunes rabbins, de poètes, de musiciens, d’humoristes, de satiristes et de cinéastes ayant une formation universitaire et juive très poussée, qui sont très cultivés et qui, par leur ouverture d’esprit, s’adressent à toutes les couches de la société. Ils vivent selon cet ancien principe: «Je suis Juif, mais rien de ce qui est humain n’est étranger pour moi». Les poètes de ce groupe écrivent une poésie israélienne basée sur des racines juives mais, parallèlement, ils sont présents à l’armée et à l’université. C’est ce type d’identité juive et israélienne qui, à la longue, assurera la pérennité du caractère juif de l’État, ce qui ne signifie en rien qu’il n’y ait pas de place pour que les autres courants puissent s’exprimer librement.

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