Le 11 septembre 2002, un an après l'attaque d'Al-Quaïda contre les tours jumelles du World Trade Center à New York et contre l'immeuble du Pentagone à Washington, une assemblée extraordinaire se tenait à la mosquée de Finsbury Park, dans le nord de Londres: on y «fêtait» le premier anniversaire du massacre. Un millier de musulmans britanniques, protégés par une importante force de la police métropolitaine de Londres, étaient rassemblés pour célébrer ce «jour historique grandiose».
L'événement était dirigé par Abou Hamza al-Masri, musulman d'origine égyptienne, qui à l'époque était encore président de la mosquée de Finsbury (entre temps, il a été mis en prison, purgeant une peine de sept ans pour complicité de meurtre et d'incitation à la haine raciale contre les Juifs). L'orateur vedette était un exilé syrien, Cheikh Omar bin Bakri Mohammed - à l'époque leader de Al-Muhajiroun (les Emigrants), un groupe islamiste radical et antisémite; basé à Londres, il a pour vocation de renverser les régimes «infidèles» et d'établir la loi de la Charia dans le monde entier.
Cet Omar bin Bakri a finalement été expulsé de Grande-Bretagne l'année dernière mais la menace du terrorisme djihadiste n'a fait que s'accroître. Londres a été transformée au cours des dernières années en centre international pour le recrutement, la promotion et le financement du terrorisme global et de l'islamisme radical. Londonistan, comme disent les Français, est devenu un havre abritant djihadistes distillant la haine et suicidaires nés et éduqués en Grande-Bretagne, comme les assassins des 52 civils innocents tués dans le métro londonien en juillet 2005. Selon les estimations, il y aurait environ un millier de supporters d'Al-Quaïda vivant aujourd'hui en Grande-Bretagne. A l'heure actuelle, le Scotland Yard et les services de sécurité ont sur les bras un nombre record de 34 dossiers terroristes et de 99 prévenus attendant de passer en jugement. Quelque 70 autres dossiers sont sous examen. L'ampleur de la menace pesant actuellement sur ce pays a été dramatiquement illustrée en août 2006; deux douzaines de musulmans britanniques ont été arrêtés, soupçonnés d'être liés à un nouveau complot d'Al-Quaïda. Cette fois, ils projetaient de faire exploser cinq avions au-dessus de l'Atlantique, ambitionnant un attentat comparable par son ampleur à celui du 11 septembre.
En Grande-Bretagne, le militantisme islamique s'exprime ouvertement, avec une agressivité souvent choquante. En février 2006, lors d'une manifestation à Londres, j'ai personnellement aperçu une jeune femme musulmane, vêtue de la burqa, qui brandissait ce placard: «Préparez-vous au véritable Holocauste !» Les autres bannières n'étaient pas moins macabres: «Allah détruira l'État terroriste d'Israël !». Dans Hyde Park, de jeunes musulmans britanniques agitaient des avertissements menaçants pour l'Union européenne, dont voici deux exemples: «Europe tu payeras, ton extermination arrive» ou, non moins éc?urant, «L'Europe est le cancer - L'Islam est le remède». Au lieu de réagir à la gravité de ce violent langage, il est de bon ton de prétendre que les musulmans asiatiques sont victimes du racisme britannique et de l'islamophobie. Voilà une affirmation dépourvue de fondement. L'extrême droite en Grande-Bretagne est quasi inexistante et les préjugés envers l'Islam sont en réalité remarquablement restreints si l'on prend en compte la menace fort réelle posée par les cellules terroristes islamistes. La société britannique offre aux musulmans une liberté religieuse et des possibilités économiques dont ils ne jouissaient pas dans leur pays d'origine.
Quant aux autorités britanniques, elles se mettent en quatre pour s'accommoder d'un comportement aberrant, voire criminel. Ce n'est que récemment que la police a modifié son attitude. Mais les médias libéraux ne cessent de critiquer ce durcissement, d'ailleurs paralysé dans une certaine mesure par le système judiciaire. Avec son obséquiosité envers l'islamisme radical, la gauche britannique ne fait qu'aggraver la situation. L'antisémitisme, l'antiféminisme, l'homophobie et l'impitoyable haine de l'Occident manifestés par les islamistes sont généralement ignorés ou minimisés par la gauche. Il semble que l'animosité commune pour l'Amérique et Israël l'emporte sur toute divergence idéologique entre islamistes et marxistes. Pour un membre du Parlement de la gauche britannique comme George Galloway, Israël est le véritable méchant tandis que Hassan Nasrallah est un «héros». Il y a aussi le maire radical de Londres, Ken Livingstone, qui cajole Cheikh Yousouf al-Quaradhawi - un raciste homophobe, misogyne et antisémite - comme s'il incarnait le progressisme islamique dans sa perfection. Et pour finir, mentionnons les universitaires britanniques (dont certains Juifs) qui s'entêtent à définir Israël comme un État «raciste», un «État-apartheid» pire que l'Afrique du Sud et qui doit donc être frappé de sanctions et en fin de compte démantelé !
La Grande-Bretagne multiculturelle, en particulier ses élites libérales, montrent peu de compréhension pour Israël, de plus en plus considéré comme un État agressif, néo-colonialiste, s'appuyant entièrement sur sa force militaire et sur la générosité américaine pour écraser les faibles Palestiniens. En ces temps de post-nationalisme laïque et universaliste, Israël est perçu comme un «anachronisme», un État-nation ethnocentrique; le fait qu'il mette en exergue sa judéité est souvent le prétexte pour lui jeter l'anathème de «raciste». Les mêmes intellectuels, artistes, journalistes et universitaires qui vilipendent Israël pour son prétendu exclusivisme religieux, se gardent soigneusement de critiquer le fondamentalisme musulman; ce, en dépit de sa violence, de ses tactiques d'intimidation, de la répression des femmes et du harcèlement raciste des Juifs. Toute tentative d'assimiler l'islam et le terrorisme est honnie. Loin de s'interroger sur la compatibilité des positions musulmanes avec la démocratie, ils évitent d'aborder les points épineux, comme la loyauté limitée des musulmans britanniques envers le pays où ils vivent. Dans le même temps, le courant dominant des médias britanniques refuse toujours d'admettre que les islamistes veulent détruire l'Occident et Israël, imposer la Charia et restaurer le califat médiéval à travers le monde. Il y a là un déni de la réalité du djihad (guerre sainte), d'où les efforts désespérés pour absoudre le programme islamiste.
La question de l'antisémitisme musulman et de la menace qu'il constitue pour le judaïsme anglais est rarement évoquée dans la presse britannique. Soulever le sujet est déjà considéré comme une provocation islamophobe. Il s'ensuit que les musulmans en Grande-Bretagne - comme les Palestiniens au Moyen-Orient - échappent à toute critique conforme aux normes conventionnelles et ne sont pas tenus d'assumer la responsabilité de leurs actes. Au nom de la diversité culturelle, le judaïsme et le christianisme peuvent être bafoués, mais l'inverse est évidemment interdit. En d'autres mots, la liberté de parole est à sens unique. Les leaders musulmans prêchent ouvertement la haine de la démocratie occidentale, de la laïcité, des Juifs, des homosexuels, des féministes et des Kaffirs (infidèles) en général, mais la moindre critique de l'islam peut être mortelle pour ceux qui s'y risquent; les événements survenus ces dernières années en France, aux Pays-Bas, au Danemark l'ont amplement démontré.
La crainte d'offenser l'islam, engendrée par l'obsession du «politiquement correct», la lâcheté, la passivité et la crédulité ont eu de graves répercussions sur la sécurité des Juifs en Grande-Bretagne et en Europe occidentale. Le rapport de l'Enquête parlementaire multipartite sur l'antisémitisme, publié en Grande-Bretagne en septembre 2006, note le phénomène de «l'antisémitisme islamiste» mais se garde bien d'une réaction musclée. Dans mon propre témoignage, j'ai sonné l'alarme, soulignant qu'il s'agissait d'une question cruciale. Malheureusement, bien que l'Enquête parlementaire ait accompli un travail méritoire à plusieurs égards, les auteurs du rapport ont glissé sur l'importance croissante des positions antisémites parmi les musulmans britanniques: 40% d'entre eux estiment aujourd'hui que la communauté juive constitue une cible légitime, ces attaques faisant partie de «la lutte continue pour la justice au Moyen-Orient». Par ailleurs, 46% sont convaincus de l'existence d'une conspiration judéo-maçonnique, visant le contrôle des médias et de la politique britanniques. Enfin, plus de la moitié des musulmans britanniques s'accordent pour déclarer que les Juifs ont «beaucoup trop d'influence sur l'orientation de la politique étrangère de la Grande-Bretagne». Ce sont des chiffres alarmants. Ils reflètent un mélange extrêmement dangereux d'ignorance, de fanatisme et de zèle djihadiste, mélange renforcé par l'hostilité acharnée à l'encontre d'Israël dans certains secteurs des médias britanniques (dont la BBC).
Les médias libéraux et gauchistes ne se contentent pas de malmener Israël; ils enflent l'islamophobie tout en minimisant la gravité de l'antisémitisme. Selon des chiffres récemment rassemblés par la police britannique, les Juifs ont quatre fois plus de chances d'être attaqués en raison de leur religion que les musulmans. Il y a cependant en Grande-Bretagne des Juifs qui ignorent délibérément ces faits, s'obstinant à considérer Israël comme la source du problème et à laisser entendre que l'antisémitisme n'est qu'une invention «sioniste». Cette prise de position à «contre-courant» leur vaut l'étreinte des médias les plus respectables, qui adorent dresser Juifs contre Juifs; ils encensent les «courageux non-conformistes» qui dénoncent Israël tandis que ses défenseurs sont invariablement «complices» de l'oppression des Palestiniens. Cette farce hypocrite ajoute une note nouvelle, et assez nauséeuse, à la longue histoire des «guerres des Juifs» qui a toujours accompagné les éruptions d'antisémitisme.
* Le professeur Robert S. Wistrich occupe la chaire Neuberger d'Histoire contemporaine de l'Europe et d'Histoire juive à l'Université hébraïque de Jérusalem. Directeur du «Vidal Sassoon International Center for the Study of Antisemitism», il est l'auteur de nombreuses publications dont: Antisemitism: The Longest Hatred (Pantheon, 1991), Nietzsche, Godfather of Fascism? (Princeton, 2002), Hitler, l'Europe et la Shoa (Albin Michel, 2005).
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