Éditorial - Septembre 1994
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"L'Amérique, l'Amérique, je la veux et je l'aurai..." chantait Joe Dassin dans l'un de ses plus grands succès. En Israël, les Etats-Unis sont considérés comme "l'ami le plus sûr et le modèle à suivre". Une voie discordante vient de s'élever dans cette symphonie harmonieuse. Le Dr EZRA SOHAR, docteur en médecine (diplômé de l'Université de Genève), auteur à succès (livres et communications scientifiques), historien et politologue, ancien lieutenant-colonel du corps médical de l'IDF, vient de publier son neuvième ouvrage richement documenté sous le titre: "Une concubine au Moyen-Orient". Le Dr Sohar démontre que les relations USA-Israël ont de tout temps été dictées par des considérations servant uniquement les avantages américains, et ce souvent au péril des intérêts vitaux et fondamentaux d'Israël.
"Les USA, seul et meilleur ami d'Israël", vrai ou faux ?
Cette idée est totalement erronée. Même le président Truman, considéré par certains comme un véritable "sioniste", tenta en mars 1948 d'interrompre le processus devant mener à la création de l'Etat Juif. Il désirait établir un protectorat de l'ONU en Palestine. Dix jours avant la déclaration de l'Etat, le général Marshall, alors secrétaire d'Etat de H. Truman, tenta de convaincre Moshé Sharret, qui allait devenir le premier Ministre des Affaires étrangères du futur Etat Juif, de renoncer à déclarer l'Etat. Cette création allait à l'encontre des intérêts américains qui dénièrent toute aide au jeune Etat, hormis un soutien symbolique de US$.9 millions accordés en prêts entre 1948 et 1961 ! Le président Truman établit même un embargo militaire contre Israël qui ne prit fin que sous le président Kennedy, en 1962. L'attitude américaine changea radicalement en 1971 lorsque la Syrie attaqua la Jordanie pour venir en aide à l'OLP. Pendant cette période, mieux connue sous le titre de "Septembre noir", les USA réalisèrent qu'ils n'avaient pas la capacité militaire d'intervenir rapidement et efficacement dans la région. L'Amérique fit alors appel à Israël qui, en quelques heures, mobilisa ses troupes. Devant cette réalité, la Syrie fit volte- face et ses tanks marche arrière. Ce n'est que depuis ce jour-là que les USA apportent une aide militaire plus conséquente à Israël. Souvenons-nous qu'il a fallu six mois de préparation aux troupes américaines avant d'être à même d'agir sur le terrain dans la Guerre du Golfe.
Quels étaient alors les intérêts américains de sauver le roi Hussein ?
La Jordanie constitue un satellite non seulement des Etats-Unis, mais aussi d'Israël. Si Israël n'avait pas étendu son parapluie de défense sur la Jordanie, la Jordanie n'existerait plus depuis longtemps. N'oublions pas que la Jordanie a une frontière commune avec la Syrie et surtout avec l'Arabie Saoudite. Les Etat-Unis ne permettront jamais l'établissement d'une frontière commune entre la Syrie et l'Arabie Saoudite, craignant une mainmise syrienne sur les puits pétroliers. La Jordanie constitue un Etat-tampon dont le maintien et l'existence sont de toute première importance pour l'Amérique, et ce malgré la conduite souvent difficilement admissible du Roi qui, rappelons-le, a apporté son soutien à l'Irak pendant la Guerre du Golfe.
Les USA auraient-ils donc de tout temps tenté de gagner le soutien des pays arabes au détriment d'Israël ?
Cela ne date pas d'aujourd'hui. Je me souviens d'une interview que Moshé Dayan avait accordée au New York Times après la Guerre de Kipour dans laquelle il avait notamment déclaré: "Les Américains nous ont privés des fruits de la victoire." Nous avions gagné la guerre, mais les USA nous ont forcés à libérer la troisième armée égyptienne que nous avions totalement encerclée et que nous aurions pu désarmer et anéantir. En agissant ainsi, les USA ont offert une victoire à Sadate sur un plateau d'argent. Ils nous avaient déjà contraints à évacuer le Sinaï en 1956. Dans mon livre, je démontre page par page, président par président et documents à l'appui, que les Etats-Unis ont toujours utilisé Israël pour promouvoir leurs intérêts dans le monde arabe. Seul le président Reagan ne nous a pas fait trop d'ennuis. Par moment, cette politique ne manque d'ailleurs pas de ridicule. Au cours des années 50, le secrétaire d'Etat Foster Dulles demanda qu'Israël abandonne le Néguev pour que l'Egypte puisse construire une route directe avec la Jordanie, le but étant d'établir un genre d'OTAN des Etats arabes au Moyen-Orient afin de combattre la présence soviétique dans la région.
Malgré tout, l'aide militaire américaine à l'égard d'Israël est bien présente. En quoi ce soutien sert-il les intérêts américains ?
A un moment donné et bien tardif, les Etats-Unis ont réalisé qu'Israël était la seule force capable de contenir l'Armée rouge au Moyen-Orient. C'est uniquement pour cette raison que les USA nous ont apporté leur soutien, jusqu'à un certain point. Pour illustrer ces propos, je rappellerai qu'à l'époque du président Reagan, l'URSS a augmenté la présence de sa flotte dans la Méditerrannée orientale de façon très importante. Il était alors question d'envoyer un deuxième porte-avions américain dans cette région. Coût de l'opération: US$.400 millions par an ! Les USA arrivèrent à la conclusion qu'il était inutile d'envoyer le deuxième porte-avions, Israël étant à même de couler toute la flotte soviétique. N'oublions pas que la Guerre des Six Jours ne fut rien d'autre qu'une tentative de Moscou de prendre le contrôle de tout le Moyen-Orient. Qui les en a empêchés en six jours ? Israël. Et ceci n'a même pas suffi pour déclencher une aide militaire américaine massive. Ce n'est que plus tard qu'elle s'est intensifiée.
Dans votre livre, vous démontrez que l'aide militaire américaine envers Israël n'est que très relative. Pourquoi ?
Depuis la création de l'Etat, les USA ont donné à Israël US$.35 milliards auxquels s'ajoutent environ US$.15 milliards en prêts. Ces emprunts n'ont pas été accordés à des taux avantageux et, à ce jour, Israël a remboursé chaque sou. Il faut savoir qu'au moment de la Guerre du Golfe, une partie de la dette égyptienne, environ US$.10 milliards, a été abandonnée par les USA et rayée d'un simple trait de plume. En ce qui concerne l'aide militaire américaine à Israël, il faut la placer dans une perspective juste. Les USA donnent chaque année US$.170 milliards à l'OTAN; quant à l'entretien de la présence militaire américaine en Extrême-Orient, son coût s'élève à US$.70 milliards. La dépense annuelle totale est de l'ordre de US$.240 milliards. Israël obtient une aide militaire annuelle de US$.1.8 milliard. Là où le bât blesse, c'est que les US$.240 milliards sortent du budget du Pentagone, qui a la main totalement libre, alors que les fonds alloués à Israël proviennent des caisses de l'aide à l'étranger. Ils font partie d'une allocation spécialement mise en place pour Israël qui, sans cesse remise en cause, ouvre la porte à toutes les critiques qui reviennent sur le tapis à chaque débat budgétaire. Les arguments sont toujours les mêmes: "...alors que l'Amérique est en crise, les USA donnent tellement à Israël qui reçoit plus d'argent que tous les autres pays du monde, etc." Or, c'est un mensonge lorsque l'on sait que le Danemark reçoit une aide militaire de près de US$.10 milliards, alors qu'il n'est présent sur aucun front brûlant. En réalité, nous obtenons bien peu des Etats-Unis et ce aux plus mauvaises conditions possibles.
La coopération militaire ne se fait-elle qu'à sens unique ou bien Israël apporte-t-il également une aide militaire aux USA ?
Une déclaration signée par 170 généraux et amiraux américains à la retraite démontre que l'aide militaire israélienne fournie aux USA depuis la fondation de l'Etat s'élève à une valeur de près de US$.80 milliards! D'autres estimations situent ce chiffre entre US$.50 et US$.70 milliards. Prenons par exemple le fameux MIG-21 irakien qui a atterri en Israël. Il fut remis aux Américains qui économisèrent ainsi environ US$.2 milliards en temps et en recherche. En 1979, l'armée israélienne rapporta une installation complète de radar d'Egypte en Israël, qui fut confiée aux Etats-Unis. Ce modèle de radar faisait alors partie intégrante du système de défense des forces du Pacte de Varsovie. Sa valeur fut estimée à US$.7 milliards. Par ailleurs, du fait que nous ayons gagné tellement de batailles avec des armes américaines, celles-ci ont bénéficié d'une publicité extraordinaire et les chiffres démontrent clairement qu'après les guerres de 1967 et 1973, les ventes d'armes soviétiques ont très fortement baissé dans le monde au bénéfice des armes américaines. Je ne parlerai même pas de tout l'armement américain amélioré en Israël et vendu aujourd'hui grâce à toutes ces adaptations. Un sénateur américain a d'ailleurs déclaré à ce sujet: "Si Israël avait perçu la commission habituelle des vendeurs d'armes à laquelle il avait en fait droit, celle-ci aurait de très loin excédé l'aide militaire que nous lui apportons aujourd'hui." Les exemples sont nombreux. Il faut mettre un terme à la forme actuelle d'aide militaire américaine. Il est grand temps qu'Israël commence à faire les comptes. En 1986, ce soutien militaire représentait 7% du produit national brut, aujourd'hui, il ne constitue plus que 2.5%. Dans ce même contexte, il ne faut pas oublier que les Etats-Unis n'ont jamais accordé d'aide économique correcte à Israël. Tout ce qu'Israël a obtenu, c'est un moratoire pouvant être dénoncé annuellement, qui lui permet de rembourser ses emprunts avec un peu plus de facilités.
Quel fut, selon vous, le plus mauvais président américain à l'égard d'Israël ?
Sans aucun doute, ce fut G. Bush qui estimait n'avoir plus besoin d'Israël, la guerre froide étant terminée. Il est intéressant de noter qu'aucun pays arabe n'a jamais accordé de base militaire aux Etats-Unis. Il existait une petite base américaine à Oman, mais chaque atterrissage devait d'abord être approuvé par les autorités omanies. Quant à la fameuse base de Daharan située en Arabie Saoudite et construite pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Américains ont été obligés de l'évacuer cinq ans après la fin de la guerre avec le Japon. Le fait de ne pas accorder de base militaire aux Américains provient de cette idéologie religieuse qui veut que l'on ne fait pas d'affaires avec les Chrétiens et les Infidèles. En 1991, pendant la Guerre du Golfe, les Saoudiens ont accordé des bases aux Américains ce qui, en fonction de l'idéologie précitée, ne pouvait qu'attirer les foudres des autres Etats arabes. Comme alibi, ils ont alors demandé à l'Egypte et à la Syrie de se joindre à l'alliance contre l'Irak. Ces deux pays ont détaché des troupes en Arabie Saoudite pour y faire de la figuration, elles n'ont pas tiré un seul coup de feu. Avant d'accepter, l'Egypte et la Syrie ont fait part de leur inquiétude de se joindre à une coalition hostile à un autre Etat arabe. En contrepartie de leur présence, qui ne fut qu'un prétexte pour permettre à l'Arabie Saoudite de prêter des bases aux Américains, G. Bush leur promit de faire pression sur Israël afin qu'il se retire de l'ensemble des territoires de Judée, de Samarie et de Gaza ! Cette politique n'est pas nouvelle. Dès le lendemain de la Guerre des Six Jours, l'Administration américaine avait décidé, contre l'avis du Pentagone, qu'Israël serait obligé de se retirer de l'ensemble des terres conquises pendant ce conflit. Carter, Reagan, Bush et Clinton n'ont fait que poursuivre cette politique en exerçant des pressions plus ou moins fortes sur Israël. Quant aux politiciens israéliens, ils entretiennent à plaisir ce mythe qui veut que nous soyons totalement dépendants des USA.
De tout temps, la question du pétrole a joué un rôle important au Moyen-Orient. Dans votre livre, vous apportez une lumière particulière aux fameux embargos pétroliers. Comment les choses se sont-elles passées en réalité ?
Il s'agit là d'un point très important. Tout le monde pense que les Saoudiens et le monde arabe ont établi un embargo pétrolier en 1973 en raison de la guerre entre Israël et l'Egypte. Avant cette date, les Arabes n'avaient jamais réussi à organiser un embargo. Ils avaient tenté le coup en 1967, l'embargo avait tenu un seul jour ! Jusque dans les années 1971-72, l'offre était toujours supérieure à la demande, il y avait un marché et suffisamment de pétrole. Or, tout d'un coup, la situation a changé, une certaine pénurie de pétrole est survenue. Un mois avant le déclenchement de la Guerre de Kipour, les pays arabes ont réuni les compagnies pétrolières et exigé une augmentation du prix du baril de 100%. Les compagnies pétrolières ont refusé. Les pays arabes ont profité de l'attaque égyptienne contre Israël pour imposer cet embargo. Les prix ont flambé et, quelques mois plus tard, en mars 1974, l'embargo a été levé sans que personne ne s'en rende compte. Un autre embargo a été à nouveau instauré en 1979, lors de la destitution du Shah d'Iran. Dès 1981, l'offre dépassant la demande, il s'est perdu dans les sables mouvants. La crainte de tous les présidents américains d'un nouvel embargo fut de tout temps sans fondement, le premier embargo n'étant que le résultat d'une pénurie temporaire de pétrole. Cette peur était si profondément ancrée dans les esprits de tous les présidents américains qu'en 1979, Jimmy Carter déclara: "Il n'existe aucune autre nation au monde que l'Arabie Saoudite avec laquelle nous avons une amitié aussi profonde !"
Dès que l'on parle des relations Israël-USA, une image est présente dans tous les esprits, celle du pouvoir ou de l'influence de la communauté juive américaine sur les différentes administrations. Mythe ou réalité ?
Il existe une différence fondamentale dans l'attitude et le comportement à l'égard d'Israël, entre le leadership juif américain et la population juive des USA. Chaque fois qu'un conflit politique est apparu entre le Gouvernement américain et les dirigeants israéliens, les notables juifs américains ont toujours pris parti en faveur du gouvernement des États-Unis. Ils ont terriblement peur d'être accusés de double allégeance. Depuis la création de l'Etat, le judaïsme américain a transféré en Israël (en dons effectifs, sans tenir compte des Bons de l'Etat qui n'ont jamais rien rapporté à l'Etat) environ US$.20 milliards, montant considérable. En 1950, la contribution des Juifs américains représentait 10% du produit national brut d'Israël alors qu'aujourd'hui, elle constitue moins d'un demi pour-cent ! Nous n'avons pas besoin de l'UJA (United Jewish Appeal qui fonctionne sous le nom de Keren Hayessod en dehors des États-Unis), sans parler du fait que 70% des dons ainsi collectés restent dans la Diaspora. Cet organisme collecte aujourd'hui environ US$.1 milliard par an, dont seulement US$.300 millions sont versés à Israël. Le montant est minime, mais si l'UJA-Keren Hayessod faisait ses collectes sous une autre étiquette que celle de l'Etat Juif, elle ne serait jamais à même de réunir une somme aussi importante. J'estime qu'il faut dissoudre l'UJA-Keren Hayessod et fonder une société d'investissements qui aurait pour but d'établir des industries en Israël.
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