Éditorial – Septembre 2002
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Roch Hachanah 5763
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Depuis deux ans qu'Arafat a lancé sa guerre d'Oslo afin d'obtenir des avantages politiques, l'armée d'Israël et les services de sécurité du pays ont réussi à prévenir des centaines d'attentats meurtriers, malheureusement pas tous. Il est toujours aguichant pour la presse de présenter des armes, de tenter de découvrir quelques secrets sur le fonctionnement de l'armée ou des services de renseignement. Toutefois, au-delà de l'armement et de la puissance militaire à proprement parler, il y a la conception de la stratégie et la doctrine tactique d'un pays et d'une armée. Dans la presse, cet aspect de la défense est souvent négligé, car il n'est pas spectaculaire.
En exclusivité, SHALOM a été reçu par le général de brigade GERSHON HACOHEN, qui est directement impliqué dans la mise en application de l'ensemble des principes du système militaire israélien. Sa réflexion et son activité ne consistent pas à résoudre les problèmes immédiats. Avec son comité d'experts et l'état-major général de l'armée, c'est lui qui prépare les Forces israéliennes de Défense de demain (IDF). Tous les Premiers ministres d'Israël issus d'une carrière militaire ont participé à cette cellule de réflexion.
Pouvez-vous en quelques mots décrire la nature de votre activité au sein de l'armée ?
Je tente d'apporter des idées, des concepts et d'analyser l'état d'esprit dans lequel fonctionne l'état-major général. Il s'agit surtout de tirer les leçons des bonnes et des mauvaises expériences que fait l'armée. Notre travail ne réside pas uniquement dans la réflexion, mais dans l'observation et dans la proposition de solutions concrètes en fonction des exigences de la réalité sur le terrain. Afin d'illustrer mes propos, je vous donnerai un exemple qui a fait école. Que s'est-il passé au moment de la guerre de Kipour et au cours de la période qui a précédé cette guerre ? A l'époque, l'armée avait fait un effort particulier pour renforcer le front sud. N'aurait-il pas été plus logique de le laisser ouvert afin de permettre à l'armée égyptienne de s'y engouffrer et de l'attaquer une fois qu'elle était embourbée dans le désert ? Pourquoi cette "ligne Maginot israélienne" a-t-elle été conçue et construite ? Jusqu'en 1967, le pays était petit, exigu et toute la stratégie était basée sur un concept où l'armée ne disposait d'aucune profondeur stratégique. Avec le Sinaï entre nos mains, cette réalité avait totalement changé, mais la conception de la défense était restée la même et n'avait pas été adaptée aux nouvelles circonstances. Le fait d'avoir des idées, des plans et des concepts ne suffit de loin pas. Toute notre réflexion doit être intimement liée et directement orientée vers son application pratique, vers l'action sur le terrain. Elle doit être adaptée aux programmes de man?uvres et d'entraînements, et issue des rapports des commandants d'unités en action.
Israël est un pays d'immigrants et, au cours de la dernière décennie, un million de personnes sont venues d'URSS, toutes provenant d'un milieu bien différent de celui de la société israélienne. Comment les avez-vous intégrées dans l'armée ?
L'un des principes de fonctionnement de toute armée au monde réside dans le fait de réunir dans une même section un groupe de personnes issues d'un ensemble d'horizons différents. Il s'agit ensuite de les entraîner, de leur imposer le même horaire, la même nourriture, etc., afin que, progressivement et artificiellement, elles commencent à penser de la même manière et à agir de façon identique, bref de devenir une sorte de famille. A ce niveau, l'origine, le milieu et la culture n'ont aucune importance. En raison de la variété des origines de nos recrues, ceci est essentiel car, en réalité, l'armée recrée totalement la forme de vie et la manière dont les hommes pensent et agissent.
Votre activité ne se situe pas au niveau des soldats, elle consiste à guider les pensées des généraux. Or ceux-ci ont des formations différentes, infanterie, commandos, aviation, marine, etc., donc des manières distinctes d'aborder les problèmes. Existe-t-il malgré tout une certaine convergence de vue stratégique ?
C'est vrai, mais lorsqu'ils en arrivent au point d'élaborer des tactiques, tout ce qu'ils ont appris n'a pour ainsi dire plus d'importance. Ils doivent acquérir tout un nouveau savoir afin d'être capables de traiter à ce niveau. Pour nous, chaque campagne est unique et l'erreur la plus grave est de vouloir ré-appliquer une tactique déjà couronnée de succès dans une certaine bataille. Il en est de la guerre comme de l'art. La première pièce est une création, les autres ne sont que des répliques. Une mauvaise imitation contenant quelques erreurs peut, dans le pire des cas, heurter la sensibilité d'un puriste et ne pas avoir de valeur. Nous n'avons pas les moyens de commettre des erreurs, chacun de nos concepts affectant directement la vie des soldats et la survie de la population. Il est donc indispensable que chaque schéma que notre service met au point constitue une "création" en soi. Celle-ci doit être basée sur une connaissance approfondie de la situation, du terrain, de l'environnement géopolitique et géostratégique de la région de la part de chacun des généraux qui participe à l'élaboration des opérations.
Comment ces études et ces réflexions s'intègrent-elles pratiquement dans la lutte contre le terrorisme en général et contre l'OLP en particulier ?
La dernière campagne comprenait trois secteurs d'opérations: le premier au Nord contre le Hezbollah, le deuxième en Judée-Samarie et le troisième à Gaza. Au niveau de l'état-major général, la question était de savoir quel était le véritable rôle de chacune de ces opérations dans l'ensemble de la campagne. Ceci impliquait aussi de définir la manière dont chacune de ces opérations allait influencer l'autre. Leur fonctionnement allait aussi déterminer l'ordre logique d'intervention. Dans l'hypothèse où nous sommes à nouveau face à une campagne unique, nous sommes obligés de donner une logique unique et une manière unique d'approcher le problème. Prenons par exemple l'évaluation de la menace du Hezbollah. Une décision devait être prise de savoir si oui ou non nous allions ouvrir un nouveau front au Nord et si oui ou non nous allions nous lancer dans une opération militaire d'envergure. Cette conclusion impliquait directement que l'intervention en Judée-Samarie soit restreinte. D'autre part, une action à Gaza aurait pu être limitée par les Égyptiens. En effet, ils auraient pu entrer avec des chars dans le Sinaï en nous disant: "Nous ne faisons rien de plus que vous. Nous ne passons pas la frontière, nous ne faisons que créer une menace - la même que celle que vous représentez pour nous en vous positionnant à Gaza. A présent, réfléchissez !" C'est en évaluant tous ces éléments ainsi que d'autres paramètres que nous avons décidé que de tous les points de vue, y compris sur le plan politique, il était juste, à ce moment-là, de mettre l'accent sur une intervention massive en Judée-Samarie sans tomber dans le piège d'avoir un front supplémentaire au Nord. Nous avons aussi dû prendre sur nous pour ne pas déclencher des représailles contre le Hezbollah. Nous avons compris que leur dessein était de détourner nos efforts et notre attention pour nous entraîner dans une nouvelle opération importante au Nord, dans l'intention d'affaiblir notre positon en Judée-Samarie. C'était là l'aide apportée aux palestiniens et le but stratégique du Hezbollah, afin de nous empêcher d'accomplir notre mission. Au Nord, nous nous sommes donc contentés d'entreprendre des opérations défensives précises et à Gaza, nous avons choisi l'option "défense - retenue" afin de ne donner aucun prétexte aux Égyptiens pour entreprendre un quelconque mouvement de troupes. Ces deux éléments nous ont permis de réussir notre opération en Judée-Samarie. Cet exemple démontre bien que chaque situation est unique et si demain nous sommes confrontés à un type de situation identique, il n'est absolument pas certain que le même genre d'opération s'avère utile. Comme je vous le disais, "chaque campagne est unique".
Que pensez-vous avoir accompli par la mission "Rempart de défense" ?
Le véritable résultat de cette opération ne se mesure pas en nombre d'armes saisies ou de laboratoires d'explosifs détruits. La réelle évaluation de ce qui s'est vraiment passé doit se faire au niveau stratégique et politique et c'est à ces deux échelons-là que l'exploitation des succès doit être explorée à fond, car les éléments objectifs en soi (ramassage, destruction des armes, etc.) ne constituent en réalité qu'un point mineur dans une stratégie globale, bien qu'il s'agisse d'un élément de première importance sur le terrain même. J'en arrive au point essentiel de ce que nous avons réalisé pendant cette campagne et de son interprétation. Tout d'abord, nous avons démontré au monde entier que toute l'infrastructure terroriste a été construite avec l'approbation et en coopération directe avec Arafat. De plus, avant cette opération et pendant toutes ces longues années du processus d'Oslo, le concept principal qui régissait les relations entre Israël et sa contrepartie résidait dans un élément extrêmement dangereux pour notre souveraineté. Il s'agissait du souhait de créer un type d'état palestinien qui satisferait à toutes les exigences d'un état occidental moderne: stabilité, droit et, le plus important, un appareil d'état. L'un des rôles principaux dans "l'appareil d'état" implique que l'état est seul à exercer le contrôle de l'utilisation d'armes et de toutes formes d'activités militaires. Il n'existe pas d'armées privées ou de milices. Or, au cours des dernières années, les palestiniens n'ont simplement pas joué ce jeu-là. Même lorsqu'ils ont tenté de prévenir quelques actes de terrorisme, ils ne l'ont jamais fait dans l'esprit d'établir un appareil d'état qui contrôle toute action militaire en exclusivité. Bien au contraire, leur démarche était celle d'un racketteur. Leur discours se résumait à dire qu'ils avaient entrepris une action de protection pour des citoyens israéliens et que, par conséquent, Israël devait payer une compensation sous forme d'avantages politiques ou financiers. Pendant toutes les années d'Oslo, la relation avec l'OLP était celle d'une tentative permanente d'extorsions et de menaces de sa part, mettant en danger la souveraineté d'Israël. La réussite essentielle de l'opération "Rempart de défense" réside dans le fait que nous avons dit aux palestiniens que la protection de nos citoyens est très bien placée entre nos mains. Nous leur avions offert la possibilité d'établir un appareil d'état selon les critères modernes de ce concept que j'ai décrit, pour servir leur propre cause, voire leur indépendance. Non seulement ils ne l'ont pas fait, mais ils ont utilisé cette offre généreuse et cette circonstance favorable qui leur aurait permis de construire un état correctement structuré, pour se retourner contre nous. Nous avons alors décidé de mettre fin à tout le processus et de reprendre le contrôle total de la situation.
En d'autres termes, vous nous dites qu'Israël avait un peu perdu de sa souveraineté et que, grâce à l'opération "Rempart de défense", il l'a récupérée. Pensez-vous que cette réalité ait été ressentie comme telle par la population israélienne ?
Absolument et d'ailleurs, lorsque ce gouvernement a décidé de se lancer dans cette campagne qui, outre la question de la sécurité, constituait une opération pour la récupération de notre pouvoir suprême et exclusif sur tout ce qui touche aux questions de sécurité de la population, les soldats mais surtout les réservistes se sont présentés avec promptitude et détermination à leurs postes. La population d'Israël a réalisé que l'OLP joue ce double rôle de "partenaire pour la paix" et de terroriste. Aujourd'hui, c'est vrai, il est tard, mais le monde entier a compris quel type d'ennemi nous sommes amenés à combattre.
Les Arabes des territoires et leur commandement ont-ils été surpris ?
L'étonnement était total et ce également pour le Hezbollah. Après le retrait du Liban, son chef, Cheikh Nasrallah, s'était lancé dans de grandes théories disant que les Juifs ne voulaient plus se battre. Il conseillait à l'OLP de créer un climat de menaces permanentes car, ainsi, les Juifs céderaient sur tout. C'est le contraire qui s'est passé, ce qui constitue un fait établi qui servira d'exemple pour l'avenir. La population d'Israël a démontré que lorsqu'elle est sérieusement menacée, elle est capable de se battre et d'être victorieuse.
Vous nous parlez de victoire, mais n'est-elle pas totalement asymétrique car finalement, c'est toute la puissance militaire d'Israël qui s'est attaquée à un groupe de terroristes ne disposant ni de chars ni d'hélicoptères ?
L'asymétrie ne réside pas dans le déséquilibre de la suprématie de l'un par rapport à la faiblesse technique ou en nombre de l'autre. Sur le plan militaire, l'asymétrie est une forme de stratégie dont le but est de circonvenir une armée forte de manière à ce que sa suprématie devienne sans importance. Tout le monde a constaté que dans la dernière campagne, l'aviation est restée au sol. Nous ne pouvions pas bombarder nos ennemis, car l'environnement stratégique ne s'y prêtait pas. La stratégie de l'asymétrie est justement celle qui permet à ceux qui l'emploient de se poser en victimes face à la communauté internationale, alors qu'il s'agit de combattants qui utilisent des civils comme boucliers. Afin d'illustrer mes propos, je prendrai l'exemple de Jenin. L'occupation de la ville en tant que telle n'a aucun intérêt, ni pour nous ni pour les Arabes. Mais pour eux, il s'agit d'une cache idéale, car il n'y a pas de secteur militaire fortifié et chacune de nos actions pouvait être présentée au monde comme une attaque sur des civils. Ces mêmes civils qui nous combattent échappent ainsi aux règles des Conventions de Genève, car ils ne peuvent pas être considérés comme prisonniers de guerre et nous ne pouvons pas bombarder.
Israël s'est donc retrouvé face à un nouveau type de guerre. Comment avez-vous réagi ?
Sur un plan purement technique, nous avons progressé de maison en maison et combattu nos adversaires sur leur terrain. Ce qui est très important, et j'en reviens à l'exploitation stratégique et politique de l'opération, c'est le fait que nous ayons retrouvé toute notre souveraineté sans l'aide de personne. Il faut bien comprendre qu'il s'agissait d'un concept qui, avec Oslo, avait été abandonné.
Comment pensez-vous que la situation va évoluer sur le terrain ?
Nous allons profiter des avantages acquis et nous n'allons pas leur donner la possibilité de se regrouper. Nous ne sommes pas dans une science exacte, mais nous savons quels sont nos buts nationaux et stratégiques. Notre travail est de nous préparer et surtout de faire face au pire. Nous ne sommes pas des prophètes, mais un certain nombre de scénarios plus ou moins catastrophiques peuvent être envisagés en toute logique et nous devons non seulement savoir comment réagir, mais comment les prévenir.
Vous faites partie des hommes qui préparent l'IDF de demain. Selon vous, quelle armée aura l'État juif dans deux, cinq ou dix ans ?
Au cours des deux dernières années, les défis ont changé. L'Amérique n'est plus menacée par une attaque mécanique conventionnelle directe sur son territoire national. Aucune division armée ne se trouve aux portes des USA qui, toutefois, sont confrontés à de nouvelles menaces. Celles-ci exigent le développement de forces d'intervention, de services de renseignements sophistiqués, d'une aviation plus spécialisée, etc. Nous sommes confrontés simultanément à deux types de risques différents: l'attaque conventionnelle par des divisions blindées, par exemple par la Syrie ou un autre pays limitrophe, et l'attaque asymétrique dont je vous ai parlé, domaine dans lequel nous sommes à la pointe de la recherche stratégique. Cela dit, nous ne sommes que des experts militaires et il n'existe pas de règles absolues nous permettant de faire face avec une certitude totale à toutes les éventualités. Il y a des risques objectifs et calculés, mais le risque zéro n'existe pas. D'ailleurs, nous avons imaginé un "scénario catastrophe" où nous serions confrontés simultanément à une agression massive de chars, à une pluie de missiles conventionnels et à des attaques terroristes et/ou asymétriques. Ce serait gravissime mais, malgré toutes les difficultés que cela implique, nous serions à même d'y faire face victorieusement. Nous avons établi une suprématie absolue pour combattre une guerre conventionnelle. Le terrorisme et la stratégie asymétrique ont pour but, comme je vous l'ai dit, de circonvenir à notre pouvoir. En conclusion, je peux vous dire qu'actuellement, nous renforçons conjointement notre suprématie, nous nous entraînons à faire face au terrorisme et à combattre la stratégie asymétrique qui, d'ailleurs, peut se concrétiser sous forme d'une attaque chimique dirigée contre une partie de la population.
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