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Sommaire Art et Culture Décembre 1993 - Hanoucah 5753

Éditorial - Décembre 1993
    • Éditorial

Hanoucah 5754
    • Le devoir de mémoire

Interview exclusive
    • L'État juif vidé de son essence ?

Politique
    • Les négociations: balbutiements
    • Rencontre avec Jack Kemp

Interview
    • Juif - Blanc - Africain

Jérusalem-Judée-Samarie-Gaza
    • Juifs ou parias en Israël ?

Analyse
    • Une comparaison erronée
    • Diplomates et Juifs

Art et Culture
    • L'identité par l'objet
    • Les 25 ans du Petit-Palais
    • C'est une fille !

Reportage
    • La Haute Cour de Justice d'Israël

Portrait
    • De Karola au Dr Ruth

Éducation
    • Des armes pour la vie

Société
    • Femmes... le combat continue !

Stratégie
    • L'arsenal stratégique de la Syrie

Souvenir
    • Portrait d'un maître et d'un ami

Éthique et Judaïsme
    • Danger et responsabilité

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C'est une fille !

Par Jennifer Breger *
Dans l'édition précédente du magazine SHALOM, nous vous avons présenté les rituels de la naissance dans le judaïsme, en terminant par la circoncision. Cette fois, nous évoquerons la cérémonie du "pidyon haben" ainsi qu'un éventail des cérémonies tenues lors de la naissance d'une fille. Le "pidyon haben" ou rachat du premier-né est célébré trente jours après la naissance d'un enfant mâle qui est le premier-né de sa mère. Il n'y a pas de rachat lorsque l'un des deux parents est un Cohen, un Lévite ou si le bébé est né par césarienne. Comme la "brit mila", le "pidyon haben" constitue un commandement biblique: "Consacre-moi tout premier-né, toutes prémices des entrailles parmi les enfants d'Israël, soit homme soit animal" (Exode XIII, 2). L'enfant est présenté au Cohen tandis que le père remet à ce dernier cinq shekels d'argent ou l'équivalent, comme offrande substitutive.
Il existe des grands plats pour le "pidyon haben", semblables aux plats de circoncision décrits dans l'article précédent et qui sont également décorés de scènes de la "Akedah" (sacrifice d'Isaac) ou de signes du zodiaque. Sur un plat du XVIIIe siècle originaire de Dantzig et exposé au Musée juif de New York, figure un enfant emmailloté, la main du Cohen le bénissant; la bénédiction prononcée par le père est gravée sur le bord. Ici encore, l'usage précis du plat n'est pas élucidé. A la fin du XIVe siècle, le Maharil mentionne la coutume consistant à placer la somme du rachat sur un plat d'argent comme une façon d'enjoliver le commandement. Certains affirment que le plat est destiné à l'enfant afin qu'il soit présenté dessus; d'autres estiment au contraire que ces plateaux étaient de simples objets décoratifs ou commémoratifs et n'étaient pas du tout utilisés lors de la cérémonie. Dans certaines communautés orientales, les femmes apportent des bijoux et en parent l'enfant avant la cérémonie. Dans d'autres, la mère porte à cette occasion sa robe de mariée.
Comme nous l'avons vu, la naissance d'un enfant mâle est considérée comme un événement majeur dans la vie familiale et dans la vie communautaire. La naissance d'une petite fille, en revanche, a toujours été accueillie avec des expressions de regret et des paroles de consolation. Au cours de l'histoire, dans toutes leurs invocations, les femmes priaient pour un fils. La tâche essentielle de la femme juive était de produire des fils érudits et pieux. De surcroît, un garçon pouvait plus tard contribuer à la subsistance de la famille tandis qu'une fille devait être entretenue jusqu'au jour où on lui trouvait un mari et il fallait en plus la pourvoir d'une dot. Lors de la naissance d'un premier enfant de sexe féminin, l'expression la plus favorable adressée aux parents était: "Une fille en premier, bon présage pour des fils." Il existe une bénédiction de grâces "hatov vehamétiv" qui, selon la Guemara (Berakhot, 59b), doit être prononcée lorsque naît un fils mais pas lorsque c'est une fille qui vient au monde. En effet, selon le Aroukh Hashoulkhan, un code halakhique du XIXe siècle rédigé par Yekhiel Mikhel Halevi Epstein, "lors de la naissance d'une fille, l'on ne fait pas de bénédiction parce qu'il n'y a pas tellement de quoi se réjouir" !
Néanmoins, une fois qu'elle était venue au monde, il fallait bien donner un nom à la petite fille. En l'absence d'instructions halakhiques précises quant au moment indiqué pour ce faire, diverses coutumes se développèrent, les unes adoptant le jour même de la naissance, d'autres attendant que l'enfant soit âgée d'un mois, ou même plus lorsque le père était en voyage. Dans les communautés ashkénazes, le nom de la petite fille est généralement donné au cours d'un office ordinaire à la synagogue; le père est appelé à la Torah pour une "aliya" et a droit à un "mishebérakh", le premier shabbat suivant la naissance ou, en semaine, le jour de la lecture de la Torah, un lundi ou un jeudi.
Des traditions italiennes et séfarades ont préservé depuis le XVIIe siècle une cérémonie appelée "Zeved Habat" au cours de laquelle la petite fille reçoit son nom. Cette appellation est une référence indirecte à un verset prononcé par Léah après la naissance de Zabulon et avant celle de Dinah: "Le Seigneur m'a accordé un don précieux" (Genèse XXX, 20). Le terme "Zeved Habat" peut donc être traduit comme "le don d'une fille".
En plus de l'octroi du nom proprement dit, des chants et psaumes étaient récités au cours de cette cérémonie, ainsi que des versets du Cantique des Cantiques, dont celui-ci (2,14): "Ma colombe, nichée dans les fentes du rocher, cachée dans les pentes abruptes, laisse-moi voir ton visage, entendre ta voix, car ta voix est suave et ton visage gracieux." Si l'enfant était la première fille, le père récitait encore le verset suivant du même livre (6,9): "Mais unique est ma colombe, mon amie accomplie; elle est unique pour sa mère, elle est la préférée de celle qui l'a enfantée. Les jeunes filles, en la voyant, la proclament heureuse; reines et concubines font son éloge." D'autres extraits, tels les versets bibliques de la Genèse se rapportant à Rébecca (24,60) ou le psaume 121 du livre des Psaumes étaient également déclamés lors du "Zeved Habat".
Dans diverses communautés séfarades, la cérémonie d'accueil pour une petite fille était connue sous le nom de "las fadas", terme peut-être originaire de l'espagnol "hadas", qui signifie fées; c'était en effet une coutume espagnole de faire bénir l'enfant par un chapelet de bonnes fées. La cérémonie séfarade consistait en un banquet offert par les parents, au cours duquel le rabbin tenait le bébé sur ses genoux et récitait une bénédiction tout en annonçant son prénom. La petite fille était ensuite passée de main en main parmi les convives qui lui adressaient tour à tour leurs bons výux. En Turquie, un voile de soie brodé est placé sur la tête de la mère et de l'enfant au cours de "las fadas". Une fois que le rabbin a donné le nom, le voile est retiré de la tête de l'enfant. La mère continue à s'en servir et plus tard la fille s'en recouvrira lors de son mariage. Nous trouvons dans divers livres de prières italiens et séfarades un magnifique "mishebérakh" pour l'octroi du nom à la petite fille, qui remonte au moins jusqu'au XVIIe siècle. Il invoque de façon appropriée les matriarches et d'autres figures bibliques féminines et non les patriarches, comme il est de coutume dans cette prière: "Que Celui qui a béni nos mères Sarah, Rébecca, Rachel et Léah, Myriam et les prophétesses, Abigaïl et la reine Esther, bénisse cette chère petite fille et que son nom soit (prénom désigné), avec mazal tov et à une heure propice; puisse-t-elle grandir dans la santé, la paix et la tranquillité et que ses parents aient le mérite de voir son bonheur et d'assister à son mariage, avec des enfants mâles, entourée de prospérité et d'honneur jusque dans le grand âge. Que tout cela soit la volonté de D., amen." (remarquez le výu pour des enfants mâles !)
Pour marquer la naissance d'une petite fille et son entrée dans la communauté juive, des cérémonies nouvelles ont été instaurées de nos jours, aux États-Unis en particulier: elles vont bien au-delà du traditionnel "mishebérakh" et du kiddouch à la synagogue, même parmi les orthodoxes. On les appelle souvent "Simhat Bat" (réjouissance pour la fille) mais il existe d'autres appellations telles que "Brit Bnot Israël" (l'alliance des filles d'Israël) ou "Brit Kedoucha" (l'alliance de sainteté). Dans la mesure où il n'y a pas de limite de temps comme pour une circoncision, les parents attendent généralement que la mère soit suffisamment remise des couches afin qu'elle puisse pleinement participer à la fête. Dans les familles traditionnelles, cette réjouissance est tenue en plus de l'octroi du prénom pendant la lecture de la Torah et ne remplace pas la cérémonie de la synagogue. Dans les communautés non orthodoxes, certains fêtent la naissance de leur fille le huitième jour, tentant ainsi de l'assimiler autant que possible à la circoncision. Parfois, la cérémonie comprend une immersion dans un "mikveh" (bain rituel). De nombreux parents trouvent extrêmement gratifiant de pouvoir créer une nouvelle composition liturgique au cours de leur propre cérémonie religieuse. Ainsi, sont évoqués les personnages bibliques ou les figures historiques dont la petite fille porte le nom. Souvent l'on incorpore d'autres textes liturgiques ou des prières rédigées par des personnalités féminines du passé. Une tradition récente consiste à former un acrostiche des noms hébraïques de l'enfant en recourant à des versets de la Bible. Une autre coutume mentionnée dans le Talmud (Guittin, 57a) est également pratiquée par certaines familles: les parents plantent un pin, formant le výu qu'en grandissant, la petite fille devienne vigoureuse et odorante comme l'arbre. Au temps du Talmud, on ne coupait pas l'arbre avant que la fillette n'ait grandi et ses branches étaient utilisées pour sa Houpa (dais nuptial).
Le "Hollekreisch" est une curieuse coutume qui était pratiquée dans le sud de l'Allemagne (et dans des communautés suisses) mais qui semble avoir été abandonnée. Cette cérémonie d'octroi du nom s'est apparemment développée au XVe siècle et a sans doute son origine dans certaines traditions folkoriques allemandes. Elle se tenait le premier shabbat où la mère se rendait à la synagogue, en général un mois après la naissance du bébé. La mère était accueillie par des chants et son mari appelé à la Torah. Après l'office, la famille et les proches amis se rendaient à la maison, où la petite fille, revêtue d'habits de fête, était placée dans un berceau décoré. Des enfants de huit à dix ans se mettaient en cercle autour du berceau, le soulevaient trois fois au cri de "Holle, Holle, quel sera le nom de cette enfant ?" Ensuite, ils claironnaient le nom laïque et recevaient pour leur peine des sucreries des parents. Bien que la cérémonie du "Hollekreisch" fût tenue pour garçons et pour filles dans certaines régions d'Allemagne, elle était en général réservée aux filles puisque les garçons avaient déjà la Brit Mila.
L'origine du nom "Hollekreisch" est incertaine. Il se peut qu'il ait un rapport avec le démon allemand Holle qui menaçait les nourrissons; afin de le protéger, un cercle était tracé autour de l'enfant et le nom était prononcé pour éloigner le mauvais esprit. Des comptines folkloriques allemandes et autrichiennes témoignent d'autre part de l'existence d'une Frau Holle, ancienne déesse mythologique qui amenait les enfants sur terre; chaque fois qu'un enfant était tiré des eaux, elle posait la question rituelle: "Comment sera-t-il appelé ?" Il est aussi possible que le mot provienne du terme yiddish "Hole" (séculier, de l'hébreu "hol") associé à l'allemand "Kreischen" (crier) et se réfère simplement à l'annonce du nom séculier de l'enfant. Une autre explication plausible en fait une dérivation du français "haut la crèche", allusion à l'élévation du berceau.
La coutume du "Hollekreisch", abandonnée dans les villes et les plus grandes communautés, s'est longtemps maintenue dans les petites localités et dans les régions rurales. Elle se pratiquait encore à Strasbourg dans les années 50, mais semble être complètement oubliée aujourd'hui. Un tableau du XXe siècle représentant cette cérémonie et peint par l'artiste suisse Alis Guggenheim a été récemment offert par Sigmund Wiener et Eva Wiener-Karo de Lucerne au Musée d'Israël.

* Jennifer Breger est diplômée de l'Université d'Oxford et de l'Université hébraïque de Jérusalem. Elle est spécialiste en livres juifs et hébraïques et vit à Washington.


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