Notre correspondant à Jérusalem
Une annonce récente dans un journal arabe de Jérusalem. Le signataire, un dirigeant local du Fatah, demande aux lecteurs de ne pas prêter foi aux rumeurs selon lesquelles il aurait, lui, condamné des actes de violence dirigés contre des Israéliens. Comment peut-on lui imputer pareille indignité ? Il proteste, il s'insurge, tous ceux qui le connaissent savent bien que ce ne peut être lui. Quelqu'un lui veut certainement du mal.
Cela peut paraître incroyable à qui contemple le processus actuel de loin, ou distraitement. On peut bien sûr imputer la publication d'une telle annonce à la peur qui animerait le signataire, dont le seul but serait par conséquent de se dédouaner, peut-être de sauver sa peau.
Même ainsi, ne serait-ce pas significatif de l'état d'esprit d'une bonne partie de l'opinion palestinienne dans les territoires ? Si ces hommes ont peur d'affirmer au grand jour que le but de la paix est de vivre en paix avec leurs voisins, à quoi bon rime le "grand bond en avant" politique que le gouvernement israélien a accompli à la fin de cet été ?
Grand bond ou fuite en avant, le débat est ouvert, et n'est pas prêt de se refermer. Il fallait oser disent les uns, soit par conviction soit par cynisme, et la faiblesse avérée de l'OLP nous a donné l'occasion, à un moment propice, d'engager enfin un dialogue nécessaire. Vous avez dit faiblesse, répondent les autres, le mot est bien choisi, mais ce n'est pas l'OLP qu'il qualifie, c'est bien le gouvernement Rabin. Car enfin ce gouvernement a bien dû reconnaître, un an après sa constitution, qu'en dépit d'un profil infiniment plus modéré que le gouvernement précédent, il n'avait pas beaucoup progressé sur la voie de la paix. Autant dire pas du tout. Et donc qu'il lui fallait, pour justifier son action, pour justifier son existence même, saisir au vol, presque à l'improviste, un accord approximatif, flou, mal concocté, avec des représentants d'Arafat à Oslo.
Les lendemains d'Oslo ont laissé à tous - partisans et adversaires - une désagréable impression de pagaille. Ce n'est pas grave, tout s'arrangera, diront cependant les tenants de l'accord, l'essentiel est acquis, tout le reste se décantera sur le terrain, au jour le jour. Quant aux autres, ils auront beau jeu - et toute latitude - de dénoncer les lacunes et les à-peu-près. Prenons le simple exemple de la promesse faite à Rabin d'abolir la charte de l'OLP. Il n'en est plus question. Parce que c'est impossible, parce que Arafat, même s'il le souhaitait, ne disposerait pas d'un soutien suffisant au sein de son organisation. Mais ne le savait-on pas déjà en septembre ? Et est-il indifférent que la négociation se déroule avec une organisation qui continue à nier, dans ses statuts, les droits fondamentaux d'Israël et du peuple juif ? Ce qui conduit directement à poser la question de la crédibilité même d'Arafat et du noyau qui lui demeure fidèle. Outre le fait que le chef de l'OLP est réputé pour n'avoir jamais - c'est sans doute un principe - tenu ses engagements, son emprise sur la population arabe des territoires est pour le moins sujette à caution. Les élections à l'université de Bir Zeit, près de Ramallah, l'ont bien montré: les partisans du Fatah ont été écrasés par une coalition des ennemis palestiniens de l'accord avec Israël. Or cela intervient à un moment où les considérations tactiques les plus simples commanderaient aux palestiniens de Judée, Samarie et Gaza de se donner une couleur modérée, pour amadouer l'opinion israélienne, quitte à renouer avec l'extrémisme aussitôt après l'application des accords.
On peut bien sûr féliciter ces Palestiniens pour leur franc-parler, à un moment où un peu de dissimulation pourrait leur rendre service, à moins que leur assurance ne soit due à tout autre chose: la conviction que quoi qu'ils fassent, quoi qu'ils disent, le gouvernement israélien ne peut se déjuger, ne peut revenir en arrière, que l'affaire est dans le sac.
En effet, comment dire "nous nous sommes trompés" ou même "nous avons été abusés" alors que le monde entier, communautés diasporiques comprises, félicite Messieurs Rabin et Peres pour leur courage et leur leadership ? Comment reconnaître que l'on s'est laissé entraîner par faiblesse, peut-être par fatigue - une fatigue partagée par une grande partie de l'opinion israélienne, il faut l'avouer - à des concessions extrêmement dangereuses ?
On voit donc les dirigeants israéliens minimiser, relativiser, l'opposition palestinienne aux accords, ou déclarer comme M. Beilin, le secrétaire d'État aux Affaires étrangères, que "si le terrorisme n'est pas jugulé dans les deux ans", ce sera un échec pour le gouvernement. Deux ans ! C'est vraiment se donner le temps d'agir. D'autant plus que dans deux ans, les autorités israéliennes auront beaucoup de mal à se faire respecter en Cisjordanie et à Gaza. De quoi vous mêlez-vous ? diront alors les autorités palestiniennes, avec leur police de 20'000 hommes et leur espoir, plus que fondé, de voir l'essai transformé, c'est-à-dire le "self-government" devenir un État palestinien souverain.
Autre tendance déplorable des responsables de Jérusalem: ils s'en prennent, presque quotidiennement, aux habitants juifs des territoires. Si les extrémistes arabes les attaquent, c'est qu'ils existent, et s'ils existent, et surtout s'ils réagissent, cela fait d'eux un obstacle à la paix. Non pas que les réactions, souvent très violentes, de ces Israéliens, soient justifiables ou défendables. Mais refuser de comprendre leur angoisse, leur peur, leur colère ? Après tout, ces 120'000 habitants des localités juives ne se sont pas installés par hasard, mais bien du fait d'une politique gouvernementale à laquelle le Parti travailliste a été le plus souvent associé. Lorsqu'ils mouraient sous les balles ou les pierres ils étaient, l'année dernière encore, des "victimes de l'Intifadah". Aujourd'hui les voila, au mieux, des "victimes de la paix", au pire des empêcheurs de tourner en rond.
Tout cela pour dire que l'hiver s'annonce rigoureux. Les difficultés d'application, à Gaza et à Jericho, des accords Rabin-Arafat, semblent parfois insurmontables. Elles seront sans doute surmontées, puisque de part et d'autre on veut manifestement réussir, ne pas perdre la face, prouver à tout prix que l'on a fait le bon pari. Mais le gouvernement Rabin est fragile. Sans le Parti Shas, qui ne regagne toujours pas la coalition, celle-ci est minoritaire au parlement, et ne tient que grâce à l'appoint, de plus en plus chèrement payé, des cinq députés nationalistes arabes, dont l'un des dirigeants réclame un portefeuille ministériel.
Des progrès sensibles ont sans doute été réalisés avec la Jordanie, qui n'a pas de contentieux sérieux avec Israël. Mais la Syrie semble toujours intraitable. Et les espoirs de "grand marché commun" du Proche-Orient apparaissent pour le moment plus comme des rêves utopiques que comme des projets réalistes. La Ligue arabe, malgré tous les discours de paix, ne vient-elle pas de décider de maintenir le boycottage d'Israël ?
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