Éditorial – Septembre 2002
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Roch Hachanah 5763
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Le sort des prisonniers de guerre juifs
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Si vous vous rendez en voiture de Tel-Aviv à Jérusalem, une vingtaine de kilomètres avant d'atteindre la capitale, vous tombez sur un panneau indiquant le petit village de Yad-Hachmona (le Mémorial des Huit). Parmi les fondateurs de ce village, plusieurs Finlandais ont ainsi voulu conserver la mémoire des huit réfugiés juifs livrés aux Allemands par les autorités finlandaises en novembre 1942. Il est généralement admis que les Juifs de Finlande furent traités correctement pendant la Deuxième Guerre mondiale, bien que ce pays ait combattu aux côtés des Allemands; situation qui contraste avec le sort des Juifs dans d'autres pays comme la Hongrie ou la Roumanie, également alliées de l'Allemagne. Ceci est vrai en ce qui concerne les Juifs finlandais, qui furent même enrôlés dans l'armée, se battant parfois aux côtés de soldats allemands.
Les réfugiés juifs qui avaient trouvé asile en Finlande à la fin des années 1930 furent internés dans des camps et, comme nous l'avons dit plus haut, seuls huit d'entre eux furent livrés aux Allemands.
Il existe toutefois une troisième catégorie de Juifs dont le sort a été totalement oublié. Il s'agit des prisonniers de guerre soviétiques de confession juive qui, par dizaines, furent livrés aux Allemands.
En marge de la Deuxième Guerre mondiale, deux guerres opposèrent l'Union soviétique et la Finlande. Durant la Guerre d'Hiver (30.11.1939 - 13.3.1940), la Finlande combattit sans alliés et sans soutien international; en revanche, pour la Guerre de Continuation (25.6.1941 - 19.9.1944), elle eut l'appui d'un puissant allié, l'Allemagne nazie. Les débuts de la Guerre de Continuation furent marqués par des attaques éclairs qui s'achevèrent à la fin du mois d'octobre 1941. Par la suite, la guerre s'enfonça dans une situation d'impasse qui dura jusqu'en 1944. La Finlande captura au total 64,188 prisonniers de guerre soviétiques.
Mon père, que sa mémoire soit bénie, combattit comme soldat finnois pendant la guerre. Un jour, il fut appelé par ses camarades parce qu'on avait capturé un soldat soviétique juif. Mon père se précipita et lui murmura quelques mots en yiddish. Le prisonnier fut complètement ébahi d'entendre un soldat ennemi parler yiddish, là au milieu des forêts.
Chaque prisonnier de guerre soviétique était interrogé dans le camp où il était détenu, on établissait une carte de prisonnier et un badge à son intention. Outre les coordonnées comme nom, prénom, nom des parents et adresse, il y avait une rubrique concernant la nationalité. L'objectif principal de cette ségrégation était de trouver des prisonniers de guerre apparentés à la nation finlandaise (les finno-ougariques) afin de les rééduquer et de les installer en Carélie orientale. Située aux confins orientaux du pays, la Carélie était considérée comme une région riche et fertile que la Finlande avait dû céder aux Soviétiques dans le traité de paix de Dorpat, en 1920. Depuis, les Finlandais, en particulier l'extrême droite, rêvaient de la reconquérir et de la coloniser. La Carélie était peu habitée et au cours de la période soviétique, de nombreux Russes s'y installèrent jusqu'à former un tiers de la population.
Les Finlandais procédèrent à la division des prisonniers en 89 nationalités: une distinction fut établie entre Caucasiens - chaque petite ethnie séparément - d'une part, et Juifs et autres d'autre part. Ensuite, les prisonniers de guerre furent transportés dans des camps à l'intérieur de la Finlande. Officiers et prisonniers politiques furent placés dans un camp spécial, les Juifs étaient classés sous la catégorie "Russes".
La recherche historique finlandaise ne traite pratiquement pas du sujet des prisonniers de guerre. Un film documentaire sur le sort des prisonniers de guerre, intitulé "Un havre pour prisonniers de guerre" et produit par la télévision finlandaise, ainsi que d'autres témoignages donnent l'impression que les prisonniers de guerre juifs eurent même droit à un meilleur traitement que les autres. Ceci n'est que partiellement vrai, comme on le verra en lisant ci-dessous le sort réservé à 70 prisonniers de guerre juifs.
Ce fut à Salla (Nord de la Finlande), le 26 octobre 1941, que pour la première fois, des prisonniers soviétiques furent remis aux Allemands. Sur la liste de ces hommes livrés figurent les noms suivants: le barbier juif Zalman Kuznetsov, le professeur Alexandre Malkis, le tailleur Haim Osherovitsh Lev. A côté de chaque nom est mentionnée la raison présumée de son transfert aux mains des Allemands: il s'agissait soit d'"agitateurs", soit de "politruks". On peut à la rigueur penser que le professeur Malkis entrait dans la catégorie "bolchevik", mais il est exclu d'y faire figurer le barbier Kuznetsov ou le tailleur Haim Lev.
D'autres Juifs furent livrés au cours des mois suivants. Le 4 mars 1942, 17 au moins des 60 soldats livrés étaient juifs, soit près d'un tiers (28,3%).
Les cartes de prisonniers de guerre révèlent que près de trois mois après avoir été interrogés au QG militaire, les Juifs furent livrés aux Allemands. Une groupe important de Juifs fut amené pour interrogation en janvier. En mars, les prisonniers sus-cités furent remis aux Allemands, opération qui était le fruit de la coopération entre la police secrète finlandaise et la Gestapo. Un autre groupe de 9 Juifs fut livré en septembre 1942. Après cette date, seuls quelques individus juifs figurent sur les listes des prisonniers transférés aux mains des Allemands. Il est remarquable qu'aucun Juif ne fasait partie des 501 prisonniers de guerre livrés à Hanko en janvier 1943. La majorité dans ce groupe était des Caucasiens, dont un nombre disproportionné de Géorgiens. Un certain Vladimir Levin fut livré en novembre 1943, mais il avait été enregistré comme étant de nationalité russe.
Pourquoi les Juifs furent-ils livrés et quel événement survenu en octobre 1942 mit un terme à cette politique ?
Selon Raija Hanski, universitaire finlandaise qui a étudié le sujet, "les prisonniers de guerre considérés comme éléments politiques dangereux étaient transférés aux mains des Allemands..., les Juifs étant alors considérés comme particulièrement dangereux." Des 70 prisonniers de guerre juifs livrés aux Allemands dont j'ai trouvé la trace dans les archives en Finlande, 18 étaient âgés de moins de 25 ans; ils n'étaient donc sûrement pas des commissaires des Soviets. On trouve également 18 soldats de première classe, difficiles à classer comme agitateurs politiques. Figurent encore sur la liste des menuisiers, des photographes, des barbiers, des employés des postes, un décorateur et un musicien: il n'y avait aucune raison de soupçonner ces petits artisans d'être impliqués dans des activités politiques. Certes on trouve un nombre d'individus plus âgés, dont certains officiers: le professeur Malkis était commissaire de régiment, Ratner était historien et commissaire.
J'en conclus donc que certains prisonniers pouvaient être considérés comme "éléments politiques dangereux", mais un grand nombre n'entrait absolument pas dans cette catégorie. Ils furent livrés en raison d'un processus d'échange: les Allemands leur livraient des prisonniers de guerre apparentés aux peuples de Finlande afin que ces derniers aillent coloniser la Carélie.
Ce processus fut arrêté en octobre 1942 en raison de la publication dans la presse finlandaise de l'épisode des 8 réfugiés sus-mentionnés. Cette affaire fut abondamment commentée parmi les politiciens finlandais et l'information fut publiée dans la presse suédoise, causant un certain émoi. Abraham Stiller, membre de la communauté juive de Helsinki, était un homme d'affaires qui militait depuis longtemps en faveur des réfugiés juifs. En prenant connaissance du fait que les réfugiés allaient être livrés aux Allemands, il fit appel à chaque politicien qu'il put joindre afin de modifier leur sort. Malheureusement, ses efforts n'obtinrent qu'un succès partiel. Le 6 novembre 1942, en dépit de toutes les pressions, 8 Juifs furent envoyés en Estonie sur le bateau Hohenhorn. Un seul survécut à la guerre. Abraham Stiller intervint également en faveur des prisonniers de guerre juifs.
Il y eut un autre défenseur des Juifs, dont l'intervention fut cruciale, le maréchal de Finlande, Mannerheim. Dès l'automne 1942, il avait compris que les Allemands allaient perdre la guerre. Il donna des ordres afin de modifier le traitement des prisonniers de guerre en général et apparemment celui des Juifs en particulier. Quelques Juifs, internés dans un camp à Loukolampi après avoir été séparés des autres prisonniers, reçurent même du vin et des matzot pour la Pâque juive et eurent droit à la visite d'un rabbin de la communauté de Helsinki.
Peut-on justifier le comportement de la Finlande ? Les instructions militaires concernant les prisonniers de guerre émises en juin 1941 stipulent que les prisonniers sont placés sous l'autorité du gouvernement finlandais et doivent être traités de façon humaine. Les livrer aux Allemands ne correspondait certainement pas à ces instructions.
Les Finlandais savaient-ils quel serait le sort destiné aux prisonniers de guerre juifs ?
Après une visite en novembre auprès des troupes allemandes stationnées en Estonie, un fonctionnaire de la Police secrète finlandaise rapporta qu'il avait entendu dire que tous les hommes juifs en Estonie avaient été fusillés. A une question posée concernant le nombre de Juifs en Finlande, il répondit "deux mille, mais plus pour longtemps".
J'affirme que la Police secrète de Finlande savait, au moins depuis 1942, quel était le sort réservé aux prisonniers de guerre juifs livrés aux Allemands.
L'opinion communément admise selon laquelle la Finlande traita les Juifs correctement durant la Deuxième Guerre mondiale est donc seulement partiellement fondée. Les Juifs qui n'étaient pas considérés comme faisant "partie du peuple finlandais" furent moins bien traités et certains, comme on l'a vu, furent même livrés aux Allemands. La Finlande n'était donc pas un havre pour tous les prisonniers de guerre. Certes, la situation s'améliora fin 1942, mais avant cette date, il y eut des transferts de prisonniers vers l'Allemagne et des traitements sévères.
* Serah Beizer est titulaire d'une maîtrise en Histoire du judaïsme contemporain de l'Université hébraïque de Jérusalem. Elle a effectué des recherches sur la période de l'holocauste en Suède et en Finlande. Elle dirige actuellement le Centre de documentation de l'Agence juive.
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