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Sommaire Éthique et Judaïsme Printemps 1996 - Pessah 5756

Éditorial - Avril 1996
    • Éditorial

Pessah 5756
    • Une fabuleuse leçon d'espoir

Interview Exclusive
    • Israel à la croisée des chemins

Terrorisme
    • Accords d'Oslo - Sang et Larmes

Politique
    • Des attentats - des élections

Analyse
    • Le point de vue de S.E.M. Meïr Rosenne
    • Les Juifs dans la nouvelle Afrique du Sud
    • Recette pour un désastre

Judée - Samarie - Gaza
    • Hébron - Berceau du peuple juif

Art et Culture
    • Montmartre vivant - De Toulouse Lautrec à Utrillo
    • 3000 ans d'histoire

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    • Vivre la mémoire
    • La continuité dans le changement
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Médecine
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Économie
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Éthique et Judaïsme
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Délits d'initiés

Par le rabbin Shabtaï A. Rappoport *
R. se spécialise dans le planning et la construction d'autoroutes. Expert réputé dans ce domaine, R. jouit d'une grande estime auprès des fonctionnaires du Ministère des transports qui tiennent compte de son avis et acceptent ses analyses et estimations des coûts.
Peu d'appels d'offres importants pour la construction d'une autoroute sont effectués sans que les propositions soient soumises au bureau de R., qui les passe en revue, s'exprime sur les possibilités de réalisation du projet et donne son avis sur les coûts et délais souvent trop optimistes fournis par les divers entrepreneurs. Son gouvernement a récemment signé des accords dont il espère qu'ils déboucheront sur un traité de paix; ils impliquent le retrait de l'armée de ses positions actuelles et la construction rapide de nouvelles autoroutes sûres. On ne s'étonnera donc guère que R. ait été désigné pour étudier les différents projets envisagés. Après s'être engagé en bonne et due forme à respecter le secret, il s'entretint avec les fonctionnaires du Ministère de la défense et interrogea des responsables des services secrets ainsi que des officiers de l'armée. A l'issue de plusieurs semaines d'études approfondies, il arriva à la conclusion qu'il n'y avait qu'une seule solution praticable pour le tracé de la nouvelle autoroute; il était persuadé que lorsque son analyse serait soumise à la commission gouvernementale, sa proposition serait adoptée. Il était notoire que le gouvernement avait l'intention de construire de nouvelles routes à la suite de l'accord en vue; en revanche, les informations sur lesquelles R. s'était fondé pour son analyse étaient top secrètes. Il était le seul à connaître l'ensemble du projet, les diverses instances concernées ne détenant chacune qu'un fragment du tableau. Par conséquent, avant que le plan de R. ne soit soumis à la commission, personne d'autre que lui ne connaissait le tracé précis de la future autoroute: il détenait donc une information des plus précieuses. C'est l'étude de R. qui avait déterminé les emplacements de choix sur le parcours pour la construction de stations service, d'aires de repos et d'autres points commerciaux. Pour une somme dérisoire, il aurait pu y acquérir des terrains dont la valeur aurait considérablement grimpé une fois les plans de construction connus. Un telle opération aurait été la grande chance de sa vie; elle ne se serait pas faite au détriment de qui que ce soit, l'information, à première vue, n'appartenant à personne. Mais aurait-il été légitime d'en faire usage pour son propre bénéfice ?
On trouve dans le Talmud, traité Berakhot 18b, une allégorie qui nous narre l'exemple de l'usage d'une information à la source peu ordinaire. Au cours d'une année de sécheresse, une personne de bonne volonté (ce terme dans le Talmud fait généralement allusion à un des deux sages: Rabbi Yehouda Ben Baba ou Rabbi Yehouda Bar Ilai) donna une pièce d'argent à un pauvre la veille de Roch Hachanah. L'épouse du donateur fut tellement furieuse qu'il dut quitter son domicile et aller dormir au cimetière local. Pendant cette nuit, il surprit une conversation entre deux esprits concernant des secrets que l'un d'eux avait entendus au ciel. Il en ressortait que toutes les cultures semées après la première pluie seraient détruites par une tempête de grêle. Le personnage en question se servit de cette information et repoussa ses semailles après la deuxième pluie. Bien entendu, cette année-là, seules ses cultures furent sauvées. L'année suivante, il se rendit au cimetière de son propre chef pour y dormir la veille de Roch Hachanah et apprit par la conversation des esprits que les cultures semées après la deuxième pluie seraient détruites par une épidémie. Il fut le seul cette année-là à se hâter de semer après la première pluie et, pour la deuxième année consécutive, seules ses cultures furent épargnées. Cela éveilla la curiosité de son épouse qui apprit ainsi qu'il avait eu accès à une information à la source. L'année suivante, lorsqu'il revint au cimetière, il entendit que les esprits refusaient de se raconter leurs secrets parce qu'ils étaient divulgués parmi les mortels. Tel que ce récit nous est rapporté par le Talmud, il semble que le personnage de bonne volonté ait agi correctement bien qu'il eût fait usage d'une information qui n'était pas destinée à ses oreilles de mortel. Car une fois en connaissance des faits, il était libre de les utiliser à sa guise. Par conséquent, profiter d'une information à la source ne constitue pas un délit simplement parce qu'elle n'a pas été publiée.
On peut toutefois envisager le projet de R. sous un angle différent. Le Talmud Houlin 94a définit comme tromperie une catégorie d'actes apparemment anodins qu'il appelle en hébreu Gnevat Daat. Le cas présenté concerne une affirmation mensongère "bénigne". Un non-Juif est autorisé à consommer de la viande non cachère. Toutefois, un Juif n'a pas le droit de lui offrir cette viande interdite en prétendant qu'elle est cachère, ni même en omettant de mentionner qu'elle ne l'est pas. Explication donnée: il s'agit là d'un abus de confiance. Car le récipiendaire croit qu'il a reçu un présent de valeur pour le donneur alors que pour ce dernier, ce n'était qu'une nourriture non consommable. Maïmonides cite cette interdiction en deux endroits: dans "Lois du caractère personnel" (Hilkhot Deot, chap. II, 6), elle se rapporte à la probité individuelle et à l'honnêteté dans le discours et la pensée; dans "Lois sur la vente" (Hilkhot Mekhira chap. XVIII, 1-3) où il traite de la dissimulation d'informations pertinentes lors d'une vente ou d'un achat, l'interdiction est évoquée sous son aspect légal. Selon cette législation, il incombe au vendeur de révéler à l'acheteur les défauts cachés de sa marchandise. Cette loi est plus largement étudiée dans Choulkhan Aroukh Hochen Michpat (siman CCXXVIII, 6) et ses diverses applications sont discutées dans les responsa de la littérature rabbinique. Dans ses responsa Yossef Ometz (chap. LVII), rabbi Haïm Yossef David Azoulai (le Hida), sage réputé du XVIIIe siècle, interdit la fausse compétition destinée à faire grimper le prix d'un article lors d'une vente aux enchères. Cette interdiction s'étend même aux enchères au sein de la synagogue, dont les bénéfices sont utilisés pour les besoins de la communauté. De la même manière, il est donc interdit d'acquérir à un prix dérisoire une propriété qui paraît sans valeur alors qu'elle est inestimable, lorsque l'acheteur détient une information lui révélant la véritable valeur du bien, information qui relève du secret officiel ou commercial.
Un gouvernement démocratique est une forme de contrat explicite à travers diverses lois et aussi implicite parce que, sous un tel gouvernement, il est fondamentalement entendu que le pouvoir de décision accordé aux fonctionnaires ne sera pas exploité à leurs propres fins. Par conséquent, lorsqu'une offre d'achat est faite au propriétaire d'un terrain sis à proximité de la route en cours de planification, ce dernier doit pouvoir s'assurer qu'elle ne provient pas d'un fonctionnaire informé qui sait pertinemment que la valeur du terrain est fort supérieure au prix proposé. Un commerce loyal doit être fondé sur l'assurance tacite suivante: toute information substantielle détenue par l'acheteur actuel et qui concerne des projets gouvernementaux ayant une incidence sur la valeur de la propriété est accessible à n'importe quel individu, pour peu qu'il prenne la peine de l'obtenir. (Il ne s'agit pas ici d'une information acquise grâce à un flair astucieux, bien entendu). Il ne doit pas y avoir abus de cette entente tacite. D'autre part, dans le récit talmudique, la personne de bonne volonté n'a abusé de la confiance de personne, ni d'un acheteur, ni d'un vendeur. R. n'a pas le droit d'utiliser l'information qu'il détient maintenant pour faire sa fortune personnelle. S'il s'en sert malgré tout, il risque d'être poursuivi en justice et sera forcé de payer la valeur réelle de la propriété acquise ou d'annuler l'affaire.

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