A première vue, la ruelle Malminkatu, située sur les hauteurs de Helsinki, ressemble aux autres rues de son quartier, sauf qu'elle a un plus: la synagogue et le c?ur de toute la vie juive finnoise. Adjacent à la synagogue, un énorme bâtiment abrite le centre communautaire, le jardin d'enfants, l'école juive et la maison de retraite. A cet endroit se trouvent aussi les cuisines cachères de la ville, qui préparent quotidiennement approximativement deux cents repas, la majorité destinés à l'école. Une petite épicerie cachère vend aussi de la viande congelée en provenance de France, 10% des Juifs mangeant strictement cacher. A ce jour, la Finlande compte quelque 1'500 âmes réparties en deux communautés, l'une à Helsinki et l'autre à Turku, dont environ 1'000 sont membres de la communauté.
Pour obtenir ce statut, il faut être authentiquement juif, c'est-à-dire que seules les personnes de mère juive ou ayant été converties par un véritable rabbin (non libéral ou réformé) sont acceptées comme membres à part entière. Chacun est donc admis individuellement et dans un couple juif, le mari et son épouse sont considérés comme deux membres distincts. En raison de l'importance du taux de mariages mixtes, un grand nombre de personnes, qui ne sont pas membres, participent malgré tout aux activités communautaires, si bien que l'ensemble des gens directement ou indirectement impliqués dans la vie communautaire s'élève à environ 3'000. Au sujet des mariages mixtes, la communauté juive a une "spécificité". En effet, de nombreux Israéliens ont épousé des Finlandaises soit au cours d'un séjour dans un kibboutz de ces dernières, soit lorsqu'elles étaient membres de la FINUL stationnée au sud-Liban et donc en contact avec Israël. Toujours au sujet de la question du mariage mixte, il faut savoir qu'un père juif, dont l'épouse et les enfants ne sont pas juifs, peut être membre de la communauté et ses enfants bénéficier des institutions scolaires juives. A cet égard, il est intéressant de constater que près de 90% des élèves scolarisables, ayant accès à l'école juive, y sont inscrits. Outre le jardin d'enfants qui compte une trentaine de petits, l'école a une centaine d'élèves répartis sur neuf degrés. A l'issue de cette période, les lycéens sont en général intégrés dans les écoles publiques, où ils terminent les trois années de collège pour obtenir la maturité. La communauté juive n'est pas uniquement constituée de Juifs originaires de Finlande. L'école, dont l'enseignement est en finnois, est fréquentée par des enfants de tous pays et huit différentes langues maternelles y sont parlées, à savoir: le suédois, l'anglais, l'hébreu, le russe, l'italien, le français, l'allemand et l'espagnol.
Il faut également signaler qu'en Finlande, il y a deux langues officielles, le finnois et le suédois. Cet état de fait trouve ses sources dans l'histoire de la Finlande qui, jusqu'en 1809, faisait partie du royaume de Suède avant de devenir un grand-duché de l'Empire russe. Les Suédois n'autorisèrent pas les Juifs à s'installer en Finlande et le Tsar Alexandre Ier maintint ces interdictions. Les premiers Juifs qui obtinrent l'autorisation de s'établir étaient des "cantonistes", ces soldats juifs du Tsar qui avaient été enrôlés de force dans l'armée russe pour 25 ans. A leur libération, leurs garnisons étant à Helsinki et à Vyborg, ils purent habiter dans ces villes et y fonder les premières communautés juives, malgré les oppositions locales. Pendant des années, les Juifs vécurent sous un régime de contraintes et d'interdictions. En 1880, le débat sur l'émancipation des Juifs fut lancé et dura presque dix ans. L'intelligentsia et la presse suédoise soutinrent activement la mise en place de réformes pour les Juifs alors que la presse réactionnaire finlandaise, appuyée par des intellectuels antisémites et surtout par le clergé, s'y opposa farouchement. En 1889, un texte autorisant les Juifs à vivre à Vyborg, Turku et Helsinki fut finalement adopté, mais les autres restrictions restaient toujours en vigueur. Le pays comptait alors 1'000 Juifs. Ce n'est qu'en 1909 que le mouvement libéral du parlement fit voter la suppression des lois anti-juives en battant l'opposition des conservateurs extrémistes par 112 voix contre 48. Toutefois, la ratification de cette décision n'entra en vigueur qu'en 1917 ! Entre les deux guerres, la population juive augmenta jusqu'à environ 2'000 personnes, dont la majorité venait de Russie. Un certain nombre de Juifs optèrent pour des professions libérales, d'autres pour l'industrie ou le commerce du bois. Mais la plupart se consacrèrent au commerce du textile. Pendant la Guerre d'Hiver, les Juifs combattirent aux côtés des Finlandais et lorsque la ville de Vyborg fut annexée par l'URSS, les 300 Juifs qui y vivaient s'installèrent en Finlande. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Finlande connut cette situation unique et paradoxale qui fit que, bien que directement alliée à l'Allemagne nazie, elle refusa de déporter ses citoyens juifs, dont une bonne partie servait d'ailleurs dans l'armée. Les Juifs résidents en Finlande mais qui n'avaient pas la nationalité, au total 160 personnes, purent trouver refuge en Suède, qui n'était pas en guerre. A un moment donné, les Finlandais autorisèrent la Gestapo à déporter 50 Juifs autrichiens et originaires des pays baltes qui s'étaient réfugiés en Finlande. Lorsque le maréchal Carl G. Mannerheim apprit que les 11 premiers avaient été assassinés en arrivant à destination, il interrompit immédiatement la poursuite de cette opération.
Tous ces mouvements de l'histoire expliquent pourquoi les Juifs ont adopté la langue suédoise plutôt que finlandaise. Il faut bien comprendre que le suédois, comme le yiddish, est une langue de type alémanique, alors que le finlandais est plus proche du hongrois et fait partie des langues finno-ougriennes. Pour les nouveaux immigrants, il était donc plus facile de s'adapter au suédois et aujourd'hui, les membres plus âgés parlent encore cette langue entre eux. Mais la jeune génération ne le parle plus et les sermons du rabbin sont tenus en anglais.
Malgré le petit nombre de ses membres, la communauté actuelle est très dynamique. Outre les services classiques, sociaux, funéraires, etc., toutes les organisations juives qui existent dans les grandes communautés à travers le monde s'y trouvent: WIZO, KKL, Keren Hayessod, Maccabi et même une chorale communautaire. Quant au rabbin, Moshé Edelmann, il n'est pas engagé à plein temps, il vit en Israël et passe à Helsinki en moyenne une semaine par mois ainsi que toutes les fêtes.
Afin d'avoir une image plus précise de la communauté juive de Finlande, nous avons rencontré GIDEON BORLOWSKY, président du Conseil central des Juifs de Finlande et de la Communauté israélite de Helsinki.
Pouvez-vous en quelques mots définir votre tâche et votre principale priorité ?
Mon activité réside avant tout dans le fait de maintenir et de renforcer la vie juive ici. Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, la Finlande comptait trois communautés, la seconde étant à Vyborg (en finlandais Viipuri), ville située sur le golfe de Finlande et qui, depuis 1947, fait partie de la Russie. La plupart des Juifs ont pu fuir à Tampere, où il existait une communauté juive jusque vers la fin des années 1960, date à laquelle ses membres sont venus s'intégrer dans la communauté de Helsinki. Quant à Turku, de tout temps la communauté la plus importante de la côte sud-ouest, elle est en nette voie de régression puisque aujourd'hui, moins de deux cents Juifs y vivent encore. Il existait trois synagogues en Finlande, mais il n'en reste plus que deux.
Mon but est donc d'entretenir et de fortifier la vie juive ici. Il ne s'agit pas d'une chose facile lorsque l'on vit dans un environnement extrêmement séculier ce qui, bien entendu, se reflète dans la société juive. Le taux de mariages mixtes est très élevé mais, curieusement, ces couples ont tendance à mettre leurs enfants à l'école juive. Les motivations varient de famille en famille, mais lorsque quelqu'un contracte un mariage mixte, il est toujours difficile de transmettre une éducation juive, comme c'est le cas dans un foyer traditionnel. Dans un certain sens, les parents comptent sur l'école pour combler cette lacune. A cela s'ajoutent des facteurs objectifs comme celui de la qualité de l'école ou de la taille des classes, qui est en moyenne de 10 élèves.
Sur le plan structurel, je pense pouvoir dire sans me vanter qu'il n'existe aucune autre communauté au monde, de la taille de la nôtre, offrant une gamme de services aussi large et complète. Comme la Suisse, nous sommes l'une des rares communautés ayant survécu à la Deuxième Guerre mondiale et donc bénéficiant encore aujourd'hui des anciennes structures établies avant la Shoa. A cela s'ajoute le fait que le grand noyau de notre communauté est constitué d'anciennes familles juives, dont la plupart sont établies dans le pays depuis quatre ou cinq générations. L'arrivée de Juifs d'autres communautés n'a pas influencé le caractère de la vie juive ici. C'est donc la solidité de nos structures qui nous permet de maintenir une communauté juive très homogène.
Qu'en est-il de l'antisémitisme ?
En fait, il est assez peu répandu. Ceci est avant tout dû au fait que la communauté juive est très petite, bien que l'antisémitisme ne réponde pas à des critères rationnels. Quant à l'atmosphère anti-israélienne qui prévaut actuellement en Europe, elle est avant tout menée par les musulmans. Or la société finlandaise a de tout temps été xénophobe, gardant ses frontières fermées. Ces règles s'appliquent aussi aux musulmans qui, par conséquent, sont peu nombreux dans le pays. Ils n'ont pas les bases nécessaires pour avoir une activité anti-israélienne ou antisémite. Il existe bien un mouvement ultranationaliste, mais il n'est pas représenté au parlement. Même ce dernier est moins xénophobe que dans d'autres pays puisque, nos frontières étant fermées, nous n'avons qu'une toute petite population étrangère. De plus, dans son ensemble, la Finlande a toujours fait preuve de sympathie à l'égard d'Israël, elle s'identifie au petit État qui défend ses frontières, sans parler du fait que les deux drapeaux nationaux sont "bleu et blanc".
Comment voyez-vous l'avenir de votre communauté ?
Vous touchez là un point qui fait l'objet d'une discussion permanente auprès de notre leadership communautaire. Pour l'instant, nous sommes arrivés à la conclusion que la communauté continuera d'exister telle qu'elle est aujourd'hui pour encore une longue période. Il n'existe pas de danger de dissolution immédiate. Nous resterons donc sous le seuil de la masse critique, à moins qu'il n'y ait un changement climatique radical dans le monde et que nos hivers deviennent agréables... Nous sommes une communauté vieillissante et nos membres n'ont pas beaucoup d'enfants. La question qui se pose est donc de savoir si à long terme, nous serons à même de continuer financièrement à entretenir toutes nos structures et institutions. L'école est intégrée dans le système éducatif du pays, tout en bénéficiant d'une législation particulière. Par conséquent, l'État prend une grande partie des frais à sa charge, le reste étant assuré par la communauté, les parents ne payant rien. Nous mettons donc tout en ?uvre afin de permettre aux Juifs qui vivent ici de bénéficier d'une infrastructure communautaire aussi complète et agréable que possible. Nous avons un comité de délégués communautaires qui compte trente deux membres, qui élit le comité directeur de sept ou neuf membres. Ce dernier désigne le président, qui est nommé pour une période de trois ans. Pour ma part, j'ai cet honneur depuis 1989 et je viens récemment d'être réélu.
Sur un plan plus large, je dois également dire que nous avons une excellente coopération avec les autres communautés des pays scandinaves, qui remonte à avant la Deuxième Guerre mondiale. A l'époque, nous avions aussi de bons contacts avec les communautés juives des pays baltes, près de 300'000 Juifs vivaient alors aux portes de la Finlande. Aujourd'hui, nous entretenons des relations avec la communauté juive d'Estonie, l'estonien et le finnois étant deux langues qui se ressemblent beaucoup.
Nous le voyons, la communauté juive de Finlande est petite mais se porte bien. Elle est dirigée par un leadership solide et réaliste, qui prépare l'avenir avec sérénité et clairvoyance.
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