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Sommaire Analyse Décembre 1993 - Hanoucah 5753

Éditorial - Décembre 1993
    • Éditorial

Hanoucah 5754
    • Le devoir de mémoire

Interview exclusive
    • L'État juif vidé de son essence ?

Politique
    • Les négociations: balbutiements
    • Rencontre avec Jack Kemp

Interview
    • Juif - Blanc - Africain

Jérusalem-Judée-Samarie-Gaza
    • Juifs ou parias en Israël ?

Analyse
    • Une comparaison erronée
    • Diplomates et Juifs

Art et Culture
    • L'identité par l'objet
    • Les 25 ans du Petit-Palais
    • C'est une fille !

Reportage
    • La Haute Cour de Justice d'Israël

Portrait
    • De Karola au Dr Ruth

Éducation
    • Des armes pour la vie

Société
    • Femmes... le combat continue !

Stratégie
    • L'arsenal stratégique de la Syrie

Souvenir
    • Portrait d'un maître et d'un ami

Éthique et Judaïsme
    • Danger et responsabilité

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Diplomates et Juifs

Par Le Dr Sergio I. Minerbi*
L'attitude des diplomates pendant la Seconde Guerre mondiale vis-à-vis des Juifs en danger est le centre de cet article. Théoriquement, les diplomates ne sont que des fonctionnaires devant exécuter les instructions reçues de leurs gouvernements respectifs. Mais en réalité, certains diplomates ont pris la liberté de sauver des Juifs par l'octroi de visas ou parfois avec le consentement tacite de leurs supérieurs hiérarchiques. Ainsi, tandis que le service diplomatique allemand était totalement asservi au nazisme dont le but était de massacrer les Juifs, plusieurs diplomates italiens ont activement sauvé des Juifs à Varsovie, Salonique, en Croatie et dans la France méridionale.
Nous avons voulu faire connaître à un public plus vaste l'exploit peu ou mal connu de certains diplomates ayant participé au sauvetage des Juifs. C'est dans ce but que M. Lorenzo Jarach a institué à la mémoire de feu son père auprès de l'Université Hébraïque de Jérusalem le Prix Guido Jarach. Cette bourse annuelle récompense l'auteur d'une thèse écrite et susceptible d'être publiée sur un diplomate ayant sauvé des Juifs.
Le commandant Guido Jarach (1881-1953) était officier de la marine italienne. Immédiatement après la Première Guerre mondiale, il fut envoyé à Izmir en qualité de Commandant adjoint du bateau "Nino Bixio". Pendant son séjour de quelques mois à Izmir, en 1920, il s'intéressa à la communauté juive locale et renforca les relations avec l'Italie. A cette époque, le gouvernement italien avait l'intention de créer à Rome un Secrétariat d'une nouvelle association semblable à l'Alliance Israélite Universelle, dont le but était de réunir tous les Juifs sépharades de la Méditerranée. Guido Jarach fit un compte rendu exact de la Communauté juive d'Izmir en 1920: elle se composait de 40'000 personnes, avait comme président Boaz Menashe originaire de Rhodes, et de nombreux Juifs souhaitaient devenir citoyens italiens, ce qui aurait développé le commerce avec l'Italie. Guido Jarach eut aussi l'idée d'ouvrir une nouvelle école juive italienne destinée aux enfants des Juifs ayant reçu la nationalité italienne ou des certificats de protection. Il encouragea les Juifs à s'associer à la Chambre de Commerce Italienne. (S. Minerbi, "L'azione diplomatica italiana nei confronti degli ebrei sefarditi durante e dopo la 1. guerra mondiale (1915-1929)", Rassegna mensile di Israele, Luglio-Dicembre 1981, pp 99-108).
Dans le cadre du Prix Guido Jarach, plusieurs thèses ont déjà été présentées dont voici quelques exemples.
Un cas très intéressant est celui de SEMPO SUGIHARA arrivé à Kaunas en Lituanie en 1939 pour y ouvrir le consulat du Japon. Ce pays était l'allié de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste, mais ignorait les détails des projets d'expansion d'Hitler. Le chef d'état-major japonais avait été envoyé à Kaunas afin d'obtenir des renseignements exacts sur la concentration des troupes allemandes en prévision d'une éventuelle attaque contre l'Union Soviétique. Après l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, la Lituanie fut divisée en deux, entre occupation allemande et soviétique. De nombreux Juifs trouvèrent un refuge provisoire dans la Lituanie annexée par l'Union Soviétique qui donna au consulat japonais trois semaines pour fermer ses portes. Les institutions juives furent aussi obligées de fermer. Le courant très faible des émigrants juifs vers la Palestine, qui avait débuté en mars 1940, fut bloqué par la chute de la France et l'entrée en guerre de l'Italie le 10 juin 1940. Le Comité de salut juif essaya par tous les moyens d'obtenir des visas d'entrée et de transit. Quand l'Ambassadeur des Pays-Bas confirma que l'entrée au Surinam et à Curaçao ne nécessitait aucun visa, il fallut trouver un pays de transit pour y parvenir. Le Consul du Japon demanda l'autorisation de Tokyo le 11 août, mais celle-ci lui fut refusée. Sempo Sugihara obtint des Soviétiques la promesse du libre transit jusqu'à Vladivostock des Juifs en possession d'un visa japonais et, contrairement aux instructions reçues, il délivra des visas pour le Japon aux Juifs. Après l'arrivée des premiers Juifs polonais à Vladivostock et au Japon, le ministère des Affaires étrangères à Tokyo ordonna au Consul à Kaunas d'interrompre immédiatement l'octroi des visas. Mais Sugihara l'ignora et, durant les dix jours qui lui restaient suite à l'injonction soviétique de fermer le consulat, il continua à fournir des visas aux Juifs jusqu'au jour de son départ, le 1er août 1940. Le nombre exact de Juifs polonais qui réussirent à entrer au Japon grâce à Sempo Sugihara n'est pas clairement défini. Selon Zerah Warhaftig qui fut parmi eux, il s'agirait de 1600 personnes, alors que le Consul japonais a affirmé dans son témoignage répertorié à Yad Vachem avoir délivré 3500 visas. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, S. Sugihara fut prisonnier pendant un an en Sibérie; rentré en 1947 au Japon, il fut obligé de quitter le ministère des Affaires étrangères; le 19 décembre 1969, la Médaille des Justes de Yad Vachem lui fut décernée à Jérusalem. Il mourut en 1973. Sempo Sugihara a été réhabilité et son action est aujourd'hui racontée dans les manuels scolaires japonais. (Rachel Hedayo, "Sempo Sugihara, un juste japonais", Ramat Gan, publié en hébreu en décembre 1990).
Autre exemple, celui de GEORGE MANDEL-MANTELLO, diplomate juif de San Salvador qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, fut Secrétaire au consulat de Genève. En 1939, il avait été nommé Consul honoraire d'El Salvador à Bucarest en Roumanie; en Août 1942, il arriva à Genève et fut nommé Premier secrétaire. Au début de 1943, G. Mantello commença à octroyer des certificats de protection salvadoriens car on avait remarqué qu'à Varsovie, les autorités allemandes respectaient les Juifs porteurs de passeports du Paraguay. Le consul général d'El Salvador à Genève, I. H. Castellanos, approuva cette aide humanitaire. Les documents en question furent destinés dans un premier temps aux Juifs de Hollande, Belgique, France, Pologne et Tchécoslovaquie puis, plus tard, à ceux de Hongrie. Mantello organisa un bureau spécial pour délivrer ces certificats, y ajoutant une traduction allemande et hongroise. Cette méthode fut copiée ultérieurement par d'autres pays comme la Suède, la Suisse et la Croix-Rouge Internationale, sauvant ainsi des dizaines de milliers de Juifs hongrois pendant le régime Szalasi (après le coup du 15 octobre 1944). Selon la recherche de David Kranzler, G. Mantello réussit à octroyer plus de dix mille certificats de protection; il organisa, toujours selon D. Kranzler, une campagne de presse dans les journaux suisses qui "réussit à interrompre les déportations de Budapest vers Auschwitz en 1944", et ce en faisant pression sur l'amiral Miklos Horthy de Nagybanya (1868-1957). (Dr. David Kranzler, "The rescue efforts of George Mantello, First Secretary of the El Salvador Consulate in Geneva during the Holocaust", New York, 1991. Pour cette recherche, D. Kranzler a reçu le Prix Guido Jarach en 1991).
Le cas de GIORGIO PERLASCA, quant à lui, est singulier. Commerçant italien en Roumanie, il passa en Hongrie pendant la guerre pour fuire l'obligation de joindre l'armée de la République de Salo (République Sociale Italienne (RSI) dirigée par Mussolini en 1944-45) et s'adressa à l'ambassade d'Espagne à Budapest. Il fut bien reçu en raison de son passé de combattant en faveur de Franco et, après quelques mois, il devint le remplaçant du Chargé d'affaires espagnol qui avait quitté son poste. En tant que responsable des intérêts espagnols, il délivra des centaines de certificats de protection à des Juifs hongrois, mettant sous la protection du drapeau espagnol plusieurs bâtiments. Il les visitait constamment pour s'assurer que la sauvegarde était efficace. Il réussit ainsi à sauver des centaines de Juifs à Budapest. Son ýuvre ne fut connue que très récemment et il reçut la reconnaissance des "Justes" de Yad Vachem peu de temps avant sa mort. Un auteur italien a publié le journal de Perlasaca pendant cette période historique. (Enrico Deaglio, "La Banalità Del Bene, Storia di Giorgio Perlasca" publié chez Feltrinelli, Milan en 1991. Pour cet ouvrage, l'auteur a reçu le Prix Guido Jarach le 6 avril 1992).
Pour terminer, il est intéressant de citer le consul du Portugal à Bordeaux, ARISTIDES DE SOUSA MENDES, qui, en 1940, a mis en jeu toute sa carrière diplomatique pour sauver des Juifs en leur délivrant des visas portugais malgré les instructions reçues de Lisbonne. Le 30 octobre 1940, il fut condamné par le ministère des Affaires étrangères à un an de suspension, à un demi salaire et fut mis à la retraite anticipée immédiatement après. Le 10 juin 1986, le Congrès des États-Unis a rendu un hommage à A. Mendes en rappelant que, pour beaucoup de réfugiés juifs en France, la seule voie de sauvetage passait par l'entrée au Portugal. A. Mendes a octroyé au moins 10'000 visas à d'autres Juifs, suite de quoi il fut licencié et mourut dans la pauvreté en 1954. Le Congrès décida d'honorer la mémoire de Mendes comme Yad Vachem l'avait déjà fait en 1967. (Dr. David Shapira, "Sa signature sauva des milliers", Jérusalem 1993).
Ces quelques exemples ne peuvent bien entendu pas offrir un tableau complet mais uniquement indiquer que, pour une minorité de diplomates, la volonté d'aide humanitaire aux Juifs en danger de mort passait avant les instructions des Ministères respectifs.

* Sergio I. Minerbi, Docteur ès Lettres de la Sorbonne, est actuellement Senior Researcher à l'Institut Davis de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Il a publié plusieurs livres d'histoire dont: "L'Italie et la Palestine", PUF, Paris 1970; "The Vatican and Zionism", Oxford University Press, New York, 1990.

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