Éditorial - Décembre 1993
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L'arsenal stratégique de la Syrie
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Avec la défaite de l'Irak dans la guerre du Golfe et le démantèlement consécutif de son important programme d'armement stratégique, la Syrie possède désormais l'arsenal militaire le plus avancé dans le monde arabe. Ce pays a investi de vastes ressources pour acquérir une série d'éléments destinés à mettre sur pied une puissance stratégique comprenant des armes non conventionnelles (chimiques et biologiques), des systèmes d'attaque à longue portée (missiles balistiques, missiles de croisière et avions de combat) et des systèmes de reconnaissance.
Les motivations qui poussent la Syrie au développement de cette capacité militaire sont largement inspirées par les convictions du président Assad concernant Israël, convictions partagées par les membres clés de son entourage: l'État Juif "agressif, aux visées expansionnistes", aspire selon eux à occuper le territoire s'étendant du Nil jusqu'à l'Euphrate, afin de réaliser les promesses bibliques. Ils croient également qu'Israël tente de parvenir à l'hégémonie régionale en maintenant les Arabes faibles et divisés. La nature expansionniste et agressive de l'État Juif se traduit au niveau militaire par une série de facteurs: le développement d'armes nucléaires d'Israël, qui lui permet de dominer ses voisins arabes et de les intimider; la formation de ses divisions blindées établie de manière à rapidement déplacer le champ de bataille sur le terrain ennemi; la création d'une puissante armée de l'air capable d'attaquer des objectifs dans toute la région; et enfin son adhésion à une doctrine militaire orientée vers l'offensive.
Ces perceptions de menace se greffent sur l'absence de profondeur stratégique de la Syrie, contribuant ainsi au sentiment de sa vulnérabilité. Près de 80% de la population syrienne et de son industrie est concentrée dans la partie occidentale du pays, région géographique vulnérable. Sa capitale Damas (avec deux millions et demi d'habitants) n'est qu'à 40 km des lignes israéliennes sur le plateau du Golan et à 20 km du Liban; elle a été menacée de part et d'autre au cours de deux guerres. En outre, la vallée de la Bekaa offre un accès terrestre et aérien aisé au centre du pays où sont situées Homs (troisième ville du pays avec un million d'habitants), Hama (cinquième ville du pays avec un demi-million d'habitants) et une grande partie de l'infrastructure industrielle syrienne. Enfin, les cités portuaires Lattaquié (350 000 hab.) et Tartous (125 000 hab.) ainsi que plusieurs importants centres industriels s'étendent sur le littoral exposé de la Syrie et peuvent donc être attaqués par l'ennemi de la mer.
Les forces stratégiques syriennes servent donc de dissuasion face au potentiel nucléaire d'Israël et à la menace posée par ses forces terrestres et aériennes et constituent une ligne de protection en cas de défaite militaire. Suite à la désagrégation de l'Union soviétique, la Syrie est amenée à considérer désormais sa force stratégique comme un moyen de compenser la perte de cette superpuissance comme patron. En effet, dans le planning défensif de la Syrie, l'accumulation d'atouts stratégiques occupe une place croissante. De plus, les forces syriennes - missiles, avions de combat, armes chimiques - pourraient être utilisées lors d'un futur conflit avec Israël pour atteindre des objectifs opérationnels et tactiques. Toute tentative de la part des Syriens de reprendre le Golan dépendra de leur aptitude à exploiter leur avantage numérique en divisions armées (5 à 6 divisions syriennes contre 1 à 2 israéliennes) au cours de la phase initiale des combats. Les missiles syriens et son aviation pourraient attaquer dès les premiers jours des objectifs opérationnels et tactiques, tels que des aéroports, des entrepôts d'armes et des installations de commande, de contrôle et de communication (les 3C ou C-3). Il s'agirait de neutraliser l'armée de l'air israélienne, de perturber et retarder la mobilisation des forces de réserve d'Israël et de restreindre sa faculté d'évaluer les développements sur le champ de bataille. Tous ces facteurs permettraient à la Syrie de préserver sa supériorité numérique dans le Golan et de réaliser ses objectifs sur le terrain.
Il n'y a pas actuellement de preuves attestant l'existence d'un programme d'armement nucléaire en Syrie. Toutefois, au cours des dernières années, des dispositions ont été prises en vue de créer une infrastructure nucléaire civile qui pourrait servir de base à un tel programme. En 1988, la Commission d'énergie atomique syrienne a initié un projet de 3,6 milliards de dollars pour la construction de six réacteurs nucléaires d'une capacité globale de 6 000 MW, qui devaient être opérationnels à la fin des années 90. La Syrie a tenté d'obtenir l'assistance de l'Union soviétique, de la Belgique et de la Suisse. Elle a également essayé d'acheter près de quatre réacteurs nucléaires VVR-1000 ainsi que du fuel d'uranium de l'Union soviétique en avril 1990. Des rapports récents indiquent cependant que Damas a renoncé à ces projets, momentanément du moins, pour des raisons financières et techniques. La Syrie s'est aussi adressée à l'Union soviétique, l'Italie, la Chine et l'Argentine pour l'achat d'un réacteur de recherche. En décembre 1991, elle a fait l'acquisition en Chine d'un réacteur à neutrons miniature de 30 kW (qui en principe ne convient pas à la production d'uranium hautement enrichi utilisé pour les armes nucléaires) et de 980,4 grammes d'uranium hautement enrichi. Finalement, elle a encore tenté d'acheter de grandes quantités (mille tonnes) de minerais d'uranium concentré (yellow cake) en Namibie et ailleurs. Ces diverses mesures marquent le début des efforts syriens en vue de créer une infrastructure nucléaire et de constituer une équipe de chercheurs atomiques; la production d'une arme nucléaire pourrait toutefois prendre dix ans ou même plus, si les travaux étaient entamés dès aujourd'hui. Etant donné d'une part que la Syrie n'avait pas réussi à établir un programme nucléaire et d'autre part qu'Assad avait à plusieurs reprises émis des doutes quant à l'utilité des armes nucléaires, les inquiétudes concernant les intentions syriennes dans ce domaine avaient été quelque peu dissipées dans le passé. Ainsi, dans une interview en 1987, le président Hafez el-Assad affirmait que même si Israël possédait des armes nucléaires, il lui serait difficile de s'en servir à cause du danger des retombées radioactives sur Israël même au cas où une bombe était lancée sur Damas. Il déclarait également que les superpuissances et d'autres pays ne "demeureraient pas impassibles" si Israël utilisait de telles armes. La conclusion implicite étant que la Syrie serait soumise aux mêmes contraintes et que par conséquent, elle ne retirerait aucun bénéfice du développement d'armes nucléaires, d'autant plus que les vents prédominants dans la région reporteraient les retombées radioactives d'une attaque sur Israël vers Damas. Il semble cependant que les récents efforts de la Syrie pour s'équiper d'une technologie nucléaire et son alliance avec l'Iran - qui possède un programme nucléaire bien en cours - témoignent d'un éventuel changement dans la position traditionnelle de la Syrie.
La Syrie possède le programme d'armes chimiques le plus important et le plus avancé du monde arabe. A l'origine, elle avait acquis de petites quantités d'agents chimiques en Égypte, avant la guerre de 1973. Toutefois, ses efforts pour développer une sérieuse production locale d'armes chimiques n'ont pris un réel essor qu'à l'issue de la guerre du Liban en 1982, au cours de laquelle la faiblesse militaire de la Syrie fut mise à nu. Elle a commencé la production de missiles à charge chimique en 1985 et possède aujourd'hui une multitude d'ogives chimiques chargées de l'agent nerveux Sarin pour ses missiles Scud-B et Scud-C; des milliers de bombes chargées des agents nerveux VX et Sarin qui peuvent être lancées par les avions de combat Su-24, MiG-23BN et Su-20/22, sur des objectifs stratégiques, opérationnels et tactiques. Le programme d'armes chimiques syrien a toujours revêtu un caractère dissuasif stratégique. La production de têtes de missiles et de bombes chargées de Sarin indiquent que les Syriens ont été avant tout intéressés à utiliser ces armes comme menace stratégique contre les centres israéliens de population civile et ce, bien qu'elles puissent jouer un rôle opérationnel et tactique contre des bases aériennes, des entrepôts d'armes et des installations C-3. Des rapports selon lesquels la Syrie serait en train de travailler à la production de charges pour tubes et roquettes d'artillerie emplies d'agents comme le gaz moutarde montrent qu'elle tente de se doter d'un potentiel d'attaque chimique contre des objectifs tactiques. De tels projectiles pourraient être idéalement utilisés par des unités syriennes de défense contre les troupes israéliennes en offensive, afin de leur infliger de lourdes pertes et ralentir ainsi leur avance. Il semble que la Syrie produit plusieurs tonnes d'agents par an dans deux usines, situées près de Damas et de Homs et sans doute dans d'autres usines également. Selon certains rapports, cette production s'appuie sur une technologie à double emploi achetée en Allemagne et en France et sur des "agents précurseurs" venant d'Europe occidentale et de l'Inde. La Syrie a construit ses têtes chimiques pour les Scud-B et Scud-C avec l'assistance d'ingénieurs et de techniciens d'Europe de l'Ouest et de la Corée du Nord; elle recherche actuellement l'aide de la Chine et de diverses firmes européennes pour le développement d'ogives chimiques plus sophistiquées. La Syrie est également en possession d'armes biologiques offensives et tente dans ce domaine aussi d'obtenir l'aide de sociétés chinoises et occidentales pour le développement de missiles à charge biologique. C'est à peu près tout ce que nous savons sur son programme d'armement biologique.
Au cours de la guerre de 1973, Israël s'est livré à un important bombardement contre la Syrie, en représailles pour le lancement de roquettes FROG-7 contre des objectifs dans le nord d'Israël. L'état-major général et le QG de l'armée de l'air à Damas furent atteints ainsi qu'une série d'objectifs économiques à travers le territoire syrien. Cette campagne de bombardement stratégique provoqua des dommages estimés à 1,2 milliard de dollars et détruisit près de 50 % des réserves de pétrole et 45 % de la capacité de production d'électricité de la Syrie. Comme elle ne possédait pas à l'époque des missiles ou des avions de combat capables de toucher les principaux centres habités d'Israël, elle n'avait aucun moyen de dissuasion et n'était pas à même de riposter. Par conséquent, au lendemain de la guerre de 1973, une des priorités syriennes fut la création d'une force de dissuasion stratégique au moyen de l'acquisition de missiles Scud-B. La récente guerre du Golfe a par ailleurs mis en évidence la capacité de survie et l'efficacité de ces missiles mobiles. En dépit des dommages physiques limités infligés à Israël, il est indiscutable que les missiles irakiens ont eu un impact significatif sur son économie et sa population. Cette expérience a donc encouragé la Syrie à se doter d'encore plus de missiles. L'arsenal de missiles syrien est un des plus importants du tiers monde. Les missiles soviétiques Scud-B, dont les premiers furent livrés en 1974, et les modèles nord-coréens plus modernes Scud-C, livrés en 1991, forment le pivot de sa force stratégique actuelle. Ils dotent la Syrie d'un élément de dissuasion stratégique face à Israël et ses autres voisins en lui offrant la possibilité de frapper des centres de population ennemis. La Syrie possède à l'heure actuelle quelque 250 missiles Scud-B et Scud-C (dont une soixantaine de Cs) et 24-36 lance-missiles "transporter erector" (TEL). Par ailleurs, l'Iran, la Corée du Nord et la Chine assistent les Syriens dans la construction d'usines souterraines près d'Aleppo et de Hama, usines qui leur permettront de produire localement des Scud-C nord-coréens et des M-9 chinois. La Syrie s'est fournie dans ce but d'une grande quantité d'outillage de précision allemand. On estime que la production des Scud-C sera entamée d'ici 12 à 18 mois tandis que celle des missiles M-9 débutera dans deux ou trois ans. La Chine apporte également son concours à l'amélioration de son stock de missiles Scud-B.
Comme les Scud-B et Scud-C constituent le noyau de la force de dissuasion syrienne, ils sont gardés dans des abris souterrains fortifiés, au milieu de montagnes et dans des tunnels, abris qui ne seraient pas vulnérables à des bombardements aériens conventionnels. Ils sont donc protégés contre toute attaque israélienne préventive et ont une survie accrue en temps de guerre. Le potentiel conféré par la possession des deux types de missiles (Scud-B et C) complique grandement le planning israélien. Pour atteindre des objectifs clés en Israël, les Scud-B (d'une portée de 290 km) doivent être lancés à partir de positions avancées vulnérables autour de Damas, où ils sont susceptibles d'être détectés et attaqués au cours des préparatifs de lancement. Toutefois, en raison des brefs temps de vol et des courtes distances, Israël pourrait ne pas avoir un temps d'alerte suffisant pour mettre en action des mesures défensives. En revanche, les Scud-C (avec une portée de 500 km) sont à même d'atteindre des objectifs majeurs en Israël à partir de presque n'importe quel site de lancement en Syrie. Cet état de choses compliquera les tentatives israéliennes pour identifier et détruire ces missiles dans la mesure où le champ de recherches sera extrêmement étendu. Pendant la guerre du Golfe, l'Irak était en possession de 24-36 TEL (lance-missiles "transporter erector") et MEL (lance-missiles "mobile erector") disséminés sur des sites de lancement dans l'ouest et l'est du pays. Peu de ces sites furent détruits par les forces de la coalition au cours de la guerre. Par comparaison, la Syrie a disposé ses engins de lancement sur un terrain beaucoup plus vaste. Si l'expérience de la guerre du Golfe peut servir de référence, il semble improbable qu'Israël soit capable d'éliminer complètement la menace posée par les missiles syriens en cas de conflit avec ce pays. En revanche, si la Syrie lance ses missiles à partir de son vaste arrière-pays, cela accroîtra le temps d'alerte nécessaire à Israël pour mettre en action des mesures défensives. D'autre part, l'interception réussie de têtes chimiques par les batteries antimissiles actuelles pourrait malgré tout provoquer des victimes au sein de la population, dans la mesure où la destruction de ces têtes à une altitude relativement basse causerait la dispersion de l'agent chimique. La Syrie possède donc aujourd'hui suffisamment de Scud-B et de Scud-C ainsi que des engins TEL pour initier une attaque massive qui submergerait le système actuel limité de défense antimissiles d'Israël. Les efforts entrepris par la Syrie pour produire localement des Scud-C et des M-9 d'une part, et le fait que les projets israéliens de développement et de déploiement d'un système avancé de défense antimissiles ont été différés d'autre part, font que la Syrie conservera dans le proche avenir une capacité de pénétration assurée. La production locale des missiles chinois M-9 (d'une portée de 600 km), propulsés par fuel solide, donnera un sérieux élan au potentiel syrien. Le M-9 a une portée et une précision plus grandes que les missiles utilisés à l'heure actuelle et une capacité de survie améliorée (grâce à sa mobilité accrue et les temps de réaction réduits). A plusieurs reprises, la Syrie a fait usage de ses missiles afin de mettre Israël en garde, conformément à leur rôle de dissuasion stratégique. Au cours de la crise des missiles syriens en avril 1981 et lors de l'invasion du Liban par Israël en juin 1982, la Syrie a déployé plusieurs Scud-B sur des sites de lancement près de Damas - où ils pouvaient facilement être observés par Israël - afin de bien marquer sa détermination de défendre ses intérêts vitaux. Dans le même ordre d'idées, le ministre de la Défense Mustafa Tlas lança un avertissement à Israël à l'issue de la guerre de 1982, à un moment où les forces israéliennes se trouvaient à 20 km de Damas: si la capitale était attaquée, Tel-Aviv n'avait qu'à bien se tenir puisque "les missiles syriens peuvent toucher n'importe quel point en Israël". Les missiles syriens ont également fait leurs preuves comme force de dissuasion face à ses autres voisins. Au cours de la guerre du Golfe en 1991, alors que l'Irak bombardait Israël avec ses propres Scud-B modifiés, Tlas prévint son voisin de s'abstenir de "toute action" contre la Syrie. Il conseilla à Saddam Hussein de ne pas punir la Syrie pour sa participation à la coalition contre l'Irak et de ne pas la "provoquer" à la manière dont il tentait de provoquer Israël car "la riposte (syrienne) serait dix fois plus virulente". Les Scud-B et Scud-C des Syriens ont une portée et une précision suffisantes pour lâcher des charges chimiques ou conventionnelles sur de vastes objectifs à travers le territoire israélien; ils peuvent également larguer des charges chimiques sur des objectifs militaires relativement restreints comme des bases aériennes, des entrepôts d'armes et des installations C-3 à travers tout le pays; ces missiles ne sont toutefois pas assez précis (avec un CEP de 500 à 1000 m) pour lancer de manière efficace des charges conventionnelles sur ce type d'objectifs. Mais la Syrie possède en plus des missiles SS-21 et des roquettes FROG-7 armés conventionnellement, avec un potentiel opérationnel et tactique, et qui ont tous deux une portée de 70 km et des CEP respectifs de 100 m et de 500 m. Il s'agit de portées suffisantes pour frapper des objectifs militaires israéliens dans le nord du pays. Cependant, une seule des onze bases aériennes majeures d'Israël est située à la portée des SS-21 et des FROG-7. De ses douze divisions blindées, le fer de lance de son armée, cinq sont basées dans le Nord; les équipements de ces divisions sont disséminés à travers une quinzaines d'entrepôts, dont beaucoup se trouvent à la portée des SS-21 et des FROG-7. Mais seul le missile SS-21 est suffisamment précis pour constituer une menace réelle contre ces objectifs. Israël n'a pas ménagé ses efforts pour protéger ses bases aériennes contre d'éventuelles attaques chimiques ou conventionnelles. Les abris pour les avions et d'autres installations vitales sont souterrains, les équipes de l'air et de terre ont été entraînées au combat dans un environnement chimique, les pistes ont été durcies et peuvent être rapidement dégagées et réparées. En dépit de ces mesures, une attaque chimique contre une base aérienne israélienne rendrait les opérations compliquées et compromettrait l'efficacité de sa force aérienne en réduisant le nombre de sorties possibles. Les entrepôts d'armes sont encore plus vulnérables aux attaques chimiques bien que les hangars partiellement fermés et les housses de grosse toile utilisées pour protéger les véhicules et autres pièces d'équipement réduiraient de manière significative l'effet de la contamination. Toutefois, de nombreux réservistes en route de leur maison vers leurs unités pourraient succomber s'ils ne sont pas pourvus d'une panoplie de protection contre les effets d'une attaque chimique avant leur mobilisation. Il est évident qu'une attaque dans la phase initiale d'une guerre entraverait sérieusement la mobilisation israélienne. Il est cependant fort probable que la menace de représailles massives dissuade la Syrie d'avoir recours aux armes chimiques dans la phase initiale d'une guerre. En effet, le Premier ministre israélien Itzhak Rabin ainsi que de nombreux autres dirigeants politiques et militaires ont par le passé lancé des avertissements dans ce sens au monde arabe et à ses leaders: "L'usage de missiles et de gaz provoquerait une réaction d'Israël cent fois plus forte." Par conséquent, la Syrie tentera sans doute, toujours avec une assistance étrangère, de développer des missiles d'une plus grande précision, munis de têtes à submunitions conventionnelles qui lui permettront d'entraver ou de retarder la mobilisation israélienne tout en échappant à une riposte massive. De tels missiles risquent d'être fort difficiles à intercepter: en effet, la disjonction de la tête et la dispersion des submunitions au cours de la dernière phase du vol pourraient perturber le dispositif antimissile. Des submunitions et des petites bombes constituent en outre une menace grave pour les équipements et personnels dans des entrepôts encombrés et il serait extrêmement ardu de les repérer et de les désamorcer.
Impressionnée par la performance des missiles de croisière américains Tomahawk pendant la guerre du Golfe, la Syrie s'est semble-t-il mise à plancher sur un missile de croisière qui pourrait transporter des charges conventionnelles et non conventionnelles. Bien que les informations disponibles concernant ce programme soient fort maigres, il est possible qu'une première génération du système soit fondée sur des missiles ou drones actuellement en service comme le missile anti-navire SSC-1b "Sopal" ou le drone de reconnaissance DR-3. Des modifications assez simples dans les codes de téléguidage de ces systèmes, comme l'installation d'une technologie de navigation par satellite, et l'usage de matériaux et de revêtements imperméables aux radars pourraient les transformer en missiles de croisière relativement précis et furtifs. La tâche de la défense antimissile en serait grandement compliquée. Le missile de croisière offre une arme idéale pour envoyer des charges biologiques ou chimiques sur des centres de population ennemis: il peut être programmé de manière à faciliter la dispersion de ces agents au-dessus d'un vaste territoire, à basse altitude, en minimisant les effets produits par des conditions atmosphériques défavorables. De plus, le missile de croisière est à même de larguer des charges de munitions conventionnelles avancées (spécialisées pour la destruction de pistes d'envol ou antiblindés) sur des objectifs vitaux à l'arrière. Lancés en grand nombre et volant en-dessous de l'enveloppe d'engagement des défenses antimissiles actuelles ou même futures, les missiles de croisière syriens pourraient constituer pour Israël et d'autres adversaires un coup difficile à parer.
La Syrie possède une variété d'avions de combat: près de 24 Su-24 qui ont une autonomie de vol suffisante pour toucher des objectifs à travers le territoire israélien sans réapprovisionnement en essence, 60 MIG-23BN et 90 Su-20/22 capables d'atteindre des objectifs dans le nord d'Israël. Ces appareils peuvent larguer des charges plus grosses (y compris des bombes chimiques contenant du VX et du Sarin) avec une plus grande précision et sur de plus longues distances que n'importe quel missile ou roquette de l'arsenal syrien. Vu le grand nombre d'appareils dont la Syrie dispose pour une éventuelle attaque massive, la défense de l'air israélienne est obligée de prévoir un planning complexe; toutefois, seuls les Su-24 possèdent le potentiel "low-level" de pénétration qui en font une menace significative. En définitive, la Syrie ne peut compter que sur un petit nombre d'appareils pour pénétrer la défense aérienne israélienne et sur un nombre plus limité encore pour atteindre leurs objectifs et accomplir leur mission avec précision. Elle ne dispose certainement pas d'une force suffisamment importante pour servir de dissuasion stratégique ou pour perturber sérieusement les opérations d'une base aérienne ou la mobilisation en phase initiale d'un conflit. Le potentiel syrien pourrait toutefois être considérablement amélioré par l'acquisition future d'une nouvelle génération d'armes "long-range stand-off container", extrêmement efficaces et précises, qui sont actuellement développées en Occident: par exemple, le Matra Apache français, le CASMU Skyshark italien, et le BAe Mantis britannique. Les appareils syriens pourraient alors pour la première fois larguer avec précision de grosses quantités de munitions sur des objectifs militaires israéliens sans même pénétrer l'espace aérien israélien; l'équilibre militaire syro-israélien en serait radicalement modifié. Les premiers modèles de cette nouvelle génération d'armes ne seront cependant pas disponibles avant la fin des années 90 et il est possible que des contraintes politiques et financières empêchent la Syrie d'acquérir ces dispositifs.
La Syrie ne possède pas actuellement un satellite de reconnaissance exclusivement militaire; mais un système aussi sophistiqué n'est pas absolument nécessaire pour déterminer les objectifs de missiles comme les Scud-B et Scud-C. La plupart des cartes géographiques à grande échelle disponibles sur le marché fournissent en fait des éléments suffisants pour établir un objectif stratégique. L'imagerie obtenue par satellite commercial, qui a déjà été utilisée par la Syrie et d'autres pays à la fois pour des besoins civils et militaires, pourrait permettre une évaluation des dommages après l'attaque; le bien-fondé de l'achat de l'imagerie auprès de fournisseurs commerciaux et la difficulté de s'assurer l'accès en temps de guerre constituent cependant un problème potentiel. Au cours des dernières années, la Syrie a effectué des percées significatives dans le domaine de ses capacités de reconnaissance stratégique et opérationnel-tactique. Elle a acquis en 1984 le drone soviétique de reconnaissance à longue portée DR-3 et a passé commande en 1992 pour le Pchela-1, appareil de courte portée commandé à distance. Dans une future guerre, ces systèmes lui permettront de mieux planifier et évaluer l'efficacité des attaques contre des centres de population israéliens et des objectifs militaires. Le DR-3 a une portée de 180 km, ce qui est suffisant pour couvrir le nord, le centre et le sud d'Israël. Le drone peut être équipé d'une télévision ou d'une caméra photographique pour des opérations de jour. Toutefois, en raison de sa taille relativement importante, il est vulnérable aux moyens modernes de défense aérienne; il semble que deux de ces appareils ont été descendus par Israël jusqu'ici. Il n'est donc pas sûr que ce système puisse survivre sur le champ de bataille moderne. En revanche, le Pchela-1, qui a une portée de 60 km, fournira un potentiel de reconnaissance en temps réel de jour et de nuit et aura, grâce à sa petite taille, une meilleure survie. Sa courte portée limitera toutefois son utilité comme source de renseignement pour des dispositifs d'attaque à longue portée.
La Syrie considère l'Iran comme une voie potentielle donnant accès aux armes, à la technologie et à l'expertise. Dans la mesure où les deux Etats ont un intérêt commun dans l'acquisition et le développement d'armes stratégiques et à partir du moment où ils peuvent tirer chacun un bénéfice d'une coopération dans ce domaine, l'axe syro-iranien est destiné à jouer un rôle de plus en plus important.
Avec la perte du soutien soviétique et l'infériorité syrienne face à Israël dans le domaine militaire conventionnel qui en a résulté, la Syrie a investi d'importantes ressources dans l'acquisition et le développement d'armes non conventionnelles, de systèmes d'attaques de longue portée et de systèmes de reconnaissance, dans le but de renforcer sa position de dissuasion et son potentiel de combat. Grâce aux missiles Scud-B et Scud-C porteurs de têtes chimiques, elle a réussi à créer un équilibre stratégique relativement stable entre les deux pays et à réduire la liberté d'action militaire d'Israël. Israël n'a plus aujourd'hui l'option d'une guerre préventive contre son voisin et ne peut bombarder des objectifs stratégiques ou menacer les intérêts vitaux syriens sans placer ses propres centres de population en danger. La Syrie tentera de préserver ce potentiel en maintenant un arsenal de Scud-B et Scud-C et de M-9 suffisant pour submerger la défense antimissile israélienne et en développant des missiles de croisière suffisamment précis et furtifs pour pénétrer sa défense aérienne. Bien que la Syrie soit à même actuellement de perturber les efforts de mobilisation israéliens par des attaques chimiques au cours de la phase initiale d'une guerre, il est probable qu'elle renoncera à recourir à ces armes de crainte de représailles massives. Par conséquent, elle a placé en priorité le développement de moyens conventionnels capables de freiner la mobilisation des forces israéliennes. Pour atteindre cet objectif, elle tentera de se doter de missiles tel le M-9 et d'une première génération de missiles de croisière à la portée plus longue et aux performances plus précises que ceux qui se trouvent actuellement dans son arsenal; elle les équipera avec des têtes avancées de submunitions; elle tentera également d'acquérir de nouvelles munitions "stand-off" à larguer par voie aérienne une fois qu'elles seront disponibles pour l'exportation. Toutes ces mesures assureront la validité continue de la force de dissuasion stratégique syrienne et augmenteront sa capacité de lancer des attaques contre des objectifs opérationnels et tactiques au cours de la première phase d'une guerre, lui permettant ainsi de combler l'important retard de son potentiel face à Israël.
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