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Sommaire Art et Culture Printemps 1998 - Pessah 5758

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Tapis juifs

Par Philip Vann *
Les tapis islamiques, les tapisseries chrétiennes et les carpettes bouddhistes sont célèbres et jouissent d'une réputation mondiale. Mais qu'en est-il des tapis juifs ? Peu de monde s'y intéresse alors qu'ils existent depuis des temps très anciens. Anton Felton, auteur du premier livre jamais publié sur ce thème - "Jewish Carpets, Antique Collectors Club", Woodbridge - dit être très surpris par les réactions positives qu'il rencontre chaque fois qu'il traite du sujet. Partout où il donne des conférences, que ce soit au Skirlball Museum de Los Angeles ou au Musée Juif de Londres, les auditeurs font toujours la même remarque: "Nous découvrons un nouveau monde !"
Depuis qu'il a vu le premier tapis juif en 1962 représentant la rencontre du roi Salomon et de la reine de Saba (Kashan, Iran fin des années 1850), Anton Felton se passionne pour le sujet et s'emploie à faire connaître l'univers fabuleux du tapis juif. "L'étude des tapis juifs nous ramène bien loin dans l'Histoire, même à une époque pré-judaïque." Anton Felton fait allusion à un fragment de natte tissée datant vraisemblablement de 7000 ans avant notre ère, qui se trouve au Musée d'Israël à Jérusalem. Cette pièce venue de la nuit des temps ressemble curieusement à des tissages de notre époque, notamment aux tapis réalisés par les Juifs éthiopiens et aux tapisseries tissées en Amérique pour la décoration de synagogues. Dans son livre, Anton Felton affirme et démontre qu'il existe une très ancienne tradition juive du tapis vieille de plus de 4000 ans. Des tablettes sumériennes originaires d'Ur, la région natale d'Abraham, racontent que de nombreuses familles vivaient alors du commerce de la laine et que la plupart des foyers disposaient d'un métier à tisser.
Dans l'Exode, Moïse reçoit l'ordre de l'Éternel de construire le Tabernacle, cette tente énorme et mobile dans laquelle étaient déposées les Tables de la Loi. "Tu feras ensuite un voile en étoffe d'azur, de pourpre, d'écarlate et de lin retors; on le fabriquera artistement, en le damassant de chérubins." (Exode XXVI: 31-33). Anton Felton insiste sur le fait que le mot hébreu "yéria" est toujours mal traduit et mal interprété par "voile, rideau ou tenture", alors qu'il s'agit d'un tapis, d'une carpette ou d'un décor de tente.
Au Moyen-Orient, les tapis ont de tout temps constitué une forme de richesse pouvant être facilement cachée et transportée, ce qui s'est d'ailleurs encore confirmé lors de l'exil des familles juives iraniennes. La communauté juive iranienne de Los Angeles compte aujourd'hui environ 30 000 membres, généralement très récalcitrants à s'exprimer sur la question d'anciens objets d'art familiaux, notamment d'anciens tapis juifs perses de toute première qualité qu'ils ont pu emporter avec eux en quittant l'Iran. Dans son livre, l'auteur présente un magnifique tapis perse ayant servi à la couverture d'un séfer Torah, tissé avec 810 000 nýuds au m2, chacun ayant été noué manuellement.
Il y a une trentaine d'années, M. Felton "tomba amoureux" du fameux tapis représentant la rencontre du roi Salomon et de la reine de Saba, alors qu'il travaillait à mi-temps pour un grand négociant en tapis persans à Londres. Cette ýuvre suscita également en lui une grande curiosité. Ayant reçu une éducation et une instruction avant tout laïques, il fut intrigué par ce tapis d'inspiration biblique, qu'il décida d'acquérir à tout prix. Il conclut un accord avec son patron qui consentit à lui vendre ce petit chef-d'ýuvre à condition qu'il continue à travailler pour lui pendant trois ans pour un salaire de misère, "tout juste assez pour gagner ma pitance". Parallèlement à son travail, il se mit en quête d'informations sur l'histoire et la tradition des tapis juifs, interrogeant tous les négociants qu'il rencontrait. Dans la plupart des cas, ces derniers n'entraient pas sérieusement en matière, ne répondant à ses questions qu'avec dédain. Mais M. Felton ne se découragea pas, car il était persuadé que la tradition du tapis juif devait être très riche et méritait d'être étudiée. Ce fut non seulement le début d'une recherche longue et difficile, mais aussi le commencement d'une collecte de livres, de documents et de témoignages relatifs au sujet.
"Le roi Salomon et la reine de Saba" constitue en quelque sorte le tapis juif typique. En effet, son but est de rappeler l'omniprésence divine en toute circonstance, même la plus fortuite. La géométrie pure, cristalline et abstraite figurant généralement sur le tapis persan a été remplacée par une composition asymétrique et figurative, tout en gardant la bordure traditionnelle du tapis islamique et un grand champ au centre. Il est possible que ce tapis ait servi de "parokhet" (rideau d'arche sainte). Ses créateurs et fabricants ont vraisemblablement pris une base islamique usuelle dans laquelle ils ont simplement intégré des symboles judaïques.
La tradition juive du tapis ne découle d'aucune coutume. Elle existe par elle-même, s'inspirant et enrichissant les cultures et l'environnement dont elle est issue. Anton Felton estime que cette réalité remonte à l'ancienne Babylonie, en passant par le Moyen-Orient islamisé. Pour étayer cette pensée, il se réfère aux écrits de Maïmonide qui, dans les années 1176-77, témoigna de la beauté des synagogues construites dans l'Espagne musulmane, en Afrique du Nord et en Palestine. Celles-ci tiraient leur splendeur de la pureté et de la délicatesse des tapis qui les ornaient. Dans "Jewish Carpets", l'auteur traite de la renaissance du tapis juif dans l'Empire Ottoman après l'arrivée en 1492 des Juifs expulsés d'Espagne ainsi que d'un véritable "âge d'or" du tapis juif persan au XIXe siècle. Il présente une photo du plus ancien tapis juif existant encore aujourd'hui, une pièce un peu filandreuse et fragmentée d'origine espagnole datant du XIVe siècle ou d'une époque antérieure, comportant le motif de l'arche sainte d'une synagogue.
Parmi les centaines de tapis juifs que M. Felton a vus au cours de sa longue recherche, sa préférence va sans aucun doute à une carpette du XVIe originaire de Padoue. Jusqu'à sa découverte récente, cette petite merveille croupissait, ignorée, dans la petite synagogue de Padoue en Iatlie. L'auteur décrit ce tapis comme étant de facture traditionnelle mais contenant un mélange de trois ou quatre influences bien distinctes. Sa bordure ornementale porte le dessin d'un tapis Mamelouk, son cadre central est d'apparence islamique-ottomane, la menorah centrale est bien européenne et finalement, une phrase des Psaumes est inscrite en hébreu.
M. Felton aime dire qu'il voit dans les tapis juifs "une véritable chronique culturelle". Certaines des pièces les plus recherchées par des collectionneurs ont été réalisées par l'atelier Marbadiah de Jérusalem et à la fameuse Académie d'art Bezalel, fondée en 1906 par Boris Schatz à Jérusalem (aujourd'hui la plus prestigieuse et la plus importante académie d'art en Israël et qui jouit d'une réputation mondiale de tout premier plan). Financés par des philanthropes juifs allemands, les "tapis-Schatz" étaient tissés par des Juifs persans très qualifiés venus s'établir à Jérusalem. Parmi ces tisserands de talent se trouvaient des petites filles âgées de dix ans. Malgré la situation politique tendue et les conditions de vie très difficiles en Palestine, Bezalel réussit à produire au cours des années 1908-1912 un certain nombre de tapis fabuleux.
Par l'entremise d'un collègue, M. Felton a eu la chance de retrouver les dessins techniques ayant servi à la création du fameux tapis "Le Cantique des Cantiques" réalisé en 1920-21 par l'atelier Marbadiah. La visite qu'il a faite à la veuve du dessinateur de ces tapis, Yaakov Kantorowitz, a permis de sauver ces plans d'une destruction certaine. Il est intéressant de constater que chaque carré de type mosaïque représente les nýuds que devaient faire ceux qui tissaient les tapis. Un palmier surplombe le centre du tapis où évoluent des créatures paradisiaques de la faune et de la flore. Tout en étant particulièrement vibrante, cette ýuvre dégage malgré tout une délicate retenue. La bordure extérieure est constituée d'une inscription en hébreu provenant du Cantique des Cantiques (II-12-13), qui souligne tout le caractère lyrique de ce petit chef-d'ýuvre: "Les fleurs montent sur la terre, le temps des chansons est venu, la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes. Le figuier embaume par ses jeunes pousses, les vignes en fleurs répandent leur parfum..."
Il est grand temps que ce domaine aussi riche que fascinant qu'est la tradition cachée et pour ainsi dire inconnue du tissage du tapis juif ait le rayonnement qu'il mérite.

* Philip Vann est critique d'art et écrivain en Grande-Bretagne.

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